A en croire les médias la victoire de Boris Johnson aux élections anticipées du 12 décembre serait écrasante face à la déroute du parti travailliste et de Corbyn. En réalité, loin de représenter le peuple comme il le proclame lui-même, Boris Johnson et les conservateurs obtiennent 43,6 % des suffrages, soit 365 députés sur 650, la majorité absolue avec une progression très modeste de 1,20 % des voix. Et cela avec le soutien du Brexit Party, le parti souverainiste d’extrême droite de Nigel Farage, qui ne présentait pas de candidats contre les députés conservateurs sortants. Il bénéficie d’un mode de scrutin particulièrement antidémocratique. Les travaillistes ont recueilli 32,2 % au lieu de 40 % et 203 députés au lieu de 262 lors des élections du 8 juin 2017. Même dans les circonscriptions où les travaillistes ont maintenu leur siège, leur score a diminué, souvent d’environ 10 %. Dans les bastions travaillistes du Nord de l’Angleterre et des Midlands, l’ancien cœur industriel du pays ravagé par des décennies d’offensive capitaliste, une large partie du vote des classes populaires s’est tournée vers les conservateurs.

Cette déroute du parti travailliste était attendue tant la politique défendue par Corbyn était discréditée par son incapacité à se définir clairement sur la question de l’UE. Le Labour s’engageait à renégocier l’accord de Brexit conclu entre Boris Johnson et l’UE et à soumettre ce nouvel accord à un référendum. Corbyn se disait « neutre » face à cet éventuel référendum alors que la plupart des dirigeants et des élus travaillistes se prononçaient pour le Remain, rester dans l’UE. Cette confusion était bien incapable de contrer la démagogie de Johnson et des populistes et nationalistes présentant l’UE comme responsable de tous les maux pour mieux défendre les intérêts de la bourgeoisie.

Il avait bien essayé d’échapper au piège qu’il s’était lui-même construit en développant une campagne à gauche sur le terrain social qui a réussi à mobiliser autour d’elle bien qu'elle ne remettait en rien en cause le système. Mais il était bien peu crédible.

La défaite de Corbyn, c’est la défaite d’un parti soumis à l’ordre établi, aux intérêts de la bourgeoisie depuis des décennies. Croire qu’il pouvait représenter un renouveau du Labour, qu’il allait en faire un parti de la classe ouvrière relevait d’illusions et d’un total aveuglement.

Il est aussi erroné de penser que cette déroute des travaillistes, dans la continuité de celle de Syriza en 2015, devrait nous convaincre qu’il serait impossible de gagner la confiance des classes populaires sans faire de la rupture avec l'UE, ou de la sortie de la zone euro pour les pays qui en font partie, la priorité.

En réalité, comme en 2017, les partisans d’un Brexit plus ou moins dur restent minoritaires dans l’électorat, avec 45,70 % des suffrages exprimés, face à ceux qui y sont opposés ou revendiquent l’organisation d’un deuxième référendum.

La question centrale, c’est la rupture avec la bourgeoisie et ses institutions

La question première n’est pas la rupture avec l’UE tout en respectant le cadre bourgeois national, mais une rupture internationaliste, révolutionnaire avec la domination capitaliste dans la perspective d’une Europe des travailleurs. Toute concession aux préjugés nationalistes tourne le dos aux intérêts des travailleurs.

Ceux qui ont cru que Corbyn allait reconstruire le parti travailliste en tant que parti de la classe ouvrière se sont bercés d’illusions et ont raconté un conte de fées à celles et ceux qui les ont écoutés plutôt que d’offrir une perspective aux travailleurs et en particulier à la jeunesse populaire qui s’est largement abstenue.

L’illusion devient démoralisation pour des camarades qui pensent, comme l’écrit Socialist Resistance que la défaite de Corbyn « n’est pas simplement une défaite pour la classe ouvrière britannique. Un gouvernement travailliste de Corbyn aurait eu un impact mondial sur les mouvements progressistes, les militants du climat et la gauche internationale. » Non seulement cette victoire était impossible au regard de la politique de Corbyn et si elle avait cependant eu lieu elle n’aurait préparé que des démoralisations dont les forces réactionnaires auraient profité à l’instar de ce qui est advenu en Grèce ou aux USA après la victoire d’Obama.

Les travailleurs n’ont pas à arbitrer les débats sur la politique à mener pour la bourgeoisie pas plus lors des élections au Parlement que lors du référendum de 2016, ils n’avaient pas à choisir entre le leave ou le remain.

Il n’y a pas d’issue pour le monde du travail hors d’une politique de classe indépendante des institutions pour défendre ses intérêts de classe. Développer une telle politique est un besoin impérieux. Il est évident que Boris Johnson, à défaut d’apporter des réponses au déclin du capitalisme britannique, multipliera les aides au patronat associées aux attaques contre les travailleurs. La bourse a accueilli sa victoire à la hausse mais l’avenir est sombre pour un Royaume-Uni menacé d’éclatement tant par les aspirations à l’indépendance de l’Écosse que par celles à l’unité de l’Irlande du Nord. Johnson multiplie les annonces réactionnaires, législation antigrève dans les transports, création d’un ministère de la Sécurité intérieure, renforcement des contrôles policiers et des fouilles contre les jeunes des quartiers populaires, plan de soutien au patronat et mesures anti-ouvrières, campagne et mesures anti-immigrés, etc...

Face à cette offensive annoncée, l’enjeu de la période n’est pas de reconstruire cette gauche faillie depuis des décennies en Grande Bretagne comme ici ni de donner des conseils à ses dirigeants mais bien d’œuvrer au rassemblement des révolutionnaires, en toute indépendance du Labour, pour tracer la perspective d’un parti des travailleurs internationaliste, pleinement indépendant des institutions bourgeoises.

Yvan Lemaitre

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