La veille des manifestations du 1er mai, la préfecture de police de Paris avait annoncé dans un communiqué : « Des militants de groupes contestataires issus de mouvances extrémistes entendent, à l’occasion de la manifestation traditionnelle du 1er mai, s’en prendre violemment aux forces de l’ordre ainsi qu’aux symboles du capitalisme ». Le cadre était posé.

Le scénario s’est déroulé comme prévu ainsi que s’en est vanté le préfet de police. La police a laissé les « autonomes » ou « Black blocs » se livrer à leur violence pour ensuite se déployer frontalement contre la manifestation, l’obligeant à reculer, à repasser le pont de la gare d’Austerlitz sous les bombes lacrymo.

Le préfet a ainsi créé un état de fait qui a alimenté largement les commentaires des médias, de la droite la main dans la main avec l’extrême-droite, nouvel épisode de la campagne réactionnaire qu’a commanditée Macron contre la grève des cheminots et le mouvement de contestation de la jeunesse, une campagne contre l’ensemble du monde du travail.

Un résumé de la politique de Macron, créer le désordre et en accuser les autres pour tenter de s’imposer. Des surenchères qui, au final, le discrédite d’autant qu’il en rajoute en annulant, par exemple, une taxe sur les grands patrons, l’Exit tax, une taxe bien symbolique pourtant mais un nouveau cadeau démonstratif du président des riches.

Tous ces gens-là aux ordres des possédants n’ont pas de mots assez violents pour dénoncer le vandalisme des Blacks blocs, quelques centaines de milliers d’euros, alors qu’ils passent leur temps à justifier la violence quotidienne de cette société où licenciements, chômage, pauvreté brisent des millions d’êtres humains.

En disant cela nous ne sommes pas complotistes ni n’accusons la préfecture d’avoir manipulé les Blacks blocks ni ne reprenons les propos de Mélenchon disant que c’est l’extrême-droite. La préfecture n’avait nul besoin de manipuler, même si elle ne se prive pas d’infiltrer les dits Blacks blocs, il lui suffisait de les utiliser, les laisser faire pour ensuite affronter la manif, l’obliger à reculer, la faire exploser et lui imposer un autre itinéraire. Démontrer que l’État était maître tout en donnant du grain à moudre aux médias empressés.

Cela pose à l’ensemble du mouvement un problème politique d’importance.

La police relayée par les médias a souligné la répartition des manifestants en deux cortèges : 20 000 personnes dans le défilé syndical, et 14 500 personnes dans ce que l’on appelle le cortège de tête au sein duquel se sont regroupés puis organisés les « autonomes ». Ces derniers ont une tactique bien rodée de parasiter le cortège de tête et de s’y imposer physiquement en imposant leur rythme et leurs objectifs à la manif au mépris total de l’ensemble des manifestants qui les laissent mener une politique de fait contraire aux intérêts des luttes. Qu’une fraction des jeunes engagés dans la mobilisation soit solidaire voire suive, que la violence sociale et d’État fournisse le terreau de cette violence qui se retourne contre les manifestants, se comprend et demande une réponse politique mais ne la rend pas légitime, du moins du point de vue de la lutte collective du mouvement ouvrier qui est le nôtre.

La police a toute latitude d’utiliser cette situation comme bon lui semble, en particulier pour organiser une provocation contre l’ensemble des manifestants.

Cela pose la question de se donner les moyens de contrôler, de diriger nos propres manifestations, d’avoir une politique vis à vis de l’ensemble des travailleurs, c’est à dire construire notre lutte dans tous ses aspects.

Le nombre croissant de manifestants qui ne se retrouvent plus avec le cortège syndical traditionnel, si on peut dire, participe d’une rupture avec la politique de compromis et de concertation sans que pour autant cette large frange militante soit en mesure de diriger réellement, de s’organiser en prenant en main l’ensemble des problèmes inhérents à la grève, à la lutte alors que les appareils soit désertent soit sont dépassés.

