La Blitz-campagne de Macron est donc ouverte, la marche forcée vers un état de décomposition parlementaire inédit, une crise politique qui suscite un renouveau politique au sein du monde du travail et de la jeunesse, des prises de consciences qui bousculent les rapports de force et pourraient annoncer une crise générale, sociale et politique majeure. Les mobilisations de la jeunesse ainsi que les manifestions de samedi, loin d’être sous contrôle du Front populaire que convoite Hollande, pourraient en être les signes avant-coureurs.
En début de semaine, trois jours après son coup d’État électoral, Macron s’est à nouveau accaparé les médias pour tenter de donner un sens à sa brutale manœuvre politicienne inattendue. Sans surprise, sa décision n’a qu’un sens, lui et sa volonté de sauver son pouvoir en réaffirmant sa politique antisociale et réactionnaire annonçant « une autorité républicaine à tous les étages »… Il va jusqu’au bout de ses ambitions bonapartistes rêvant de construire une union nationale autour de sa personne pour au final jouer au jeu de massacre parlementaire, flattant les peurs et les fantasmes, opposant les dits extrêmes, le RN et LFI qualifiée d’extrême gauche « antisémite et antiparlementaire », appelant à la fois les électeurs de LR à désavouer Ciotti qui a « fait un pacte avec le diable » et ceux du PS et de Glucksmann à désavouer le Front populaire. Sous couvert de clarification, Macron a ouvert un jeu de massacre parlementaire liquidant sa propre majorité puis LR alors que Reconquête explose... Il prétend s’élever au-dessus des partis et se retrouve dans le marais parlementaire de droite pris en tenaille entre le bloc réactionnaire des patriotes et le Front populaire au risque de se retrouver dans la fange du RN dont il prétend protéger la nation.
Il va au bout de sa chute, l’accélère puisqu’à chaque étape ses prétentions à protéger la nation ont abouti à l’inverse, renforcer le RN. Et au final, il n’aura probablement pas d’autre choix que de se dissoudre lui-même dans la cohabitation avec « Jordan Barre toi de là » ainsi que l’appellent les manifestants.
La possibilité que le Front populaire réussisse à construire une majorité parlementaire et donc à cohabiter avec Macron ne peut être écartée mais cela ne représenterait en rien une réponse et une solution à la crise en cours, tout au plus une étape de son approfondissement contre le monde du travail. La tentative d’Hollande de faire une OPA sur cet attelage électoral ne peut laisser planer la moindre illusion de ce que seraient sa politique et ses conséquences. Les travailleur·es en ont déjà fait la cruelle expérience.
L’important est que la jeunesse après s’être levée pour la Palestine et le climat s’engage dans la lutte politique, prenne conscience de l’impasse parlementaire et du fait que l’extrême droite n’est que la politique des classes dominantes sans faux semblants dits démocratiques. La combattre c’est combattre cette politique sous toutes ses formes et quels que soient l’emballage ou le discours qui la justifient et voudraient la faire accepter par la population soit en étouffant la lutte de classe soit en la menant dans toute sa brutalité. La réponse et l’issue dépendent de la capacité de la jeunesse à aider le monde du travail à rompre avec les illusions parlementaires et électorales, avec le dialogue social pour prendre confiance en lui et poser sa candidature au pouvoir.
L’extrême droite est la forme la plus décidée, la plus démagogique d’un front réactionnaire qui se définit autour d’une politique nationaliste et xénophobe, militariste, antisociale de défense de la concurrence et du profit, d’un capitalisme qui marche à la faillite. La combattre, c’est rompre avec cette politique capitaliste quelle que soit la coalition politique qui la mette en œuvre et défendre un programme pour la transformation révolutionnaire de la société.
