L’ampleur inédite prise par la crise écologique, notamment par la crise climatique, rend nécessaire d’intégrer cette question au débat stratégique sur la perspective d'une transformation révolutionnaire de la société. L'urgence de la question que soulignent, année après année, les rapports de plus en plus alarmants des milieux scientifiques, comme les conséquences dramatiques déjà largement visibles à travers le monde, peuvent même conduire à penser qu'il faut en faire non seulement une question centrale mais la priorité et l’urgence absolue.
En réalité, la vraie discussion est celle des réponses à apporter ou, plus précisément de savoir quelles transformations sont nécessaires pour que l’humanité soit à même de répondre à cette question dont l’urgence ne fait aucun doute. Cela signifie discuter de comment nous analysons les causes de cette crise, comment elle s’intègre à notre critique du capitalisme et quelles réponses nous pouvons mettre en avant du point de vue de la lutte des classes, en toute solidarité mais surtout en toute indépendance des différents courants de l’écologie politique.
Ainsi, dans le cadre du Congrès de la IVème internationale, deux textes sur la crise écologique étaient en débat, tous les deux se revendiquant de la démarche écosocialiste et posant le problème de cette articulation entre la critique du capitalisme et les luttes écologiques.
Intégrer les apports de l'écologie à notre programme socialiste ne veut pas dire lui ajouter un préfixe « éco » comme s'il s'agissait de faire la synthèse de deux critiques différentes, indépendantes : la critique sociale, de classe du capitalisme et une critique écologique plus générale, au-dessus des classes…
La catastrophe écologique actuelle est une des conséquences de la crise globale du capitalisme à l’heure de la mondialisation. Nous devons en chercher les causes profondes dans les contradictions même du fonctionnement du système capitalisme. La critique du capitalisme ne peut se réduire à une dénonciation du productivisme, de la société de consommation, de la croissance économique car les responsabilités du capitalisme sont bien plus profondes, bien plus fondamentales que celles pointées par cette critique d’un productivisme abstrait et sans contenu de classe faite par l’écologie politique. Le capitalisme est fondamentalement incapable d’organiser de façon rationnelle, responsable, égalitaire et démocratique la production de biens utiles aux hommes à l’échelle de la planète. Cette incapacité est liée à la nature même du mode de production capitaliste fondé sur la propriété privée des moyens de production, dans le cadre d’une économie de marché, dont le moteur est la course au profit le plus immédiat et qui entraîne la mise en concurrence des peuples et des travailleurs comme le pillage de l’environnement. C’est sur le terrain de la lutte des classes que la critique marxiste du capitalisme permet de lier la question écologique et la question sociale dans une même lutte contre la domination de toute l’économie mondiale par une poignée de multinationales, contre la domination de la bourgeoisie. Face à la responsabilité du capitalisme, comme face à son incapacité à y faire face, l’urgence de la crise écologique c’est d’abord l’urgence de l’affirmation d’une perspective de transformation révolutionnaire de la société comme seule issue possible, en combattant pour cela tous les raisonnements qui voudraient faire oublier la lutte des classes au nom d’une lutte éthique, universelle pour la défense de l’environnement… Or c’est bien une ambiguïté contenue dans la démarche des camarades écosocialistes.
Le premier texte « La destruction capitaliste de l’environnement et l’alternative écosocialiste », proposé par la majorité de la Commission écologie de l’Internationale s’inscrit et développe la démarche écosocialiste. S’il affirme bien l’idée qu’il n’y a pas de solution à la crise écologique sans remise en cause du capitalisme, il développe un « programme de transition écologique » et la perspective d’un « gouvernement écosocialiste » qui lui donne un débouché gouvernemental bien loin d’une perspective révolutionnaire. Le deuxième texte, présenté comme alternatif, « Un coup de semonce civilisationnel et une réponse écosocialiste » d’Alan Davies dissocie quant à lui complètement la lutte écologique, dont la priorité absolue ne permettrait pas d’attendre une hypothétique révolution, de la critique du capitalisme pour finir par s’aligner sur le terrain des solutions institutionnelles qui montrent pourtant leurs échecs depuis des décennies.
