Si le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) a été censuré en même temps que le gouvernement et le budget de l’Etat, celui du prochain gouvernement ne peut que s’inscrire dans la même offensive sabrant la dépense publique, intensifiant l’exploitation pour nourrir les profits des spéculateurs, les mêmes qui creusent la dette publique et le « trou de la sécu ».

L’ex PLFSS prévoyait le passage d’un à trois jours de carence pour les fonctionnaires, la baisse des indemnités journalières en cas d’arrêt maladie, le gel des pensions de retraite, la baisse de 5 % des remboursements de consultations et médicaments, alors que les franchises ont déjà doublé cette année. Anticipant, les complémentaires santé ont augmenté leurs tarifs de 6 % en moyenne pour 2025 (7,3 pour les contrats collectifs obligatoires), 20 % en trois ans. Tandis que les 2,5 millions de personnes qui n’ont pas de complémentaire doivent de plus en plus souvent renoncer aux soins.

Le système de santé est incapable de faire face aux besoins de la population. Les 80 000 lits fermés entre 2002 et 2022 alors que dans le même temps la population vieillissait et augmentait de sept millions, la généralisation de l’ambulatoire avec un nombre de places bien inférieur, la fermeture d’hôpitaux de proximité, la transformation à marche forcée de l’hôpital en entreprise sommée de chercher la « rentabilité » ont conduit à une dégradation majeure du service public de santé. La maltraitance subie par les soignants et les médecins ne voyant d’autre solution que la démission a aggravé la crise. Les établissements de santé, publics comme privés, les Ehpad cherchent aujourd’hui en vain à recruter. Des services mettent définitivement la clé sous la porte faute de médecins et de personnels, des Urgences ferment sans préavis la nuit, le week-end, la plupart n’ouvrent leurs portes qu’aux patients qui ont en amont été triés par les services de régulation du 15… et les déserts médicaux s’étendent. 11 % de la population n’ont pas de médecin traitant, dont 800 000 ont des maladies chroniques graves (chiffres 2022).

Début septembre, la fédération des hôpitaux publics français (FHF) dénonçait une « situation budgétaire jamais aussi dégradée ». Le déficit des établissements publics a augmenté de plus de 350 % en cinq ans, passant de 558 millions d’euros (2019) à 1,7 milliard (2023) et devrait atteindre 2 milliards en 2024. De nombreux hôpitaux sont dans l’incapacité de financer l’entretien de bâtiments construits il y a des décennies, malgré un endettement de plus en plus important. Les financements publics ne couvrent pas l’augmentation des coûts liés aux nouvelles technologies, aux progrès de la recherche, aux nouveaux médicaments et à l’inflation. Ils ne compensent pas non plus les hausses de salaires des personnels, pourtant dérisoires. En 2021, les hôpitaux publics étaient endettés à hauteur de 30 milliards d’euros, une manne pour les banques qui encaissent des intérêts faramineux qui creusent en retour les déficits. Et si l’Etat a été obligé de reprendre à sa charge un tiers de cette dette, les hôpitaux n’en paient pas moins chaque année près d’un milliard d’euros d’intérêts.

La financiarisation, l’investissement de masses de capitaux privés, spéculatifs ont accéléré le processus, soumettant l’ensemble du système de santé aux intérêts et au diktat de la finance.

La santé, vache à lait des fonds d’investissements

C’est « l’une des grandes inquiétudes dans le monde de la santé, celle de voir de nouveaux acteurs privés investir dans le secteur du soin, au risque de dérives marchandes » écrivait pudiquement le journal Le Monde à propos de la « financiarisation de l’offre de soins » et du rapport de la commission des affaires sociales du Sénat intitulé « Une OPA sur la santé ? » publié fin septembre dernier[1]. Ce rapport « transparti » s’inquiète des conséquences de dizaines d’années de politiques qui ont conduit, disent-ils, d’un « capitalisme dit professionnel » à un « capitalisme financiarisé ». Les sénateurs, pompiers pyromanes, invitent à « mieux maîtriser le phénomène, à limiter ses conséquences indésirables ».

