Publié pour une discussion dans la IV internationale, 15 février 2013

Yvan Lemaitre

La poursuite des discussions sur les bilans de la construction de partis anticapitalistes larges au prochain CI, début mars, nous offre l’opportunité de resituer les débats du deuxième congrès du NPA, notre propre bilan, dans un cadre plus global. Ce texte est un éclairage, une contribution individuelle à cet indispensable travail qui demande une confrontation des différents points de vue pour en dégager les enseignements.

Il n'y a ni modèle ni type de « parti que nous voulons », ni parti de type « bolchévique », ni de modèle large mais il y a un débat pratique et concret sur les voies et moyens de faire émerger des bouleversements que connaît le monde des partis pour la transformation révolutionnaire de la société. Nous connaissons une situation inédite. Les coordonnées à partir desquelles le mouvement révolutionnaire pensait ses perspectives sont bouleversées, de nouvelles coordonnées émergent, instables à partir du désordre de la mondialisation capitaliste qui créent des conditions nouvelles pour une intervention directe des travailleurs et des peuples sur le terrain politique. Nous devons tout remettre sur l’établi. L’expérience du NPA offre, de ce point de vue, un intérêt particulier au sens où elle intervient à un moment charnière, les années où a commencé la nouvelle phase de la crise capitaliste.

Les ambiguïtés de l’idée de parti large et nos bilans

La discussion sur la crise du NPA participe du bilan de l’orientation formulée en 1992 sur les partis larges et les recompositions à gauche de la gauche par la IV. Tous les courants et mlitantEs impliqués dans la fondation du NPA n’ont pas nécessairement partagé cette orientation, dont l’auteur de ce texte, mais ils étaient réunis par le même objectif que celui qui la sous-tendait, répondre à la crise du mouvement ouvrier et révolutionnaire, travailler à construire l’ébauche d’un parti de masse anticapitaliste et révolutionnaire. Le groupe dirigeant initialement à la manœuvre dans la fondation du NPA et qui a ensuite fondé la Gauche anticapitaliste se considérait et se considère, je crois encore, comme les vrais représentants de cette orientation. Je ne veux pas dire par là que leur propre évolution était écrite par avance, mais les ambiguïtés de cette orientation – parti indépendant des antilibéraux ou recomposition à gauche de la gauche -, la compréhension qu’ils en avaient « par en haut », ont contribué à leur propre échec et, en conséquence, à notre crise.

Une de leurs erreurs est de ne pas avoir compris que les conditions politiques qui avaient conduit à formuler cette orientation, quoi qu’on puisse en penser par ailleurs, appartiennent au passé. 2008 ouvrait une autre période.

Pris au piège de leurs propres illusions puis…déceptions, ils ont rompu avec le projet qui nous avait rassemblés, sans même débattre s’épargnant de faire leur propre bilan à la fois quand ils étaient la direction du NPA ou, depuis un an, après qu'ils se soient déclarés fraction publique.

Durant les derniers mois qui ont abouti à la rupture, les animateurs de la GA se sont employés à créer un mauvais climat sans même discuter sur le fond : comment de la discussion de la conférence nationale de juin 2011sur continuer ou arrêter les discussions avec le Front de gauche pour la présidentielle ils en sont arrivés à le rejoindre.

La façon dont ont été menées les négociations sur les questions financières illustre clairement leur rupture avec le projet du NPA initié par la LCR. Il ne s’agit pas d’une discussion juridique sur les droits d’héritage mais bien d’une discussion politique. Le congrès de dissolution de la LCR a fait le choix d'inscrire son patrimoine dans un projet politique qui est devenu le NPA. Le comité de suivi alors mis en place assurait une fonction légale, transmettre ce patrimoine au NPA. Et c'est donc bien au NPA que la LCR a transmis le droit démocratique de décider de l'usage de ce patrimoine.

Contester ce droit démocratique rentre en contradiction avec les décisions du congrès de dissolution de la LCR.

Ainsi, nos bilans réciproques ne se situent pas du même point de vue. Le nôtre part du point de vue de celles et ceux qui sont convaincus de la nécessité d'un parti anticapitaliste indépendant des réformistes quels que soient les chemins tactiques que puissent prendre ce travail.

Nous avons eu raison d'oser !

Le point de départ est de dire, sans ambigüité, nous avons eu raison de nous lancer dans la bataille.

Il reste vrai qu’il n’y aura pas d’émergence d’un parti anticapitaliste et révolutionnaire sans une politique visant à surmonter les divisions passées pour rassembler toutes les forces et travailler à la mise en œuvre d’un programme, d’une orientation, à la construction d’un outil efficace et démocratique capable d’associer, d’entrainer à travers les combats qu’engendre la résistance contre la crise dans laquelle la politique des classes dominantes plonge la société.

Le NPA était et demeure une tentative de réponses à la crise du mouvement ouvrier et révolutionnaire dans un contexte qui n’était et n’est plus celui des années 90 qui ont suivi l’effondrement de l’URSS. Il n'était ni un coup politique ni l’illusion que nous allions être capables d’occuper le terrain laissé libre pas le recul du PCF en mettant de l’eau dans notre vin.