Quelle politique, comment nous coordonner, converger, rassembler au lieu de diviser pour préparer l’affrontement avec le gouvernement et le patronat ? Cette question mûrit depuis le printemps 2016, elle est au cœur du mouvement actuel, en particulier de la grève des cheminots.

La grève des cheminots, la convergence devant le piège du dialogue social

Au-delà des provocations policières parisiennes, ce Premier mai donne un instantané des contradictions qui traversent les mobilisations actuelles que l’on peut résumer dans le décalage croissant entre la politique des directions syndicales et le mécontentement profond dans le monde du travail et la jeunesse. Un décalage qui devient une rupture et s’exprime au sein même des organisations à travers les discussions, la recherche de modes d’action, de coordination parmi les plus militants.

Ce décalage se révèle d’autant que la combativité, la révolte sont au rendez-vous. Les manifestations du 1er mai témoignent de la vitalité du mouvement, la grève se poursuit chez les cheminots, à Air France, aux impôts, parmi la jeunesse aussi.

En refusant l’invitation de la CGT à organiser un Premier mai unitaire, les différentes confédérations avaient fait un geste clair. Elles ne voulaient pas non seulement d’unité syndicale mais de la convergence des luttes. Laurent Berger s’est clairement démarqué de la CGT et de son dirigeant, affirmant que « ce n’est pas Philippe Martinez qui donne le la du mouvement social aujourd’hui [...] Nous ne sommes pas dans la convergence des luttes. C'est pas notre conception du syndicalisme ».

Leurs intérêts d’appareil passent avant les intérêts collectifs des travailleurs, cela est vrai y compris pour la CGT. L’intersyndicale des cheminots s’est ainsi félicitée du rendez-vous qui lui a été fixé par Edouard Philippe pour le 7 mai. Ce serait le signe d'une « reprise en main » par le Premier ministre du dossier comme s’il l’avait lâché un instant en laissant la ministre des transports discuter avec les syndicats. Et surtout comme si le Premier ministre avait indiqué la moindre évolution de sa position. Non seulement il n’a nullement l’intention de désavouer sa ministre des Transports qui garde les prérogatives de la négociation mais il a dit et redit qu’il n’était pas question de revenir sur la loi adoptée en première lecture, le 17 avril, par le Parlement à une très forte majorité.

« On espère que le gouvernement va enfin changer de méthode », a déclaré Eric Meyer, de SUD-Rail. « Si le gouvernement n'entend pas la mobilisation au bout de douze jours de grève, alors il faudra élever le niveau », rajoute la CGT-Cheminots et les syndicats se disent prêts à appeler dès le 14 à une « journée sans trains » après qu’a été envisagé de prolonger le mouvement en juillet et août !

D’un côté, on laisse miroiter un illusoire changement de méthode et de l’autre on prétend vouloir durcir le ton sans réellement passer aux actes, mettre en discussion dans les AG la grève reconductible pour obtenir le retrait de la loi.

Ce double langage syndical désarme les cheminots et l’ensemble des travailleurs en particulier celles et ceux qui ont pris au sérieux le mot d’ordre de convergence des luttes de la journée du 19 avril.

Les directions syndicales sont prises entre d’un côté leur volonté de ne pas rompre avec le gouvernement, de poursuivre avec lui le dialogue social et de l’autre le mécontentement, la combativité des cheminots que la grève « perlée » n’a pas réussi à désarmer.