Les élus de tous bords s’émeuvent aujourd’hui du monstre qu’ils servent… et appellent à le « maîtriser ». Comme si le capitalisme financiarisé mondialisé, plus parasite et destructeur que jamais, n’était pas exclusivement mu par le besoin irrépressible de trouver des débouchés aux masses immenses de capitaux en mal de rendements, véritables têtes chercheuses sautant d’un investissement à l’autre sans autre logique que celle du profit immédiat, poussant à la concentration, à « l’efficience » pour capter toute goutte de plus-value dans toutes les activités humaines quelles qu’en soient les conséquences. Aucun secteur n’y échappe. Et surtout pas la santé ou les Ehpad dont les financements sont assurés et garantis par la Sécurité sociale, les pouvoirs publics et l’Etat. Le budget global de la Sécu est de 640 milliards en 2024, bien plus que le budget de l’État (350 milliards). La branche de l’Assurance maladie a à elle seule versé 226 milliards d’euros de prestations, soit 11,9 % du PIB[2], de quoi aiguiser bien des appétits...

Le rapport du Sénat dresse le tableau : « La financiarisation du secteur hospitalier privé lucratif, qui se manifeste par l’intervention de fonds d’investissement dans le capital des groupes, connaît une progression rapide depuis les années 2000 et appuie le processus de concentration des cliniques privées. Pas moins de 40 % du secteur en France est aujourd’hui détenu par quatre groupes (Ramsay Santé, Elsan, Vivalto et Amalviva). La biologie médicale privée constitue, de son côté, le secteur le plus financiarisé en ambulatoire. Six grands groupes de laboratoires concentraient, en 2021, 62 % des sites de biologie médicale sur le territoire national » dont plus de 40 % pour les 3 premiers, Biogroup, Cerba et Inovie. Le taux de rentabilité moyen du secteur a de quoi faire rêver plus d’un investisseur : 23 % en 2021 !

Les fonds d’investissements se tournent désormais vers l’imagerie médicale (radiologie, scanners, IRM, échographies), les centres dentaires et ophtalmologiques, les pharmacies, ou encore des centres de santé primaire qui regroupent des médecins généralistes tels Ipso Santé ou Ramsay, ce qui permet à ce dernier de diriger les patients vers ses cliniques…

Un système de santé ravagé par l’offensive libérale et par la financiarisation

Depuis le tournant libéral des années 1980, tous les gouvernements ont eu à cœur de faire sauter les uns après les autres les règlements et textes de lois qui représentaient un frein à l’accès d’investisseurs privés dans un secteur public jusque-là fortement encadré.

Réforme après réforme, l’hôpital a été transformé en « entreprise ». La santé est devenue un « coût », une marchandise, les malades des « clients », la « rentabilité » le maître-mot au sein des services mis en concurrence entre eux… et avec le privé dont les charges étaient bien moindres, l’hôpital prenant en charge les missions et les pathologies couteuses avec des investissements lourds. En 2004, la « tarification à l’activité » (T2A) a accéléré le phénomène, faisait dépendre le financement non des besoins de l’hôpital mais du coût « moyen » des actes et interventions réalisés, de façon décorrélée des véritables dépenses. Les médecins, mais aussi l’ensemble des soignants devaient « justifier » chaque geste, « coder » son activité pour que l’hôpital, le service obtiennent les financements correspondant au « tarif » défini. De nouveaux métiers sont apparus, et une multitude de boites privées se sont mises « au service » des directions hospitalières, du codage à la gestion des ressources humaines, du temps de travail, mais aussi des flux des patients pour optimiser l’occupation des lits, en parallèle de l’explosion de la sous-traitance… En 2007 puis en 2012, les « plan hôpital » incitaient à rénover le parc hospitalier moribond. Mais les financements ne proviennent plus de l’Etat, les CHU doivent s’endetter sur le marché… très vite étranglés par les financiers. Des « partenariats public-privé » apparaissent pour financer la construction d’hôpitaux, ces derniers payant des loyers astronomiques pour les murs. Des cliniques privées intègrent les locaux d’hôpitaux, des plateaux techniques deviennent propriétés de groupements d’intérêts économiques… Le service public est chaque jour un peu plus démantelé, mis au service d’intérêts privés.