« Urgence climatique » et ambiguïté de l’écosocialisme
Les arguments d’Alan Davies ne sont pas très originaux, mais ils montrent jusqu'où peut conduire le fait de faire de l'écologie, au nom de l'urgence de la situation, une question à part, au-dessus de la lutte des classes.
Le point de départ de son raisonnement est la question de la responsabilité du capitalisme : « La question qui se pose cependant, et qui reste controversée, n'est pas de savoir si le capitalisme est écologiquement destructeur, mais si la crise environnementale et climatique peut être réduite au rôle du capitalisme - comme cela est souvent implicite dans les textes des marxistes et des environnementalistes socialistes. (…) Il est donc temps d'accepter, aussi inconfortable que ce soit, qu'en dépit de sa capacité destructrice inégalée, le capitalisme n'est pas le seul défi environnemental de la planète. Les humains modernes, "homo sapiens", c'est-à-dire nous-mêmes, ont également joué et continuent, de même, à jouer un rôle destructeur majeur. »
Dire que ce n’est pas le capitalisme qui est responsable de la crise climatique mais d’une façon plus générale « l’homme moderne », « nous », revient à renoncer à chercher dans ses contradictions l’origine de la crise écologique. La critique du capitalisme fait alors place à une critique de la consommation, de la croissance, de la démographie… « Nous ne pouvons pas longtemps éviter la question démographique, c'est-à-dire la croissance de la population, qui est indissociable de la croissance économique puisqu'elle est l'un des principaux moteurs de la croissance économique. »
C’est la porte ouverte à l’alignement sur tous les raisonnements malthusiens, décroissants, qui ne formulent d’autres solutions à la crise écologique que de réduire la croissance, limiter la population. De tels raisonnements réapparaissent à chaque fois qu’au nom de l’écologie, la critique sociale est remplacée par la critique d’une Humanité abstraite, d’un développement économique sans contenu de classe. C’est le même raisonnement qui est défendu par les défenseurs du concept d’Anthropocène, qui désignerait l’époque où l’impact des activités humaines est devenu prépondérant sur l’environnement mais en ignorant totalement la réalité sociale concrète de cette activité humaine, à savoir les rapports de classe qui structurent la société capitaliste.
La conséquence d’un tel raisonnement est que si la crise écologique n’est pas liée au capitalisme, les solutions à cette crise non plus. Elles ne sont donc pas à chercher sur le terrain de la lutte sociale, et encore moins dans la perspective d’une transformation révolutionnaire de la société et du socialisme.
Ainsi Alan Davies l’explique lui-même : « Cela ne signifie cependant pas - ce qui est la logique du texte de la Commission – avec une grande partie de la gauche radicale - que la solution à la crise écologique actuelle est le renversement et le remplacement du capitalisme dans le monde entier dans les deux ou trois prochaines décennies. (…) En effet, alors que la catastrophe écologique est imminente il y a peu d'indices en ce qui concerne la révolution écosocialiste mondiale. En fait, concrètement, si la révolution écosocialiste mondiale, dans les deux ou trois prochaines décennies, est la solution au réchauffement de la planète, alors il n'y a pas de solution au réchauffement de la planète. »
Au nom de l’urgence de la situation, tout doit être subordonné à la recherche de solutions « ici et maintenant », « qui donnent aux gens de l'espoir », ce qui en réalité conduit à quitter le terrain de la lutte anticapitaliste, et même tout simplement de la critique sociale pour s’adapter à toutes les éco-platitudes du moment… et espérer que les grands de ce monde, gouvernements, multinationales, banques mettent en place de bonnes mesures de régulation du capitalisme ! Le texte se termine ainsi en demandant que la IVème internationale reprenne les propositions du type de celles de James Hansen, un universitaire américain de l’Université de Columbia, militant de la cause climatique, qui propose une nouvelle mouture de taxe sur le carbone pour « rendre les combustibles fossiles beaucoup plus coûteux par une méthode socialement juste, économiquement redistributive et capable de susciter un soutien populaire de masse ». Comme si une quelconque mesure fiscale pouvait être capable de réguler le capitalisme vers plus de redistribution et de justice sociale, en clair d’enrayer la folle logique de la course aux profits et des ravages sociaux et environnementaux qu’elle entraîne, sans affrontement de classe avec les multinationales qui mettent l’ensemble de la planète en coupe réglée.
