Samedi, le gouvernement de Hong Kong et sa police ont franchi une nouvelle étape dans leur escalade répressive. Après avoir arrêté, vendredi, de jeunes dirigeants du parti prodémocratie afin de tenter d’empêcher la jeunesse de braver l’interdiction de manifester le lendemain, il a violemment réprimé celles et ceux qui ont osé descendre dans la rue le jour du cinquième anniversaire du début du « Mouvement des parapluies » qu’avait provoqué en 2014 le refus de Pékin d’organiser des élections au suffrage universel à Hong Kong.
13 semaines après que, le 16 juin, 2 millions de Hongkongais sur 7,4 millions soient descendus dans la rue, la contestation ne faiblit pas. Initiées pour exiger le retrait du projet de loi visant à permettre d’arrêter et d’extrader toute personne liée à une activité jugée criminelle par la Chine, les manifestations se poursuivent malgré la répression du pouvoir local et les menaces des dirigeants chinois. Le projet de loi qui a déclenché la révolte a été suspendu mais les contestataires exigent désormais son retrait définitif, une enquête sur les violences policières, la libération des 900 manifestants arrêtés ces dernières semaines, la démission de Carrie Lam, la cheffe du gouvernement, l’instauration du suffrage universel. Si la jeunesse étudiante anime le mouvement, le monde du travail y prend sa place. Le 5 août, pour la première fois depuis 1960, une grève générale a paralysé l'archipel, le 17 août, des milliers d’enseignant.e.s vétu.e.s de noir sont descendu.e.s dans les rues en signe de solidarité.
« Libérer Hongkong, révolution de notre temps »
Ce slogan exprime le sentiment qui donne sa détermination au mouvement, celui de participer à un combat pour la démocratie qui dépasse les limites de Hong Kong voire de leurs propres revendications. Dans une place financière et commerciale de dimension mondiale, à la jonction de deux mondes, ils vivent leur lutte comme un moment de convergences des aspirations de la jeunesse et des classes populaires à prendre leur avenir en main.
Hong Kong, dite « région autonome spéciale », ex-colonie britannique rétrocédée à la Chine en 1997, est une place commerciale et financière majeure. Londres et Pékin lui ont accordé un statut particulier dit « un pays, deux systèmes », un compromis entre l’ancienne puissance coloniale et l’État chinois qui concède certains droits démocratiques comme la liberté d’expression ou le droit de manifester. Il devait rester valable jusqu’en 2047 mais l’État chinois cherche à le remettre en cause sous la pression de la guerre commerciale engagée par Trump.
La ville est l’une des principales portes d’entrée en Chine et en Asie, pour le capital occidental. À l’inverse, elle est un sas vers le marché mondial pour les capitaux chinois. Le secteur financier emploie plus de 250 000 personnes. Les banquiers, les courtiers en assurance ou les magnats de l’immobilier dirigent ce territoire, havre pour les milliardaires - elle en compte presque autant que New York - et les riches touristes, y compris chinois. Une telle situation, nœud de fortes contradictions, donne à la révolte populaire une dimension de fait internationale.
Exigences démocratiques et questions sociales
La contestation en cours est bien plus qu’un mouvement d’étudiants ou de la petite bourgeoisie inquiète pour son avenir. Si la jeunesse étudiante y occupe le premier rang, les classes populaires se retrouvent avec elle dans la rue ou dans la solidarité. Leur révolte se nourrit du rejet des injustices et des inégalités, particulièrement criantes dans cette ville la plus chère au monde avec le marché immobilier le plus coûteux de la planète. Le revenu médian mensuel des 10 % les plus riches est 44 fois plus élevé que celui des 10 % les plus pauvres. Les classes populaires sont contraintes pour se loger à des solutions inhumaines et indignes comme vivre dans un appartement de 2 m2, habiter dans un logement « capsule », avec des équipements dernier cri mais sans fenêtre où dormir, dans un ancien tuyau de drainage des égouts municipaux reconverti en habitation de 20 m²... Derrière la façade arrogante du luxe s’amasse une misère abjecte et les effets du ralentissement économique mondial s’y font particulièrement sentir, exacerbant les frustrations accumulées depuis des années.
Les peurs de Xi Jiping
Pour Pékin, la mobilisation serait le fruit de complots de « forces hostiles étrangères », qui auraient fomenté les « émeutes », propagande qui voudrait flatter un vieux sentiment antiaméricain pour étouffer la solidarité et empêcher que les aspirations démocratiques ne deviennent contagieuses en Chine même, 30 ans après la terrible répression de la place Tiananmen.
En réalité, Trump a ouvertement exprimé sa solidarité avec Xi Jinping expliquant n’avoir « zéro doute » sur la « capacité du président Xi à résoudre la crise avec humanité ». Il n’a que mépris pour ceux qu’il qualifie, à l’instar de Xi Jinping, d’« émeutiers » même si bon nombre de ces derniers nourrissent bien des illusions sur la démocratie des pays occidentaux en particulier à l’égard des USA.
La propagande chinoise cherche à faire peur et Pékin masse ses troupes à Shenzhen aux portes de Hong Kong. « Ceux qui jouent avec le feu périront par le feu », menaçait il y a peu le porte-parole du bureau des affaires de Hong Kong et Macao du gouvernement chinois, Yang Guang.
Certes, Pékin n’a pas intérêt à jouer la carte du pire. Même si la part de Hong Kong dans l’économie chinoise a fortement diminué passant de 27 % du produit intérieur brut (PIB) chinois en 1997 à 3 % aujourd’hui, les deux tiers des investissements étrangers y transitent. Grâce aux accords de libre-échange, 55 % de ses exportations partent en Chine et 44,8 % de ses importations en proviennent. Les Chinois représentaient près de 80 % des 65,1 millions de touristes s’étant rendus à Hongkong en 2017, soit près de 51 millions de personnes. Mais surtout, Hong Kong occupe une position stratégique et une intervention militaire chinoise pourrait avoir des répercussions difficilement gérables, en particulier vis à vis des USA.
Une révolte contagieuse…
La révolte des jeunes et des classes populaires est le point de convergence des contradictions qui minent le capitalisme financier mondialisé et des effets de la concurrence dont la guerre commerciale de Trump est l’expression. L’exacerbation criante des inégalités, le talon de fer de la finance et de l’État chinois, les tensions internationales trouvent dans le chaudron urbain de Hong Kong une caisse de résonance qui en amplifie les effets.
Une nouvelle génération qui a grandi après la rétrocession de Hong Kong à la Chine en 1997 prend la parole, formule ses aspirations, s’engage dans la lutte. Certes, sa révolte pourrait être dévoyée dans une lutte pour l’indépendance de Hong Kong qui serait une impasse et la priverait de sa force, sa portée internationale par delà les frontières.
Son avenir est dans sa force de contagion, dans sa capacité à entraîner le monde du travail, dans ce mot qui semble trouver en son sein un réel écho, révolution, la mobilisation des masses pour conquérir la démocratie, le pouvoir de décider et de diriger par elles-mêmes la marche de la société pour en finir avec le talon de fer de la finance et des États à son service. La seule perspective qui puisse répondre aux aspirations tant démocratiques que sociales.