Ce 52ème congrès de la CGT qui vient de se terminer n’a pas passionné les travailleurs, ni même les militants. Les nouvelles règles de désignation des délégués, comme la double validation par les fédérations et les Unions Départementales, illustrent la volonté d’une discussion bien plus centrée sur les intérêts de l’appareil que sur ceux de l’ensemble de la classe ouvrière.

Mais malgré les filtres bureaucratiques, le mécontentement s’est fait entendre, en particulier sur le mutisme de la direction devant le mouvement des Gilets Jaunes. D’autant que depuis des mois, bien des militants syndicaux, politiques, du mouvement social se sont retrouvés au coude à coude sur les ronds-points ou dans les manifestations du samedi, cherchant à construire cette convergence par en bas de la contestation face à Macron et à son gouvernement.

Depuis le début du mouvement, la direction confédérale se refuse à formuler une politique pour les luttes, en direction et aux côtés des Gilets Jaunes, sur un terrain de classe. Dialogue social oblige, elle a même signé le 6 décembre un communiqué intersyndical disant : « Le dialogue et l'écoute doivent retrouver leur place dans notre pays. C'est pourquoi nos organisations dénoncent toutes formes de violence dans l'expression des revendications »… Ce qui provoqua un tel tollé que la direction dû faire machine arrière et annoncer qu’elle ne participerait pas au Grand Débat de Macron.

Condamnant le mouvement, ou l’ignorant le plus souvent, Martinez a dû changer de discours à l’approche du congrès, appelant même à « agir ensemble, gilets jaunes et gilets rouges »… après 6 mois de mobilisations ! Mais sur le fond, pas question de changer de politique. « Les Gilets Jaunes sont le reflet de tous les déserts syndicaux de la CGT », explique en boucle Martinez pour recentrer le débat sur la « syndicalisation » et le fonctionnement interne de la CGT.

Une orientation pour défendre ses intérêts d’appareil

Il faut dire que la situation de l’appareil et son bilan ne sont pas au beau fixe. Côté syndicalisation, l’érosion des effectifs a repris. Entre 2015 et 2017, la CGT a perdu 35 000 adhérents, pour revenir à son niveau de 2007. Mais surtout, elle a dû céder, fin 2018, sa première place d’organisation syndicale aux élections professionnelles (secteurs privé et public confondus) à la CFDT.

Un vrai problème pour la confédération, excessivement préoccupée de sa place dans le jeu du « dialogue social ». Derrière, ce sont des moyens, des financements, des postes de permanents, etc. En 2017, pour le seul budget confédéral, les cotisations comptaient pour 29 % des recettes, et les « subventions et contributions » pour 62 %.

Pas étonnant dans cette situation que Martinez déclare en fin de congrès : « J'ai confiance en nous, dans nos syndiqués, pour nous déployer en vue des nombreuses élections dans les entreprises (...) pour que nous regagnions notre première place ». L’appareil est bien plus préoccupé de son avenir que de l’offensive à laquelle est confrontée la classe ouvrière.

Les textes d’orientation reflètent cette même réalité. Ils sont loin des préoccupations des travailleurs, des militants et surtout de la lutte de classe.

La direction parle « du travail » qu’il faut transformer ou du « développement humain durable », sans discuter des classes sociales, des travailleurs, des capitalistes et du rapport de force réel. La seule perspective avancée face à l’offensive tout azimut de la bourgeoisie, est ce fameux « nouveau statut du travail salarié », dont pas un militant ne discute autour de lui. Comme si le pouvoir ou les patrons allaient accepter de négocier cette « proposition », à l’heure où le gouvernement s’en prend aux retraites, au chômage, à la moindre protection existant encore pour les salariés face à l’exploitation.

La contestation s’invite dans le congrès

Lors du débat sur le bilan d’activité, les critiques se sont exprimées contre la passivité de la direction sur le mouvement des Gilets Jaunes. Des militants ont appelé à ne pas laisser les Gilets Jaunes « seuls dans la bataille » et à « transporter cette énergie collective au sein des entreprises et administrations ». Une militante de la santé a souligné que la grève actuelle des urgences vient des Gilets Jaunes, en rajoutant « ils ont raison, et ça interroge notre organisation, ce surgissement d’en bas, spontané ».

Il y a eu aussi contestation de la politique de « dialogue social », notamment de la participation aux séances de concertations de Delevoye ouvertes depuis plus d’un an, et qui ne servent qu’à préparer les attaques de Macron sur les retraites.