Il n’y a pas de solution au réchauffement de la planète sans changement du mode de production auquel conduit toute l’évolution sociale qui le rend nécessaire et possible. Le raisonnement que tiennent les camarades est symptomatique du piège qu'il y a à faire de la crise climatique un problème à part, dont l'urgence justifierait de ne pas le lier au combat de classe contre le système capitaliste.
Intégrer la question écologique à un programme transitoire
Le texte de la majorité de la Commission écologie réaffirme, lui, clairement le lien entre crise climatique et capitalisme et par conséquent la nécessité d’une « (…) éradication totale et globale du capitalisme en tant que mode de production de l’existence sociale. Cette éradication est en effet la condition sine qua non d’une gestion rationnelle, économe et prudente des échanges de matières entre l’humanité et le reste de la nature. » Dans cette perspective, il met en avant la nécessité d’une socialisation du secteur énergétique, du secteur du crédit, l’abolition de la propriété privée des ressources naturelles…
Mais l’ambiguïté du texte est dans le décalage entre l’affirmation d’une telle perspective révolutionnaire et la difficulté à la traduire comme une orientation politique inscrite dans la lutte des classes.
Comme « Un fossé profond sépare cette alternative objectivement nécessaire des rapports de forces sociaux et des niveaux de conscience actuels », le texte propose un programme de transition écologique car « Ce fossé ne peut être comblé que par les luttes concrètes des exploité-e-s et des opprimé-e-s pour défendre à la fois leurs conditions d’existence et leur environnement. »
Ce programme de transition écologique prend la forme d’une longue série de revendications qui pour le moins ne forment pas un tout homogène. Ces 26 points sont sur des registres très différents parce qu’ils reflètent une multitude de luttes et de revendications existant autour de la question écologique et qui sont menées sur des terrains et par des acteurs très différents.
Certains points comme « réduire collectivement et radicalement le temps de travail sans perte de salaire, avec baisse des cadences de travail et embauche proportionnelle » participent d’une démarche transitoire en faisant le lien entre les questions écologiques et des revendications immédiates du mouvement ouvrier et posent de fait la question de la remise en cause du droit de propriété capitaliste. Ils ancrent ainsi la lutte écologique dans la lutte des salariés. D’autres comme « Mobiliser contre les projets extractivistes ainsi que contre les grands travaux inutiles » sont directement l’expression des revendications apparues dans des mobilisations environnementales dont nous sommes partie prenante, parfois victorieuses comme à Notre Dame des Landes. Mais beaucoup sont sur un autre terrain comme « Désinvestir des énergies fossiles » et s’apparentent plus à des vœux pieux dont ne sait pas vraiment qui devrait les mettre en application… Cette revendication est par exemple partie d’un mouvement d’Universités américaines, d’organisations religieuses et de fondations privées philanthropiques, et est aujourd’hui reprise par de grandes villes comme Londres, San Francisco, Genève, Paris…
Dans le même ordre d’idée, « Respecter les engagements concernant le Fonds vert » semblent s’adresser aux États ou aux grandes conférences internationales qui se succèdent depuis 20 ans, s’agit-il de faire pression sur eux ? D’autres enfin ressemblent plus à une injonction destinée aux consommateurs … « Abolir l’élevage industriel. Réduire fortement la production/consommation de viande » ou « interdire la publicité et recycler, réutiliser, réduire : refuser le modèle consumériste, gaspilleur, énergivore imposé par le capital »