Nationalisme et démagogie xénophobe et raciste anti-migrants, politique sécuritaire et régression sociale au service du CAC40
Si Macron prétend ne pas vouloir « laisser les clés du pouvoir au RN en 2027 », l’orientation politique dont il s’est prévalu lors de sa conférence de presse laisse pour le moins sceptique. Il se propose de poursuivre la même politique plus à droite encore. « A tous ces messages, nous ne pouvons rester indifférents ou sourds et nous devons apporter une réponse démocratique », dit-il prenant argument de « l’inquiétude » qui se serait exprimée dans le vote RN sur les questions de sécurité, d’immigration, de pouvoir d’achat. Et en écho à ce dernier il définit ses « axes prioritaires » et la « méthode » de gouvernement, c’est « l’autorité républicaine à tous les étages », « plus de fermeté », pour « réduire l’immigration illégale », « la reprise en main par l’Etat et le meilleur contrôle de la question des mineurs non accompagnés », répondre « avec plus de fermeté » à la « montée de la violence des mineurs qui mine la cohésion nationale » et pour dresser la jeunesse « recréer des rites républicains », généraliser le service national universel. Dans la foulée, « rebâtir notre école républicaine » en « redonnant le pouvoir aux professeurs qui auront plus de liberté pédagogique, aux directeurs qui pourront rémunérer, recruter plus librement » sans oublier, avec en ligne de mire l’Islam, d’« ouvrir un grand débat sur la laïcité », suivi de « mesures claires sur les sujets qui sont à régler et à trancher. […], la religion ne doit pas permettre de sortir des lois de la République ou de se placer au-dessus de celle-ci ».
En résumé, la poursuite de son double jeu pervers et cynique, faire la politique du RN en prétendant lui faire barrage tout en se préparant à gouverner avec lui...
Les mythes du passé ne font pas l’avenir, face à la tromperie du Front populaire aider à l’émergence d’une claire conscience de classe
Alors que le bloc réactionnaire se réorganise autour du RN Macron étant dans l’incapacité de reprendre la main, la gauche, devant le risque de son propre effondrement, sous la pression aussi de la jeunesse et d’une fraction de son électorat, a rencontré la lumière au fond du local d’EELV. Ceux qui la veille s’insultaient, se rassemblent aujourd’hui pris de peur panique devant les conséquences de leur propre politique. Les divergences idéologiques, l’ostracisme à l’égard de Mélenchon et de LFI, les accusations calomniatrices d’antisémitisme sont mises de côté au profit d’un accord de circonstances pour faire face à la menace, le nouveau Front populaire. A défaut d’être capable d’avoir une politique pour faire face à l’offensive réactionnaire, cette gauche recomposée va chercher à sa rescousse les mythes du passé espérant ainsi se rehausser.
Les mythes du passé ne font pas une politique surtout quand le mythe a accouché d’une déroute. Le Front populaire après avoir canalisé sur le terrain électoral et institutionnel puis réprimé la grève générale de 1936, début d’une possible révolution[1], a capitulé pour ouvrir la voie à Pétain auquel une grande majorité des parlementaires socialistes ont voté les pleins pouvoirs en juillet 1940.
Les conquêtes de 36, rapidement annulées par la guerre et l’occupation, ont été conquises par la grève générale grâce à la mobilisation et à l’organisation de la classe ouvrière et l’occupation des usines.
Nous comprenons et sommes solidaires de toutes celles et ceux qui veulent voter Front populaire contre Macron et Bardella, à défaut d’autres perspectives crédibles sur le terrain de ces élections piégées. Sur le terrain institutionnel, il n’y a pas d’autres réponses possibles. Mais cette réponse n’en est pas une, c’est en réalité une impasse sauf si, comme en 36, la classe ouvrière retrouve la confiance en elle et la conscience que tout dépend d’elle sans craindre d’affronter le pouvoir, les institutions et l’État comme la gauche de gouvernement.
De ce point de vue, la situation nouvelle donne des responsabilités particulières au mouvement révolutionnaire qui doit lui-même et dans l’urgence surmonter ses faiblesses, s’unir pour sortir des divisions et de la marginalité. Il est préjudiciable, même si ces élections piégées ne sont pas un terrain propice à la défense de nos idées après la faiblesse de nos résultats aux européennes, que le mouvement révolutionnaire n’ait pas pu faire un pas vers une convergence si ce n’est la démarche publique, en elle-même limitée, du courrier adressé par Révolution permanente à LO et au NPA-R[2].
