Le Gouvernement a donc tranché : le deuxième tour des municipales aura lieu le 28 juin, du moins si l’épidémie n’a pas redémarré… Alors que personne ne peut dire quelle sera la situation dans les prochaines semaines, alors que le conseil scientifique a refusé de leur donner un blanc-seing, rien de plus urgent semble-t-il pour le gouvernement que de donner satisfaction aux politiciens qui briguent leur réélection. Si on peut imaginer que Philippe est pressé de rebriguer son fauteuil du Havre qui pourrait lui donner l’occasion de prendre ses distances avec Macron, il s’agit avant tout pour le gouvernement de satisfaire les impatiences de celles et ceux qui sont et seront ses relais locaux pour mener la politique de « relance » dans « leurs territoires », c’est-à-dire les attaques contre le monde du travail. La probable abstention massive serait un juste retour des choses…

Cet empressement tranche avec l’attitude du pouvoir vis-à-vis des travailleurs de la santé et de l’hôpital. Plus de deux mois après les promesses de Macron à Mulhouse, au plus fort de l’épidémie et de la crise hospitalière, toujours rien à part la promesse d’une prime, d’un défilé et d’une médaille pour les hospitaliers… et l’annonce par Véran d’un projet d’« assouplissement des 35h » et d’une possible remise en cause du « cadre unique de la Fonction publique ».

C’est dans le cadre de cette politique que les syndicats de la santé ont été conviés, à partir du 25 mai, à se pencher sur le « plan Ségur » du nom de la rue du ministère où auront lieu les négociations pour « un système de santé renouvelé et réarmé ». Nicole Notat, championne hors catégorie du dialogue social, sera aux manettes, sortie des placards à cette occasion par le gouvernement. Véran veut que ça aille « vite et fort » et que les conclusions soient rendues mi-juillet. Les directions syndicales se sont sans surprise dites tout à fait disposées, exigeant sans rire par courrier « de réelles et sincères négociations ».

La prime Covid (toujours pas versée) donne un aperçu de la politique du gouvernement : elle sera de 500 ou 1500 euros en fonction du département, de l’établissement, du temps de présence… et du bon vouloir de directions locales qui, pour certaines, tergiversent cyniquement à l’image du gouvernement. Certains personnels qui ont pris en charge des patients de réanimation transférés du grand Est ou d’Ile de France vers d’autres régions ont découvert qu’ils ne toucheraient que 500 euros, leur établissement ne figurant pas dans la liste du décret. Quant aux personnels des Ehpad, « héros » hier portés aux nues par le pouvoir, il n’y a toujours rien pour eux. Pas de décret non plus pour rendre effective la promesse de reconnaissance de la maladie professionnelle pour les personnels de santé contaminés. Une étude en cours de Santé Publique France fait déjà état de 13 morts et 25 337 contaminés alors qu’elle n’a recensé qu’un tiers des établissements de santé et ne prend pas en compte le secteur libéral.

Les milliards pour les multinationales sont par contre distribués sans retenue… L’Etat s’est ainsi engagé à verser 5 milliards d’euros à Renault alors que l’entreprise (dont l’Etat est actionnaire…) avait décidé avant même l’épidémie de fermer plusieurs usines. « Il y aura des faillites », « des licenciements » a annoncé Le Maire cette semaine tandis qu’une étude révèle que 22 % des entreprises envisagent de licencier. « En même temps », Sanofi, Total, Danone, Orange, Axa… et bien d’autres versent des milliards d’euros de dividendes à leurs actionnaires.

De quoi nourrir la révolte, l’écœurement des personnels de santé et de l’ensemble du monde du travail, des militants des luttes, de toutes celles et ceux qui veulent préparer un « autre monde » et qui se joignent ces derniers jours aux rassemblements devant les hôpitaux.

« Dialogue » rue de Ségur… ou exigence d’un plan pour l’hôpital et les travailleurs

C’est l’expression de cette révolte, la probabilité qu’elle essaime que le gouvernement espère contenir ou au moins retarder.

Alors que depuis des mois et des années, les hospitaliers en lutte demandent une augmentation de 300 euros nets minimum pour tous, le gouvernement répète qu’« il n’y a pas d’argent magique » comme Véran au Journal du dimanche… tout en assurant que « des engagements forts seront pris pour les soignants » avec « revalorisation des carrières et développements des compétences et des parcours professionnels »… Le gouvernement voudrait enfermer les personnels de santé sur un terrain corporatiste. Avec quelles augmentations de salaire, pour qui, à quelles conditions, financées avec quel budget « non magique » ? En supprimant les 35 heures ?... « Certains carcans, qui empêchent ceux qui le souhaitent de travailler davantage, parfois différemment » seront remis en question a annoncé le ministre…

Un plan d’investissements dans les bâtiments et le matériel est également annoncé. Indispensable vu le manque de locaux, de services de réanimation, de place, de lits, de matériel, la vétusté de nombreux bâtiments révélés au grand jour pendant la crise… mais avec quel financement, décidé par qui, comment, dans quelles conditions alors qu’aujourd’hui la plupart des hôpitaux sont sommés par l’Etat et les ARS de supprimer des lits et des postes pour financer le moindre investissement ? Avec des « partenariats public privé » comme l’évoquait une note de la Caisse des dépôts révélée par Médiapart ? Les hôpitaux croulent sous les dettes. Une toute petite partie sera reprise par l’Etat, déplaçant simplement une partie du problème pour assurer aux banques leur retour sur investissement. Nombre de CHU ont ouvert des cagnottes en ligne, créé des fondations pour faire appel aux dons et invitent sur la page d’accueil de leur site à contribuer pour financer l’achat de respirateurs, de blouses, de matériels de protection, pour fonctionner au quotidien.

