Lundi 29 avril, Le Maire présentait aux députés son « programme de stabilité 2024-2027 » avec « pour objectif d’exposer les prévisions de croissance et la trajectoire des finances publiques que le Gouvernement s’est fixée à horizon 2027 ». Si l’on en croit cette « trajectoire », le déficit passerait de 5,5 % à 5,1 % du PIB cette année, à 3 % en 2027. Concernant la dette (110,6 % du PIB), elle « s’inscrirait en baisse à compter de 2026 »… Ces « prévisions » s’accompagnent de ce qui permettrait d’y parvenir : « la croissance et le plein emploi », « les réformes de structure comme la réforme de l'assurance chômage ou la simplification pour toutes les PME », « la réduction des dépenses ».
Ce prétendu « plein emploi » -un taux de chômage de moins de 5 %-, est le faux-nez dont Macron-Attal-Le Maire ont le cynisme de parer leur offensive contre les chômeurs, désignés comme coupables et responsables de leur propre sort et des difficultés de recrutement des entreprises. Le gouvernement va définir par décret de nouvelles règles d’indemnisation qui seront valables dès le 1er juillet. Règles qui ne sont pour l’instant pas définies mais qui « auront pour objectif de concourir à l'atteinte du plein-emploi et de favoriser le retour rapide en emploi des chômeurs indemnisés »… en réduisant leurs indemnités, ce qui devrait les pousser à accepter n’importe quel boulot, à n’importe quelles conditions. Des règles qui visent en fait à réaliser des économies : concernant les seuls séniors, l’objectif serait de faire 440 millions d’économies sur les trois ans qui viennent.
Cette offensive contre les chômeurs n’est qu’un des aspects d’une offensive globale contre le monde du travail dont les 10 milliards de « réduction des dépenses » déjà mis en œuvre ne sont qu’un avant-goût. Ramener le déficit sous les 3 % d’ici 2027 supposerait de 20 à 25 milliards de dépenses publiques en moins chaque année !
Le gouverneur de la Banque de France et le président de la Cour des comptes, Moscovici, n’ont pas tardé à critiquer les prévisions de croissance trop optimistes du gouvernement… façon de demander encore plus d’austérité. Quant au pseudo débat à l’Assemblée, il a surtout permis aux divers groupes d’opposition de mettre en cause les compétences et la bonne foi de Le Maire et de son comparse Cazenave, tout en faisant planer la menace d’une motion de censure. Rien par contre sur le fond du problème, le déficit public comme arme pour maintenir la rentabilité du capital pour éviter la faillite en cours, au détriment de toute la population.
Derrière le déficit budgétaire, une guerre de classe d’autant plus violente qu’elle est désespérée
Le ministère des finances a justifié son plan de 10 milliards de restrictions budgétaires par le fait que les rentrées fiscales de 2023 ont été plus faibles que prévu : - 4,4 milliards sur l’impôt sur les sociétés, - 1,4 sur la TVA, - 1,4 sur l’impôt sur le revenu… Autant de conséquences d’une économie en berne auxquelles s’est ajoutée l’augmentation du budget militaire, porté à 2 % du PIB en 2024 pour remplir « l’objectif fixé par l’OTAN ».
Quant à la dette, elle est prise dans son propre cercle vicieux. L’Etat emprunte chaque année pour combler le déficit, mais aussi pour rembourser le capital des emprunts arrivés à échéance. Sur les plus de 3000 milliards actuels de dette publique, 2000 devront être remboursés grâce à des emprunts équivalents d’ici 2027. Les intérêts versés chaque année par l’Etat -la charge de la dette- pèsent de plus en plus lourdement sur le budget, creusant le déficit. Cette charge était de 30 milliards d’euros il y a deux ans, elle dépasse 51 milliards dans le budget 2024 et pourrait atteindre 70 à 75 milliards par an dans les prochaines années, voire dépasser le quart du budget.
Ces milliards ne sont pas perdus pour tout le monde. La dette publique est un des canaux, avec les « aides aux entreprises », par lesquels l’Etat transfère aux classes dominantes les richesses qu’il extorque aux classes exploitées à coup de taxes, de réduction de la redistribution sociale (RSA et autres allocations sociales), de destruction des services publics. Ces « aides » sont un mélange de subventions, réduction des prélèvements et des dépenses fiscales, prises de participation financières, etc. Selon une étude publiée en mai 2023 par une chercheuse du CNRS, leur montant est passé de 85 milliards d’euros par an en moyenne avant 2009 à 190 milliards par an les années suivantes et à 270 milliards en 2021. Elles apparaissent ainsi comme le principal facteur de l’aggravation du déficit de l’Etat.
