Blinken, chef de la diplomatie américaine, vient de terminer une énième tournée au Moyen-Orient. Il y était venu pour faire la promotion de la prétendue offre de trêve proposée par Israël au Hamas, qu’il a qualifiée d’« extraordinairement généreuse de la part d’Israël », dans le même temps qu’il affichait les prétendues préoccupations humanitaires des USA au moment où se met en place un port au large de Gaza dont la construction a été justifiée par l’aide humanitaire mais dont on ne peut ignorer les objectifs militaires possibles. Dans le même temps, Netanyahou réaffirmait publiquement : « L’idée que nous allons arrêter la guerre avant d’avoir atteint tous nos objectifs est hors de question. Nous allons entrer dans Rafah et y éliminer les bataillons du Hamas, avec ou sans accord de trêve, afin d’obtenir une victoire totale ». Et, en préparation de l’offensive au sol, à Rafah, les bombes israéliennes font des morts et des blessés tous les jours, Gaza crie famine.

Il est clair que cette trêve, même si pour les Gazaouis elle représenterait un répit dans l’enfer dont ils sont prisonniers, ne pouvait être au mieux qu’une trêve pour qu’Israël puisse continuer sa guerre génocidaire en ayant calmé le mécontentement de la majorité des Israéliens en obtenant la libération des otages, pour que Netanyahou reprenne la main afin de poursuivre ses buts, ceux de l’État et de l’armée sionistes ainsi que des USA et de leurs alliés, en finir avec le Hamas, entendez en finir avec la question nationale palestinienne. Un objectif dont tout le monde sait qu’il signifie un état de guerre permanent au Moyen-Orient avec en toile de fond une probable guerre contre l’Iran. Les négociations au Qatar n’étaient qu’un jeu de dupes mis en scène par Blinken et Biden.

La politique militariste des puissances occidentales, leurs mensonges hypocrites, leur complicité active combinés à l’accumulation d’images insoutenables, de témoignages des exactions et crimes de Tsahal suscitent à travers le monde une profonde indignation, une colère et une inquiétude quant au risque de généralisation de la guerre.

Aux USA se développe une mobilisation politique dans les universités de Los Angeles à Washington, de New York à Austin ou Atlanta, elle ne faiblit pas et trouve un écho partout dans le monde. En France, à partir de Sciences Po Paris, malgré la répression, les intimidations ou les poursuites judiciaires, elle gagne du terrain. Quelle que soit la forme qu’elle prendra, la mobilisation s’inscrit dans la durée, elle participe d’une politisation et d’une radicalisation dont les enjeux sont importants pour l’avenir.

Il serait illusoire de rêver d’un nouveau Mai 68, illusoire et trompeur sur les enjeux politiques du mouvement qui se déroule dans un contexte international qui a bien peu à voir avec celui des années 60 et 70, celui de la victoire des luttes de libération, des révolutions nationales au sein des pays coloniaux, les années de Mao, Ho Chi Minh, Castro où les luttes d’émancipation des peuples coloniaux se revendiquaient du communisme, où la jeunesse contestait la domination coloniale réactionnaire des puissances occidentales et où le mouvement des droits civiques et la lutte contre la guerre du Vietnam ébranlaient la citadelle impérialiste. Forces et limites d’une période dominée par la guerre froide, le stalinisme et l’imposture du communisme devenu le drapeau du stalinisme et des luttes nationales.

Les mythes du passé ne préparent pas l’avenir, une nouvelle période est ouverte et les enjeux des mobilisations de la jeunesse en sont d’autant plus importants.

La révolte de la jeunesse contre la guerre d’Israël s’affronte aux appareils d’État

« L’ordre devait prévaloir », Biden a, sans nuance, soutenu la répression policière brutale qui s’attaque aux étudiants occupant les campus et opère des milliers d’arrestations même s’il sait qu’il est en train de perdre l’élection présidentielle. Trump a, lui, dénoncé « des tarés de la gauche radicale et il faut les arrêter maintenant » accusant Biden de mollesse. Après le vote des crédits de guerre pour Israël, l’Ukraine et Taïwan par les Républicains et Démocrates la main dans la main, les surenchères répressives contre la jeunesse de Biden et Trump illustrent à quel point le bipartisme qui domine la vie politique aux USA est une machine à encadrer et dominer l’opinion pour le compte de Wall Street et du Pentagone.

Une nouvelle génération est en train de se politiser à travers l’action collective en se confrontant directement avec la police et l’État. Les images montrant les cohortes de policiers anti-émeutes lâchés contre les étudiants qui dénoncent le génocide commis par l’État sioniste d’Israël, exigent un cessez-le-feu et récusent le soutien militaire des États-Unis à Israël, font le tour du monde. Malgré ces interventions policières brutales, malgré des interpellations massives et les tentatives de démanteler les campements de toile et surtout malgré l’abjecte présentation des protestataires comme autant d’antisémites ou apôtres du terrorisme, le mouvement étudiant continue.

