« Nous allons gagner la Coupe d’Afrique et ils vont tous dégager », ce 22ème vendredi de grande marche depuis le 22 février, c’était un des slogans des manifestants algériens quelques heures avant la victoire de leur équipe contre celle du Sénégal au Caire. Une façon d’affirmer que le football ne serait pas ce que le régime aurait voulu en faire, un moyen de diversion pour faire oublier les problèmes de la population. Et de rappeler aussi, peut-être, que la révolte contre le 5ème mandat de Bouteflika avait commencé à s’exprimer dans les stades où il était bien difficile à la police d'empêcher la contestation de se manifester. « Alors que le pouvoir a mis tous les moyens pour tenter de récupérer l’événement à son avantage, les Algériens ont tenu à dire que l’équipe nationale est d’abord celle du peuple. », a commenté le site interdit en Algérie depuis le soulèvement, TSA (« Tout sur l’Algérie »). Quel camouflet aussi pour tous les réactionnaires qui s’indignent des manifestations de joie des Algériens en France, des cortèges de jeunes des banlieues à Paris jusque sur les Champs Élysées. L'expression d'une fierté nationale bien légitime face aux relents de colonialisme, au racisme, au mépris de la bourgeoisie française et de son État nourris par des décennies d’oppression et de domination coloniale, entretenus par leur peur des classes exploitées. Et les médias, bien rodés depuis des mois à défendre la police contre les dits casseurs, se sont largement répandus sur les mesures policières prises par Castaner qui avait commandé un déploiement policier propre à créer les tensions, plus important que celui déployé lors de la victoire de l’équipe de France en coupe du monde, calomniant par avance les supporters algériens, les jeunes des banlieues. Ils préparaient le terrain pour les propos racistes de politiciens de droite et les surenchères du RN réclamant qu’on leur interdise les Champs-Élysées.

Un traitement de l’information d’autant plus choquant que les mêmes médias sont silencieux ou presque sur le soulèvement de la population algérienne qui a contraint à la démission, le 2 avril dernier, le dictateur Bouteflika. Ils sont bien dans la continuité du colonialisme français, de la sale guerre qu’il a menée pour tenter de briser la révolte du peuple algérien, sa lutte pour son indépendance. Une sale guerre à laquelle la gauche a contribué lorsque, en 1956, Guy Mollet, un socialiste, décida de l'intensifier. Son ministre de la Justice, Mitterrand, n'avait-il pas déclaré au début de l’insurrection algérienne en 1954, « L’Algérie, c’est la France ».

L'explosion de joie et de fierté, vendredi soir, de tout un peuple dressé pour sa liberté est une magnifique réponse à toute la réaction.

Aujourd'hui, l'État français, la bourgeoisie française, sont solidaires de la dictature algérienne contre la population, une solidarité entre classes dirigeantes effrayées par le soulèvement des classes populaires, par la contagion possible de la contestation, sur les deux rives de la Méditerranée, par delà les frontières.

Nous leur opposons notre solidarité de travailleurs avec le combat de la population algérienne, c’est pour nous un seul et même combat.

C’est aussi notre dette, car le soulèvement actuel des travailleurs algériens est dans la continuité de leur lutte de libération nationale, comme certains manifestants le soulignaient eux-mêmes le 5 juillet dernier, jour du 50ème anniversaire de l’indépendance de l’Algérie et 20ème vendredi de la mobilisation, dans leurs slogans, sur leurs banderoles, « 1962, l’indépendance confisquée, 2019 Algérie indépendante».

De l’indépendance à aujourd’hui, la malédiction de la rente pétrolière et de… l’accaparement des richesses

Djamila Bouhired, une militante très populaire de la révolution anticoloniale, le soulignait explicitement dans une tribune publiée dans El Watan le 13 mars à l’adresse des manifestants :

« Je voudrais vous dire toute ma joie, toute ma fierté de vous voir reprendre le flambeau de vos aînés. Ils ont libéré l’Algérie de la domination coloniale ; vous êtes en train de rendre aux Algériens leurs libertés et leur fierté spoliées depuis l’indépendance.

[…] Notre génération a été trahie ; elle n’a pas su préserver son combat contre le coup de force des opportunistes, des usurpateurs et des maquisards de la 25e heure qui ont pris le pays en otage depuis 1962. […] Ne les laissez pas voler votre victoire… ».

