« Mes chers compatriotes, nous aurons des jours meilleurs et nous retrouverons les Jours Heureux. J'en ai la conviction » déclarait Macron dans son allocution du 13 avril… Énième provocation à l’heure où les classes dominantes et le gouvernement préparent activement les « jours d’après » que Philippe a esquissés au détour d’une phrase ce jeudi : « je crois que si nous voulons retrouver notre prospérité […] il faudra collectivement que nous nous en donnions les moyens par le travail, la solidarité, l’inventivité ».

Provocation et déclaration de guerre aux travailleurs appelés à « l’union nationale » et à la solidarité avec les multinationales françaises pour qui l’État ouvre grand ses coffres et garantit des centaines de milliards de prêts qu’elles n’ont aucune intention de rembourser. Air France-KLM, Airbus, Thalès, Dassault, Safran, Renault, la SNCF, et bien d’autres en appellent à leurs salariés et à l’État au nom de « l’emploi » tout en préparant licenciements et « suppressions de postes » dans leurs usines ou chez leurs sous-traitants, se débarrassant des intérimaires sans autre forme de procès et peaufinant leurs plans « d’austérité » et la remise en cause des droits des travailleurs pour que vivent les profits. Sur le seul premier trimestre, plus de 450 000 emplois ont été supprimés dans le pays.

L’accélération de l’offensive, les conséquences sociales et démocratiques de leur « écroulement », pour reprendre l’expression de Philippe, dont beaucoup commencent à mesurer l’ampleur, provoquent inquiétudes et colère. Parmi les travailleurs, les militants du monde du travail, au sein des collectifs de lutte qui se sont pour beaucoup maintenus, dans les syndicats, les débats et les questionnements s’intensifient sur comment préparer un autre « après », quelle société et quelles voies, quels moyens pour la construire…

Plus que jamais, chacun éprouve le besoin de comprendre ce qui est en train de se passer, l’ampleur et la nature de la crise, d’essayer d’anticiper la politique des classes dirigeantes, comment s’opposer à la fuite en avant et à la logique capitaliste. Un large débat s’engage sur la nécessité de réorganiser la production pour rompre avec la logique destructrice de l’économie de marché et du profit.

Conscient de la contestation radicale qui monte de partout, Macron espère en faisant référence aux « jours heureux », du nom du programme du Conseil National de la Résistance (CNR) de 1944, raviver l’union nationale qui a présidé au CNR pour « redresser l’économie française ». Une injonction faite aux travailleurs… et une invitation à la « gauche » à prendre part à la cogestion de la crise…

Face au désaveu d’un pouvoir contesté de toutes parts, la « gauche » parlementaire et syndicale nourrit d’autres espoirs que de rallier l’union promue par Macron. Mais en reprenant à son compte les mêmes références, elle s’inscrit dans la même politique d’union nationale avec la bourgeoisie. A moins de deux ans de la Présidentielle, et alors que les rivalités vont bon train en son sein pour qui en aura le leadership, en portera l’éventuelle candidature, les différents morceaux de la gauche institutionnelle plus ou moins « radicale » multiplient les déclarations et débats sur cet hypothétique « après ». Le mythe des jours heureux y est entretenu comme preuve de la possible issue institutionnelle si s’unissent les forces « progressistes » pour sauver… le système.

Le mythe du CNR et de la « République Sociale »

Au lendemain du discours de Macron, Gilles Perret, auteur des films « La Sociale » et « Les jours heureux », proche de FrançoisRuffin, expliquait dans Les Inrockuptibles : « le CNR est la grande période pendant laquelle l’État, les citoyens, le peuple reprennent le pouvoir sur l’économie. C’est cité dans le programme : l’intérêt général doit toujours primer sur l’intérêt particulier. Le texte fait référence à la domination de la finance dans les années 1930, à l’accaparement des richesses par une minorité, à la trahison des banques et des élites. Ils voulaient que l’État ait la main sur tous les secteurs qui sont prioritaires pour la vie d’une nation ». Et, plus loin « Ce programme a été gagné dans le rapport de force. Les forces progressistes, principalement communistes à l’époque, étant fortement investies dans la résistance, le rapport de force dans la négociation pour écrire un programme était en leur faveur. Les partis de droite, ultraminoritaires, ont été obligés de signer, car ils ne représentaient rien à la Libération. Toutes les forces politiques en présence ont donc signé un programme à forte inspiration communiste et socialiste ».

Façon particulière de rendre compte de la politique de la SFIO et, principalement, du PCF comme de la réalité des rapports de forces à l’issue de la barbarie sanglante dans laquelle la crise du capitalisme venait d’entraîner les peuples du monde entier. La bourgeoisie française devait reconstruire d’urgence son appareil d’État et son économie pour faire face d’une part aux appétits américains et anglais qui préparaient la « libération » de la France… et surtout à la classe ouvrière et aux peuples colonisés qui s'engageaient dans la lutte pour rompre les chaînes de la domination coloniale. La crainte d’une montée révolutionnaire comme celle qui avait ébranlé l’Europe et le monde à partir de la Russie au lendemain de la première guerre mondiale ne quittait pas les classes dominantes.

C’est dans ce contexte qu’en mai 1943, De Gaulle avait rassemblé au sein du CNR les différents réseaux de résistance, depuis les généraux de l’armée « libre » jusqu’aux réseaux communistes, auxquels se joignirent toutes les forces hostiles à Vichy, parfois très fraîchement converties...

