Plus d’un million de personnes ont manifesté vendredi 25 à Santiago-du-Chili et d’autres villes du pays. Ni la violence de la répression militaire – 19 personnes sont mortes au cours des affrontements – ni les prétendus reculs du président Piñera n’ont freiné le mouvement commencé il y a une semaine. Véritable soulèvement populaire, il s’approfondit. Ce qui se passe au Chili est un des puissants mouvements de contestation sociale qui explosent et s’enchaînent partout dans le monde, en Catalogne, au Liban, en Irak, Equateur, Haïti, Algérie, Hong Kong, etc., alors qu’ici les Gilets jaunes vont fêter le premier anniversaire de leur acte I.
Chacun de ces mouvements a ses caractéristiques propres, des facteurs déclenchants particuliers. Mais tous s’inscrivent dans un contexte général de révolte de la jeunesse et des classes populaires, des travailleurs contre la politique des capitalistes et de leurs Etats, un mouvement global qui intègre également les mobilisations des jeunes pour le climat, des femmes pour leurs droits.
Cette montée des luttes est une étape nouvelle d’un processus commencé en 2011 avec les mobilisations provoquées par les effets de la crise de 2007-2009 et les politiques des classes dominantes, de leurs Etats et de leurs banques centrales : Printemps arabe, puissantes manifestations et grèves en Grèce contre les plans de la Troïka, indignés en Espagne, Occupy Wall Street aux USA…
La lutte des 99 % contre les 1 % se poursuit et s’étend, s’accentue en même temps que s’en aggravent les causes, la guerre de classe menée à l’échelle mondiale par le capitalisme financiarisé.
Contre les inégalités, la corruption, le mépris des riches et des dirigeants politiques
Au cœur de ces luttes, les revendications sociales sont intimement liées aux slogans contre la corruption, exigeant le départ des dirigeants politiques, aspirant à une véritable démocratie. Les classes dominées n’ont jamais eu le moindre pouvoir démocratique sur le fonctionnement de la société, seulement l’illusion que leurs intérêts pouvaient être, plus ou moins, défendus par « leurs » élus dans le cadre des institutions étatiques. Ces illusions tombent, remplacées par la prise de conscience, de plus en plus générale, de compter pour rien dans les décisions prises par les Etats et les patrons, sinon en tant que cibles d’offensives à répétition visant à augmenter les profits d’une minorité.
En descendant en masse dans les rues pour porter leurs exigences, en faisant face aux forces de répression, les manifestants remettent en question, bien plus que les politiques mises en œuvre, l’ensemble du système, posent la question du pouvoir et affirment qu’ils ne comptent que sur leurs mobilisations, leur détermination, pour obtenir ce qui leur est dû.
La faillite du capitalisme financiarisé mondial
Cette flambée des luttes est indissociable de la situation dans laquelle se trouve actuellement plongé le capitalisme à l’issue de la trentaine d’années d’évolutions produites par ses propres réponses à la crise des années 1970, puis des dix ans qui ont suivi la crise des années 2007-2009.
Avec cette crise, une nouvelle époque s’est ouverte. Incapable de résoudre ses propres contradictions, le système économique et social qui impose sa dictature à des milliards d’êtres humains, le capitalisme financiarisé mondial, est au bord de la faillite. Il ne se maintient en vie que sous la perfusion permanente des banques centrales, par l’endettement généralisé et par le pillage effréné des ressources naturelles et du travail humain.
D’un côté s’accumulent des fortunes inimaginables, les cours des actions flambent et de l’autre s’accroissent les inégalités, la précarité, le chômage et la misère. Cette logique destructrice est à l’œuvre dans l’ensemble de la planète, elle ne peut qu’aggraver la situation et conduire aux affrontements sociaux. Ces affrontements sont inéluctables, nécessaires et légitimes. Conséquence directe de l’incapacité du capitalisme à trouver une issue à son propre enlisement, à l’impuissance et à la corruption des politiciens, ils sont une des caractéristiques essentielles de cette nouvelle époque, la volonté des classes exploitées et opprimées, de la jeunesse, des femmes à trouver une issue par eux-mêmes.
