Si la « Convention de la France insoumise » qui s’est tenue à Lille à la mi-octobre a voulu se donner un air moderniste (tirage au sort des participants, interaction vidéo, programme participatif...), le contenu politique est resté très soumis aux clichés républicains les plus conservateurs. Cinq ans après la campagne du Front de Gauche « L’Humain d’abord », sur laquelle la base sociale du PC avait pesé, c’est une campagne bien plus droitière, où le rouge a cédé la place au bleu pâle, qu’entend imposer Mélenchon à ceux qui se rallient à lui, sur la base d’une démagogie nationaliste proclamée par le nom même du mouvement, « France insoumise ». L’apologie de la nation, du peuple souverain, de l’Etat et de la loi constitue son fondement, une orientation qui flirte de plus en plus avec des préjugés réactionnaires, contradictoire avec ses propres revendications pour une « société humaine » face aux inégalités sociales et à la destruction de l’environnement.

La mystification du « peuple souverain »

Il est fréquent d’entendre autour de nous des gens protester que « le peuple ne compte pour rien », qu’ « il faudrait que le peuple dirige »... Comprendre la légitimité de cette colère face au mépris et à l’exclusion des couches populaires dans cette société de classe est cependant autre chose que de la flatter en laissant croire qu’il pourrait y avoir un « peuple souverain » dans ce système.

C’est ce que fait le « projet jlm2017 » en affirmant : le « point essentiel : tant que dureront la monarchie présidentielle et les traités européens actuels, notre peuple sera privé de tout pouvoir pour régler ses problèmes. Là est la racine de toutes nos misères, celle qu’il faut trancher d’urgence. »

La « racine de toutes nos misères » ne serait pas dans l’exploitation capitaliste, dans la propriété privée d’une minorité profitant du travail de la classe ouvrière, non. Elle serait dans la Constitution et dans les traités internationaux... Une mystification qui en alimente une autre, autour de l’idée que « Notre peuple est privé de pouvoir ».

D’abord, le mot « peuple » est confus, pouvant désigner « les classes populaires » aussi bien que « toute la population », en effaçant les différences de classes, comme s’il n’y avait plus de bourgeois et d’ouvriers, plus de paysans riches et paysans pauvres, plus de moyenne et petite bourgeoisie. Il ne s’agit pas de jouer avec les mots, mais de comprendre que les rapports sociaux ont besoin d’être désignés clairement pour être combattus. La confusion a un sens politique, celle de faire croire qu’on aurait tous « un avenir commun » (comme devrait s’intituler le programme de Mélenchon), sans dire clairement qu’il y a une domination de classe à disputer, celle de la bourgeoisie, qui détient tous les pouvoirs, la propriété privée des moyens de production, les pouvoirs financiers, étatiques et médiatiques en découlant.

Surtout, « privé de pouvoir » laisse entendre que dans la République, les classes pauvres pourraient avoir le pouvoir. C’est toute l’ambigüité politique qui est née avec la Révolution française : une révolution faite par les classes populaires qui avait permis à la classe bourgeoise de s’emparer du pouvoir au nom du « peuple souverain ». Les travailleurs et les paysans pauvres n’ont jamais eu le pouvoir sans affronter l’Etat que la bourgeoisie s’est construit, et le remplacer par le leur, comme l’ont montré par exemple la Commune de Paris de 1871 et la Révolution russe de 1917.

Bien sûr, le « projet jlm2017 » dénonce les « puissants », la « caste » ou « l’oligarchie financière », tant il est évident que les responsabilités de la crise du capitalisme viennent de ce côté là. Mais il épargne l’exploitation capitaliste, efface la radicalité de la lutte des classes qui en engageant le combat pour une autre répartition des richesses est porteuse d’une transformation révolutionnaire de la société, remettant en cause la propriété privée de la bourgeoisie.

La seule révolution que promet « jlm2017 », c’est « La révolution citoyenne ... le moyen pacifique et démocratique de tourner la page de la tyrannie de l’oligarchie financière et de la caste qui est à son service. Je voudrais être le dernier président de la 5e République et rentrer chez moi sitôt qu’une Assemblée constituante, élue pour changer de fond en comble la Constitution, ait aboli la monarchie présidentielle et restauré le pouvoir de l’initiative populaire. La 6e République commencera et ce sera une refondation de la France elle-même. » Un changement constitutionnel, la grande bourgeoisie en a connu d’autres, les a parfois demandés elle-même, quand le fonctionnement des institutions était en crise. C’est à mille lieues des besoins des classes populaires : un pouvoir des travailleurs.

La nation, l’ordre et la police

Cette « révolution par les urnes » viserait à la « refondation de la France », une « France indépendante »... Ce recours à la nation est répété dans les déclarations souverainistes qui prétendent que « la France » serait « soumise » aux institutions internationales, avec ce qu’il faut de démagogie antiallemande : « Notre indépendance d’action, la souveraineté de nos décisions ne doivent donc plus être abandonnées aux obsessions idéologiques de la Commission européenne ni à la superbe du gouvernement de grande coalition de la droite et du PS en Allemagne. »

Sa perspective est celle de la nation comme cadre uni et indépassable, faisant comme s’il n’y avait pas des classes aux intérêts opposés en son sein.

Cette pente glissante du nationalisme conduit vers la pire démagogie chauvine, Mélenchon confirmant lui-même que les petites phrases réitérées sur ce sujet ne sont pas des dérapages, comme celle du 5 juillet « un travailleur détaché […] vole son pain aux travailleurs qui se trouvent sur place », réaffirmée le 9 octobre « Si je suis élu, plus un travailleur détaché n'entrera dans notre pays. ».