Privée de tout droit dans son propre pays pendant la colonisation française, la population algérienne qui avait conquis son indépendance nationale au prix de terribles sacrifices malgré la sauvagerie des chefs de l’armée française, n’a pas connu autre chose que la précarité, la misère, la dictature. La raison en est qu’une minorité a accaparé les richesses du pays, en particulier la rente pétrolière, et entend par tous les moyens sauvegarder ses privilèges.

C’était déjà pour garder sa mainmise sur les gisements pétroliers découverts dans les années 1950 dans le sud algérien et tenter d’imposer la création d’un Sahara indépendant, que l’État français avait prolongé sa sale guerre contre l’indépendance, infligeant des souffrances inouïes à la population algérienne, un million de morts, l’usage de la torture systématique, les déplacements de population, pas une famille qui n’ait été touchée par la répression. En septembre 1961, conscient que la guerre serait de toute façon perdue, De Gaulle annonça que le Sahara ferait partie de l’Algérie. Mais l’État français avait fait en sorte de préserver au mieux les intérêts des compagnies pétrolières françaises dans les accords d’Evian. Ce n’est qu’en 1971 que l’État algérien devint, en créant la Sonatrach, maître de ses ressources pétrolières et gazières qui représentent aujourd’hui 98 % de ses exportations et près de 70 % de ses recettes fiscales.

Mais même à ce moment-là, où il se voulait « leader du Tiers monde », l’État algérien ne représentait pas les intérêts de la population pauvre d’Algérie mais ceux d’une petite bourgeoisie nationale aspirant à conquérir une place au soleil. Dès l’indépendance, l’armée des frontières, que de nombreux sous-officiers avaient rejointe après avoir déserté l’armée française, s’était imposée contre les combattants de l’intérieur, avec à sa tête Boumediène qui exerça sa dictature à partir de l’été 1962, derrière la présidence de Ben Bella d’abord, puis seul à partir du coup d’état du 20 juin 1965.

Au cours des années soixante et soixante-dix, l’argent du pétrole a servi à octroyer de meilleures conditions de vie et toutes sortes de privilèges à une minorité, les membres de la bureaucratie de l’armée et du parti unique, le FLN, bien plus qu’à développer une économie qui aurait eu comme objectif la satisfaction des besoins de la population. La sauvegarde de cet ordre social inégal, de ces privilèges, dans un pays appauvri par le pillage colonial et saigné par la guerre de libération nationale, était la raison profonde de la dictature, parti unique, presse muselée, répression féroce et chambres de torture pour les contestataires.

Pendant cette période, le régime de Boumediène était cependant encore auréolé du récit national de ses origines, la lutte pour l’indépendance nationale, une histoire en grande partie usurpée, certes, mais qui renvoyait à une dignité nationale conquise de haute lutte, une amélioration des conditions de vie grâce à des produits de première nécessité subventionnés, un système de soins quasiment gratuit, un accès à l’éducation pour tous, et l’audace d’avoir nationalisé les gisements, l’exploitation et la distribution de pétrole et de gaz.

A sa mort, fin décembre 1978, le nouveau président présenté par le FLN, Chadli Bendjedid, eut beau être élu officiellement à... 99 % des voix, il se trouva très vite en difficulté.

En mars-avril 1980, éclatait le premier mouvement de contestation d’ampleur depuis l’indépendance, « le printemps berbère », à la suite de l’interdiction par le régime d’une conférence à l’université de Tizi Ouzou de l’écrivain Mouloud Mammeri sur la langue kabyle. Les étudiants en grève furent rejoints par les ouvriers des industries environnantes et des manifestations eurent aussi lieu à Alger. Chadli ordonna une répression qui fit 125 morts et réaffirma à cette occasion contre les manifestants qui réclamaient la liberté de pratiquer leur langue et leur culture les principes établis à la naissance de l’État algérien : l’Algérie est un « pays arabe et musulman ». Aujourd’hui, éclairé par l’expérience de cette vieille ruse des pouvoirs, diviser pour régner en discriminant une partie de la population, le mouvement a fait la preuve de sa lucidité en refusant l’interdiction du drapeau amazigh et dénonce l’arrestation de dizaines de manifestants qui risquent 10 ans de prison pour l’avoir brandi.