Ces accusations écœurent et scandalisent alors qu’une bonne partie des classes bourgeoises, des intellectuels, à l’unisson des gouvernements des grandes puissances occidentales apportent leur soutien politique, moral et matériel, militaire à un régime d’extrême droite israélien, sioniste qui massacre une population.

Quand les fauteurs de guerre, terroristes d’État et racistes, invoquent la lutte contre l’antisémitisme et le terrorisme

« Les dérives d’une minorité agissante et dangereuse qui veut imposer à la majorité des étudiants, des enseignants, une idéologie venue d’outre-Atlantique », dénonce Attal contre les étudiant·es de Sciences Po faisant écho à Biden-Trump et trouvant écho chez Marine Le Pen : « Je vois une mouvance essayer d’importer en France la guerre raciale américaine. Se mettre sur un plan racial, c’est tomber dans un double piège. D’abord, celui des indigénistes, des racialistes, alors qu’il faut rester sur un plan républicain. […] C’est aussi tomber dans le piège de l’américanisation, alors que rien ne se construit, en France, en fonction de communautés ».

L’ironie de la lutte ridiculise ces dénonciateurs de « l’américanisation » qui sont inféodés au militarisme de la première puissance mondiale et à son vassal Israël. Leur américanisation à eux, c’est le racisme, héritage de l’esclavage, qui continue à pourrir la vie sociale aux USA comme dans les vieilles puissances coloniales, leur trait d’union cimenté par le sang des opprimés et les intérêts du capital.

Leurs intérêts convergent dans le soutien au sionisme et dans la même répression qui, ici aussi, a franchi un nouveau seuil. Les procédures judiciaires à l’encontre de responsables politiques dont Anasse Kazib, Rima Hassan, Mathilde Panot s’accompagnent des interventions policières et arrestations d’étudiants, de censure et de police des esprits en particulier dans les médias comme France Inter.

Après l’accusation d’antisémitisme, l’« Apologie du terrorisme » devient le principal acte d’accusation pour criminaliser celles et ceux qui se soulèvent contre le crime commis contre le peuple palestinien. Cette perversion morale et intellectuelle illustre la dérive réactionnaire, xénophobe et militariste, résurgence du colonialisme, non seulement des classes dirigeantes mais aussi des intellectuels qui se prétendent, sans rire, les continuateurs des Lumières au pays des droits de l’homme !

Une imposture qui vient justifier leur étroitesse nationale pour défendre leurs privilèges petits ou grands à l’ombre de la domination du capital auquel ils vendent leur âme et leur plume et dont les racines plongent dans le colonialisme et les guerres coloniales, leur défaite historique dont ils ne se remettront jamais alors que sont ravivés par la guerre leurs vieux préjugés racistes dans la défense de l’occident et de « nos valeurs », la « guerre de civilisation » qui conduit directement à un nouveau fascisme.

La folie de Netanyahou ou la folie de la stratégie militariste des USA et de l’Otan

Pour Biden et Macron, la guerre d’Israël est légitime. Ses excès ne seraient que le fait du jeu personnel de Netanyahou et ils tentent de répondre à la réprobation des massacres, à l’indignation et incompréhension qu’ils soulèvent dans la population par une propagande relayée complaisamment par les médias comme quoi les USA et leurs alliés feraient pression sur Netanyahou dont l’ambition et les difficultés avec la justice seraient l’explication de la folie guerrière qui s’est emparée de l’armée israélienne. Ce conte ne repose sur rien et masque à la fois la réalité de ce qu’est devenu l’État sioniste dominé par l’influence de l’extrême droite, des intégristes religieux comme la stratégie des USA et de leurs alliés.

Pas plus que le délire grand russe du dictateur Poutine ne suffit à expliquer l’origine de la guerre d’Ukraine, l’ambition folle de Netanyahou, sa volonté de vengeance en réponse au 7 octobre ne peuvent expliquer la course guerrière fanatique d’Israël.

Pas plus que les USA et l’Otan n’ont tenté d’offrir avant 2022 une porte de sortie à Poutine pour éviter la guerre en ouvrant des négociations sur la sécurité en Europe, ils n’ont ouvert une porte vers la paix au Moyen-Orient en imposant la reconnaissance du droit démocratique élémentaire des Palestiniens à posséder leur propre État. Droit auquel les USA s’opposent en fait avec la même obstination que les sionistes, Netanyahou et son gouvernement d’extrême droite.