De nombreux militants s’interrogent, cherchent des réponses, une issue. Le mécontentement du monde du travail, l’envie d’en découdre de bien des militants trouvent les moyens de s’exprimer malgré l’étouffoir des appareils. Même le congrès de FO n’y a pas échappé. Le rapport d’activité, le bilan de Mailly, a été validé de justesse, à 50,54 % des voix, un véritable camouflet. La résolution générale affirme le soutien du congrès à toutes les mobilisations en cours et en particulier à celle des cheminots et « exige le retrait du projet de loi, le maintien du statut particulier des cheminots ainsi que le maintien du service public ferroviaire ». Il est aussi précisé que « la perspective d’une mobilisation interprofessionnelle est aujourd’hui nécessaire, y compris par la grève », le tout « en lien avec toutes les confédérations syndicales ».

Jean-Claude Mailly a tweeté au moment du discours de son successeur : « Je suis redevenu libre ! Discours du nouveau secrétaire de FO : hypocrisie et duplicité. Respect aux militants réformistes ». Une hypocrisie apparemment partagée et qui n’empêche pas un franc cynisme !

Mais il est vrai que ce ne sont pas les discours de congrès ou de façade qui font des appareils syndicaux les instruments des luttes des travailleurs tant qu’ils ne rompent pas avec la collaboration de classe et que les travailleurs ne les prennent pas eux-mêmes en main.

Un programme pour le dialogue social et les négociations ou pour les droits des travailleurs, leurs luttes ?

Interviewé dans Libération le 30 avril, Martinez disait : « Certains veulent faire croire qu’on ne fait pas de propositions. Or on est le seul syndicat à avoir remis un projet pour la SNCF au Premier ministre. Ou encore pour l’avenir de l’énergie, pour Paris Aéroport, pour la cristallerie de Baccarat. C’est un procès très mal intentionné. Certains veulent considérer qu’il y a, d’un côté, les râleurs et, de l’autre, les réformistes. Ce n’est pas aussi binaire ! ». Il tient à rappeler que la CGT entend bien, elle aussi, mener un syndicalisme de proposition en regrettant, dans la même interview, que le dialogue social ne soit plus qu’une « concertation ».

Les directions syndicales adaptent en fait leurs exigences et leur stratégie au cadre du dialogue social défini par le gouvernement et le patronat. En se félicitant du rendez-vous du 7 mai avec le Premier ministre, elles acceptent de fait la loi que ce dernier a fait voter et, en conséquence, de discuter autour et alentours en ayant capitulé sur le fond.

Le cadre de la loi accepté, de fait, la question de la reprise de la dette de la SNCF par l’État va devenir un des points de discussion. La demande de la reprise par l’État de cette dette n’est nullement une exigence des travailleurs. Philippe l’a déjà retournée contre eux en disant, dans la lettre qu’il a adressée aux syndicats, que cela « demandera un effort supplémentaire des contribuables ».

L’exigence des travailleurs est l’arrêt des politiques d’austérité et de privatisation, et en conséquence, l’annulation de la dette que l’État, les entreprises publiques payent aux classes possédantes.

Il ne peut y avoir de réels services publics sans annulation de cette dette et création d’un monopole bancaire sous le contrôle des travailleurs et de la population qui permettent que leur financement ne soit pas une rente pour le capital privé et les banques.

Les cheminots ont raison de défendre leur statut, il devrait être étendu à l’ensemble des personnels qui travaillent pour la SNCF, il n’est pas un privilège.

La défense du statut, comme celle des salaires n’est pas une simple bataille économique, syndicale. On le voit bien, elle pose un problème global, quelle politique au service de quelle classe ? Soit une aggravation de la situation antérieure, la fuite en avant dans la privatisation et la concurrence pour le profit des possédants soit la défense des droits des travailleurs, de leurs intérêts et ceux de toute la population, de la collectivité. Le choix, c’est les intérêts privés d’une minorité ou les intérêts de la collectivité.

Ce choix, les travailleurs n’ont pas à craindre de le poser devant l’ensemble de la population en mettant en accusation non seulement Macron mais tous les gouvernements et partis institutionnels qui ont contribué au désastre, la société capitaliste et ses institutions.

