Une infirmière de 50 ans violemment interpellée par des policiers à la fin de la manifestation parisienne le 16 juin, mise en garde à vue et appelée à comparaître devant le tribunal pour « outrages » et « violences »... L’information et les vidéos, révélatrices du mépris du pouvoir à l’égard de celles et ceux qu’il appelait il y a quelques semaines encore les « héros en blouse blanche », ont révolté, scandalisé l’opinion. Les salarié.e.s de la Santé font en permanence l’expérience de ce mépris. Ainsi trois jours avant la journée du 16, était publié au journal officiel le décret sur la « prime covid ». Une véritable provocation quand les hospitaliers réclament depuis des mois de vraies augmentations de salaire ! Une prime réduite qui plus est, pour plus de la moitié des personnels, qui n’étaient pas en département rouge ou qui avaient été absents une partie des mois de mars et avril. Quant aux salarié.e.s des cliniques et Ehpad privés, si le gouvernement va au final leur verser la prime dans les mêmes conditions que dans le public, les patrons eux refusent le plus souvent de mettre la main à la poche. Les grèves et débrayages se multiplient. A Korian, le groupe a finalement promis une prime de 1500 euros à tous les salariés… suite à une journée de grève nationale fin mai.
Violence et mépris alimentent la colère à l’égard du pouvoir, la contestation sociale et politique.
Macron sauve le capital, pas l’emploi
Le jour de la mobilisation des salarié.e.s de la Santé, le 16 juin, Macron faisait le choix de s’afficher avec force relais médiatiques dans une usine du groupe pharmaceutique Sanofi, pour annoncer que l’État allait subventionner -200 millions d’euros sur un coût total de 600 millions- la construction d’une nouvelle usine où il sera possible de fabriquer plusieurs vaccins en même temps. Tout un symbole qui jette une lumière crue sur la politique des classes dirigeantes que Macron met en œuvre au nom d’une « politique industrielle pour la France » et d’une volonté de « relocalisation ». Un leitmotiv ces temps-ci qui sert de justification au fait que l’État offre des dizaines de milliards à des groupes capitalistes richissimes sans leur demander une quelconque contrepartie. A Sanofi, par exemple, qui a réalisé 7 milliards de bénéfices en 2019, qui fait depuis des décennies sa fortune sur le dos de la Sécurité sociale, qui perçoit déjà un crédit impôt recherche, son poste de dépenses le plus important et qui... ferme une usine à Alfortville et est en restructuration permanente.
Renault, qui avait fait mine de reculer sur ce point juste avant la signature du prêt garanti par l’État de 5 milliards d’euros, annonce en fin de semaine qu’il désire se séparer des Fonderies de Bretagne. Air France, qui a reçu de l’État 7 milliards d’euros, vient d’annoncer 8000 à 10 000 suppressions de postes. Et il est question que le nouveau dispositif de chômage partiel en discussion, qui prévoit des aides de l’État pour payer une partie des salaires pendant des périodes d’inactivité, soit accordé sans même la condition officielle de ne pas licencier dans le même temps.
Leur logique et la nôtre
Voici comment, dimanche dernier, Macron a justifié les près de 500 milliards d’euros injectés par l’État dans « l’économie » et dessiné la suite dans le contexte de la crise. « Ces dépenses se justifiaient et se justifient en raison des circonstances exceptionnelles. Mais elles viennent s’ajouter à notre dette déjà existante. Nous ne les financerons pas en augmentant les impôts : notre pays est déjà l’un de ceux où la fiscalité est la plus lourde, même si depuis trois ans nous avons commencé à la baisser. La seule réponse est de bâtir un modèle économique durable, plus fort, de travailler et de produire davantage pour ne pas dépendre des autres. Et cela, nous devons le faire, alors même que notre pays va connaître des faillites et des plans sociaux multiples en raison de l’arrêt de l’économie mondiale ».
Leur logique, c’est de rendre l’économie française plus compétitive afin d’attirer davantage d’investissements capitalistes grâce à une main d’œuvre meilleur marché, en baissant d’une manière ou d’une autre les salaires. C’est déjà la réalité dans nombre d’entreprises où la loi d’urgence sanitaire a permis aux patrons de raccourcir les congés et de rallonger la semaine de travail dans le même temps où les intérimaires et les salariés en CDI étaient renvoyés du jour au lendemain.
