Jeudi 15 février, le gouvernement a rendu public le rapport Spinetta sur la SNCF, véritable déclaration de guerre contre les cheminots. Une campagne de presse s’en est suivie, dénonçant leurs « privilèges », comme s’ils étaient responsables de la dette de la SNCF, estimée à 46 milliards fin 2017.
Cette fameuse dette profite pourtant à de vrais privilégiés… D’abord aux banques, puisque depuis les années 80, l’Etat a fait reporter ses investissements ferroviaires sur la SNCF, obligée de s’endetter à sa place. Aujourd’hui, les seuls intérêts s’élèvent à 1,7 milliard d’€ par an ! Vinci en profite aussi avec la bonne affaire de la LGV. Sa filiale Lisea, qui a apporté un tiers des investissements, dont une grosse partie par des emprunts garantis par l’Etat et RFF, s’approprie aujourd’hui toutes les recettes de la nouvelle ligne Paris-Bordeaux par des « péages » particulièrement couteux à la SNCF : soit un déficit de 90 millions d’€ rien que sur le 2nd semestre 2017 !
Maintenant, le gouvernement et Spinetta présentent la facture aux salariés, en commençant par remplacer deux des trois établissements publics qui composent la SNCF par des sociétés anonymes. La première, Mobilités, pour attirer les opérateurs privés ; la deuxième, Réseau, pour faire payer la dette aux cheminots et aux usagers.
Dans cet objectif, le rapport préconise 5 000 suppressions de postes et l’extinction du statut des cheminots, pour tirer les droits vers le bas, comme cela se fait déjà avec les contractuels. Plongé dans la logique même de l’ouverture à la concurrence et de la privatisation, il prévoit aussi le transfert de personnels vers les opérateurs privés qui remporteraient les appels d’offre dans le cas des lignes TER. Pour « rassurer », Spinetta dit que les salariés ne perdront rien et la ministre des transports, Borne, parle de donner un « sac à dos social » aux partants… Tout un symbole ! Il n’y a qu’à voir le cas des salariés dans la restauration d’entreprise ou le nettoyage, qui changent d’employeurs au gré des appels d’offres et perdent leurs quelques acquis au fur et à mesure. Au final, tous deviennent précaires !
Quant aux usagers, le rapport préconise la fermeture de près de 9000 km de petites lignes. Pour les zones rurales, c’en est fini du service public, il leur restera les bus Macron ! Quant aux financements pour régénérer les installations qui se sont excessivement dégradées dans les grandes villes faute d’entretien, les usagers les subiront aussi par les augmentations, payant ainsi ce que l’Etat aurait dû financer directement.
Gonflé de mépris, le gouvernement pense avoir la main
Après la loi Travail et les ordonnances, le gouvernement veut s’en prendre maintenant aux cheminots, briser ceux devant lesquels Juppé avait dû céder en 95.
Rapidement, les syndicats de la SNCF ont fait des déclarations pour dénoncer le rapport et « la casse des services publics ». La CGT appelle les cheminots à la grève le 22 mars, avec les fonctionnaires… Mais tous se sont précipités à la « concertation » de Borne, lui donnant l’occasion d’appeler au « dialogue social » alors que tout le monde mesure la brutalité de l’attaque. Mais il ne peut y avoir de riposte sans rompre ouvertement ce dialogue de dupe, sans s’adresser directement à la colère ressentie par l’immense majorité des cheminots après les annonces.
Pour préparer la lutte, il est urgent de tirer le bilan des reculades, des adaptations des directions syndicales depuis des années, complices des capitulations de la gauche, du PS et du PC. L’attaque de Macron a été préparée par les précédents gouvernements, en particulier par la « gauche plurielle » en 1997. C’est Gayssot, ministre PC des transports, qui a entamé le démantèlement de la SNCF avec la création de RFF. C’est aussi ce même gouvernement qui a lancé la privatisation d’Air France… avec Spinetta comme PDG !
Aujourd’hui, aveuglé par son mépris de classe, le gouvernement poursuit ces attaques en pensant que les cheminots sont isolés, enfermés et paralysés dans son jeu du dialogue social. Arrogant et sûr de lui, il multiplie les mauvais coups et les intimidations.
Il s’attaque aux migrants avec le projet de loi Collomb, qui prévoit entre autres la diminution drastique des délais de demande d’asile, le doublement de la durée de rétention pour pouvoir les expulser et même un « délit de franchissement non autorisé de frontières ». Voilà la réponse de Macron aux peuples qui fuient la misère et les guerres, dont l’impérialisme français est en grande partie responsable !
Pour affirmer son refus des « zones de non-droit », le même Collomb a envoyé, jeudi 22 janvier, 500 gendarmes évacuer les occupants de la ZAD de Bure, dont le crime est de refuser de vivre près d’une déchèterie nucléaire.
Le gouvernement s’attaque aussi à la jeunesse avec la sélection à l’université, à la Fonction publique avec les 120 000 suppressions d’emplois et l’annonce d’un Plan de Départs Volontaires par Darmanin.
La méthode est toujours la même : les dégradations sont telles à l’université (comme en témoigne le système du tirage au sort), dans les services publics, suite à des années de reculs et d’absence de riposte sérieuse, que Macron peut prétendre aujourd’hui il n’y a pas d’autre choix que de libéraliser toujours plus, sélectionner, servir les « premiers de cordée » et abandonner tous les autres !
Il resserre le piège dans lequel la gauche a enfermé les travailleurs.
Le 22 mars, construire la lutte, faire de la politique pour contester cette société
Il faut rompre ce piège pour permettre à la colère qui s’exprime dans toute une série de bagarres locales de devenir une force capable d’inverser réellement le rapport de force. Il faut une politique de classe, indépendante, que les travailleurs et les jeunes prennent en main leurs affaires pour contester cette société du fric et tous ceux qui la servent.
Même si une journée ne suffira pas bien évidemment, le 22 mars peut être le début d’une réelle riposte, avec les cheminots, les fonctionnaires, les Ehpad en grève le 15 mars et qui menacent de poursuivre, les jeunes des lycées et des facultés contre la ségrégation sociale.
Sur le chemin de la convergence des luttes, il y a la rupture avec le dialogue social et la politique d’émiettement des directions syndicales. Cela signifie tirer le bilan de la capitulation de la gauche, dont il n’y a rien à reconstruire. Elle a préparé le terrain politique à Macron, par les privatisations, les suppressions d’emplois massives dans les services publics ou les multiples cadeaux au patronat. Elle a répandu partout la propagande du fric, la démagogie de la réussite individuelle, cette idéologie d’un autre âge justifiant les inégalités sociales qui explosent aujourd’hui.
Le problème n’est pas le manque d’unité des centrales syndicales engluées dans le dialogue avec le gouvernement et leur rôle de « partenaire social » ou d’une gauche complètement faillie, qui porte une lourde responsabilité dans l’offensive actuelle. Faire reculer le gouvernement, c'est rompre avec toutes ces politiques qui se sont succédé au pouvoir depuis des années et avoir conscience que chaque bataille s'inscrit dans une bataille d'ensemble pour en finir avec la domination du patronat et de ceux qui le servent.
Sans cette conscience politique de nos intérêts de classe, la bourgeoisie garde la main, parvient à isoler, à paralyser les travailleurs en se servant des appareils qu’elle domine. Dans la préparation du 22 mars, parmi les équipes syndicales, dans les AG, il nous faut porter une politique pour unifier les travailleurs, les luttes, une politique qui conteste radicalement celle des patrons, du CAC 40, des banques et de leurs serviteurs.
Laurent Delage