Ce n’est aussi que de cette façon que pourra se construire la convergence des luttes, l’unité du monde du travail et de la jeunesse, que les mécontentements et les différentes revendications pourront trouver un cadre commun qui les unisse et les rassemble.

Pour un front de classe des travailleurs et de la jeunesse

Cela implique de considérer la lutte des cheminots, la bataille pour la convergence non comme une simple bataille de dates, de timing mais comme une bataille politique pour que les cheminots, les travailleurs tirent les leçons des premières semaines de grève pour rompre avec le dialogue social en formulant très clairement leurs exigences en en assumant les conséquences. Il est indispensable de changer radicalement de politique, c’est à dire de préparer l’affrontement avec le pouvoir et le patronat, préparer la grève générale non pas comme une journée où on fait tous grève ensemble le même jour à la même heure mais comme une bataille politique qui vise au rassemblement de l’ensemble des travailleurs contre le chômage, pour les salaires, contre les privatisations et pour l’annulation de la dette, contre la mainmise des banques sur l’économie.

Ce n’est pas le flou des appels à lutter « en faveur du progrès social, de la démocratie, de la paix et de la solidarité internationale » ou pour une « une alternative politique vraiment à gauche » ou encore « pour une France de l’égalité, de la justice sociale et de la solidarité » comme le disaient les tracts unitaires d’appel au Premier mai de la gauche qui pourra convaincre d’envisager sérieusement de s’engager dans la bataille. Cette gauche qui soutient la politique des directions syndicales au nom du soutien à la grève tout en cherchant à canaliser le mécontentement sur un terrain institutionnel n’a guère de capacité à entraîner.

Il n’est pas possible aussi de bluffer les travailleurs sur le fait que la tactique des directions syndicales pourrait permettre de gagner ni sur les enjeux de la lutte. Il ne s’agit pas de négocier quelques concessions mais d’engager la lutte contre la globalité d’une politique soumise aux intérêts des gros actionnaires.

Ainsi que le disait un slogan de 68, nous sommes engagés dans un combat prolongé. Après le printemps 2016, le mouvement contre les ordonnances, le printemps 2018 est une nouvelle étape dans la construction de l’affrontement avec le gouvernement et le patronat. Notre propos n’est pas de dire par avance ce qui va se passer, personne ne le sait, ni ce que les travailleurs arriveront à gagner, jusqu’où ils pourront changer le rapport de force en leur faveur.

Là encore, cette question est politique, le changement de rapport de force ne se mesure pas seulement aux acquis économiques aussi importants soient-il mais aussi et surtout aux acquis politiques, c’est à dire la prise de conscience par les travailleurs et les jeunes que nous sommes engagés dans un combat qui ne peut se terminer par un bon compromis.

Nous ne savons pas les rythmes que cela prendra ni les formes ni le temps mais nous savons que cette bataille nécessite une tactique et une stratégie qui combinent la lutte économique et la lutte politique qui se fécondent l’une et l’autre comme différents moments de la lutte de classe, qui convergent vers la grève de masse.

Mener cette lutte nécessite un instrument, un parti, un front qui regroupe tous les militants qui veulent préparer cet affrontement sans craindre de poser la question du pouvoir. Militants syndicalistes, militants politiques, il n’y pas de différence quand on a compris qu’au stade actuel du développement du capitalisme, les exigences vitales pour la classe ouvrière conduisent à remettre en cause le pouvoir des multinationales, du patronat et des banques.

Les bases de ce front, ce sont les luttes d’aujourd’hui pour unir et rassembler sur les bases d’une politique de classe, démocratique et révolutionnaire.

Les travailleurs et la fraction de la jeunesse qui ont compris que cette société du fric ne leur offrait aucun avenir ont besoin de se donner une organisation qui leur permette de prendre collectivement leur sort en main, pour construire leur avenir, une autre société libérée de l’exploitation et du pouvoir des riches, démocratique, solidaire, sans frontière.

Yvan Lemaitre

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