Publié dans Débat révolutionnaire, n°46, 18 février 2011
Raymond Adams, Yvan Lemaitre
Au sortir du premier congrès du NPA, la grande majorité des délégué-e-s garde un goût d’amertume, un profond sentiment de révolte devant tant de gâchis, de paralysie et beaucoup s’interrogent sur l’avenir. Ce qui aurait pu être l’occasion de donner une orientation au NPA à la hauteur des responsabilités qui sont les nôtres, a laissé place à un climat délétère, propice aux surenchères des partisans du « front social et politique » avec le Front de gauche, à la démagogie anti-électoraliste ou au révolutionnarisme de la phrase.
Illustration des faiblesses du parti, les débats sur laïcité, féminisme, religion ont été un des moments des plus difficiles qui mit en minorité la position majoritaire dans les congrès locaux !
Autre chose était possible, attendue par la grande majorité des militants. La première phase des discussions dans les congrès locaux avait permis aux différentes compréhensions que les uns et les autres nous avions du processus de construction du NPA, de son bilan après deux ans de travail militant riches et denses de se définir, de se confronter, de se connaître, de mesurer leur influence. Cette première phase était indispensable, construire une plus grande cohésion de notre parti nécessitait la formulation et la confrontation de ces différentes appréciations. Après la démarche au consensus du congrès fondateur, ce premier congrès devait être un moment de confrontation, point de départ pour réaffirmer ensemble ce qui nous unit dans la clarté des points en débats. Cela était possible, les bases politiques en existaient mais fallait-il encore le vouloir. Ni la position 2 ni la 3 ne le voulaient, pas plus que le noyau dirigeant de la position 1. La logique du parlementarisme de tendance l’a emporté, encouragée par la paralysie de la direction. Aujourd’hui il s’agit d’essayer de dégager les raisons politiques d’un échec pour se donner les moyens de le surmonter.
Des départs qui indiquent les lignes de rupture
A l’issue du congrès, 7 camarades ont décidé de rendre public leur départ du NPA. Oh, bien sûr, pas devant le congrès alors que leur décision était prise bien avant. Une telle annonce aurait nui à leurs amis politiques qui restent dans le NPA, la position 3, partisane d’un « front social et politique » avec le Front de gauche. Ces départs, qui viennent après et dans la continuité de celui de Christian Picquet et de ses amis (aujourd’hui la Gauche Unitaire) lors du congrès fondateur, obéissent à la même logique. La seule forme que peut prendre ce front est un ralliement au Front de gauche que la grande majorité du parti a rejeté car contraire au projet même du NPA.
Dans leur déclaration, les démissionnaires écrivent : « Au regard des échéances sociales et politiques présentes et à venir, la priorité pour nous est désormais de participer à tous les actes concrets qui rapprochent de la constitution d’un front social et politique de la gauche antilibérale et anticapitaliste, qui fasse pièce à la droite sarkozyste comme à la montée de l’extrême droite, et propose une alternative crédible au social-libéralisme.
Le Front de Gauche peut être un premier pas dans ce sens, en passant à une nouvelle étape de son développement, en s’ouvrant à d’autres forces politiques, en se transformant pour accueillir dans des collectifs toutes celles et ceux qui veulent les rejoindre sans nécessairement adhérer à l’une des organisations et ne pas se réduire à un cartel de sommet... » Pour conclure : « L’orientation majoritaire du NPA tourne le dos à cette perspective». Oui, et c’est un des points les plus positifs du congrès, l’orientation défendue par les démissionnaires et la position 3 est minoritaire, elle l’est encore plus après le congrès. La politique même du Front de gauche, la candidature de Mélenchon soutenue par la direction du PC, sa volonté de rassemblement avec le PS, avait vidé la perspective d’un front social et politique de tout contenu sauf de… rallier le Front de gauche. Cette clarification du congrès souligne l’irresponsabilité des camarades de la position 2 qui ont pris prétexte des hésitations d’une partie des camarades de la position 1 pour justifier leur choix d’affirmer leur tendance plutôt que de travailler au regroupement nécessaire de la majorité des camarades qui veulent préserver la pleine indépendance politique du NPA par rapport aux antilibéraux. La position 2 n’a pas assumé les responsabilités de direction qui lui revenaient. Un choix poussé jusqu’à la caricature avec son refus de s’inscrire dans le projet d’appel de la position 1 qui actait pourtant l’impossibilité d’une alliance avec les antilibéraux dans la perspective de 2012 et la nécessité d’une candidature anticapitaliste, les délégués de la position 2 préférant rédiger leur propre appel qui omettait curieusement de souligner l’impossibilité d’une alliance électorale avec le Front de Gauche !
