Trois frappes de drones ont ciblé, lundi dernier, un convoi de l’ONG World Central Kitchen, qui avait pourtant coordonné avec Tsahal son trajet, tuant sept travailleurs humanitaires. Ce drame est survenu quelques heures après que l’armée israélienne a annoncé la fin de son attaque contre l’hôpital al-Shifa, le plus grand de la bande de Gaza, transformé en champ de la mort, des centaines de corps d’hommes, de femmes et d’enfants à l’intérieur et autour de l’hôpital. Et Israël continue les bombardements contre la population de Gaza, déplacée, démunie, sans abris, affamée.

Malgré cette horreur continue, les USA se sont abstenus lors du vote sur la résolution adoptée le 25 mars par le Conseil de sécurité de l’ONU qui se limitait à appeler à « un cessez-le-feu immédiat pour le mois de Ramadan » ! Washington ne voulait pas contrarier Israël qui accuse l’ONU d’être devenue « un organisme antisémite et anti-israélien qui protège et encourage la terreur » et vient, par ailleurs, d’interdire en Israël Al Jazeera, seule chaîne en mesure d’apporter des informations de Gaza !

Les USA fournissent toujours à Israël armes et munitions tout en tentant d’imposer à Netanyahou des concessions humanitaires. Nous sommes loin de la rupture, tout démontre que les USA et Israël conduisent la guerre conjointement.

Le ministre de la « Défense » israélien, Yoav Galant, reçu à Washington, a affirmé une nouvelle fois son intention d’envahir Rafah. L’objectif a été réaffirmé ce dimanche alors que Tsahal annonçait le retrait de toutes ses troupes du sud de la bande de Gaza privilégiant dorénavant des actions ciblées. Galant s’est coordonné avec l’administration Biden sur la manière d’opérer tout en laissant croire qu’il tenait compte des préoccupations dites humanitaires de celle-ci. Il poursuit sa guerre après avoir une nouvelle fois reçu le soutien de Kirby, porte-parole de la Maison Blanche (NSC) : « Bien sûr, nous soutenons toujours Israël. En fait, alors que vous et moi parlons, nous fournissons toujours des outils et des capacités, des systèmes d’armes, afin qu’Israël puisse se défendre. »

Derrière l’hypocrisie humanitaire, les manœuvres militaires des USA

Les velléités humanitaires de Biden ne sont que faux semblants et mensonges, double langage d’une politique qui ne peut assumer ses réels objectifs. L’aide humanitaire qui transite par voie terrestre est délibérément bloquée par Israël. Il suffirait aux Etats-Unis de contraindre le gouvernement sioniste à ouvrir les frontières pour permettre l’acheminement des vivres. Israël, à dessein, est en train de créer une crise humanitaire telle qu’il ne pourra plus y avoir d’autre option que la mort ou la déportation.

Biden a annoncé que les forces américaines se lançaient dans la construction d’un port « temporaire » au large de la bande de Gaza, un chantier maritime qui nécessite plus de deux mois de travaux pour être opérationnel.

Qui peut croire que la construction de ce port n’aurait d’autre objectif que de permettre d’acheminer l’aide humanitaire supervisée... par l’armée israélienne ? Vouloir acheminer de l’aide par voie maritime n’a pas de sens alors qu’il suffirait de permettre aux centaines de camions qui attendent aux portes de Rafah d’entrer dans la bande de Gaza. 

Tout laisse à penser que ce « port temporaire » répond à d’autres objectifs qui expliquent le soutien d’Israël qui voit en lui la possibilité d’expulser après son offensive sur Rafah une partie des Palestiniens condamnés à partir sans autre possibilité. La droite israélienne militant pour « le grand Israël » s’en revendique.

Il obéit aussi à des objectifs à plus long terme. Le port sera établi dans la zone maritime riche en hydrocarbures que seuls les États-Unis ont les moyens d’exploiter. La guerre n’est pas étrangère à ces préoccupations. En effet le contrôle des ressources en gaz naturel offshore appartient légalement à l’État palestinien. Israël n’a jamais permis à l’Autorité palestinienne d’y avoir accès bien que ces ressources en gaz naturel aient été découvertes en 2000.

Et par ailleurs ce port pourrait aussi servir militairement aux USA en cas de difficultés d’Israël et d’extension de la guerre.

Israël, fer de lance de l’offensive militaire des puissances occidentales

La guerre d’Israël répond aux intérêts des USA et de leurs alliés. La contribution sans limite de ces derniers à l’effort de guerre d’Israël n’est pas simplement au service des marchands d’armes mais participe d’une politique plus globale des grandes puissances occidentales dont l’hégémonie mondiale est, de fait, contestée par le développement économique des anciens pays coloniaux qu’elles ont exploités et pillés durant des siècles.