Les récentes prises de position en défense de la police, de l’ordre et de l’Etat, confirment cette logique. « La population et la police républicaine, ce doit être une seule et même chose, les uns surveillant les autres, pour trouver le point d’équilibre qui permet que force reste à la loi ». Mélenchon ne se pose pas le problème du rôle que l’Etat fait jouer aux policiers. Un rôle qui devient invivable pour les policiers eux-mêmes quand la police exige de ses membres qu’ils exercent violences et humiliations contre les pauvres, les migrants, les jeunes des quartiers populaires et les manifestants. Autant de brutalités qui se retournent contre eux en haine de la police et en agressions.

Affirmer ainsi qu’il faut que « force reste à la loi », c’est-à-dire que les lois injustes doivent continuer à être imposées, y compris par l’emploi des « forces de l’ordre », revient à nous demander d’attendre tranquillement la « révolution par les urnes » qui adoptera de bonnes lois républicaines. C’est dire qu’il veut le maintien de l’ordre social... et qu’il n’a pas plus de réponse pour ceux qui le contestent, que pour le ras-le-bol de la corporation policière, certes flattée par l’extrême-droite et les politiciens qui attisent la démagogie sécuritaire. Un mouvement ouvrier puissant et radical, contestant l’ordre social actuel, pourrait, en se faisant respecter d’elle par le rapport de forces, porter d’autres perspectives pour la fraction des policiers qui aspire à autre chose que d’être les bras armés de l’Etat qui les utilise et dans le fond les méprise.

L’impasse de l’étatisme et du « protectionnisme solidaire »

La perspective nationale portée par « jlm2017 » ne peut avoir qu’un sens : la défense d’une nation contre les autres dans le cadre du capitalisme mondialisé, c’est-à-dire la défense de la bourgeoisie nationale, les Bolloré, Dassault, Bettencourt, Peugeot et des milliers de bourgeois de moindre envergure menacés par leurs concurrents.

L’équipe de Mélenchon affirme qu’il faut « remplacer l’idéologie du libre-échange par un protectionnisme solidaire », en prétendant que le repli derrière les frontières serait une protection pour les travailleurs. On entend d’ailleurs les ravages du souverainisme y compris dans des milieux militants « progressistes » : « c’est la crise partout, comment faire, il faut se protéger d’abord ici... » Ce raisonnement est totalement faux et Mélenchon le flatte et l’instrumentalise à des fins électorales.

Le protectionnisme, même s’il était poussé à l’extrême avec un contrôle absolu du commerce extérieur par l’Etat (on en est loin...), n’empêcherait pas les lois du marché mondial de s’imposer, par les indispensables échanges avec les autres pays. Et ce serait l’Etat protectionniste qui serait chargé d’imposer un dumping social aux travailleurs, en baissant les salaires, en intensifiant le travail, pour produire des marchandises dont la valeur serait concurrentielle afin de pouvoir les échanger avec l’extérieur, sous peine de se ruiner en important. Il est vain de tenter de sauver par les frontières une partie de la propriété privée nationale, celle des moyenne et petite bourgeoisies... parce qu’elles sont autant écrasées par la concurrence des multinationales « françaises » que par les autres. Aucun pays ne peut échapper à ces lois du marché.

Et ajouter « solidaire » après « protectionnisme » ne change rien au fait qu’il y a des économies nationales plus puissantes que d’autres... et qu’elles s’enrichissent en exploitant les plus faibles. La France en fait partie, exploitant depuis plusieurs siècles les travailleurs et les richesses de nombreux pays pauvres.

Pour l’internationalisme et la classe ouvrière !

Si un courant protectionniste connait un renouveau aujourd’hui, y compris dans les rangs déboussolés de la gauche, c’est parce que les rapports de concurrence deviennent de plus en plus durs au moment où le marché mondial trouve ses limites. L’étatisme protectionniste est une utopie réactionnaire, qui sera bien incapable d’empêcher les destructions provoquées par le capital lui-même, qui élimine et absorbe ses branches les plus faibles. Utopie réactionnaire aussi parce que pas une production ne peut être « nationale », voire « 100% locale » comme certains le prétendent.

Face à cette impasse, il s’agit de réaffirmer notre internationalisme, celui des intérêts généraux de la classe ouvrière mondiale. Il ne s’agit pas d’une proclamation abstraite mais bien de la compréhension que la mondialisation capitaliste a transformé en profondeur le monde entier, développant comme jamais les rangs de la classe ouvrière dans tous les pays.

L’internationalisme de la classe ouvrière est bien sûr l’affirmation de la solidarité avec tous les travailleurs du monde et avec les migrants, à l’opposé de la concurrence que flatte Mélenchon avec ses déclarations malsaines.

C’est aussi la compréhension que les classes ouvrières de tous les pays n’en forment qu’une, parce que les rapports d’exploitations sont les mêmes, même si les rapports de forces et les niveaux de développement nationaux sont différents. C’est la même loi du marché capitaliste, la même valeur de la force de travail qui, par le biais de la circulation du capital, s’imposent partout.

En socialisant la production internationalement, en mettant en relation tous les peuples du monde, la mondialisation est en train de créer les conditions même d’une autre société à l’échelle mondiale, le communisme, et d’étendre aussi par-delà les frontières, la force sociale, la classe ouvrière, portant cette perspective.

François Minvielle

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