La population algérienne a infligé un camouflet au pouvoir militaire en contestant radicalement l’élection présidentielle du 12 décembre, cette véritable mascarade destinée à ravaler la façade du régime sans rien changer à celui-ci. Malgré l’énorme déploiement policier le jour du vote, ce sont des dizaines de milliers de manifestants qui ont dénoncé cette supercherie en manifestant dans de nombreuses villes du pays et en réussissant même à fermer les bureaux de vote dans les villes de Bejaia, Tizi Ouzou, Bouira, Bord Bou Arreridj.

Au mépris de ce vote de la rue, « l’Autorité nationale indépendante des élections » a annoncé le soir-même la victoire au premier tour d’Abdelmadjid Tebboune, avec un peu plus de 58 % des voix.

Elle a été obligée de reconnaître officiellement un taux d’abstention record avec moins de 40 % de suffrages exprimés, mais ce chiffre représente au moins le double de la participation réelle. De nombreux témoignages font état de bureaux de vote quasiment vides malgré l’achat de voix et dans les villes où l’élection a été boycottée, le nombre de votants est nul. Le lendemain, 43ème vendredi depuis le début du mouvement en février dernier, c’est une marée humaine qui a déferlé dans les rues de toutes les villes, femmes, hommes, enfants, toutes générations confondues, pour dire qu’ils ne feraient pas allégeance. « Tebboune ne nous gouvernera pas », « les généraux à la poubelle », ont crié entre autres les manifestants dans les rues d’Alger.

La rupture entre le pouvoir et les masses s’approfondit

Pendant toute la campagne électorale, les cinq candidats en présence n’avaient pu tenir de réunions que sous haute protection policière et portes fermées. Personne n’était dupe, tous sont issus de l’ancien régime dont le vainqueur, Tebboune. Ministre et premier ministre de Bouteflika, il a eu le culot de se prétendre un opposant au régime parce que son fils est sous le coup d’une accusation... de complicité dans un trafic de cocaïne !

Ce passage en force de l’état-major conduit par Gaïd Salah n’a fait qu’approfondir la rupture entre la population et le pouvoir militaire. Toutes les tentatives pour tenter de faire accepter le maintien du « système » ont échoué. La mise au rancard de Bouteflika le 2 avril, l’arrestation de ses proches et alliés, de dizaines d’oligarques traînés devant la justice, loin de dédouaner le régime, n’ont fait que mettre au grand jour à quel point il est gangrené par l’affairisme et la corruption. L’injustice sociale subie par les travailleurs, l’inégalité criante entre la dureté de leurs propres conditions de vie et le luxe insolent des privilégiés du régime, se sont concrétisées sous la forme de visages, de noms, de faits au cours des procès suivis avec passion par des foules. Les tentatives de diviser le mouvement en faisant condamner les manifestants qui portaient un drapeau amazigh, le drapeau berbère, ont échoué elles aussi. La répression, les violences policières, les centaines d’arrestations de militants du mouvement, n’ont pas affaibli la détermination des travailleurs et de la population. Les expériences accumulées au cours du mouvement ont renforcé au contraire les sentiments de dignité et de fierté, de solidarité, d’aspirations à la démocratie et à la justice sociale, à la fin de toutes les oppressions et discriminations.

Macron a été parmi les premiers à prendre acte, quoique très prudemment, de la prétendue victoire de Tebboune et de souhaiter sans rire, sans doute à la lumière de l’expérience qu’il vit en France ces derniers mois, que s’ouvre « un dialogue avec la population ». Tebboune lui-même a affirmé lors d’une conférence de presse le lendemain de l’élection qu’il était prêt à « tendre la main au mouvement ». Au même moment, à Oran, les forces de police ont violemment attaqué la manifestation et gazé et matraqué brutalement toutes celles et ceux qui y participaient quel que soit leur âge. Les témoins et associations des droits de l’homme font état de 400 interpellations. Ces violences s’inscrivent dans un renforcement de la répression que les militants du mouvement subissent ces dernières semaines.

En Algérie, comme ici et partout dans le monde, s’organiser pour défendre nos droits

La tentative du pouvoir de se donner une façade institutionnelle grâce à cette élection a d’ores et déjà échoué. Une majorité de la population algérienne est convaincue que derrière le nouveau président, c’est le « système » qui se perpétue, cette machine à capter les richesses, en particulier la rente pétrolière, au profit d’une minorité ultra-privilégiée et corrompue, qui s’est constituée une clientèle par la distribution de prébendes et de passe-droits. Elle est convaincue aussi que l’État, les sommets de l’armée, des forces de police, sont là pour protéger « la bande », comme disent les manifestants, la bande mafieuse dont ils font partie.

Mais elle ne pense pas aujourd’hui possible, dans sa grande majorité, de remplacer elle-même le pouvoir, d’être le pouvoir qui dirige l’économie et la société. Les militants qui envisagent cette perspective sont encore très peu nombreux. C’est pourquoi le mot d’ordre d’assemblée constituante est largement repris dans une partie du mouvement parce qu’il semble formuler une perspective de changement radical sans remettre en cause l’État et l’armée actuels, dans un cadre institutionnel donc. Non pas comme Tebboune le promet, en ravalant la façade, en ajoutant quelques articles à la constitution qu’il serait ensuite question de faire adopter par référendum, histoire de se donner l’occasion d’un plébiscite mensonger mais de manière beaucoup plus radicale et démocratique. Il s’agirait que la population elle-même élise ses délégués à une assemblée chargée d’élaborer une nouvelle constitution.

Il faut le dire sans ambiguïté, une Assemblée constituante qui se tiendrait sans que les travailleurs et les classes exploitées se soient donné leurs propres assemblées élues, des comités d’entreprise, de quartier, de ville serait un leurre. C’est dans les endroits où la grève générale des 8, 9, 10 et 11 décembre contre la tenue de la présidentielle a été très largement suivie, comme à Tizi Ouzou ou Bejaia, que le boycott réel de l’élection a été rendu possible.

En Algérie comme dans de nombreux pays, les raisons profondes de la révolte populaire sont la régression sociale entraînée par l’accentuation de l’offensive des capitalistes et de leurs serviteurs pour accaparer une part toujours plus grande des richesses produites pour sauver leur système menacé de faillite. C’est par leur organisation collective et démocratique, par la grève que les travailleurs peuvent remettre en cause ce partage des richesses, lutter pour les salaires et des embauches, associer toute la population au combat pour le droit fondamental de toutes et tous à vivre décemment d’un travail, se nourrir et se loger convenablement, avoir accès aux transports, à la santé, à l’éducation, à la culture… C’est à dire remettre en cause les bases mêmes de cette société fondée sur l’exploitation de la population pour le compte d’une mafia capitaliste.

C’est cette organisation collective et démocratique de toute la population, des travailleurs, qui peut dégager et remplacer le « système », des comités de lutte sur les lieux de travail, dans les quartiers, qui formulent les revendications exprimant leurs besoins. Ce sont ces comités populaires, de travailleurs, qui pourront prendre le contrôle des richesses qu’eux-mêmes produisent pour les mettre au service de l’ensemble de la population, de son bien-être, et de la préservation de la nature.

Dans l’Acte II du Hirak qui s’ouvre aujourd’hui, c’est autour de cette perspective révolutionnaire que se construiront les forces politiques qui seront capables de donner une issue positive et progressiste au mouvement. L’avenir appartient au pouvoir des travailleurs.

Galia Trépère

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