Le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU a adopté le 5 avril, à Genève, une résolution, exigeant l’arrêt des ventes d’armes à Israël, avec 28 voix pour, 6 contre (Argentine, Bulgarie, Allemagne, Malawi, Paraguay, États-Unis) et 13 abstentions dont la France. Voilà qui juge les préoccupations humanitaires des USA et aussi de la France.

Les Etats-Unis versent 3,8 milliards de dollars d’aide militaire annuelle à Israël. Ils ont autorisé ces derniers jours le transfert de plusieurs milliards de dollars de matériel militaire et Biden projette de lui accorder une rallonge exceptionnelle de plus de 14 milliards.

Le total des dépenses militaires américaines représente 39 % du total des dépenses militaires mondiales, soit l’équivalent de celles des 11 pays suivants réunis.

Face au relatif déclin de sa position hégémonique dans le monde, les USA développent une politique étrangère agressive que reflète son énorme budget militaire et qui s’exprime dans l’unanimité des deux principaux partis, Démocrate et Républicain, sur la nécessité de contrer ce qu’ils considèrent comme la menace croissante de la Chine et de soumettre ses alliés potentiels que sont la Russie, l’Iran, la Corée du Nord.

Leur implication dans la folle et destructrice aventure guerrière de Netanyahou ainsi que dans la guerre d’Ukraine s’inscrit dans cette logique qui façonne la situation internationale où le droit est réduit à la loi du plus fort dans toute sa brutalité nue et renforce le camp du militarisme et de la réaction.

Vers une guerre régionale, nouvelle étape de la mondialisation du militarisme ?

Cette politique des grandes puissances laisse les mains libres à Israël au risque d’une extension de la guerre à l’ensemble du Moyen-Orient. Depuis le 7 octobre, les affrontements à la frontière entre le Liban et Israël, où 10 500 casques bleus sont déployés, se sont multipliés entre Tsahal et le Hezbollah.

Lundi 1er avril, un raid israélien a détruit la section consulaire de l’ambassade iranienne à Damas, faisant treize morts, dont sept parmi les Gardiens de la révolution d’Iran. L’attaque était un véritable acte de guerre puisqu’elle violait l’espace aérien syrien avant de frapper un bâtiment consulaire iranien, considéré comme un territoire iranien en vertu du droit international. Ce raid aérien sur le territoire syrien est le cinquième en une semaine.

Téhéran a promis de riposter alors que le ministre israélien de la Défense Yoav Gallant a lancé une mise en garde : « Israël attaque partout au Moyen-Orient [...] Nous devons nous préparer à tout scénario […] nous savons protéger notre population et répliquer à nos ennemis ».

Engagé dans une « guerre multifront », Israël a accentué les déséquilibres régionaux, frappant la Syrie, l’Égypte, le Liban, le Yémen, l’Irak et l’Iran. Pratiquement tous les alliés de l’Iran dans le dit « axe de la résistance » se sont engagés dans des actions militaires à différentes échelles, que ce soit le Hezbollah au Liban ou les milices liées au régime iranien en Syrie, en Irak et en Jordanie. Les Houthis ont intercepté et attaqué avec des drones des navires commerciaux ayant des liens avec Israël ou ses alliés dans la mer Rouge, en réponse à quoi les États-Unis et la Grande-Bretagne ont bombardé le Yémen.

Les USA et leurs alliés ont parfaitement conscience de cette logique. Ils souhaitent en garder la maîtrise, éviter des dérapages incontrôlés mais ils en sont partie prenante. S’assurer le contrôle du Moyen Orient est pour eux décisif dans leur stratégie contre la Chine qui passe par soumettre l’Iran. Les provocations d’Israël dans sa « guerre multifront » leur servent à tester les rapports de force, les capacités de réaction de leurs ennemis au risque du dérapage et d’être contraints d’intervenir directement contre l’Iran. Ils parient sur le fait que la pression d’Israël et leur menace suffiront à faire plier le régime des mollahs impopulaire et contesté. Mais rien n’est sûr et ils sont prêts, si ce pari s’avérait erroné, à s’engager directement aux côtés d’Israël.

Israël dans le piège du sionisme

Ainsi, l’État sioniste en conditionnant son existence à sa soumission aux intérêts des vieilles puissances impérialistes qui l’ont porté sur les fonds baptismaux, à une politique colonialiste au mépris des Palestiniens, loin d’apporter la sécurité à la population d’Israël, l’enferme dans une politique militariste sans fin qui la soumet à l’extrême droite et aux religieux. Cette contradiction prend un caractère aigu et taraude la vie politique en Israël. Une large fraction de la population, la jeunesse s’inquiètent, confrontées à une guerre dont personne ne voit l’issue. Même si elle reste sans autres perspectives et n’est pas en mesure de briser le piège du sionisme, la contestation provoquée par la barbarie sans nom d’une guerre sans issue cible Netanyahou considéré comme responsable. « Netanyahou doit partir ! », « Élections ! », « Ramenez les otages maintenant ! », scandaient des milliers de manifestants, ce week-end encore, autour de la Knesset, le parlement, à Jérusalem.