Il reprend les objectifs du début des années 90, sortir de la marginalité à laquelle le stalinisme nous avait contraints, pour travailler à les dégager des erreurs passées, des partis stratégiquement non délimités, tout en les adaptant au nouveau contexte social et politique, aux nouvelles possibilités.

La fondation du NPA est intervenue à la croisée des chemins, entre la fin d’une période ouverte par la chute du mur et le début d’une nouvelle ouverte par la crise. Deux voies se sont confrontées pour aboutir à la scission celle des initiateurs de la GA et celle du projet du NPA.

Les étapes d’une crise ou le développement des contradictions

L'histoire des quatre premières années du NPA est celle du développement de cette contradiction, au départ non formulée, jusqu' à la rupture. Le noyau dirigeant croyant à l'illusion qu'il lui était possible de surfer sur la popularité d'Olivier Besancenot pour développer une politique de recomposition à gauche de la gauche en misant sur les rivalités entre le PC et le PG, une autre illusion, furent incapables d'impulser une réelle politique de construction.

Il y avait, en corollaire, la personnalisation excessive dont Olivier Besancenot a voulu se défaire en refusant d'être candidat en 2012.

La paralysie a été accentuée par la constitution du Front de gauche quelques mois après la fondation du NPA. L'absence de vision stratégique du noyau dirigeant a été aggravée par ses illusions sur les possibilités de jouer des rivalités entre le PG et le PCF. A ce petit jeu, ils sont tombés sur plus fort qu'eux et, tout naturellement si l'on peut dire, ont fini par tomber sous leur coupe.

La présidentielle de 2012 a été le moment de cristallisation des contradictions à l'œuvre. Le refus d'Olivier de continuer à se prêter ce jeu politique a laissé le champ libre au développement de la contradiction. Le noyau dirigeant avait perdu sans voir d’autre porte de sortie que la fuite en avant.

Le NPA ne pouvait être un coup mis en œuvre avec comme seule stratégie la recomposition à gauche de la gauche.

Le seul contenu que pouvait prendre notre projet était et est celui d'une démarche en réponse à la crise du mouvement ouvrier et révolutionnaire face à la nouvelle période.

Notre crise, c'est aussi la crise globale de l'extrême-gauche

En fondant le NPA nous avons osé tenter de nous hisser au niveau des possibilités nouvelles issues de l'évolution des rapports de force politiques. A l’issue de la première étape de notre existence force est de constater que nos forces étaient trop faibles, les illusions trop grandes et les rapports de force réels nous ont vite rattrapés pour nous rappeler la réalité que beaucoup refusaient de voir. Ces faiblesses et illusions se sont exprimées dans l’attraction qu’a exercée le Front de gauche sur une forte minorité de camarades.

Mais on ne peut en discuter sans faire aussi le bilan des autres tendances tant françaises qu'internationales du mouvement révolutionnaire.

Si nous prenons l'exemple de la France, il nous est impossible de ne pas nous interroger sur les raisons pour lesquelles l'extrême gauche n'a pas réussi à franchir une étape significative alors qu’en 1995 Arlette Laguiller réalisait plus de 5% des voix à l’élection présidentielle, puis en 2002, AL et OB réalisaient ensemble plus de 10%, des voix. Pour au final que Nathalie Arthaud et Philippe Poutou fassent, ensemble, moins de 2% des voix.

Comment expliquer que Lutte ouvrière et la LCR aient obtenu, ensemble, en 1999, 5 députés au Parlement européen sans que l’extrême-gauche franchisse un pas significatif.

On ne peut se contenter d’invoquer les rapports de force, les conditions objectives même si ils ont pesé. Aucune des directions n’a été à même de formuler une perspective visant à unifier le mouvement révolutionnaire

La direction de la LCR et le NPA ont eu l’immense mérite de tenter de faire un pas décisif en avant. Les rapports de force nous renvoient dans les cordes, un moment, mais nous n’avons pas perdu. A condition de nous défaire d’une vision « par en haut » des recompositions à gauche de la gauche.

Retour sur le congrès de 2009 de la IV

Il n'est pas sans intérêt de revenir sur le congrès parce que je crois que les évolutions que nous devons prendre en compte soulignent l'importance qu'il y a à noter la rupture avec les raisonnements de 92, ce que le dernier congrès n'a pas fait avec assez de clarté. C'était le sens des amendements au texte de François Sabado sur « le rôle et les tâches de la IV » que j'avais alors formulés.

Il s’agissait de souligner le fait que la question des partis larges ne pouvait plus se poser dans les mêmes termes qu’en 1992 pour deux ordres de raisons. D’abord la situation globale, économique, sociale et politique n’est plus la même, il nous faut prendre la mesure du « basculement du monde » pour rediscuter nos perspectives et nos tâches. Ensuite des expériences ont été faites dont les bilans nous obligent à souligner la nécessaire indépendance vis-à-vis de la politique des vieux partis réformistes et l’importance de formuler, défendre et mettre en œuvre des orientations programmatiques et stratégiques en pleine indépendance vis-à-vis des nouvelles forces antilibérale, réformistes qui sont apparus.

