Le 1er avril, la Plateforme Logement pour Tou-te-s, qui regroupe des associations comme le DAL, la CNL et des organisations syndicales, appelait à manifester à l’occasion de la fin de la trêve hivernale. Une urgence sociale alors que 140 000 personnes seraient expulsables, principalement pour impayé de loyer. En 2023, 21 500 ménages ont été mis à la rue par intervention policière, une progression de 23 % par rapport à 2022 qui était déjà une année record. A titre de comparaison, il y en avait 6 337 en 2001 !

Cette « trêve hivernale » est toute relative, car les expulsions de squats, de bidonvilles ou de campements se poursuivent toute l’année. L’Observatoire des expulsions collectives des lieux de vie informels en a dénombré 1 111 sur 2023, au travers d’opérations policières de plus en plus violentes.

La situation s’aggrave encore avec les JO de Paris. Alors que les Airbnb flambent à plus de 1000 € la nuit en moyenne, certains propriétaires n’hésitent pas à rompre des baux en toute illégalité pour expulser leurs locataires et profiter de l’aubaine. Et pendant ce temps, Darmanin opère le « nettoyage social » à proximité des sites olympiques. D’après le collectif Le Revers de la Médaille, 500 expulsions ont eu lieu en 4 mois et demi, autant que sur toute l’année 2023 et sans solution de relogement !

Alors que la crise du logement frappe lourdement les plus précaires, les lois Kasbarian-Berger condamnent jusqu’à 3 ans de prison et 45 000 € d’amende les sans-abris occupant des logements vides, ou à 7 500 € les locataires qui restent dans leur logement à l’issue d’une procédure d’expulsion. Une loi anti-pauvres de défense des propriétaires et des intérêts privés !

En France comme à l’échelle l’internationale les capitalistes comme les gouvernements sont incapables de faire face aux besoins en logements des travailleur·es qui affluent dans les grandes villes. La Chine en est l’illustration la plus extrême, avec l’explosion de la bulle immobilière et la chute des plus gros promoteurs du pays, Country Garden et Evergrande.

Une situation qui rend particulièrement actuels les mots d’Engels en 1872, dans La Question du Logement : « Une société ne peut exister sans crise du logement lorsque la grande masse des travailleurs ne dispose exclusivement que de son salaire, c’est-à-dire de la somme des moyens indispensables à sa subsistance et à sa reproduction (…) Dans une telle société, la crise du logement n’est pas un hasard, c’est une institution nécessaire ; elle ne peut être éliminée ainsi que ses répercussions sur la santé, etc., que si l’ordre social tout entier dont elle découle est transformé de fond en comble ».

Une politique qui conduit à l’explosion de la précarité et de la pauvreté

« La bombe sociale du logement a explosé » titre le rapport 2024 de la fondation Abbé Pierre. Le pays compte 4,1 millions de personnes mal logées et 12,1 millions en grande difficulté (loyers trop chers, impayés, copropriétés à l’abandon, insalubrité, froid…). Le nombre de sans-abris est passé de 142 000 à 330 000 entre 2015 et 2023.

Pour une grande partie des travailleur·es, se loger devient de plus en plus difficile voire impossible, en particulier dans les grandes villes. D’après Oxfam, les prix de l’immobilier se sont envolés de 125,6 % entre 2001 et 2020. Quant aux loyers, ils ont grimpé de 36,5 % sur la même période.

Le logement est devenu le poste de dépenses le plus important. Il atteint 23 % du revenu brut des ménages, contre 9,5 % en 1960 ! Et ces chiffres sont des moyennes qui masquent de fortes différences. Aujourd’hui, les 25 % ménages les plus pauvres doivent consacrer 37,5 % de leurs revenus au logement et même plus de 42 % quand ils sont locataires dans le privé !

Les listes d’attente de logements sociaux battent des records avec 2,6 millions de demandes, en même temps que leur construction tombe au plus bas. Seulement 85 000 logements sociaux ont été construits en 2023, le pire résultat depuis 2005 !