La financiarisation accélère la concentration et menace de krach

Dans la dernière décennie, l’afflux de capitaux a transformé le secteur de l’hospitalisation privée, de la biologie, concentrant la propriété entre des groupes de moins en moins nombreux. Il n’y a pas de retour en arrière possible. Les petites ou moyennes entreprises propriétés de médecins, biologistes, et de plus en plus de radiologues, pharmaciens, sont contraintes de vendre face à la concurrence des mastodontes, des investissements lourds nécessaires. L’ancienne startup Doctolib devenue leader de l’e-santé et de la prise de rendez-vous, utilisée tant par le secteur libéral, des cliniques que des CHU, a absorbé ses concurrents, s’est développée à l’échelle internationale, et est aujourd’hui contrôlée par des fonds d’investissement.

Cette concentration met les groupes en position de force face aux pouvoirs publics, à l’Assurance maladie ou aux ARS à qui ils dictent leurs exigences comme on l’a récemment vu face à la « grève » des patrons des cliniques privées ou de ceux des laboratoires.

Dans leur rapport, les sénateurs, s’ils rappellent que « l’offre de soins représente un investissement sûr du fait de l’accroissement continu de la demande en soins et du haut niveau de socialisation de la dépense », soulignent aussi le « risque de volatilité des capitaux » faisant craindre la menace d’un retrait des investisseurs. De son côté, la Caisse nationale d’Assurance maladie alertait récemment sur le risque de « bulle spéculative » au vu de la valorisation sur le marché des groupes de biologie. Pas plus la santé que le reste de l’économie n’est à l’abri d’un krach après l’emballement.

L’urgence de l’expropriation et de la prise de contrôle par les travailleur·ses pour une santé débarrassée de la loi du fric

Tous les moyens existent aujourd’hui pour permettre immédiatement à toutes et tous un égal accès à une médecine moderne et des soins de qualité. Les moyens techniques, les connaissances médicales, les nouvelles et anciennes générations de soignant·es, de médecins voulant être utiles aux autres, s’investir si les conditions de travail le permettent, rien ne manque.

Toutes et tous avons en tête comment pendant la pandémie, ce sont les premières et premiers de corvée, soignant·es, femmes et hommes de ménage, médecins, ouvrier·es, pompiers, toutes et tous les travailleur·ses de la santé qui ont pris les choses en main pour faire tourner les hôpitaux et cliniques, en collaboration avec les autres salarié·es, la population, pour pallier l’incurie des classes dominantes et de leurs ministres, mais aussi des directions. La financiarisation a accéléré la transformation du système de santé, la concentration des établissements, la mise en réseaux des travailleur·ses, quels que soient leur statut et leur profession, médecins compris. Et elle transforme le regard qu’ils et elles portent sur la société et sur eux-mêmes.

La violence de l’offensive, les conséquences dramatiques de l’effondrement en cours alors que les progrès de la médecine, des techniques permettent de soigner et guérir comme jamais, accélèrent la révolte et les prises de conscience face à l’impasse dans laquelle capitalisme financiarisé mondialisé mène l’ensemble de la société.

Contrairement à la fable que nous conte le rapport des sénateurs, il ne peut y avoir ni moralisation ni maîtrise d’un système qui échappe à tout contrôle, dont le seul ressort, la seule morale sont ceux du retour sur investissement. Face à la catastrophe annoncée, les mobilisations des travailleur·es de la santé, des Ehpad, des laboratoires, avec la population ne peuvent que mettre en cause la domination des intérêts privés, de la finance, ouvrir la voie à leur expropriation et à la prise en main du système de santé et sa réorganisation par les travailleur·ses et la population associés et, au-delà, celle de l’ensemble de la société.

Isabelle Ufferte

[1] https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/commissions/commission-des-affaires-sociales/financiarisation-du-systeme-de-sante.html

[2] https://www.securite-sociale.fr/la-secu-cest-quoi/chiffres-cles

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