Le bilan d’activité n’a été approuvé qu’à 71 % des suffrages exprimés, sans tenir compte des 15 % d’abstention. Soit un score à peine plus élevé qu’au dernier congrès, en pleine crise de l’affaire Lepaon, et bien inférieur à 2013, où la majorité recueillait plus de 87 % des voix.

D’autres oppositions se sont exprimées lors du congrès, parfois sur des questions bien plus internes au sein de l’appareil, mais qui traduisent là encore une réelle méfiance vis-à-vis de la direction.

Celle-ci a ainsi été mise en minorité sur la question de la FSM, que la CGT a quittée en 1995 pour rejoindre la CES. Là encore, une préoccupation bien éloignée des travailleurs, entre une CES bien intégrée aux institutions européennes et prochainement dirigée par Berger et une FSM, issue des PC staliniens, et dans laquelle on trouve des syndicats inféodés à des régimes comme la Corée du Nord.

Ces débats internes traduisent toute la confusion ambiante et en particulier, la fausse réponse du souverainisme et du retour aux frontières nationales, face au libéralisme et à la politique d’accompagnement de la CES.

Le vrai débat est ailleurs, sur le terrain de l’indépendance de classe, face à la bourgeoisie et à son Etat et ses institutions, au niveau national comme européen. La perspective, c’est de redonner vie à un syndicalisme révolutionnaire et internationaliste, qui ose contester le droit des actionnaires, du patronat et de l’Etat à leur service, pour défendre les intérêts généraux des travailleurs, de la jeunesse, de l’immense majorité.

Tirer ensemble, au-delà des appareils, les leçons du mouvement

Cet affrontement indispensable est à l’opposé de la politique des directions syndicales, bien trop respectueuses des institutions. Martinez le dit lui-même : « Vouloir changer la société, c’est bien vouloir réformer ! Et, comme nous n’avons pas vocation à prendre le pouvoir, c’est par le biais de réformes sociales qu’on alimente le changement de société ! ».

Pour justifier la passivité de la confédération face à la régression sociale en cours, il renvoie la responsabilité aux militants, aux travailleurs, en déclarant : « on peut crier haut et fort grève générale, mais posons-nous d'abord et surtout la question de l'absence dans les actions professionnelles ou interprofessionnelles d'une partie importante de nos syndiqués, et si les syndiqués sont absents, quid des salariés ? »… Façon encore une fois d’esquiver le vrai débat de comment construire l’affrontement.

Il y a besoin aujourd’hui de nous regrouper, de discuter cette question justement, non seulement entre militants syndicalistes lutte de classe, mais avec l’ensemble des travailleurs. Oui le recul est bien là, mais il est le fruit de bien des adaptations avec lesquelles il est urgent de rompre aujourd’hui.

Bien sûr le minimum serait de fixer des dates, un calendrier, de défendre la perspective d’un affrontement avec le patronat et l’État, de la « grève générale », mais ces perspectives doivent partir des luttes existantes, s’appuyer sur les possibilités réelles comme il aurait fallu s’appuyer sur les possibilités ouvertes par les Gilets jaunes.

Oui, certes, la « convergence des luttes » n’est pas une formule toute faite qui réglerait comme par magie tous les problèmes liés aux reculs qu’a subis la classe ouvrière depuis des années. Mais faut-il encore discuter clairement des raisons de ce recul, le syndicalisme d’accompagnement ou de proposition que Martinez vient encore de défendre au congrès, la recherche du « dialogue social ».

Les six derniers mois ont profondément modifié la donne grâce à l’apport des Gilets Jaunes en disqualifiant bien des pratiques et routines d’appareil. La démocratie, le respect des désaccords, les AG, le refus de se prêter au jeu des « discussions » dans les salons ministériels, si cher aux directions syndicales, le refus des directions autoproclamées, des mots d’ordre tout faits, la volonté de prendre en main et de contrôler la mobilisation deviennent des règles auxquelles chacun doit se conformer. La prise en compte de la dimension politique de toute lutte rompt avec les logiques d’appareil pour indiquer le chemin pour œuvrer concrètement à la convergence, s’inscrire dans un combat d’ensemble.

La grève, la lutte ne sont pas une simple affaire syndicale mais bien l’affaire de l’ensemble des travailleuses et des travailleurs…

Laurent Delage

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