Il est vrai que la difficulté de la position 1 à assumer ses propres textes, notre indépendance avec la gauche antilibérale, ne facilitait pas les choses. Faiblesse qui s’est traduite notamment de la part d’une série de camarades de la position 1 par la défense d’une hypothétique et improbable candidature unitaire issue du mouvement social pour 2012, perspective absente des textes et sans le moindre fondement concret mais qui ouvrait de fait la porte à une démarche en direction du Front de Gauche…
Une solide conviction commune : la validité de notre projet, sa nécessité.
Un rassemblement du parti pour faire vivre une perspective indépendante de la gauche antilibérale était possible. A l’opposé des camarades démissionnaires, la grande majorité des camarades est convaincue que le projet du NPA répond à un besoin profond, construire un nouveau parti qui porte les exigences du monde du travail et de la jeunesse et œuvre à répondre à la crise du mouvement ouvrier, qui offre une perspective globale, politique face à l’impasse de la gauche libérale, aux contradictions des antilibéraux. Relever le défi ne va pas sans difficultés, fonder un nouveau parti en rupture avec les partis institutionnels, avec l’ordre existant n’est pas un long fleuve tranquille mais exige un travail militant en profondeur, connaît des hauts, des bas. Il n’est pas non plus indépendant de la situation sociale et politique, des pressions que la crise exerce sur le monde du travail.
Il était possible, une fois les divergences ou les différences de compréhension formulées, exprimées, enregistrées dans les votes de nous regrouper. Il était possible de laisser les questions posées ouvertes comme nous l’avions fait lors du congrès fondateur pour œuvrer ensemble à relancer le processus sans pour autant taire les divergences. Les rapports d’influence entre chaque tendance étaient acquis, mesurés, mais force est de constater que nous étions peu nombreux à le vouloir y compris au sein de la position 1. Cet échec exprime l’incapacité à assumer le processus dans ses contradictions, vieux réflexe gauchiste qui croit à la vertu du verbe, mais parfois un pas en avant vaut mieux que dix programmes ou, en l’occurrence, que quelques formules ! Surmonter cette incapacité n’est pas une simple question de bonne volonté, cela suppose une claire compréhension du processus lui-même, de son originalité et de ce qui fait sa force, sa capacité à exprimer la révolte, les espoirs, les exigences du monde du travail et de la jeunesse en rupture avec la gauche libérale et en toute indépendance de la gauche antilibérale.
L’attention, la sympathie que suscite notre projet dans le mouvement anticapitaliste européen et international dont atteste l’importance de la délégation internationale présente au congrès est une illustration de la portée de notre projet, regrouper les forces issues de la période antérieure pour mieux affronter la nouvelle période ouverte, dépasser les divergences et histoires différentes pour construire un cadre collectif, démocratique, militant, étape incontournable vers la construction de véritables partis révolutionnaires de masse. Faut-il encore respecter les rythmes, assumer le projet, ne pas croire à la vertu des formules magiques, avoir la force et la capacité de faire des compromis en toute transparence.
Construire notre parti, c’est aussi se définir par rapport aux antilibéraux.
Il n’est pas possible de construire notre parti si nous n’avons pas une vision claire de sa place et de son rôle en opposition aux antilibéraux, c'est-à-dire des raisons qui rendent nécessaire le regroupement des anticapitalistes. On ne peut défendre l’idée d’un regroupement politique permanent des antilibéraux et des anticapitalistes et mettre en œuvre une politique de construction d’un parti… anticapitaliste. Cela est vrai du point de vue de l’agitation et de la propagande générale, mais cela est aussi vrai dans les questions militantes quotidiennes. On l’a bien vu lors du mouvement de cet automne, le Front de gauche s’alignant sur Thibault et Chérèque, aux directions syndicales la direction des luttes, aux partis politiques la lutte parlementaire et les combinaisons gouvernementales ! Il y a là une des divergences les plus importantes entre nous et les antilibéraux car elle a des implications pratiques, militantes quotidiennes dans un domaine pour nous essentiel, notre implantation politique dans les entreprises.