Netanyahou ne met pas ses alliés devant le fait accompli mais gère leur guerre en respectant leur propre demande comme l’illustre la proposition d’Israël d’une trêve, le temps pris avant de déclencher l’offensive terrestre contre Rafah, ou la collaboration avec les USA pour la construction d’un port destiné à l’aide humanitaire mais qui pourrait servir à des opérations militaires communes. Leur complicité est totale dans les mensonges comme dans les actes.

Le soutien à Israël est un élément clé de la politique américaine et de ses alliés. Il s’inscrit dans une stratégie globale dont le Moyen Orient est une plaque tournante au même titre que la guerre d’Ukraine.

« Guerre à la guerre ! »

Cet appel fut lancé par la Deuxième internationale social-démocrate à l’issue du congrès de Bâle en 1913, porté par Jaurès alors que grandissait la menace de la première guerre impérialiste de 1914. Il valut à celui-ci d’être assassiné le 31 juillet 1914, la veille du déclenchement de la guerre qui vit la Deuxième internationale sombrer dans l’union sacrée. Le drapeau de la lutte contre la guerre fut repris par la minorité internationaliste. Lénine formula la stratégie, transformer la guerre impérialiste en guerre civile alors que Karl Liebknecht lançait le mot d’ordre « L’ennemi est dans notre propre pays ! » après avoir refusé au Parlement allemand de voter les crédits de guerre.

La stratégie révolutionnaire élaborée par la minorité internationaliste qui s’opposa à la première guerre impérialiste trouve sa continuité dans la politique qui s’impose à toutes celles et ceux qui ne veulent pas se limiter à crier leur indignation, leur révolte face aux massacres des Palestiniens et au bain de sang qui a lieu en Ukraine des deux côtés des tranchées, mais veulent mettre un coup d’arrêt à la logique militariste et belliciste qui gagne le monde et à la propagande nationaliste et patriotique qui pourrit les consciences.

Nous ne pouvons que regretter que ce 1er Mai n’ait pas été dominé par un internationalisme conséquent, c’est-à-dire qui inscrive le combat de classe ici dans le combat de classe international contre la guerre, contre les guerres et les responsabilités directes de notre bourgeoisie et notre État et soutienne et ouvre une perspective à la jeunesse.

La solidarité avec le peuple palestinien ne peut que rester dans les limites du nationalisme et des vœux pieux ou de la dénonciation de la répression sans désigner directement l’ennemi qui est dans notre propre pays, si elle ne se lie pas à la lutte contre la guerre d’Ukraine plus largement la lutte contre la guerre, les guerres, à la lutte de classe pour en finir avec la domination capitaliste.

La confusion au sujet de la guerre d’Ukraine domine les esprits y compris dans le camp révolutionnaire. La solidarité avec l’Ukraine dans la guerre par procuration de l’Otan exprime la domination sur les cerveaux de la propagande des USA et de leurs alliés, de Macron prétendant défendre l’indépendance de l’Ukraine et la démocratie alors qu’ils sacrifient le peuple ukrainien, chair à canon dans cette guerre par procuration, à la défense de leurs propres intérêts contre les prétentions russes. Notre solidarité, c’est la lutte contre cette guerre en dénonçant les mensonges de la propagande occidentale.

Oui, contre la guerre et le capitalisme, solidarité internationaliste des travailleurs ! L’ennemi est dans notre propre pays ! Aujourd’hui encore nous ne votons pas les crédits de guerre à l’armée de Biden-Macron-Zelensky. Leur guerre n’est pas la nôtre et le combat des travailleurs est, à travers le monde, un même combat contre les Etats capitalistes, les classes dominantes, pour refuser d’être les fantassins de leur guerre économique et militaire.

Cette lutte est essentielle aussi pour imposer les droits démocratiques des Palestiniens, l’exigence initiale du mouvement national palestinien d’un État démocratique laïc où Arabes et Juifs, musulmans, chrétiens et sans religion puissent coexister pacifiquement et jouir de droits égaux. La politique du Hamas est de toute évidence un obstacle sur cette voie.

Les travailleurs du monde entier en particulier ceux des puissances occidentales ont rendez-vous à Gaza. L’issue de la guerre génocidaire qui s’y mène, ses suites seront déterminantes pour l’avenir de la planète au même titre que celle d’Ukraine.

La capacité des travailleurs des puissances occidentales à y intervenir pour arrêter le bras des assassins et de leurs commanditaires sera décisive pour mettre en échec la militarisation du monde, barrer la route aux forces fascisantes, les Trump et autres Le Pen, reprendre l’offensive pour en finir avec le capitalisme et son cortège de misère, de violences, de guerres, de catastrophes écologiques. C’est aussi la seule possibilité pour le peuple palestinien de conquérir ses droits démocratiques contre Israël mais contre aussi le Hamas et les régimes réactionnaires du monde arabe, en alliance avec les travailleurs des autres nations de la région dans une fédération socialiste des États du Moyen-Orient.

Yvan Lemaitre

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