« Les trois mots d’ordre qui président à notre stratégie de déconfinement : protéger, tester, isoler.», affirmait Philippe le 28 avril, puis le 4 mai. Les principes d’une politique sanitaire qui aurait dû être mise en œuvre dès les débuts de l’épidémie, il y a plus de deux mois, mais qui ne l’a pas été faute de moyens en lits, personnels, matériels, que tous les gouvernements depuis 30 ans se sont acharnés à supprimer pour faire de la santé une affaire rentable et aller vers sa privatisation. Faute aussi de masques, de tests. Aujourd’hui, à la veille du déconfinement, cela pourrait sembler moins pire mais le 7 mai, le ministre de la Santé, Véran, était toujours incapable de dire combien de tests étaient disponibles et quelle organisation était prévue pour les mettre en œuvre. Idem pour les masques, à partir du 11 mai, ils seront obligatoires dans les transports, pour les enseignants et les collégiens, dans les magasins, sur les lieux de travail, mais à chacun de se débrouiller. Après avoir menti en affirmant qu’ils étaient inutiles parce qu’il n’y en avait pas, le gouvernement a confié aux sociétés de la grande distribution le soin -et les bénéfices- de les vendre alors que la moindre des choses pour « protéger » serait qu’ils soient gratuits.
L’incurie du pouvoir, de Macron, face à l’épidémie a suscité un tel désaveu que même sa majorité à l’Assemblée est menacée, plusieurs dizaines de députés se préparant à quitter le groupe LREM pour ménager leur avenir et leur carrière. Ils sont gagnés par la peur du mécontentement, de la colère qui sourd de partout contre le pouvoir.
« Soigner n’est pas ficher, soigner n’est pas contraindre » (Syndicat de la médecine générale)
Depuis le début de l’épidémie, le gouvernement, l’État se sont montrés incapables d’organiser la collaboration de tous les établissements, entreprises et acteurs de la santé, incapables de contraindre, de réquisitionner les entreprises pour faire produire le matériel nécessaire. Les discours sirupeux de Macron sur les « héros en blouse blanche » ou « nos travailleurs », n’ont pas manqué, les appels au dévouement et au bénévolat, non plus, comme les leçons de morale, sans rien en retour si ce n’est le mépris, la condescendance, l’exploitation cynique de la générosité et de la conscience professionnelle. Les couturières bénévoles fabriquant des masques artisanaux n’ont même pas été dédommagées des frais qu’elles ont engagés.
Si le pire a été évité pendant le pic de l’épidémie, c’est grâce aux travailleurs, à leur souci des autres, leur esprit de solidarité et leur dévouement.
Une politique sanitaire ne peut reposer que sur une action démocratique, la participation active et consciente de la population et sur la confiance dans les autorités sanitaires. Elle exige un service public de santé, englobant hôpitaux, cliniques actuellement privées, laboratoires pharmaceutiques, médecine de ville.
Au service des intérêts des groupes financiers et pharmaceutiques, de la médecine libérale et du privé, le pouvoir exerce, à l’opposé, une police sanitaire. Abreuvée de chiffres et de commentaires anxiogènes, la population est infantilisée, soumise à des injonctions disciplinaires, qui s’accompagnent parfois d’amendes, voire de peines de prison.
Le fiasco de Macron et de ses ministres, c’est celui d’une classe dirigeante et de ses représentants qui n’ont que faire de l’intérêt général, cherchent en toute occasion à satisfaire les possibilités de profit de la minorité privilégiée. C’est le fiasco de l’organisation capitaliste de la société, doublé de celui d’une bourgeoisie particulièrement réactionnaire.
Reprise dans les écoles et les entreprises, aux salariés de décider
Le summum de l’absurdité est sûrement atteint dans les écoles. Le 13 avril, Macron avait asséné de façon péremptoire que la reprise se ferait dans les écoles primaires à partir du 11 mai, le 18 mai dans les collèges. Le pouvoir crée un « conseil scientifique » et passe outre ses préconisations, il passe la main dans le dos des maires et des élus et ne tient aucun compte de leurs demandes. Tous les échelons de l’administration sont mis au pied du mur et sollicités pour appliquer une politique décidée selon le seul impératif énoncé par Bruno Le Maire le 29 avril : « Il faut reprendre le travail et que le maximum de Français reprennent le travail ». Et Macron et Blanquer de prétendre sans rire qu’il s’agit de lutter contre les inégalités sociales, contre le « décrochage scolaire ». Comment faire plus cynique ?