La réponse et l’issue sont dans le camp de la révolte
Dans ces affrontements, les manifestants se heurtent au pouvoir d’Etat et à la violence de sa répression, qui ne recule devant rien pour maintenir ce qu’ils appellent « l’ordre social ». On le voit à Hong Kong, au Soudan… On l’a vu dans les contre-révolutions qui ont répondu, après 2011, au Printemps arabe. Ces jours derniers, en Irak, la répression des manifestations a fait plus de 200 morts et des milliers de blessés, tandis que commençait l’écrasement des Kurdes de Syrie.
Au Chili, en se déclarant « en guerre contre un ennemi puissant », le président Piñera a bien formulé la nature de ces affrontements. Depuis, devant la détermination des mobilisations que la répression ne fait pas reculer, il a changé de discours. Vendredi soir, après la manifestation, il a promis un remaniement ministériel ; l’armée, qui patrouille toujours dans les rues, devrait lever l’état d’urgence qui avait été instauré dans 9 régions sur 16… Mais c’est un leurre, une manœuvre pour tenter d’endormir l’ennemi.
C’est bien d’une guerre qu’il s’agit, une guerre de classe dont l’enjeu n’est pas seulement d’arracher des concessions ou de changer le personnel politique, mais celui d’une révolution sociale, à l’échelle de la planète, seule issue possible à l’impasse dans laquelle le capitalisme mondialisé à bout de souffle enferme l’humanité.
Sur le chemin de la prise en main de la société par les classes laborieuses, il y a certes la menace de la violence, de la répression, comment y faire face. Mais il y a surtout le besoin d’avoir une politique, une perspective capable de déjouer les risques, les menaces et les pièges comme de rassembler le camp des opprimés pour conquérir le droit de décider.
La nécessité d’une politique pour la classe ouvrière, démocratique et révolutionnaire
Ce qui se joue à travers ces affrontements, c’est la lutte de la classe ouvrière, de celles et ceux qui n’ont pas d’autre moyen pour vivre que de louer leur force de travail, contre les classes dominantes et leurs Etats, qui ne reculeront devant aucun crime pour maintenir leur domination.
Pour y faire face, nous avons besoin de prendre la mesure des événements, de leur accélération pour réfléchir aux moyens de répondre à la question posée par l’amplification et la radicalisation des mobilisations à l’échelle internationale, la nécessité d’une force organisée capable de formuler et mettre en œuvre une politique pour la classe ouvrière, internationaliste, démocratique et révolutionnaire, une politique qui soit une arme dans un combat de classe qui est engagé, à l’échelle internationale, depuis bientôt dix ans. Cette politique commence par créer les conditions du rassemblement de toutes les forces anticapitalistes et révolutionnaires en nous dégageant des polémiques nées dans un passé révolu pour penser, anticiper l’évolution du capitalisme afin de définir une stratégie d‘ensemble pour les classes exploitées.
Aujourd’hui, dans chaque pays, la contestation brandit des drapeaux nationaux, elle a conscience d’être mondialisée mais ne se pense pas comme une des composantes d’un mouvement international et internationaliste, elle n’a pas brisé le carcan idéologique de l’ordre bourgeois. Ses actes vont plus loin que sa conscience. Et c’est bien là le problème auquel est confronté le développement du mouvement. Il ne peut trouver de réponse que dans la lutte pour œuvrer à l’émergence d’une conscience ayant rompu avec l’ordre établi, ses drapeaux comme ses institutions et ses partis, fussent-ils de gauche, pour s’emparer du drapeau de la transformation révolutionnaire de la société, seul chemin pour dégager l’humanité de la faillite du capitalisme.