A ce désengagement de l’Etat s’ajoute la crise dans la construction de logements neufs qui provoque un blocage de tout le secteur. L’augmentation des taux d’intérêts, qui sont passés de - 0,5 % à 4 % entre 2019 et 2023, a provoqué une diminution importante des crédits, aggravée par l’inflation des prix des matériaux de construction.

Tout le secteur immobilier est touché au point qu’en 2023, les mises en chantier ont chuté de 22 % par rapport à 2022. On est loin des déclarations ronflantes de Macron ou d’Attal promettant « un grand choc de l’offre » pour le logement ! Des déclarations vides pour masquer à quel point les capitalistes et l’Etat n’ont que faire de résoudre la question du logement des classes populaires. La seule chose qui compte pour eux, protéger les intérêts privés face à la crise du logement qui s’approfondit.

Le gouvernement protège la spéculation et les promoteurs

Tout un symbole, Attal a nommé au logement Kasbarian, ministre « du délogement et de l’immobilier » comme l’a qualifié le DAL.

En plus de sa loi anti-squat, il s’était illustré en juillet dernier en baissant la hauteur minimale légale pour louer un logement de 2,20 m à 1,80 m. Une aubaine pour les marchands de sommeil qui peuvent louer garages ou sous-sols en toute légalité. Hilare, la ministre Marie Lebec avait même plaisanté : « 1,80, moi je passe » !

Depuis, Kasbarian a pondu une loi pour accélérer les transformations de bureaux en logements. De quoi satisfaire les promoteurs immobiliers qui se retrouvent avec des bureaux invendus en région parisienne. Par contre, pas question de réquisitionner ces surfaces inutilisées pour loger ceux qui dorment à la rue ou dans des campements !

Autre mesure de ce gouvernement qui promet d’aller chercher les logements « avec les dents », Kasbarian veut reclasser plus de 800 communes en « zone tendue », dans le but de favoriser la construction privée de logements neufs.

Rien pour le logement social, ni pour loger les classes populaires. Le gouvernement ne vise qu’à soutenir les promoteurs, le marché immobilier, les groupes financiers du secteur, qui du coup maintiennent des prix très élevés malgré la chute du nombre de constructions.

Dès son discours de politique générale, Attal a annoncé la remise en cause de la loi SRU, qui prévoit l’obligation pour certaines communes de disposer d’au moins 25 % de logements sociaux. Alors que la loi SRU n’a jamais été bien sévère, puisque 54 % des communes concernées ne la respectent pas, Attal veut intégrer le « logement intermédiaire », plus cher, dans le calcul du logement social. Une façon d’amplifier cette fuite en avant visant à ne tabler que sur le secteur immobilier privé, de plus en plus financiarisé.

Le logement aux mains de la finance

Ce désengagement de l’Etat du logement social ne date pas de Macron. Il s’est mené sous les gouvernements successifs, en toute cogestion de la gauche avec la droite au niveau des collectivités locales. Ainsi les démolitions-constructions lancées par Borloo sous Sarkozy et qui se poursuivent aujourd’hui, ont conduit au renforcement du secteur privé dans la construction de logements collectifs qui n’ont plus rien à voir avec les logements sociaux.

Cette politique a permis à des sociétés financières de s’installer dans le secteur immobilier, de bureaux d’abord, mais aussi de logements. Une évolution qui s’est accélérée au niveau international, en particulier lors de la crise de 2008, après laquelle des gestionnaires d’actifs financiers ont pu racheter de l’immobilier à bas prix.

En France, des sociétés de gestion de portefeuille (Blackstone, Axa REIM ou Amundi lié au Crédit Agricole) créent des fonds immobiliers en sollicitant des compagnies d’assurance, des fonds de pension ou des investisseurs privés. Des foncières cotées en bourse, comme Gecina ou Klépierre, permettent à leurs actionnaires de mettre la main sur des centres commerciaux, des bureaux, des logements.

En plus de la spéculation sur la revente, cette financiarisation du logement permet de faire du fric sur les loyers ou les services fournis aux locataires qui rapportent de juteux profits avec l’explosion des appartements pour étudiants ou pour personnes dépendantes. Un géant comme Orpéa détient ainsi près de 100 000 lits aujourd’hui dans le monde !