Il s’est vite avéré impossible, de façon évidente, de faire reprendre tous les élèves en respectant les règles sanitaires minimales. Au final, c’est à peine 20 % des élèves de primaire, probablement, qui reprendront, et dans quelles conditions proches de celles d’une prison, sans possibilité de toucher leurs camarades de classe, de manipuler des instruments ou des jouets, pause et repas dans la classe... Pas de quoi en outre libérer leurs salariés de parents. Mais qu’importe, l’essentiel est de lancer le mouvement, la « reprise » parce que le Medef a réclamé que le travail reprenne dans les entreprises. Et d’exercer une pression puisque ceux qui ne pourront pas reprendre le travail de ce fait devront fournir une attestation de l’école…
A l’Éducation nationale comme dans les entreprises privées, ce sont les personnels, les travailleurs qui sont les mieux placés pour décider si les conditions de sécurité sanitaire sont suffisantes pour reprendre le travail. Et s’il y a le moindre risque pour la santé des travailleurs, ou des enfants, des usagers, tous les moyens sont bons pour l’empêcher, bataille juridique comme à Renault Sandouville qui a été fermée suite à un jugement en référé, droit de retrait, grève. Oui, face à l’incurie du pouvoir, les travailleurs ont toute légitimité à faire valoir leur droit à exercer leur contrôle sur les conditions de reprise et de travail.
Face à la deuxième vague annoncée, celle de la pandémie du profit, exercer notre contrôle sur l’économie et l’État
Dans certaines usines ou pour certaines catégories de salariés, d’entreprises sous-traitantes, d’intérim, le travail n’a d’ailleurs jamais cessé, sans que les conditions de sécurité aient été toujours assurées. Pour que les patrons n’y perdent rien, l’État a pris en charge le chômage partiel pour plus de 11 millions de salariés qui perdent, eux, plus de 16 % de leur salaire net, mais à partir du 1er juin, il ne le fera plus qu’en partie et il n’est pas dit que l’employeur paiera la différence.
Il faut reprendre même si ce qu’on produit est inutile ou ne peut pas se vendre, 5 jours au lieu de 3 maintenant à La Poste pour distribuer… même de la publicité. Et la direction de ce même groupe engage une restructuration nationale, alors qu’elle le faisait jusqu’à présent bureau par bureau, pour imposer à tous les facteurs la pause « méridienne », une coupure dont on ne peut rien faire et qui rallonge la journée de travail.
« La situation économique est d’une gravité sans précédent », a dit le ministre de l’Economie, Le Maire le 7 mai, pour inciter à la reprise du travail dans les entreprises et surtout préparer la suite, la pandémie due au virus du profit, la faillite du système et, comme l’a dit Philippe le même jour, « l’appauvrissement général qui va intervenir ».
Et c’est bien dans cette perspective que s’inscrit la police sanitaire de Macron, tenter d’étouffer le mécontentement, intimider, faire peur pour imposer les choix et la volonté des banques et du grand patronat. Ces choix, c’est l’aggravation de l’exploitation, dont la suppression de jours de congé, de RTT et l’allongement de la journée de travail donnent un avant-goût. L’Institut Montaigne, un think tank prétendument indépendant prône entre autres choses un « accroissement du temps de travail sans pour autant que la rémunération supplémentaire correspondante ne [sic] soit versée immédiatement ». Ce sont les licenciements aussi que commencent à annoncer les grandes entreprises capitalistes telles que Safran, Air France, Airbus, la SNCF tout en continuant à toucher les milliards de l’État.
Les classes dirigeantes, loin de modifier leur politique qui a conduit à la crise globale actuelle, accentuent leur offensive contre les travailleurs. Et l’État est tout entier à leur service.
Pour eux, il faudrait travailler encore davantage pour produire des marchandises dont beaucoup sont inutiles voire nuisibles comme l’armement, aggraver l’exploitation des travailleurs et des ressources naturelles qui conduit à une catastrophe écologique. Mais il n’y a aucune fatalité à cela, aucune raison d’obéir au chantage à l’union nationale qui masque l’exploitation et des privilèges moyennageux. Les travailleurs ont les moyens de faire tourner l’économie pour la satisfaction des besoins de toute la population.
Comme pour faire face à l’épidémie, assurer les conditions de sécurité, protéger leur santé et assurer la solidarité alimentaire dans les quartiers les plus pauvres, ce sont eux qui peuvent empêcher la catastrophe sociale et assurer à tous les moyens d’une vie décente en imposant leur contrôle sur l’ensemble de l’économie.
Galia Trépère