Le rôle de notre parti est de définir, de contribuer à mettre en œuvre une politique pour les mobilisations et les luttes, politique qui vise à chaque étape à faire vivre une démocratie directe contre les routines d’appareil, la prise en main de la défense de leurs intérêts par les intéressés eux-mêmes en rupture avec la politique du dialogue social.
Cette divergence renvoie à la question du pouvoir, du gouvernement. Les antilibéraux visent à améliorer les choses pour sortir progressivement du capitalisme dans le cadre des institutions en cherchant à construire une majorité parlementaire et gouvernementale. Notre politique vise à préparer l’affrontement avec le pouvoir dans l’objectif de la conquête de la démocratie par les travailleurs eux-mêmes, des moyens de contrôler la marche de la société, de la diriger.
Au sein du NPA, cette question est embrouillée par une compréhension mécanique, métaphysique de la révolution développée par les camarades de la 2, la révolution comprise non comme un processus, la révolution en permanence, mais comme « le renversement du capitalisme », formule absolue dont on oublie de préciser le contenu. En réponse, les camarades de la 3 cherchent à retomber sur terre en ne voyant pas plus loin que l’alliance avec les antilibéraux, être concrets pour eux, c’est revenir sur le terrain institutionnel ! Les limites des deux politiques se nourrissent l’une l’autre alors qu'une partie de la position 1 n’osait pas défendre le contenu de ses propres textes visant à définir une politique pour notre parti, sans préjugés ni tabous, en tant que parti des luttes de classe, parti pour la transformation révolutionnaire de la société.
Notre jeune parti traverse une crise d’adolescence, il lui faut assumer qui il est, parler sa voix, agir en accord avec lui-même au lieu de sombrer dans la dépendance paralysante vis-à-vis des antilibéraux ou l’exaltation de la phrase révolutionnaire.
Les convergences qui étaient possibles et nécessaires
Il est d’ailleurs étonnant qu’il ait été possible d’aboutir à une déclaration commune de solidarité internationale avec les révolutions dans le monde arabe sans pouvoir aller plus loin au sujet de nos propres tâches et perspectives ! Les éléments de convergences existaient pourtant bel et bien.
Affirmer la solidarité internationale comme lutte contre notre propre impérialisme, défendre l’actualité de la révolution à la lumière de la révolte des peuples du monde arabe, le rôle du monde du travail, de la jeunesse dans les processus révolutionnaires engagés, dans la lutte pour la démocratie, le pain, le travail, la liberté, le socialisme sont autant de points qui nous unissent. Nous sommes tous d’accord pour inscrire ces révolutions dans la crise globale de la mondialisation capitaliste, libérale et impérialiste, pour construire le lien entre le mouvement de l’automne, la révolte des travailleurs de la vieille Europe. Oui, les révolutions du monde arabe, la révolte des travailleurs et de la jeunesse grecs, le mouvement de l’automne participent du même processus et sont autant de signes avant coureurs des luttes à venir à travers lesquelles se posera la question de la transformation révolutionnaire de la société.
Nous sommes tous d’accord pour œuvrer à un mouvement d’ensemble pour refuser de payer les frais de leur crise et défendre les exigences du monde du travail et de la jeunesse en posant la question du pouvoir, du contrôle de la population. A l’alternance dans le cadre des institutions, nous opposons une alternative anticapitaliste, celle d’un gouvernement démocratique des travailleurs. Nous voulons toutes et tous agir pour le regroupement des anticapitalistes et porter ce programme, le discuter partout y compris dans les échéances électorales en étant convaincus que Jean-Luc Mélenchon ne saurait être le porte-parole du mouvement de l’automne dernier ni des aspirations et des exigences que cette mobilisation exprimait.
Cela aurait pu, dû nous rassembler pour relancer la dynamique du NPA au lieu de nous paralyser dans des affrontements.
Le socialisme aujourd’hui ou la continuité du matérialisme militant
La difficulté de notre parti à parler sa propre voix s’est illustrée de façon particulièrement confuse tant dans les congrès locaux qu’au niveau du congrès national dans la discussion sur la laïcité, le féminisme et la religion. L’incapacité à assumer notre propre réalité s’est manifestée dans un moralisme dit antiraciste, une culpabilité hors de propos, qui conduit à l’opportunisme à l’encontre des préjugés des opprimés.