Le problème posé par cette longue liste est qu’on ne sait finalement pas à qui elle s’adresse et il est bien difficile d’y trouver une cohérence politique pour s’en servir comme d’un outil pour renforcer la conscience de classe de ceux qui s’éveillent à la lutte contre le capitalisme à travers la révolte contre les ravages environnementaux. Car ce n’est pas tant un programme de transition qu’une liste hétéroclite rassemblant les revendications des différentes mobilisations existantes sans chercher à leur donner un contenu social. Donner la cohérence nécessaire à toutes ces mobilisations nécessite de formuler une politique de classe, révolutionnaire, indépendante. Nous avons besoin d'un programme transitoire intégrant la question écologique, c'est-à-dire partant de revendications concrètes, formulées du point de vue de la classe ouvrière, pour montrer que leur résolution implique une remise en cause de la propriété privée bourgeoise et de ce qu'elle entraîne, les lois du marché, la course aux profits, la mise en concurrence, l'impossibilité de toute organisation rationnelle de l'économie du point de vue des peuples et de l'environnement.
Affirmer une politique indépendante pour la classe ouvrière
La théorisation de la participation aux luttes concrètes écologiques sans chercher à leur donner un contenu de classe, se traduit finalement dans la deuxième partie du texte, par la recherche d’autres acteurs que la classe ouvrière pour mener ce combat, et à discuter des rôles respectifs du mouvement ouvrier, des mouvements paysans et indigènes, des mouvements des femmes dans les luttes écologiques.
Le texte pointe avec raison le réformisme des directions des organisations syndicales : « Les directions majoritaires du mouvement syndical sont favorables à la collaboration de classe avec le soi-disant projet de «capitalisme vert». Elles ont l'illusion que la transition capitaliste, si elle est bien négociée, réduira massivement le chômage en relançant la croissance grâce à une production «verte». »
Mais il ne faut pas confondre la classe ouvrière et ses organisations aujourd’hui complètement intégrées au capitalisme. La classe ouvrière est plus nombreuse et forte que jamais à l’échelle de la planète, et du fait de son rôle dans l’économie capitaliste mondialisée, elle reste la force sociale porteuse d’une autre organisation sociale. Or les camarades ont tendance à théoriser le fait que d’autres forces sociales et politiques sont plus portées à lutter sur le terrain écologique que la classe ouvrière.
Ainsi avec cette volonté de trouver de nouveaux « sujets » pour la lutte, les camarades écrivent : « Dans le monde entier, les paysans, les paysans sans terre et les ouvriers agricoles constituent le secteur social le plus massivement engagé dans la lutte environnementale en général, climatique en particulier. » et « A la différence des salarié-e-s, les petits paysans ne sont pas incorporé-e-s au capital. Quoique la production pour le marché tende à leur imposer des objectifs et des méthodes productivistes, ils/elles gardent aussi la mentalité de l’artisan soucieux de faire « de la belle ouvrage (…) Leur lutte est objectivement anticapitaliste. »
De même, les camarades en viennent à idéaliser le rôle d’avant-garde d’autres mobilisations notamment celles des peuples premiers : « Par cette lutte, les peuples premiers protègent et font connaître leur cosmogonie, qui est une richesse précieuse pour l’ensemble de l’humanité et une source d’inspiration pour l’écosocialisme. Face au capitalisme qui tente de les écraser et d’approprier leurs ressources et leurs savoirs, ces peuples jouent un rôle d’avant-garde dans la lutte pour une société écologiquement soutenable.»