L’islamisme au secours de la dictature

Alors qu’en 1979, en Iran, la révolution contre la dictature du shah était passée sous le contrôle des mollahs et de l’ayatollah Khomeiny et qu’en Afghanistan d’autres islamistes combattaient contre l’occupation du pays par les troupes de l’URSS, Chadli joua à fond la carte de l’islamisme contre la contestation populaire. L’islam était déjà religion d’État et, du fait de la décision d’imposer l’arabe classique dans l’enseignement, l’État algérien avait dû faire appel à des professeurs venant d’autres pays, qui, bien souvent, prêchaient des idées proches des Frères musulmans, la charia et la république islamique. En 1984, Chadli fit adopter -et tous les députés du FLN le votèrent- le Code de la Famille, toujours en vigueur, qui applique les principes de la charia dans la loi algérienne, le statut d’infériorité de la femme, la légalisation de la polygamie.

Chadli lui-même donna une grande publicité à ses pèlerinages à La Mecque. Le courant religieux put mener sa propagande en toute légalité, étant le seul à disposer de salles de réunions publiques, les mosquées.

L’influence des islamistes va exploser -ou plus exactement apparaître au grand jour en tant que force politique- à la suite de la révolte d’octobre 1988.

La baisse des cours du pétrole -le baril passa de 45 $ à 10 $ en 1986- qui réduisit les possibilités du régime de subventionner les produits de première nécessité, entraîna une aggravation brutale des conditions de vie de la population à cause de la flambée des prix et de la hausse du chômage. La classe ouvrière entra en grève et la jeunesse se révolta, s’attaquant à tout ce qui symbolisait le régime et la dictature, commissariats, casernes, magasins à devises étrangères... La répression fut féroce, des centaines de morts à Alger, mais face à la révolte qui s’étendait à toutes les couches de la population et dans tout le pays, le pouvoir fut obligé de concéder une démocratisation, d’instaurer le multipartisme et des élections pluralistes, d’accepter une liberté de la presse, de réunion.

Lors des premières élections libres, les municipales, en juin 1990, le Front islamique de salut (FIS) gagna, avec 54 % des voix, une grande majorité des communes, dont Alger. En décembre 91, aux législatives, le FIS obtint 188 sièges dès le 1er tour avec plus de 47 % des voix, le FLN, 15, le FFS, 25. Le FIS, « fils du FLN » disaient beaucoup d’Algériens. En Algérie, comme dans d’autres pays arabes, la montée de l’islamisme fut provoquée, en l’absence d’une perspective ouvrière, par les cruelles désillusions que suscitèrent les régimes nationalistes. Mais il ne faut pas oublier que près de la moitié des électeurs ne s’exprima pas lors de ces élections.

La « décennie noire », la guerre contre la population

Entre le 1er et le 2ème tour, le 11 janvier 1992, l’armée décida d’interrompre le processus électoral, d’interdire le FIS et de destituer Chadli. L’état d’urgence fut instauré par décret en février 92, les islamistes réprimés, internés dans des camps dans le sud du pays, à partir desquels ils organisèrent des commandos de terroristes qui attaquèrent des intellectuels, des femmes, des cadres du régime, puis gagnèrent le maquis. Il s’en suivit ce qu’on a appelé la « décennie noire », une guerre civile où la population a été prise en otage entre les groupes armés islamistes d’un côté et les forces spéciales de l’armée de l’autre. Une « guerre contre les civils », selon les mots de Benjamin Stora. Il y eut de 100 000 à 200 000 morts, des massacres de masse, de villages entiers, de centaines de personnes. Difficile de dire combien de ces crimes imputés aux islamistes ont été le fait en réalité des forces spéciales ou permis par celles-ci, mais il y en eut et beaucoup, cela ne fait aucun doute. Le pouvoir, et un de ses personnages les plus puissants, Mohamed Mediène dit « Toufik », qui fut à la tête de la Direction du Renseignement et de la Sécurité (le DRS, une véritable police politique) de 1990 à 2015, se sont servi de la menace islamiste, bien réelle, pour justifier la guerre et l’état de siège, comme du poids de la religion pour censurer les libertés, les femmes et la jeunesse, étouffer la contestation.