Pourtant y compris sur cette question des acquis s’étaient dégagés : le refus de lier l’intervention dans les quartiers populaires à une attitude opportuniste vis-à-vis de la religion, l’affirmation du principe de laïcité, la défense du féminisme, le refus de l’indifférence vis-à-vis des religions, l’acceptation que des personnes ayant des croyances religieuses puissent militer au sein du NPA. Même si la question de savoir si un ou une militante portant un signe ostentatoire religieux puisse représenter le parti nous divisait, l’opposition à cette possibilité avait été majoritaire. Mais les manœuvres, le manque de respect de la démocratie ont abouti à un vote au congrès contraire à celui des congrès locaux. Cela est d’autant plus aberrant que la question est en réalité tout à fait marginale. Elle a été instrumentalisée depuis le début au moment des régionales de façon antidémocratique, imposée au parti par un coup de force semant le désarroi au nom d’arguments moralistes, apolitiques faisant appel à l’antiracisme dans la confusion totale face à une direction tétanisée n’osant rien décider ni affronter. La solidarité de parti n’a alors été invoquée que pour faire taire celles et ceux qui dénonçaient le coup de force. Et au final, les principaux acteurs ont quitté le NPA.
Notre parti doit être capable d’avoir une attitude démocratique vis-à-vis des travailleurs, des opprimés tout en défendant sans concessions ses propres principes. Construire sa personnalité anticapitaliste, démocratique et révolutionnaire, c’est définir notre compréhension du socialisme, reconstruire son actualité, notre lien avec l’histoire des luttes d’émancipation, leur contenu.
Poursuivre le débat, agir ensemble, reprendre l’offensive
Ce congrès n’a pas permis que nous nous rassemblions sur l’essentiel qui nous réunit tout en acceptant l’indispensable démocratie qui ne saurait être que formelle mais qui implique la gestion de pratiques différentes pour ensemble relancer la dynamique du NPA.
Malgré cet échec celle-ci est loin d’être épuisée contrairement à ce que l’on peut lire à droite et à gauche… Il ne s’agit pas de gommer les divergences qui se sont formalisées mais de définir le cadre qui nous mette en position d’affronter les épreuves à venir. C’est ce que la position 1 a voulu porter dans la première phase du congrès sans avoir la force d’aller jusqu’au bout. Ce que le congrès n’a ni su ni pu faire, il n’est pas trop tard pour le faire dans les comités comme au niveau de l’ensemble du parti. Chacun est devant un choix, ou pratiquer la fuite en avant, approfondir les clivages, attiser les conflits, flatter les problèmes de personnes, classique dérivatif pour ceux qui craignent la démocratie, ou tirer les leçons d’un échec, assumer pleinement nos responsabilités à chaque niveau devant l’ensemble des militants de notre parti et toutes celles et ceux qui espèrent encore dans le NPA.
Cela veut dire dégager dans les comités, démocratiquement, ce qui nous rassemble tout en continuant les discussions à la lumière des expériences et de la pratique militantes quotidiennes. Chaque courant aura à cœur de démontrer l’efficacité, la pertinence, l’apport de ses idées plutôt que d’accuser les autres d’être responsables de ses propres difficultés. Il est sain et utile qu’existe une émulation militante, il faut l’encourager, elle suppose que tout le monde assume ses responsabilités.
Voilà le défi qu’il nous faut relever, il est au cœur de notre projet, faire vivre ensemble le processus de regroupement des anticapitalistes.
Certains ont exprimé le regret que le parti ne marche pas comme un seul homme, mais une telle critique ne correspond pas à la réalité de notre parti, à notre volonté de rassembler des expériences différentes, c'est-à-dire d’être capable d’accepter des politiques différentes, et que la direction soit elle-même capable de préserver la cohésion du parti à travers les crises.
Chacun aura à cœur de donner un contenu pratique et militant aux divergences qui se sont exprimées durant le congrès, personne n’en doute, mais cette saine émulation militante ne peut être féconde que si notre parti se regroupe.
Nous ne pourrons élargir notre influence, recruter, nous implanter politiquement dans les entreprises, gagner une nouvelle génération militante dans la jeunesse, renforcer, structurer notre parti, que si nous sommes capables de dépasser nos divergences, sans les taire, autour des axes fondamentaux qui nous rassemblent.
L’étape qui s’ouvre au lendemain du congrès ne sera féconde que si chacune et chacun s’emparent du débat, intervient. La situation exige un sursaut, l’avenir dépend de notre capacité collective à assumer notre parti avec ses contradictions, pour développer toutes les potentialités dont il est porteur.
Raymond Adams, Yvan Lemaitre