« Historiques, pas hystériques » disaient des pancartes dans les manifestations du 8 mars. Oui, historique, c’est bien le sens et la dimension des mobilisations féministes combatives, dynamiques, colorées, déterminées et en colère contre toutes les attaques faites aux femmes et minorités de genre, dans le contexte d’offensive masculiniste orchestrée par l’extrême droite, Trump en tête.
Cette offensive est une déclaration de guerre aux récentes victoires du mouvement des femmes, la mise en accusation sur la place publique de Dominique Pélicot, Le Scouarnec, l’Abbé Pierre ou le pensionnat de Bétharram...
Elles ont fait le procès de l’oppression des femmes et de son corollaire, la pédophilie, au cœur même de la société, acceptées, partie intégrante des rapports de domination inhérents au capitalisme dont le patriarcat est indissociable.
L’offensive réactionnaire qui accompagne l’offensive contre le monde du travail, la montée du militarisme, des guerres, du racisme et la xénophobie contre les migrant·es, remet en cause les acquis des luttes des femmes, le droit à la parole conquis grâce au courage des victimes.
Elle est la réponse des va-t’en guerre, du capitalisme aux abois à ce souffle de révolte qui met à nu la pourriture congénitale du système.
Ces attaques engendrent un nouveau développement des luttes des femmes en lien avec la lutte des classes, dans la continuité de celles à l’origine de la journée internationale des droits des femmes du 8 mars.
Ce mouvement a besoin d’assumer consciemment cette continuité, de renouer avec la lutte pour en finir avec les rapports d’exploitation et de domination à l’origine des oppressions.
La lutte des femmes, dès ses origines un combat révolutionnaire et socialiste
Les femmes sont intervenues politiquement, en première ligne quand les classes populaires se sont soulevées lors de la Révolution française. Olympe de Gouges, symbole de leur engagement dans la révolution, partisane aussi de l’abolition de l’esclavage, avait déclaré avant d’être guillotinée : « La femme a le droit de monter à l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune »
Après l’avènement de la bourgeoisie au pouvoir, Flora Tristan fut la première à établir clairement que la lutte des femmes et hommes opprimé·es était une même lutte contre l’ordre social. Ouvrière coloriste mariée à son patron, un artisan dont elle fut la victime d’une tentative de féminicide, elle avait affirmé : « Un prolétaire peut opprimer plus opprimé que lui, sa femme ». Elle réclama le droit au divorce, l’abolition de la peine de mort et l’union de « la classe ouvrière, la classe qui souffre, la plus nombreuse et la plus utile ».
Elle s’inspirait des idées défendues par les socialistes utopiques comme Fourier qui avait écrit : « L’avilissement du sexe féminin est un trait essentiel à la fois de la civilisation et de la barbarie, avec cette seule différence que l’ordre civilisé élève chacun des vices que la barbarie pratique en mode simple, à un mode d’existence composé, à double sens, ambigu et hypocrite... Personne n’est plus profondément puni que l’homme du fait que la femme est maintenue dans l’esclavage » ; « Le degré de l’émancipation féminine est la mesure naturelle du degré de l’émancipation générale ».
Ce furent Marx et Engels qui donnèrent une explication matérialiste et scientifique à l’oppression des femmes en montrant que, loin d’être naturelle, elle était née avec les sociétés de classe pour assurer la transmission de la propriété privée, Engels écrivant dans L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État : « Le mariage conjugal n’entre donc point dans l’histoire comme la réconciliation de l’homme et de la femme, et bien moins encore comme la forme suprême du mariage. Au contraire, il apparaît comme l’assujettissement d’un sexe par l’autre, comme la proclamation d’un conflit des deux sexes, inconnu jusque-là dans toute la préhistoire. [...] La première opposition de classe qui se manifeste dans l’histoire coïncide avec le développement de l’antagonisme entre l’homme et la femme dans le mariage conjugal, et la première oppression de classe, avec l’oppression du sexe féminin par le sexe masculin. »
Lors de la Commune de Paris, elles furent nombreuses comme Elisabeth Dimitrieff, Nathalie Le Mel ou Louise Michel, à s’organiser jusqu’à gérer les affaires politiques en participant à la première forme de pouvoir du prolétariat.
Lorsque le capitalisme commença à développer le travail des femmes dans l’industrie, le mouvement ouvrier socialiste naissant s’y opposa. Avec Paul Lafargue, Marx rédigea le premier programme ouvrier qui le défendait en l’encadrant dans l’intérêt de leur santé et de la maternité.