Et cela les conduit aussi à se tourner vers des mouvements beaucoup plus institutionnels : « Le mouvement pour le désinvestissement des énergies fossiles et le mouvement des villes en transition doit être soutenu activement. »
En cherchant d’autres forces politiques pour mener ce combat, les camarades font de la lutte environnementale et des luttes sociales, deux réalités différentes voire opposées, ce qui les conduit à écrire : « La nécessaire convergence des luttes sociales et environnementales ne vise pas un rassemblement sur un compromis stable entre l’environnement et le social. C’est un processus dynamique de clarification, de recomposition et de radicalisation. Un tel processus implique de multiples conflits entre secteurs sociaux, en particulier des conflits avec des secteurs du mouvement ouvrier qui pratiquent la collaboration de classe avec le productivisme. (…) Dans un conflit entre des secteurs sociaux engagés pour l’environnement et des secteurs du mouvement ouvrier alignés sur le productivisme et le protectionnisme, nous défendons les premiers tout en essayant de convaincre les travailleurs de changer leur position. »
A l’inverse, loin d’opposer les deux, nous nous inscrivons dans la tradition du courant socialiste révolutionnaire, communiste, en affirmant que la classe des salariés est capable de rassembler, d’unifier l’ensemble de ces combats parce qu’elle est porteuse d’une autre organisation sociale reposant sur la remise en cause de la propriété privée, pour la défense des intérêts du plus grand nombre. Et c’est bien à nous, anticapitalistes et révolutionnaires, de porter cette perspective que le mouvement ouvrier a abandonnée depuis longtemps.
De multiples luttes concrètes de résistance se développent à travers le monde contre les ravages environnementaux provoqués par la mondialisation capitaliste : contre de grands projets d’infrastructures ne répondant pas à de réels besoins sociaux, contre la mainmise des multinationales sur les terres pour des projets d’extractions minières ; contre les projets du capitalisme vert qui sont en réalité avant tout des opérations spéculatives. Nous sommes solidaires de tous ces combats mais sans en surestimer le poids, sans croire que les luttes des peuples indigènes ou plus généralement les mouvements de résistances locales pourront se substituer à la lutte d’ensemble du monde du travail contre le pouvoir des multinationales et des États à leur service.
L'urgence d'une transformation révolutionnaire de la société ou l'illusion d’un gouvernement écosocialiste
Le programme de transition écologique développé par le texte de la commission écologie définit une orientation politique pour une lutte environnementale indépendante voire à côté du mouvement de la classe des salariés. Il n’est donc pas étonnant que la seule perspective à laquelle il puisse aboutir est l’émergence d’une alternative politique… gouvernementale, en clair d’un gouvernement écosocialiste. Les camarades écrivent ainsi : « Gagner le mouvement ouvrier et les autres mouvements sociaux à la lutte pour un programme de transition écosocialiste n’est réalisable en définitive que par l’émergence d’alternatives politiques, qui se fixent l’objectif de prendre le pouvoir gouvernemental pour mettre en œuvre un plan global de réformes de structures anticapitalistes satisfaisant à la fois les besoins sociaux et les contraintes environnementales. »
Comment les camarades envisagent-ils la mise en place de tel gouvernement écosocialiste, dans quel cadre, avec quelle dynamique, en s’appuyant sur quelle force sociale, avec quel contenu de classe ?
Est-ce que cela ne revient pas à entretenir à nouveau l’éternelle illusion qu’un gouvernement capable de s’opposer à la crise écologique et donc capable de réguler la marche du capitalisme, pourrait sortir du simple jeu électoral institutionnel, sans poser la question en termes de rapport de force entre les classes.