Il s’agit de maintenir les profits dans une économie en stagnation, mais aussi de permettre aux grandes entreprises de faire face, au moindre coût pour elles, à l’exacerbation de la concurrence internationale. Le plan de restrictions budgétaires Macron-Attal-Le Maire est le dernier avatar de cette guerre de classe. Une politique absurde puisque, génératrice de régression sociale, elle ne peut qu’aggraver la récession économique et donc la situation à laquelle elle dit vouloir remédier. Le capitalisme français et son Etat, comme l’UE, n’ont pas d’autre politique que cette fuite en avant désespérée pour tenter de se maintenir à flot dans la concurrence mondiale, celle de leur allié américain qui ébranle un capitalisme mondialisé à bout de souffle dont ils sont totalement dépendants.
La France et l’Europe dans la tempête du capitaliste financiarisé mondialisé …
L’offensive de classe violente que mène le gouvernement vise aussi, comme le serine Macron, à augmenter « l’attractivité de la France » pour les investissements. Attractivité qui passe par un coût du travail le moins élevé possible et une « simplification » de tout ce qui peut faire obstacle à la « libre entreprise », au bon vouloir des patrons. Cette course à l’attractivité est d’autant plus cruciale que les USA drainent actuellement l’essentiel des investissements. C’est le résultat des mesures protectionnistes qu’ils ont prises, en particulier par les divers « plans Biden ». Il s’agissait de maintenir leur hégémonie économique face à des concurrents comme la Chine, mais ces mesures se retournent aussi contre leurs « alliés », en particulier européens.
L’UE comme divers pays, dont la France, ont tenté d’y répondre avec leurs propres plans de relance, mais ils sont loin de faire le poids. En atteste l’annonce récente par Pouyanné, le PDG de Total, qui envisage de déplacer l’essentiel de sa cotation boursière de Paris à Wall-Street. Le Maire en a immédiatement appelé à « l’intérêt suprême de la nation »... Pouyanné, lui, fait valoir que les actionnaires américains constituent presque 50 % de l’actionnariat du groupe alors que le nombre d’actionnaires français diminue et que « ça n’est pas une question d’émotion. C’est une question d’affaires » … En guise « d’intérêt suprême de la nation », Le Maire veut surtout parler de l’intérêt du CAC40, qui perdrait un de ses principaux contributeurs, comme aussi de la crédibilité politique du gouvernement. Crédibilité au nom de laquelle il a convoqué le PDG de la SNCF qui a eu l’outrecuidance de signer avec les syndicats un accord de fin de carrière qui compense pour l’essentiel les effets de la réforme des retraites…
Confrontée à l’exacerbation de la guerre commerciale et alors que les affrontements et les menaces militaires s’accumulent, l’Union européenne comme ses principaux pays membres sont contraints au recul. Recul que les gouvernements cherchent à compenser par l’exacerbation de leur guerre de classe, leur volonté d’embrigader la société, de nous soumettre aux intérêts de leurs guerres commerciales, voire nous sacrifier sur leurs champs de bataille.
Contre les reculs sociaux, construire un rapport de force social et politique
Pour nous, travailleur.es, jeunes, il y a urgence à dire non à l’austérité comme à leurs guerres. Pour cela, nous ne pouvons compter que sur nos propres mobilisations, en nous organisant à la base pour prendre nos affaires en main, diriger nos luttes par notre organisation démocratique.
La brutalité de l’offensive en cours montre la nature même de l’affrontement dans lequel s’opposent deux mondes aux intérêts diamétralement opposés : celui des patrons et de leur personnel politique et celui de l’immense majorité de la population, travailleurs avec ou sans emplois, salariés ou indépendants, jeunes. Un affrontement de classe d’autant plus irréconciliable que l’aggravation de la crise globale qui mine le mode de production capitaliste mondialisé et financiarisé pousse les capitalistes et leurs Etats à accentuer leur prédation, sur les femmes et les hommes comme sur la nature.
Construire un rapport de force favorable au monde du travail pour mettre un terme à la régression sociale et politique, c’est prendre conscience de la nature inévitable de cet affrontement engagé par les classes dominantes et l’aborder en toute lucidité.
Daniel Minvielle