Comme l’a déclaré en 1889 la socialiste allemande Clara Zetkin au Congrès de fondation de l’Internationale Socialiste : « En l’état actuel du développement économique, le travail féminin est une nécessité, […] ce n’est pas le travail féminin en soi qui, par le jeu de la concurrence, fait baisser les salaires mais l’exploitation dudit travail par les capitalistes ».
Le socialiste August Bebel dans La Femme et le Socialisme montra qu’il n’y avait pas une lutte des sexes pour l’émancipation des femmes contre les hommes, mais une lutte de classes, non pour aménager seulement le système capitaliste en protégeant mieux les femmes, mais pour le renverser.
La journée internationale pour les droits des femmes, née d’une grève ouvrière et de l’appel de la Conférence socialiste des femmes de Copenhague
Les femmes travailleuses de plus en plus nombreuses à s’organiser dans le mouvement ouvrier socialiste se battirent pour y intégrer leurs revendications spécifiques comme le droit de vote, la protection de la maternité, le droit à la contraception et à l’avortement, l’aide à la femme seule avec des enfants, le droit à la séparation, au divorce, contre le mariage et l’emprise de la religion sur la vie des femmes, pour une éducation des enfants laïque, mixte et émancipatrice.
Elles le firent, avec l’intervention active de Clara Zetkin, à travers leur organisation y compris de manière autonome au sein du mouvement socialiste avec des revues et conférences féministes.
La décision d’instaurer une journée internationale de lutte pour les droits des femmes est née de cet essor du mouvement des femmes au sein du mouvement ouvrier. L’initiative en revient à une ouvrière socialiste immigrée aux Etats-Unis, Theresa Malkiel, dirigeante avec ses compagnes couturières depuis leur plus jeune âge comme l’irlandaise Leonora O’Reilly, d’une grève de 20 000 ouvrières du textile à New York en 1909.
C’est dans la chaleur de cette grève, à l’occasion de la Conférence internationale des femmes socialistes de Copenhague en 1910, qu’un appel instaura cette journée. Elle a marqué un jalon dans l’action et l’organisation des femmes devenues, comme l’a écrit Clara Zetkin, « prolétaires, compagnes de travail et d’esclavage, des égales indispensables dans la lutte des classes », membres à part entière et aiguillons du mouvement ouvrier et d’émancipation.
La lutte des femmes au cœur de la conquête du pouvoir par les prolétaires russes
Lorsque les socialistes votèrent les crédits de guerre en rompant définitivement avec une politique de classe, la Troisième Conférence Internationale des Femmes Socialistes de Berne en 1915 se prononça contre la guerre et la trahison de ses partis pour, comme le déclara Clara Zetkin « que le puissant engagement des masses laborieuses pour la paix réduise au silence dans les rues les clameurs patriotiques assassines : guerre à la guerre ! »
Le rôle des femmes a aussi été décisif lorsque les hommes furent envoyés à la guerre, pour organiser la lutte contre la vie chère et pour la paix.
En Russie, la révolution de 1917 commença le 23 février, 8 mars selon notre calendrier, journée internationale des femmes, par la grève des ouvrières de Saint Pétersbourg. Le nouveau régime soviétique instaurera en 1921 le 8 mars comme journée chômée pour la première fois dans l’histoire.
Avec la participation active des travailleuses, il a tenté de prendre en main les tâches familiales de manière la plus collective possible (développement de cantines, crèches, laveries, lieux de vie communs) afin de décharger les femmes mais aussi les hommes des tâches domestiques.
Il a été le premier à dépénaliser l’avortement et les unions homosexuelles, à légaliser le mariage civil et l’union libre, à accompagner la femme élevant seule ses enfants jusqu’à leur majorité et même à avoir une femme ministre en 1917, Alexandra Kollontaï, et un secrétariat aux femmes, le Jenotdel, où elle collabora avec Inessa Armand et Nadedja Kroupskaia.
En s’inspirant des travaux de Freud, Kollontaï combattit la répression des désirs et milita pour l’amour libre, la camaraderie amoureuse comme source d’élan révolutionnaire pour les femmes si longtemps réprimées dans leur sexualité.
L’organisation autonome des femmes au sein du régime instauré par la révolution s’est adressée aux plus exploitées d’entre elles, reléguées dans les zones les plus reculées de l’empire tsariste en prise aux traditions patriarcales comme les mariages forcés ou la polygamie, avec des brigades non mixtes pour s’adresser à elles.
Malgré le recul du mouvement ouvrier, le mouvement des femmes a poursuivi son œuvre révolutionnaire
La victoire de la réaction bourgeoise, du fascisme et de la contre-révolution stalinienne, la Deuxième guerre impérialiste mondiale entraînèrent un profond recul du mouvement ouvrier en URSS et dans le monde.
