Lundi 17 février a débuté à l’Assemblée nationale l’examen du texte de la réforme contre les retraites, un projet de loi à trous -dont les modalités de détermination de la valeur du point- que le gouvernement prévoit de boucher par 29 ordonnances. Un débat parlementaire complètement faussé, une farce où tout est dans le flou. « Chaque semaine, on découvre de nouveaux problèmes » dixit lui-même le patron du Medef, Roux de Bézieux. Il craint que la désinvolture et le mépris affichés par le gouvernement n’exacerbent le mécontentement et contribuent à étendre la contestation y compris dans le privé.

Il a raison, l’attitude du gouvernement, son improvisation, son agressivité hautaine à l’égard du monde du travail nourrit en profondeur le mécontentement, la colère dont rien ne dit qu’elle ne peut déboucher sur une explosion sociale malgré la politique de la gauche sociale et politique enfermée dans le dialogue social et les manœuvres parlementaires.

Loin de chercher à calmer le jeu le gouvernement attise les tensions, pratique la fuite en avant tout disposé à utiliser le 49-3 pour mettre un terme au débat parlementaire et faire adopter son projet sans vote.

Il espère pouvoir retourner en sa faveur la politique d’obstruction du PC et de LFI et leurs 40 000 amendements pour justifier son coup de force. C’est ce vers quoi semble s’engager Macron alors qu’il n’est même plus réellement maître de sa propre majorité qui subit de plein fouet la vague du mécontentement.

Il compte faire taire le Parlement, mettre sa propre majorité au pas et étouffer l’opposition. Et dans le même temps, il mène sa propre campagne de diversion au-dessus de son propre parti, qui a d’ores et déjà perdu les municipales, pour se mettre dans la peau de Le Pen en partant en guerre contre le « séparatisme islamiste », ce nouveau fléau fantasmé dont la fonction est de flatter le racisme, les préjugés xénophobes et nationalistes. Ce sont de tels propos qui arment les assassins d’extrême-droite comme en Allemagne.

Son mépris du monde du travail, de la population, du Parlement associé à son zèle lepéniste l’isole et l’affaiblit encore plus, exacerbe les tensions et crée une situation politique qui, malgré les tergiversations des directions syndicales et le recul de la mobilisation, pourrait bien déboucher sur une capitulation après les municipales.

Assez d’ambiguïtés et de faux semblants

Parallèlement au travail de l'Assemblée, a démarré la « conférence de financement » chargée par le gouvernement, pour satisfaire Berger de la CFDT, de trouver des solutions afin de ramener à l'équilibre le système de retraite d'ici à 2027. Bien évidemment un piège puisque sa mission est de discuter des moyens de financer une réforme rejetée par la majorité de la population au nom d’un déficit inventé par le gouvernement. La représentante de la CGT a annoncé, après y avoir été une journée, se retirer, constatant « un compromis impossible ». Elle a été aussitôt désavouée par la confédération par communiqué : « La CGT après la présentation hier lors de la première réunion de la conférence de financement, de son contreprojet de réforme des retraites attend désormais une prise en compte de ses propositions de la part de ce même gouvernement. En l’absence de réponse, elle posera dès la semaine prochaine à ses instances dirigeantes, la question de la pertinence de maintenir sa présence ». Donc, il n’était plus question de partir ! Même quand l’évidence s’impose, quand elles se font rouler dans la farine, les directions des confédérations syndicales n’arrivent pas à rompre avec le dialogue social et le jeu institutionnel. Toutes continuent de siéger. « Tant qu'il y a un dialogue social, il faut aller jusqu'au bout » selon l’UNSA. Jusqu’à la lie !

Cette comédie de la commission de financement n’a qu’un objectif, accréditer l’idée qu’il y aurait un déficit des retraites, alors que ce déficit est un choix politique pour ne pas prendre l’argent là où il est, ce dont le patronat ne veut pas entendre parler. L’intersyndicale a annoncé qu’elle allait organiser sa « propre conférence sur le système de retraite. Lors de cet événement, des experts et des économistes interviendront pour un vrai débat contradictoire sans lettre de cadrage ! ». Dommage, les travailleurs ont besoin de leur propre lettre de cadrage, celle de la défense de leurs droits, de leur dû, de leurs propres intérêts de classe pour avoir conscience des enjeux de leur lutte et pouvoir la prendre en main. Le double jeu des principales composantes de l’intersyndicale constitue le principal facteur de démobilisation.

Pour financer les retraites et l’avenir, faire payer le capital

Les moyens de financer les retraites existent, bien évidemment, c’est une question de répartition des richesses au même titre que les salaires, la lutte contre le chômage et la précarité, la défense des services publics… Et l’enjeu de la mobilisation est de mettre un premier coup d’arrêt à une politique qui transfère les richesses produites par le monde du travail dans les poches des financiers, des actionnaires, des riches. Il est tout aussi évident que la bataille ne se déroule pas autour du tapis vert du dialogue social mais relève d’une lutte de classe politique acharnée. Voilà ce que devrait être notre lettre de cadrage !

