Cela fait maintenant plusieurs semaines que le gouvernement invoque les déficits et la dette pour annoncer de nouvelles attaques contre les services publics, la protection sociale, les couches les plus pauvres de la population. Le 26 mars dernier, Attal et Le Maire ont même fait mine de découvrir un déficit en 2023 plus important qu’annoncé, de 5,5 % contre les 4,9 % envisagés officiellement jusqu’alors.
Etaient déjà en chantier une offensive sans précédent contre les chômeurs, la suppression de l’allocation spécifique de solidarité (ASS), des réductions budgétaires en 2024 de 10 milliards supplémentaires et de 20 milliards au minimum en 2025...
Depuis l’annonce de ce déficit prétendument inattendu de 5,5 %, Attal et Le Maire rivalisent de bonnes idées pour prendre encore plus dans la poche des plus pauvres -une nouvelle réforme de l’assurance chômage, une réduction des indemnités journalières en cas d’arrêts-maladie ou, préconisée par Le Maire, une « TVA sociale » remplaçant les cotisations sociales payées par les patrons, une partie du salaire, par une augmentation de la TVA. Le tout accompagné de propos moralisateurs insupportables laissant entendre que les victimes mêmes de leur politique toute entière dévouée aux intérêts des grands groupes capitalistes seraient des « assistés » et se complairaient dans le chômage.
Alors que 43 % seulement des inscrits au chômage sont indemnisés et qu’il y a plus de 9 millions de personnes sous le seuil de pauvreté, les grandes fortunes prospèrent. Selon le classement Forbes 2024, Bernard Arnault, patron du conglomérat du luxe LVMH, est l’homme le plus riche du monde avec 215 milliards d’euros et les dix nouveaux milliardaires français sont pour la plupart des héritiers de familles richissimes comme les enfants Dassault. Voilà qui sont les véritables « assistés », on ne peut plus parasitaires, en faveur desquels Macron et ses ministres mènent leur offensive contre la population.
Des groupes capitalistes sous perfusion de l’État
A la Bourse de Paris, on sabre le champagne, l’indice du CAC40 a pulvérisé tous ses records à plus de 8000 points, les profits de 38 des 40 sociétés qui y sont cotées ont explosé, à plus de 153 milliards d’euros pour l’année 2023. Les mêmes groupes reversent les deux tiers de ces bénéfices à leurs actionnaires sous forme de dividendes ou de rachats d’actions. Mais rien n’est dit, dans les media aux ordres, du parasitisme de ces multinationales qui ont grossi leurs bénéfices en augmentant sans retenue ni contrôle leurs marges, nourrissant une inflation qui appauvrit la population. Ils font peser sur leurs sous-traitants et leurs fournisseurs un maximum de charges et paient en France des montants d’impôts dérisoires, tel TotalEnergies, près de 20 milliards de bénéfices et… 320 millions d’euros payés au fisc.
C’est que l’État, le gouvernement, consacrent l’essentiel de leur activité à ce qu’ils appellent « l’attractivité de la France ». De telle sorte que ces multinationales peuvent non seulement vampiriser le travail des salariés de toutes les entreprises qui font partie des chaînes de production sous leurs ordres mais également concentrer entre leurs mains des montants toujours plus formidables d’argent public sous forme de crédits d’impôts, de subventions, d’exonérations de cotisations sociales... L’ensemble des aides de l’État et des collectivités territoriales au secteur privé se monte ainsi à 200 milliards d’euros par an depuis 2019 selon une étude de l’IRES.
La dette publique, une manne pour le Capital
Ce soutien de l’État aux groupes capitalistes a toujours existé mais il a pris la forme depuis quelques années d’un véritable transfert des richesses créées par les travailleurs vers le Capital, alimentant une croissance inédite de la dette publique. Celle-ci est passée de 233 milliards d’euros en 1985 à 1370 milliards en 2008, 2650 milliards en 2020 et 3101 milliards fin 2023.
Ce puits de la dette, creusé par les multiples aides évoquées plus haut l’est en outre aussi par les intérêts payés chaque année aux multiples fonds et groupes capitalistes qui prêtent de l’argent à l’État. A cette rente, s’ajoutent les spéculations basées sur les produits financiers qui en sont dérivés.
Une solution qui semble de bon sens consisterait à taxer les grandes entreprises, les profits, ne serait-ce qu’en rétablissant les taux d’imposition qui existaient il y a quelques décennies. C’est somme toute ce que proposent LFI, le PC, Attac, les antilibéraux en prônant un gouvernement élu sur ce programme et, ajoutent-ils, appuyé par les luttes.
Cette conception qui fait procéder les décisions des gouvernements de choix politiques, mauvais ou malfaisants, est sur le fond complotiste. Elle prétend que la politique de l’État dépendrait de quelques machinations entre les capitalistes avides et les politiciens serviles. Certes, ce n’est pas entièrement faux mais le fond du problème n’est pas là, il est dans la logique même, organique du système. Le développement du capitalisme s’est toujours nourri de la dette publique, il n’y a pas de capitalisme vertueux.
Cela est encore plus vrai aujourd’hui alors que le capitalisme est mondialisé, dirigé par une oligarchie financière de plus en plus parasitaire et concentrant une masse sans cesse croissante de capitaux entre ses mains. Les décisions des gouvernements obéissent aux besoins d’un capitalisme qui s’est étendu à toute la planète, qui ne peut se maintenir qu’en valorisant par toujours plus de profits l’énorme masse de capitaux en circulation. Les capitaux spéculatifs anticipent la production de profit qui ne peut venir que du travail humain et ne peut se réaliser que par la vente de ses produits sur le marché de la consommation. Or la machine à profits s’essouffle, ne peut se maintenir que par la dépossession, la régression sociale, voire la guerre.
Abrogation de la dette, monopole public bancaire, contrôle des travailleurs sur l’économie et les comptes de l’Etat
Les gouvernements, tout en se servant de la dette comme d’un moyen -et conséquence- pour subventionner à fonds perdus les capitalistes, sont obligés de la contenir dans certaines limites. Elle n’est pas un simple prétexte pour faire les poches des travailleurs, les Etats doivent faire la preuve auprès des marchés financiers qu’ils sont capables d’assurer l’augmentation incessante des profits par la baisse des coûts de production, les bas salaires, l’abaissement de la protection sociale et des dépenses publiques qui ne servent qu’à la population.
Il n’y a d’issue à ce cercle vicieux que dans l’abrogation de la dette, la prise de contrôle par les travailleurs, la population, de tout le système bancaire et financier par la création d’un monopole bancaire public, le contrôle des comptes des entreprises et de l’État.
Galia Trépère