La perspective est comme suspendue en l’air quand les camarades écrivent : « La constitution d’un gouvernement écosocialiste qui rompt avec le capitalisme en s’appuyant sur la mobilisation sociale est la clé de voûte d’un programme d’urgence écosocialiste. » Et l’ambiguïté est d’autant plus grande que d’autres part les camarades écrivent qu’ils trouvent « déplorable que les gouvernements latino-américains dits « progressistes » n’aient pas investi les revenus de l’exploitation fossile dans des plans de transition sociale et écologique … » « déplorables » ? Mais pouvait-on attendre autre chose de ces gouvernements qui certes ont développé tout un discours démagogique sur le socialisme du XXI° siècle mais qui n’ont jamais rompu avec le capitalisme, ni même remis en cause le pillage de leurs ressources naturelles ? Il serait important de faire un bilan critique de ces gouvernements latino-américains comme autant d’impasses politiques, de faux espoirs pour la lutte et l'émancipation des peuples.
Le raisonnement global du texte, même s’il réaffirme la nécessité d’en finir avec le capitalisme, condition pour une planification socialiste de l’économie, n’inscrit pas le combat écologique comme partie intégrante dans la lutte des classes. Il vise plutôt à s’adresser aux différents courants de l’écologie politique, quitte à venir sur leur terrain et à entretenir, de fait, l’illusion dans la possibilité de réguler le capitalisme, d’enrayer la « catastrophe imminente » par un jeu gouvernemental institutionnel.
En finir avec la propriété privée capitaliste
Il n'y a pas d'issue à la crise climatique sans bouleversement du mode de production, ce qui implique une remise en cause de la propriété capitaliste. Contrairement au raisonnement des camarades, il n’y a pas de raccourci pour « redonner de l’espoir » et c’est bien toute l’évolution sociale qui conduit à cette remise en cause du capitalisme, qui la rend nécessaire et possible.
Avoir pleinement conscience des enjeux inédits liés à la crise écologique et climatique participe de cette compréhension du stade actuel du développement capitaliste et de ses contradictions. En finir avec le capitalisme est nécessaire parce que dans son cadre il n’y a pas de solutions à la crise écologique, d’autant que le développement des sciences et des techniques à l’échelle de la planète rend possible une autre organisation sociale, le socialisme.
De par les enjeux planétaires des problèmes à résoudre, la question écologique ne peut avoir d’issue locale. Elle nécessite une lutte internationale, dépassant les cadres nationaux et redonne ainsi toute son actualité aux idées internationalistes du mouvement ouvrier, socialiste, communiste. Il nous faut réaffirmer le fait que par-delà les frontières, l’ensemble des travailleurs ont des intérêts communs à défendre, y compris pour la protection de leur environnement de vie, et qu’ils ne pourront compter que sur eux-mêmes car ils sont les seuls à pouvoir défendre l’intérêt général jusqu’au bout contre les égoïsmes de classe d’une minorité.
La question écologique est devenue une question sociale et politique car dans le cadre du développement capitaliste régi par les lois aveugles du marché, l’Humanité est incapable de maîtriser les conséquences à long terme de ses activités. Pour échapper à cette contradiction, elle doit se hisser consciemment à un niveau supérieur d’organisation sociale lui permettant d’utiliser toutes les connaissances scientifiques et techniques pour planifier démocratiquement et rationnellement la production et les échanges à l’échelle de la planète.
Définir clairement les enjeux de ce combat, c’est prendre conscience que le combat écologique n’est pas une sphère autonome dégagée de la lutte des classes, cela passe par retrouver toute la jeunesse et la radicalité de la critique que Marx a faite du capitalisme, en la débarrassant des caricatures staliniennes et nationalistes du « socialisme réel ». Cette réappropriation de la critique de Marx doit être enrichie des données scientifiques de l’écologie, ce qui est à l’opposé de son affadissement en allant sur le terrain de l’écologie politique, de la critique du productivisme et de la société de consommation, qui en retire tout contenu de classe. La question écologique est un appui fondamental pour reconstruire une conscience de classe, la conscience de la possibilité et de la nécessité d’en finir avec la propriété capitaliste pour permettre aux hommes de se réapproprier les fruits de leur travail, de sortir de la division de l’humanité en classes et ainsi de construire une société où l’humanité se réconciliera avec elle-même et la nature.
Bruno Bajou