Les milliards distribués alimentent la finance et la Bourse sans être une réponse à la récession en cours. Ils préparent très probablement un nouveau krach avec à la clé une aggravation de leur débâcle économique.
« Travailler et produire davantage », insiste Macron, tout en gagnant moins, aurait-il pu ajouter, ne servira qu’à accroître les profits sans éviter la récession. Les réformes des retraites et de l’assurance-chômage qu’il remet en chantier sont conçues pour imposer aux travailleurs de s’échiner plus longtemps au travail et d’accepter n’importe quel emploi à n’importe quel salaire. Une logique destructrice qui aggrave sans cesse le chômage, la précarité, la misère. Oui, les membres de la convention citoyenne sur le climat qui réclamaient la diminution du temps de travail à 28 heures par semaine ont bien raison. Il faut interdire les licenciements et partager le travail entre tous sans perte de salaire de façon à ce que chacun puisse avoir un emploi et un salaire décent.
Contre Macron et le CAC40, la légitimité du monde du travail à changer le monde
Discrédité par l’incurie de son gouvernement pendant l’épidémie, son autorité minée par la méfiance de la population à l’égard de sa politique, lâché même par une partie de sa police, aujourd’hui accusé d’avoir truqué l’élection présidentielle, Macron a tenté de se redonner de la hauteur en rivalisant avec Marine Le Pen sur le terrain de l’imposture lors du 80ème anniversaire de l’appel du 18 juin de De Gaulle. Tous deux ne jurent que par la « grandeur de la France et de sa souveraineté retrouvée ». Quelle farce !
Personne n’est dupe, bien évidemment, parmi les travailleurs, sans qu’ils aient encore conscience de leur force potentielle, de leur capacité à prendre en main eux-mêmes le contrôle de l’économie pour la mettre au service de la population.
La mobilisation des salarié.e.s de la Santé, mardi dernier, son « succès », son caractère massif malgré les obstacles des réquisitions par les directions, est le résultat d’un sentiment de légitimité acquis à travers l’expérience de l’épidémie où ce sont eux-mêmes qui ont organisé les services, ouvert des lits supplémentaires, pris les initiatives qui ont évité le pire au plus fort de la crise sanitaire. Et ce sentiment non seulement de leur utilité sociale mais encore de leur légitimité à prendre en main leur propre travail, leur propre organisation, commence à faire tâche d’huile tant est flagrant le parasitisme de ceux qui dirigent en dépit même du plus rudimentaire bon sens l’ensemble de la société.
Les manifestations contre les violences policières et le racisme, pour les droits des migrants et des sans-papiers participent de cette évolution des consciences vers la prise en main de leurs propres affaires par les travailleurs.
La mobilisation de la Santé s’est construite malgré l’inertie des directions syndicales et de la gauche politique, engluées dans le dialogue social et les logiques institutionnelles, bien incapables de donner une perspective de lutte aux travailleurs et aux jeunes. Elles ne veulent surtout pas d’affrontement avec le pouvoir.
C’est à la base que nous pouvons nous regrouper, nous organiser en toute indépendance des forces et des cadres institutionnels pour nous défendre sur nos lieux de travail, nous coordonner aussi pour préparer la suite, préparer la lutte contre le chômage sans craindre de contester la logique du profit et le pouvoir des patrons. A travers chacune de nos actions, de nos luttes c’est bien toute cette société d’exploitation et de mépris qu’il faut combattre.
Le mouvement engagé le 16 juin, première grande mobilisation de l’après-confinement, cherche sa suite, sa propre expression, formule ses besoins et ses revendications, s’organise. En développant les liens entre tous les travailleurs, quels que soient leur secteur, leur statut, leur origine ou leur nationalité, il fait un pas vers un mouvement d’ensemble du monde du travail et de la jeunesse, une contre-offensive pour imposer leurs droits, la justice, l’égalité.
Galia Trépère