C’est aussi pour cette raison que la réconciliation nationale attribuée à Bouteflika, arrivé au pouvoir en 1999, a donné une large amnistie aux combattants islamistes, offert aux partis religieux leur intégration au régime et une place privilégiée au point que ces derniers jours, c’est un dirigeant d’un parti religieux qui a été élu président de l’Assemblée nationale populaire. Il est vrai qu’il avait été un des seuls à se montrer lors de la manifestation du 22 février alors que les imams, dans les mosquées, eux, appelaient à ne pas y participer.

C’est ainsi également que Bouteflika a tenu à faire construire à Alger la plus grande mosquée d’Afrique, un marché offert par l’État algérien, soit dit en passant, à une entreprise chinoise. Une expression parmi d’autres de l’insertion de l’Algérie dans la nouvelle configuration internationale bouleversée par la mondialisation capitaliste, l’effondrement de l’URSS et le règne des multinationales.

Les travailleurs algériens face à la dictature du capital mondialisé

Bouteflika avait fait sa carrière en soutenant le coup d’état militaire de Boumediène en 1965, en avait été un des ministres jusqu’à sa mort, écarté ensuite du pouvoir par les militaires et rappelé en 1999, année de son premier quinquennat. Il s’est réclamé de Boumediène et de sa réputation anti-impérialiste pour libéraliser l’économie à tout va. Cette offensive que les États et les bourgeoisies ont menée dans tous les pays à partir des années 1980, s’est accélérée en Algérie ces vingt dernières années. L’État, comme partout, y a joué un rôle prépondérant pour mettre à l’encan auprès des hommes d’affaires locaux ou des multinationales, toutes les richesses du pays.

Les biens de l’État furent vendus pour une bouchée de pain, de somptueuses villas acquises par les dignitaires du régime, les services publics commencèrent à être démantelés, privatisés, des contrats furent signés avec des compagnies étrangères avec de mirobolantes commissions à la clé -mais de l’ordre de la moyenne internationale de 10 %- pour les hommes politiques qui avaient conclu le marché. Des partenariats entre l’État algérien et des multinationales de l’automobile, Renault, Hyundai, Volkswagen, furent conclus pour accéder au marché algérien par le biais d’usines d’assemblages. La plupart des affaires de corruption au nom desquelles ont été arrêtées ces dernières semaines, des personnalités « éminentes » du régime, hommes politiques et affairistes algériens, ont trait à cette dilapidation des biens publics. Les concessions pétrolières et gazières ont fait aussi l’objet de fructueuses transactions depuis qu’a été adoptée en 2005 une nouvelle loi sur les hydrocarbures permettant aux compagnies pétrolières étrangères de récupérer 70 à 80 % de la production (contre 49 % maximum auparavant). Bien sûr, là aussi, avec commissions à l’appui et enrichissement faramineux du « Monsieur Pétrole » de Bouteflika, Chakib Khalil, maître d’œuvre de cette loi et ministre de l’énergie et des mines, de 1999 à 2010. Impliqué dans 1600 contrats douteux, mis en examen à plusieurs reprises par la justice algérienne, cité par Wikileaks, il vit actuellement aux États-Unis.

Pour résumer, un véritable El Dorado non seulement pour les oligarques, ceux liés étroitement au régime comme Haddad et le FCE qu’il dirige, l’équivalent du Medef, ou plus indépendants comme Rebrab, patron du trust agro-alimentaire Cévital, mais aussi pour toute une petite bourgeoisie financière, affairiste, une clientèle du régime, sous surveillance, qui a créé des chaînes de télévision privées, des cliniques privées, et qui a la possibilité de fréquenter elle aussi plages et restaurants de l’oligarchie, au Club des Pins.

Bouteflika a accéléré la libéralisation de l’économie en même temps que l’Algérie est devenue, à partir de 2001, le pilier de la guerre contre le terrorisme en Afrique sous la houlette de la coalition internationale.

Un processus révolutionnaire dans la durée

Le soulèvement de la population en Algérie, comme au Soudan, s’inscrit, comme le dit Gilbert Achkar, dans un « processus révolutionnaire de longue durée » dont l’explosion de 2011, ce qu’on a appelé le printemps arabe, était une première phase. En 2011, en Algérie, des émeutes avaient éclaté suite à la hausse des prix de l’huile et du sucre, mais L’État avait pu rapidement intervenir pour désamorcer la colère en subventionnant ces produits.