Macron et Véran annoncent une « profonde transformation » du système de santé pour le rendre « plus déconcentré », plus « performant tant dans son pilotage que son organisation », appelant entre autres à « penser les interfaces avec la médecine de ville, avec le médico-social »

Dans une Tribune publiée dans Le Monde de vendredi, le président et la Fédération hospitalière de France et des responsables LR élus locaux appellent à « sonner le glas de la technostructure sanitaire et redonner leur place aux territoires », à « décloisonner » les secteurs hospitaliers, médico-sociaux et sociaux pour « gagner en efficacité financière »…

C’est bien ce que vise le Plan Ségur : accélérer le démantèlement de l’hôpital public et du système de santé, de l’ensemble de la protection sociale, les ouvrir encore davantage aux appétits privés. « Il n’y aura pas de tabou » a prévenu le gouvernement. A l’heure où les caisses publiques sont pillées pour arroser les entreprises, maintenir les profits et le système, l’ensemble des budgets publics sont remis en question.

Le « plan hôpital » fait partie d’une politique et d’une offensive globales. Aucun dialogue social, aucune grande messe à Matignon, à l’Elysée ou rue de Ségur ne nous en protégera. Les « négociations » qui s’ouvrent lundi ne servent au gouvernement qu’à essayer de désarmer le monde du travail et ses militants.

Notre réponse ne peut être elle aussi que globale, sur le terrain de la lutte de classe, une remise en cause de la politique des grands patrons, du gouvernement et de l’ensemble du personnel politique qui se presse pour les servir.

Le « plan de relance » de Macron et du Medef, les centaines de milliards distribués, les suppressions de cotisations sociales patronales annoncées en rafale par le gouvernement, qui sont autant de gouffres dans les budgets de la sécurité sociale, des caisses de retraite et de chômage, annoncent une violente offensive contre l’ensemble du monde du travail. Patronat et gouvernement multiplient les déclarations pour appeler à la « solidarité nationale ». « Notre réponse à la crise a été immédiate. 450 milliards d’euros d’aides et de garanties de l’Etat soit 20 % du PIB français ont été mobilisés pour soutenir l’économie » a rappelé Le Maire qui prévient « beaucoup de secteurs sont très durement touchés […] même si l'économie redémarre, elle ne redémarre pas au même rythme » pour mieux tenter de préparer les esprits à la « nécessité » de dégager de la plus-value.

Explosion annoncée des licenciements, de la précarité, remises en cause du temps de travail, du droit à congés déjà rendues effectives par les ordonnances, attaques contre les salaires, liquidation de pans entiers des services publics… le plan de « relance » de la bourgeoisie est un plan de guerre contre les travailleurs.

Déconfinement de la lutte et des débats pour construire notre monde d’après 

Sans attendre la journée de « mobilisation » dans la Santé à laquelle l’intersyndicale a fini par appeler le… 16 juin, soit plus de trois semaines après le début du Ségur, des rassemblements se multiplient devant les hôpitaux à l’initiative d’équipes syndicales combatives, des collectifs dont l’inter-hôpitaux et l’inter-urgences, parfois de groupes de Gilets jaunes. Plusieurs centaines de manifestants étaient à nouveau devant l’hôpital Robert Debré de l’AP-HP le 21 mai pour exiger « du fric pour l'hôpital public ».

Le succès des premiers rassemblements a encouragé à les multiplier. Ils sont vécus comme une bouffée d’air par les militant.e.s des collectifs constitués pendant la lutte contre les retraites ou les E3C, l’occasion d’un déconfinement de la lutte, de renouer avec l’action collective. Et même s’ils restent pour le moment relativement modestes vu les circonstances, ils témoignent du ras le bol et de la volonté de fortes minorités de ne pas accepter « l’après » qu’ils nous préparent. Ces rassemblements sont autant de moments de reprise de contact, d’échanges, d’encouragement dans la lutte après ces longues semaines de confinement. 

Ils sont aussi l’occasion de discuter de quelle politique pour nos luttes, quelles revendications pour faire face au plan de relance de Macron et Le Maire pour les financiers et les industriels ? Quelles voies pour aller vers un « monde meilleur » ?

Malgré la propagande gouvernementale et le choix des syndicats de se plier à ces « négociations » pipées, malgré la volonté des uns ou des autres de vouloir croire qu’un « plan pour l’hôpital » peut se discuter en faisant abstraction du rapport de force et de la politique globale des classes dominantes, il est clair que le plan Ségur est partie intégrante du plan du grand patronat pour tenter de restaurer les profits.

Y faire face, c’est préparer une réponse globale remettant en cause la logique du profit, l’économie de marché, l’ensemble de la politique des classes dominantes.

L’exigence d’un plan pour la santé rejoint celle pour l’augmentation des salaires, l’interdiction des licenciements et du partage du travail entre toutes et tous, l’annulation de la dette publique, dont celle des hôpitaux. Elle pose la question du contrôle des travailleurs sur la marche de la société toute entière, sur les priorités économiques et sociales, la planification de la production et de la répartition des richesses. Des exigences au cœur des débats et des luttes du monde du travail.

Isabelle Ufferte

Submit to FacebookSubmit to Google PlusSubmit to Twitter

Submit to FacebookSubmit to Google PlusSubmit to TwitterSubmit to LinkedIn