Le programme du CNR, adopté en mars 1944, prévoyait des « mesures à appliquer dès la libération du territoire », dont des nationalisations, redémarrer et réorganiser l’économie dans les secteurs clés (énergie, transport, banques, industrie), mais aussi un système d’assurances sociales et de retraite pour les travailleurs.

Comme le dit Gilles Perret, le programme « a été gagné dans le rapport de force », mais la question est par qui ? La bourgeoisie française était prête à bien des concessions pour sauver son existence, la remise sur pied de son appareil d’Etat, de son industrie… et son empire colonial. Il serait bien temps après de s’employer à les reprendre. Dans l’immédiat, De Gaule avait besoin de la légitimité que le PCF et ses militants pouvaient lui apporter. Celui-ci comptait 500 000 membres, obtenait 160 députés (26 % des voix) en 1945 et détenait 2000 municipalités, tandis que la CGT comptait 5 millions d’adhérents.

Durant 3 années cruciales, de juin 1944 à mai 1947, le PCF fut partie prenante des différents gouvernements, et mit son crédit et son autorité au service du sauvetage de la bourgeoisie française. Il a mené la « bataille de la production » pour faire accepter aux travailleurs de « reconstruire la France » malgré les pénuries, les rationnements. En mai 45, Tillon était ministre de l’aviation quand celle-ci bombardait Sétif, Guelma et Kherrata, faisant plusieurs dizaines de milliers de victimes parmi les manifestants algériens qui revendiquaient des droits démocratiques. La même année, le gouvernement envoyait un corps expéditionnaire en Indochine tenter de circonscrire le mouvement indépendantiste vietnamien, début d’une guerre sanglante. En 1947, c’est à Madagascar que l’armée française faisait régner la terreur…

Alors oui, en 1946, Ambroise Croizat, ministre PCF du Travail, fut l’artisan de « la Sécu », chargé d’améliorer le système de protection sociale suivant le programme du CNR. Des acquis indéniables, qui n’ont pu être obtenus que sur la base d’un rapport de force imposé par la classe ouvrière, mais chèrement payés et que la bourgeoisie n’a eu de cesse de reprendre.

Les années qui suivirent, bien mal nommées « 30 glorieuses », allaient déboucher sur une nouvelle crise économique majeure. Période de reconstruction économique mais aussi de guerres coloniales contre les luttes d’émancipation nationale, elle allait accoucher de nouveaux rapports de force mondiaux dans lesquels étaient intégrés violemment l’ensemble des peuples. La fin des empires coloniaux ouvrait la voie à une concurrence généralisée, une intensification de la lutte de classe à l’échelle internationale.

En réponse à la faillite des classes dominantes, notre indépendance de classe pour sauver nos droits et construire l’avenir

Le capitalisme financiarisé domine aujourd’hui l’ensemble de la planète. Il a mis les travailleurs du monde entier en concurrence, nivelant progressivement par le bas les conditions de vie, de travail de tous. Les derniers acquis des travailleurs des pays riches sont partout remis en cause, retraites, couverture sociale, droit du travail, droits démocratiques… Et dans le monde entier, les mesures prises en ce moment par les classes dominantes pour tenter d’éviter leur « écroulement » accélèrent brutalement l’offensive contre l’ensemble des droits économiques, sociaux et démocratiques des travailleurs et des populations.

C’est à ce « sauvetage » que Macron appelle les forces « progressistes » à s’associer en faisant référence aux « jours heureux ». La gauche institutionnelle n’a pas démérité dans le passé aux yeux de la bourgeoisie. Que ce soit en 1936, en 1945, pendant la guerre d’Algérie, lors de l’offensive libérale des années 1980 et plus récemment, le PS, le PCF, les Verts ont fait la démonstration de leur utilité pour défendre le système.

Aujourd’hui, un certain nombre de dirigeants de la gauche syndicale, parlementaire ou associative appellent l’État à « des interventions massives dans l’économie », à « retrouver l’esprit de 45 ».

Dans l’appel « Plus jamais ça ! Préparons le jour d’après », les signataires issus de 18 organisations écrivent en préambule : « En mettant le pilotage de nos sociétés dans les mains des forces économiques, le néolibéralisme a réduit à peau de chagrin la capacité de nos États à répondre à des crises comme celle du Covid. La crise du coronavirus qui touche toute la planète révèle les profondes carences des politiques néolibérales ». Et, plus loin, « Les politiques néolibérales ont affaibli considérablement les droits sociaux et le gouvernement ne doit pas profiter de cette crise pour aller encore plus loin […] ». Comme si le « néolibéralisme » était une option et non la politique du capitalisme mondialisé qui ne peut se survivre qu’en intensifiant l’exploitation, qu’en soutirant toujours plus de plus-value à la classe ouvrière qu’elle vive et travaille à Pékin, Bombay, Chicago, Toulouse ou Mexico…

Combattre les politiques néolibérales, mettre un coup d’arrêt à la folie du capitalisme qui emporte le monde entier dans sa fuite en avant et son « écroulement », ne peut se faire sans transformation révolutionnaire de la société, sans intervention des exploités eux-mêmes pour arracher le pouvoir des mains des classes dominantes, de la finance, se réapproprier les moyens de production, prendre le contrôle de l’économie, de la production et de la répartition des richesses pour répondre aux besoins de la collectivité.

Pour qu’il n’y ait « plus jamais ça », pour « reconstruire ensemble un futur écologique, féministe et social » comme nous y invite l’appel, il n’y a pas d’autre voie que révolutionnaire et démocratique, l’intervention directe des exploité.e.s, des prolétaires ici et dans le monde entier.

Isabelle Ufferte

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