Depuis, les cours du pétrole se sont effondrés, les protestations, les grèves qui avaient commencé au début des années 2000 dans tous les secteurs attaqués, dans des quartiers, des villes, se sont multipliées. Mais les jeunes et les travailleurs hésitaient à se lancer dans un affrontement global à cause de la répression, du souvenir des années noires, de la chape de plomb de la dictature.

Le 5ème mandat auquel prétendait le clan Bouteflika a été le déclencheur du mouvement, démarré peu après l’annonce de sa candidature par quelques dizaines de jeunes qui ont manifesté le 13 février à Bordj-Bou-Arreridj, à 250 kilomètres d’Alger. Les images de la manifestation sont devenues virales sur les réseaux sociaux. Le 16 février, une marée humaine est descendue dans les rues de Kherrata, une ville de 35 000 habitants en Kabylie dont les images ont provoqué elles aussi un électrochoc dans tout le pays. Le 22 février, tout le pays était mobilisé. La population n’a pas supporté cette nouvelle humiliation, la « hogra » comme disent les Algériens, le mépris, la honte de se voir imposer comme chef de l’État un cadavre. Elle s’est engouffrée en masse dans les manifestations.

Six mois auparavant, aucune voix discordante ne se faisait entendre parmi la classe dirigeante, partis d’opposition compris. Bouteflika était devenu le paravent derrière lequel la clique dirigeante et les hommes d’affaires qui lui sont liés pouvaient se livrer à tous leurs trafics. Cette clique dirigeante et les différents clans au pouvoir, comme les dirigeants des grandes puissances craignaient que poser la question de la succession de Bouteflika n’entraîne une crise politique créant une brèche à travers laquelle la population algérienne pourrait s’engouffrer pour dénoncer sa propre situation, ses conditions de vie misérables, vie chère, chômage, bas salaires, aucun avenir dans le pays pour les jeunes alors que 50 % de la population a moins de 30 ans, mensonges et censure du régime permanents.

La population ne s’en laisse pas compter, elle veut la fin des oligarques, la fin de la misère, de la vie chère, du chômage, de la précarité, des morts en Méditerranée. 30 % des jeunes sont au chômage, le salaire minimum équivaut à 134 euros, bien insuffisant pour même survivre, et la dépréciation de la monnaie, l’inflation, entraîne une hausse des prix incontrôlée.

Aujourd’hui, le mouvement est face à une nouvelle étape. Le pouvoir est entre les mains des militaires et du chef d’état major de l’armée Ahmed Gaïd Salah. Le cercle présidentiel, autour du frère de Bouteflika, Saïd, comme l’ancienne direction des services secrets, le DRS, sont provisoirement hors course, sous le coup d’interpellations et de mises en examen judiciaires. Règlements de comptes entre rivaux au nom de la lutte contre la corruption, volonté de faire croire à la population que les injustices vont cesser ? Sans doute les deux à la fois mais le mouvement populaire a rejeté, les unes après les autres, toutes les tentatives du pouvoir de donner le change.

Le pouvoir, l’armée, n’hésiteront pas à user de la répression dès qu’ils le pourront. On a déjà vu les barrages policiers aux abords d’Alger, l’interdiction du drapeau berbère et l’arrestation de ceux qui le portaient, l’arrestation de militants reconnus comme Lakhdar Bouregaâ ou Louisa Hanoune, de violents matraquages aux marges des grandes manifestations.

La bourgeoisie, les hommes d’affaires, la petite bourgeoisie financière, comme les États des grandes puissances et les institutions financières voudraient une transition qui débouche sur une libéralisation complète du régime, casser les monopoles des privilèges, pouvoir faire librement ses affaires, en finir avec les aspects « sociaux » du régime, la Fonction publique, les services publics de l’enseignement et de la santé, les subventions de l’État aux produits de première nécessité.

Une majorité de la population, les travailleurs, la jeunesse étudiante pauvre, une petite bourgeoisie intellectuelle qui ne s’est pas pliée au régime aspirent à une Algérie libre, démocratique, où un bien-être permis par les richesses du pays et les progrès technologiques mondiaux serait possible pour toutes et tous.