Les progrès économiques, technologiques et scientifiques qui suivirent eurent pour conséquence un développement du travail des femmes dans les villes au détriment du monde rural. Les conditions de vie, de travail, dans la famille, ont été bouleversées.
Cette transformation des conditions de vie dans un monde où les peuples coloniaux se soulevaient pour conquérir leur indépendance nationale, où les Afro-américain·es engageaient la lutte pour les droits civiques, où la classe ouvrière gagnait de nouveaux droits, nourrit les aspirations à vivre mieux et libre, à briser les rapports de domination et d’exploitation. Pour les femmes, le besoin irrépressible d’autonomie, de liberté, de contrôler leur maternité et donc d’imposer la contraception et l’avortement, l’union libre, les diversités sexuelles.
Il fallait bousculer le vieux monde, ce fut la vague de révolte et de contestation de mai 1968.
Le combat de l’avocate franco-tunisienne Gisèle Halimi en défense de la jeune Marie-Claire victime d’un viol, mit courageusement sur la place publique la question de l’IVG. Interdit par la loi depuis 1920 en France, le droit à l’IVG finit par être promulgué en janvier 1975, par un combat acharné des femmes pour disposer de leur corps.
Cette puissante vague féministe fut menée par des organisations comme le MLF en rupture avec le mouvement ouvrier encadré par un PS réformiste et un PC stalinien, défenseurs de l’ordre patriarcal.
L’arrivée de la gauche au pouvoir ouvrit une période de recul. Mais depuis le début de ce siècle et surtout après la grande récession de 2008 et les Printemps arabes, le mouvement des femmes n’a cessé de progresser malgré l’offensive réactionnaire.
Défendre les acquis, imposer les droits des femmes, c’est lutter pour en finir avec le patriarcat, les rapports d’exploitation et de domination, le capitalisme
Les acquis du mouvement féministe sont aujourd’hui remis en cause, menacés. Les inégalités, les atteintes aux libertés des femmes comme l’interdiction de l’avortement dans la plupart des pays du monde, demeurent.
Il y a eu 139 féminicides en France en 2024, 244 300 victimes de violences conjugales en 2022, en hausse de 15 % en un an. Les victimes de viols sont toujours aussi nombreuses.
En 2023, selon l’Insee, les salaires des femmes étaient inférieurs de 22,2 % à ceux des hommes. Elles représentent toujours la majorité des temps partiels imposés dans des métiers mal payés et précaires ; leurs retraites demeurent de 40 % inférieures à celles des hommes. 85 % des familles monoparentales ont toujours à leur tête une femme.
Les importants acquis du mouvement féministe sont aujourd’hui soit repris en main par les institutions et dévoyés, soit laminés.
L’offensive masculiniste associée à l’offensive raciste, xénophobe et nationaliste en cours font partie d’une attaque frontale contre les droits et les libertés des femmes, de celles qui ont osé affronter le pouvoir patriarcal au service d’un capitalisme qui court après le profit par la guerre. Elle s’accompagne de préjugés et violence homophobe ou anti-LGBTI.
La guerre contre les travailleuses et les travailleurs, c’est aussi la guerre contre les femmes et les diversités sexuelles.
C’est pourquoi ce qu’affirmait Clara Zetkin au Congrès du Parti social-démocrate allemand en 1875 reste si actuel :
« La lutte pour l’émancipation des femmes prolétaires ne peut être la même lutte que celle des femmes bourgeoises contre l’homme de sa classe ; au contraire, la sienne est une lutte unie à l’homme de sa classe contre la classe des capitalistes. […] L’objectif final de sa lutte n’est pas la libre concurrence avec l’homme, mais la conquête du pouvoir politique du prolétariat. La femme prolétaire combat coude à coude avec l’homme de sa classe contre la société capitaliste. Tout ceci ne signifie pas qu’elle ne doit pas soutenir aussi les revendications du mouvement féministe bourgeois. Mais l’obtention de ces revendications représente pour elle seulement un instrument comme un moyen pour une fin, pour entrer en lutte avec les mêmes armes que le prolétariat »
L’avenir des luttes féministes s’inscrit dans cette continuité. Et les femmes montrent aujourd’hui qu’elles sont une force motrice de contestation de l’ordre, de lutte dans la joie, souvent en soutien à la Palestine, antiracistes, avec les migrant·es, antiguerres, en défense de l’environnement… un ferment indispensable à la renaissance d’un mouvement ouvrier émancipé des préjugés sexistes et du patriarcat qui le soumet à l’idéologie des classes dominantes, pour contester les rapports de propriété et de domination.
Mónica Casanova