Contre l’extrême droite et la menace fasciste, ouvrir une perspective pour la transformation révolutionnaire de la société, un gouvernement des travailleurs
Le coup d’État électoral de Macron secoue la machine démocratique bourgeoise au bord de l’implosion toute disposée à se laisser prendre par le RN sans grande résistance. Bien corsetée, bardée de 49.3 et de politique sécuritaire, dominée par des partis et politiciens au service de l’ordre capitaliste, cette machine n’est plus réellement en mesure de contenir le mécontentement et les colères populaires, de les étouffer et les canaliser. Discréditée, elle s’abandonne à ses ennemis les démagogues d’extrême droite tout aussi empressés que leurs rivaux de droite ou de gauche à servir les classes dominantes tout en détournant le mécontentement à leur profit.
La faillite de la démocratie parlementaire bourgeoise est le corollaire institutionnel de la faillite du capitalisme, de la politique des classes dominantes dont les classes populaires sont victimes, de la guerre aussi, de la montée du militarisme indissociable du nationalisme et de la xénophobie.
C’est bien pourquoi les différentes fractions politiques rassemblées dans le Front populaire sont impuissantes à combattre l’extrême droite, elles qui soutiennent la guerre en Ukraine, revendiquent une politique migratoire et se drapent dans le tricolore et le nationalisme sans remettre en question la domination du capital.
Ces élections sont un terrain miné. Leur seul enjeu est de battre Bardella-Macron sur le terrain institutionnel, électoral. Les révolutionnaires qui y afficheront une fois encore leur division et leurs discours incantatoires, auront bien du mal à s’y faire entendre. Il eut sûrement été préférable de prendre le temps de nous rassembler, de discuter des bases politiques permettant de rompre avec les divisions pour engager une campagne d’explication et d’organisation hors du cadre électoral pour préparer la suite après les élections quels qu’en soient les résultats, une cohabitation à droite ou à gauche, c’est à dire avancer vers un parti des travailleurs pour la transformation révolutionnaire de la société, la conquête de la démocratie, du pouvoir.
C’est nous qui travaillons, c’est nous qui décidons, il n’y a pas d’autre réponse à la menace de l’extrême droite qu’un gouvernement des travailleurs pour en finir avec la domination du CAC40. Ces élections auraient pu être l’occasion d’approfondir une dynamique qu’aurait pu créer un rassemblement démocratique des internationalistes dès la campagne des européennes, un rassemblement affichant sans ambiguïté l’ambition collective d’avancer vers un parti des travailleurs, démocratique, révolutionnaire. Ni LO ni le NPA-R ni le PT n’en ont voulu.
Même si nous pensons que ces élections piégées ne constituent pas un bon terrain pour nous, que ce n’est pas dans ces élections que les révolutionnaires ont un rôle à jouer mais bien sur le terrain de la lutte de classes pour faire revivre le marxisme, le projet révolutionnaire, nous voterons révolutionnaire, pour Lutte ouvrière qui présente des candidat·es sur l’ensemble du territoire.
Notre campagne se mène sur le terrain des idées, des luttes, de la nécessité de s’organiser parce que même si le Front populaire gagnait ces élections pour gouverner avec Macron, le problème ne serait que repoussé. Notre objectif ne peut se résumer à dénoncer les illusions sur le Front populaire quand nous-mêmes avons été incapables de faire l’unité pour défendre ensemble notre perspective commune tant pour les européennes, avec les résultats que l’on connaît, que pour les législatives.
Notre campagne voudrait inviter toutes celles et ceux qui se mobilisent contre Macron-Bardella à prendre en main la construction de leur propre parti, à venir secouer les routines électorales des révolutionnaires, à venir apporter leurs préoccupations, leur révolte et leurs idées, leurs interrogations et leur besoin de démocratie, de discussion, de solidarité de classe.
Le temps qui est devant nous est celui de la discussion et de la mobilisation pour œuvrer au rassemblement des anticapitalistes et des révolutionnaires autour d’un programme, d’une politique permettant de répondre aux drames provoqués par la faillite capitaliste.
Yvan Lemaitre
[1] Trotsky, Où va la France ? https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/ouvalafrance/ovlf7.htm
[2]https://www.revolutionpermanente.fr/Un-front-electoral-d-independance-de-classe-avec-LO-et-le-NPA-R-Une-proposition-restee-lettre-morte