L’organisation de la classe ouvrière en question, un parti pour une politique indépendante des travailleurs

Le slogan « Système dégage » est radical mais les solutions envisagées, une transition vers la « démocratie », sans contenu de classe, sans que les travailleurs, la population prennent le contrôle de la production et de la distribution des richesses, le pouvoir, sont illusoires. Car le système, c’est un enchevêtrement d’intérêts, de corruption, de privilèges, un réseau qui enserre toute la société et dont les bénéficiaires les moins importants sont tenus, par une menace policière permanente, de ne rien faire qui puisse porter atteinte à l’ordre établi. C’est la mise en coupe réglée des richesses du pays et en particulier de la rente pétrolière et gazière par les hommes d’affaires et les multinationales qui s’enrichissent grâce à leurs liens avec le pouvoir. Ce sont les liens entre la bourgeoisie algérienne et les classes dirigeantes du monde entier.

Le bien-être ne sera pas un droit pour tous -et non un privilège- sans que les travailleurs conquièrent la démocratie, c’est-à-dire le droit de décider et de contrôler la société, instaurent un pouvoir révolutionnaire. En Algérie comme ici et partout dans le monde.

Une partie du mouvement milite pour la mise en place d’une assemblée constituante préparée par des comités de travailleurs, de jeunes sur leurs lieux de travail et d’études, dans les quartiers. Il est indispensable, dans cette bataille, d’avancer des éléments programmatiques tels que l’expropriation des multinationales étrangères et des affairistes, oligarques, algériens, la prise en main de ces secteurs économiques mais aussi du budget de l’État par les travailleurs et la population elle-même. De façon à ce que chacune et chacun aient un emploi rémunéré décemment, que les licenciements soient interdits, que le droit au logement, à la santé, à l’éducation soit effectif pour toutes et tous.

Les bouleversements qui ont reconfiguré les rapports entre les classes et les rapports internationaux depuis 30 ans font de ce combat un combat international contre le capital financiarisé mondialisé. Après les révolutions du printemps arabe il y a 10 ans, le soulèvement du peuple algérien, celui aussi du peuple soudanais sont différentes étapes d’un même mouvement à travers lequel se construit la prise de conscience de la nécessité d’en finir avec le règne du capital. Cette prise de conscience ne peut se proclamer, elle naît à travers la lutte par l’intervention de la fraction des travailleur.e.s et des intellectuels les plus lucides. C’est l’intervention des masses de travailleurs, d’exploités, de jeunes sans avenir, femmes et hommes, qui a réussi cet exploit, faire vaciller le pouvoir. Outre les grandes marches du vendredi, ce sont d’innombrables combats locaux où les travailleurs réclament ici la destitution d’un directeur corrompu et brutal, là la « permanentisation » de salariés précaires, c’est l’irruption des femmes dans les rues et l’audace des féministes qui ont osé tenir un point fixe dans les manifestations du vendredi et y exhiber leur banderole : « Il n’y a pas d’Algérie libre et démocratique sans les droits des femmes ». A travers ces initiatives, les travailleurs, les exploités, les opprimés, mettent en œuvre une véritable démocratie qui a besoin d’une perspective générale, celle d’une république démocratique, révolutionnaire et internationaliste en Algérie qui s’adresse à l’ensemble des travailleurs du Maghreb et de l’Europe, du monde entier.

La démocratie est incompatible avec l’économie de marché et la domination capitaliste qui se déploient contre les populations à l’ombre des dictatures et des armées. Elle ne peut prendre corps qu’à travers un processus révolutionnaire dont le soulèvement du peuple algérien porte l’avenir. Il représente un immense espoir pour tous les exploités et les opprimés, un encouragement aussi à engager la bataille pour rassembler toutes celles et ceux qui sont révoltés, ici, par la haine déversée contre les Algériens, supporters ou pas de foot, contre les immigrés et les migrants en général. Celles et ceux qui comprennent le piège de la division et veulent prendre leur place dans le processus révolutionnaire qui commence pour construire un monde débarrassé des séquelles du colonialisme comme de la gabegie et des souffrances de l’oppression capitaliste.

Galia Trépère

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