Cette contestation tétanisée par le traumatisme du 7 octobre et l’illusion que la puissance militaire d’Israël leur permettra de retrouver l’équilibre fragile d’avant, reste prisonnière du consensus sioniste, de la loi ségrégationniste votée en 2018 qui définit Israël comme « L’Etat-nation du peuple juif ». 

Et pourtant, il n’y a pas d’autre issue pour les classes populaires d’Israël qu’une politique qui rompt avec le poison du sionisme pour construire l’unité des opprimés et imposer le respect des droits de chacun. Un peuple qui en opprime un autre n’est jamais libre et devient l’instrument de ses propres ennemis, se fait son propre geôlier.

Le Hamas s’excuse d’une politique criminelle pour mieux la poursuivre

Cela suppose que le peuple palestinien, lui-même pris au piège sanglant du nationalisme, s’émancipe de la tutelle de ses faux amis, les régimes arabes qui ont instrumentalisé sa lutte pour leurs propres intérêts en l’enfermant lui aussi dans un piège dont le Hamas est le produit et l’instrument.

Ce dernier vient, dans un communiqué, de « présenter ses excuses » pour les difficultés et les souffrances causées par la guerre provoquée par l’attaque du 7 octobre 2023. Il réaffirme dans le même temps sa volonté de poursuivre cette guerre pour « la victoire et la liberté » des Palestiniens. 

Les dirigeants du Hamas ne pouvaient pas ignorer ce que serait la riposte d’Israël à l’attaque du 7 octobre décidée sans que la population soit le moins du monde consultée, hors de son contrôle. Ils sont obligés de s’excuser aujourd’hui dans la seule intention de continuer une politique qui contribue à creuser toujours plus le fossé de sang voulu par l’État d’Israël entre les deux peuples. Les Palestiniens ne sont pour eux et leurs protecteurs qataris qu’une masse de manœuvre pour négocier leurs propres intérêts de parti nationaliste, religieux, réactionnaire.

Une politique progressiste, démocratique, soucieuse des droits nationaux et des intérêts des Palestiniens œuvrerait à unir les masses pauvres aux prolétaires de toute la région y compris d’Israël.

Le soutien au peuple palestinien, combattre notre propre capitalisme et ses alliés de l’Otan

La bataille pour le droit à l’autodétermination du peuple palestinien implique une rupture avec les régimes nationalistes bourgeois arabes ainsi qu’avec le Hamas pour construire l’unité des classes opprimées palestiniennes, arabes mais aussi d’Israël. La reconnaissance des droits nationaux et démocratiques des Palestiniens passe par la reconnaissance des mêmes droits pour les Israéliens et les uns et les autres ne pourront les conquérir qu’en rompant avec le piège du nationalisme et de la logique guerrière dont les grandes puissances occidentales portent la responsabilité ainsi que leur allié l’État sioniste et les régimes arabes réactionnaires et corrompus. Les seules à pouvoir vaincre le sionisme d’un point de vue démocratique, progressiste sont les masses arabes, israéliennes et palestiniennes dans la lutte pour le socialisme.

Cette perspective peut sembler hors de portée mais il n’y en a pas d’autre. Elle dépend pour beaucoup des classes opprimées du Moyen Orient mais aussi des prolétaires des grandes puissances dont Israël est l’allié qui sont en réalité les maîtres du jeu sanglant qui se déroule depuis des décennies au Moyen orient. La logique coloniale et impérialiste dresse les peuples les uns contre les autres et les gouvernements voudraient aussi nous dresser contre les opprimés des pays du Moyen Orient ou nous associer à leur politique criminelle menée conjointement avec l’État sioniste. Il ne peut être question d’être complices de cette politique criminelle qui échappe à tout contrôle et nourrit sa propre logique destructrice à l’image de la machine capitaliste.

Les prolétaires des puissances occidentales n’ont aucune raison d’être solidaires de leurs propres exploiteurs. Leur solidarité avec le peuple palestinien s’exprime et se manifeste derrière le drapeau de tous les opprimés, le drapeau rouge, sans concession au nationalisme quel qu’il soit. Elle affirme contre notre propre bourgeoisie et son Etat qu’ici comme au Moyen Orient l’avenir appartient à l’union des travailleurs et des peuples contre les profiteurs et les faiseurs de guerre, les parasites du capital.

Yvan Lemaitre

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