Il ne me semblait pas juste d’écrire « Nous confirmons l’essentiel des choix faits lors de notre dernier congrès mondial en 2003 sur la construction de larges partis anticapitalistes. » Le contenu donné à cette formule aurait dû et doit être enrichi par un bilan critique des différentes expériences (en particulier le Brésil et l’Italie, aujourd’hui la Red Green Alliance, aussi du NPA) de construction de partis larges anticapitalistes depuis notre dernier congrès mondial en 2003. La IVe Internationale est confrontée, de manière globale, à une nouvelle phase. Cela implique de préciser, de redéfinir ses tâches.

Les différentes tentatives de répondre à la crise du mouvement ouvrier ne pourront être fructueuses que si nous tirons les enseignements des échecs passés pour travailler à nous donner les moyens de contribuer à construire des partis de masse, instruments des luttes des travailleurs dans la perspective du socialisme. Il n’y a pas de modèle, chaque processus de regroupement et de construction tenant compte des spécificités et rapports de forces nationaux, mais le contenu politique et programmatique de notre travail et intervention au sein des différents processus doit être clairement défini : indépendance vis à vis des institutions bourgeoises indépendance avec les nouvelles moutures du réformisme antilibéral, politique de front unique et défense d'une politique de réponse à la crise du capitalisme remettant en cause la propriété privée capitaliste et mettant en avant l’annulation de la dette et la nationalisation du système financier sous le contrôle des travailleurs et de la population.

Les leçons de Grèce et du Danemark

Les bouleversements en cours sous les effets de la crise ouverte en 2008, la généralisation de la crise de la dette, produit d’un capitalisme à crédit et à bout de souffle créent une situation nouvelle du fait que l’impasse dramatique à laquelle conduit la politique des classe dominantes et de leurs Etats devient de plus en plus évidente pour de très larges couches de travailleurs. Commence à se poser une question de fond, celle du pouvoir. C’est vrai dans le processus des révolutions arabes mais c’est aussi vrai en Europe. La terrible régression sociale dans laquelle la troïka a plongé la Grèce mais aussi le Portugal, l’Espagne et bientôt tous les pays d’Europe révèle l’aberration des politiques d’austérité qui n’ont d’autre but que maintenir les profits. Elle montre aussi que la lutte pour la garantie des droits des salariés et des classes populaires passe par des transformations profondes, des incursions dans les domaines de la propriété privée, par l’annulation de la dette et la création d’un monopole bancaire public.

Cette question du pouvoir a pris un tour concret en Grèce du fait de l’effondrement des partis de la troïka dont le PASOK qui met un parti antilibéral en position de peut-être constituer le futur gouvernement du pays. La question n’est pas de faire de pronostics mais d’avoir une politique. Cela suppose que les anticapitalistes soient à même de porter une réponse sur le terrain gouvernemental, celle d’un gouvernement contre l’austérité, pour les droits des travailleurs et de la population, pour l’annulation de la dette et la création d’un monopole bancaire public. Cette perspective politique s’appuie sur les mobilisations et l’organisation des travailleurs, de la population, elle est au cœur de notre bataille pour rassembler les forces contre les politiques d’austérité. Elle est aussi indissociable d’une politique pour construire un parti anticapitaliste indépendant des réformistes.

Les leçons du Danemark se combinent avec celle de Grèce pour plaider dans le sens de notre pleine indépendance. Voter le budget d’un gouvernement bourgeois, c’est plus qu’une erreur, c’est passer de l’autre côté du cheval, d’autant plus s’il s’agit d’un budget d’austérité.

Œuvrer au regroupement des anticapitalistes et révolutionnaires, développer une politique de front unique contre l’austérité en posant la question du pouvoir, d’un gouvernement contre l’austérité et la dette, interpeller les forces antilibérales, ne pas leur laisser le monopole de la réponse politique, mener dans les syndicats, les associations, les mobilisations le débat sur le lien entre ces dernières et les perspectives politiques me semblent les axes autour desquels s’articule notre politique.

Un congrès pour relancer le NPA

Cette orientation a été majoritaire lors de notre dernier congrès sans que la majorité réussisse son pari rassembler notre parti après le choc de la scission. Cette dernière continue d’entretenir les logiques de division en nourrissant un vieux réflexe, se protéger de l’opportunisme par la phrase révolutionnaire.

Deux questions ont cristallisé les discussions : la continuité de notre projet de rassemblement des anticapitalistes et la question des liens entre front unique et la question du pouvoir. Les deux se nourrissent.

Rassembler notre parti, c’est lever les ambiguïtés stratégiques sur la question du pouvoir sans tomber dans la proclamation « révolutionnaire » et en liant cette question de l’alternative politique, du gouvernement contre l’austérité à la politique pour construire l’unité de notre camp, construire une opposition de gauche au gouvernement Hollande-Ayrault.

Notre congrès a tourné une page et créer les conditions pour aller plus loin dans notre démarche de rassemblement en mettant en œuvre les orientations majoritaires tout en poursuivant les discussions pour convaincre et entraîner dans la pratique.

Yvan Lemaitre

Le 15/02/2013

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