Le logement devient une classe d’actifs financiers comme les autres, qui doivent rapporter davantage d’année en année. Une évolution qui amplifie la gentrification pour augmenter les loyers dans les centres-villes ou la construction dans les zones géographiques les plus rentables et pas là où il y a des besoins à satisfaire. Il n’y a pas de politique de logement pour les classes populaires dans un tel système soumis à la pression de la rentabilité la plus immédiate.

Quant à l’Etat, qui s’est largement désengagé pour laisser la place à cette financiarisation, sa seule priorité se résume à tout faire pour que ce capital financier ne s’effondre pas. Comme le dit l’économiste Daniela Gabor : « Dans le capitalisme financiarisé, l’État fonctionne avec un nouvel impératif : réduire le risque des nouvelles classes d’actifs pour les investisseurs institutionnels, y compris le logement ».

Une fuite en avant qui ne fait qu’amplifier la crise et conduit au bout du compte à préparer les conditions du krach.

En finir avec le marché et la loi du profit, imposer la planification démocratique

Face au drame des familles à la rue dans un pays aussi riche que la France, des mobilisations ou des réquisitions ont lieu un peu partout contre les expulsions ou les démolitions de logements sociaux.

Elles dénoncent à juste titre à quel point ces lois censées protéger les plus précaires ne sont même pas appliquées aujourd’hui. Le droit au logement opposable (DALO), instauré en 2007 et censé obliger l’Etat à reloger les personnes prioritaires, n’est pas respecté et en Ile-de-France, un tiers des ayants-droits sont toujours en attente.

De même, la loi de réquisition des logements vacants n’est pas appliquée par les préfets alors que l’on compte 330 000 sans-abris dans le pays. Comme le dit le président du groupe Renaissance, Maillard : « Je suis toujours contre ce principe de réquisition qui de toute façon ne fonctionnera pas »… Comme quoi, le respect de la loi, c’est à géométrie variable !

On ne peut compter ni sur les institutions, ni sur l’Etat pour garantir le droit à se loger. Ils sont là pour protéger la propriété privée et l’ordre, qu’importe le sort des plus pauvres. La réquisition des logements vides ne peut s’imposer que par en bas, par la mobilisation des premiers concernés, en recensant les propriétés de ces groupes financiers et en dénonçant sur la place publique ce scandale du logement accaparé par la finance.

A travers ces mobilisations, c’est bien tout le système qu’il s’agit de contester, en portant un programme et des réponses pour l’ensemble du monde du travail. Il n’y a pas de solution pour loger les classes populaires sans remettre en cause la mainmise de ces promoteurs et de ces sociétés immobilières.

Construire des logements sociaux en nombre suffisant signifie planifier démocratiquement en fonction des besoins, en commençant par réquisitionner les terrains nécessaires. L’Etat sait bien le faire pour construire des autoroutes ou des LGV !

Concernant la construction, cela signifie la mise en place d’un service public du logement, qui ne pourra fonctionner sans imposer un monopole bancaire, pour assurer le crédit bon marché nécessaire.

Une telle politique ne peut cohabiter à côté du marché capitaliste et de ces gestionnaires d’actifs financiers. Sortir le logement du marché signifie imposer des mesures autoritaires, en commençant par exproprier ces fonds immobiliers, ces promoteurs ainsi que les banques qui pompent les richesses par les intérêts exorbitants de la dette.

Face au capitalisme qui dépossède la population et expulse les pauvres, expulsons les capitalistes pour imposer une planification démocratique, une autre façon de produire.

Comme l’écrivait Engels : « aussi longtemps que subsistera le mode de production capitaliste, ce sera folie de vouloir résoudre isolément la question du logement ou tout autre question sociale concernant le sort de l'ouvrier. La solution réside dans l'abolition de ce mode de production, dans l'appropriation par la classe ouvrière elle-même de tous les moyens de production et d'existence ».

Laurent Delage

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