Les 113 milliards d’euros annoncés par le gouvernement « sur la base du rapport » du Conseil d’orientation des retraites (COR) nécessaires au financement des caisses de retraite sur douze ans visent à impressionner l’opinion plus habituée à compter quelques euros qu’en milliards. En fait, les simples réserves du système permettraient d’y faire face. Le problème du pouvoir n’est pas là, il est d’abaisser les dépenses futures des retraites en-dessous des 14 % du PIB malgré la hausse de la part des retraités dans la population. Il veut donc et faire baisser les pensions et allonger le temps de travail au nom de la compétitivité tout en favorisant les plans d’épargne retraite, la capitalisation, une aubaine pour les marchés financiers.

C’est une toute autre politique qu’il faut imposer par la hausse des salaires, l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, la fin du chômage et de la précarité, la fin du CICE et des subventions qui alimentent le capital et ses profits. Imposer cette politique implique de remettre en cause les fondements mêmes de la société capitaliste, le rapport d’exploitation, le salariat, la concurrence, la course au profit.

Ce système sénile est au bord de la faillite, une crise financière menace. Les multinationales et les États qui les servent la repoussent en concentrant toujours plus de richesses entre leurs mains pour éviter l’effondrement des bourses et du système financier pourri et, pour cela, ruine les peuples et la planète. Discuter de l’avenir des retraites, c’est discuter de l’avenir de la société, c’est-à-dire remettre en cause la domination du capital.

Nous organiser, nous coordonner pour la lutte et changer le monde

En laissant croire qu’il est possible de discuter de la politique de Macron et du CAC40, de l’amender, ou au mieux de discuter d’une autre réforme après le retrait du projet de Macron, la gauche sociale et politique joue un jeu de dupe. Elle se bat pour reprendre la main sur toutes celles et ceux qui depuis des semaines se mobilisent, s’organisent, discutent des moyens de faire reculer le pouvoir. Elle veut les enfermer dans sa logique institutionnelle, celle du dialogue social et du parlementarisme, alors que toute l’expérience collective conduit à une conclusion opposée : c’est par la mobilisation, l’organisation du monde du travail que nous pourrons faire reculer le pouvoir, changer le monde.

Cette prise de conscience s’approfondit, c’est un des acquis essentiels de cette première phase de la lutte dans le continuité des Gilets jaunes, le retour de la lutte de classe, l’émergence d’une nouvelle conscience de classe qu’il faut renforcer, armer, aider à s’approprier l’idée que la lutte contre la réforme est un moment de la lutte pour changer le monde. A l’opposé du dialogue social, la lutte a besoin d’une politique anticapitaliste, démocratique, révolutionnaire.

Se préparer à rebondir, c’est aggraver la crise politique dans laquelle Macron et son gouvernement s’enferment pour le faire plier alors que l’intersyndicale contribue à lui sauver la mise en se prêtant au dialogue social.

Bien des manifestants se posent au lendemain du 20 février la question du rythme et des perspectives et sont révoltés par la décision de l’intersyndicale d’appeler à « une grande journée de grève interprofessionnelle et de manifestations dans tout le pays mardi 31 mars pour faire échec à ce projet de loi ». Beaucoup ironisent, le 31 mars, de quelle année ?! Oui, il est clair que l’intersyndicale se cale par rapport au calendrier institutionnel, laisse le temps au gouvernement de reprendre la main alors que Macron se prépare à un coup de force. Certaines assemblées générales, surtout à Paris et dans le secteur de l’éducation, des interpros, la coordination nationale évoquent la date du 16 mars comme début d’une hypothétique semaine noire, d’autres imaginent un samedi massif avec une montée nationale à Paris, éventuellement le 14 mars.

En réalité, reprendre l’initiative n’est pas simplement une question de date. Le mouvement a été déclenché sous la pression des travailleurs de la RATP, des cheminots principalement, il ne pourra rebondir que si une nouvelle pression s’exerce. Les dates ne se décrètent pas par en haut mais en fonction du degré de mobilisation, d’organisation et de conscience des salariés. C’est bien là le fond du problème. Les grévistes de la RATP et des cheminots étaient mobilisés par la convergence de leurs propres intérêts et de ceux de l’ensemble du mouvement. Ce dernier ne pourra rebondir que si une large fraction du monde du travail prend conscience qu’il n’y a pas d’issue sans la construction d’un mouvement d’ensemble, qu’il appartient à chacune et chacun de s’engager, de se mobiliser, de s’organiser pour faire pression sur les directions syndicales et se donner les moyens de diriger elle-même la lutte.

Tout peut rebondir du fait de l’isolement, de l’affaiblissement du pouvoir si les travailleurs prennent l’affaire en main pour aller au-delà de ce qui a été possible le 5 décembre et les jours qui ont suivi.

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