Voix des travailleurs, n°135, 27 juillet 2000, intégralité du dernier numéro de VDT

 

Ami(e)s et camarades lecteurs et lectrices

Ce numéro spécial est le dernier numéro du mensuel " Voix des travailleurs ". Notre intégration-fusion avec la LCR aboutit à l’arrêt de notre mensuel afin que nous puissions prendre pleinement notre place dans la nouvelle organisation et sa presse.

La compréhension de la période et des tâches que nous décrivons dans ce numéro spécial définit les perspectives telles que nous les voyons pour notre organisation, la LCR, mais aussi pour tous ceux qui se réclament du marxisme révolutionnaire et plus largement pour tous ceux qui veulent œuvrer à une renaissance du mouvement ouvrier. Nous voudrions nous situer du point de vue des intérêts de l’ensemble du mouvement révolutionnaire en nous considérant comme des militants de ce parti d’extrême-gauche qui s’est affirmé lors des dernières élections européennes, sans exclusive.

Ce numéro se veut l’instrument d’une discussion et nous encourageons vivement l’ensemble de nos lecteurs à prendre une part active, dynamique dans ce débat, à y apporter leur expérience et leurs contributions.

La nouvelle force politique d’extrême-gauche sera le résultat de la convergence des initiatives de chacun.

Alors, camarades et ami(e)s, bonne lecture et bonne discussion, bonnes vacances aussi pour ceux qui partent et rendez-vous à la rentrée. Voix des travailleurs éditera alors un " bulletin du militant " que vous pourrez vous procurer auprès de nos camarades.

A bientôt.

 

L’extrême-gauche à la croisée des chemins

Les mois qui nous séparent des dernières élections européennes ont été des mois d’espoir puis de déception. Tous ceux qui ont soutenu les candidats révolutionnaires aux élections au Parlement européen, qui ont fait campagne avec eux, pour eux, attendaient quelque chose de neuf de ce succès important de l’extrême-gauche que fut l’élection de cinq députés révolutionnaires.

Cet espoir, celui d’un pas en avant en rapport avec le succès, la plupart du temps ne se formulait pas concrètement, il était une attente plus qu’une volonté, et ce fut là sa faiblesse.

Lutte Ouvrière et la Ligue communiste révolutionnaire avaient conclu un accord électoral, aucune des deux organisations ne donnait à cet accord un autre sens, une autre portée, pas plus d’ailleurs que leurs deux minorités. Seule une pression venue d’en bas aurait pu imposer que ce simple accord électoral se transforme en un projet politique, c’est-à-dire créer un cadre organisationnel et politique pour faire de la nouvelle force politique qui s’était exprimée électoralement une réalité militante.

Ce projet avait une politique, celle de l’unité.

Il n’en était pas question pour la direction de LO. Notre organisation, en réponse, n’avait pas la force, si elle en avait eu la volonté, d’opposer au sectarisme de LO l’audace d’un projet unitaire. Il lui revient d’avoir gardé le cap de l’unité et de continuer dans cette direction.

Notre tendance a soutenu cette orientation en travaillant à l’armer d’un projet, d’une perspective globale.

Aujourd’hui, la déception pèse devant l’échec qui aboutit à la rupture pour les élections municipales. La responsabilité en revient à LO dont le cours sectaire est devenu le principal obstacle à tout pas en avant significatif de l’extrême-gauche.

Seule une extrême-gauche unie serait capable de faire face, au mieux, aux nécessités du moment.

Le mouvement ouvrier est confronté à une situation nouvelle du fait de l’effondrement du stalinisme, de l’offensive libérale de la bourgeoise et, ici, de l’intégration du Parti socialiste et du Parti communiste à la défense de cette politique hostile au monde du travail avec en corollaire, une soumission des organisations syndicales.

Mais il y a dans cette situation nouvelle un élément que personne n’avait prévu, le rapport de force change en faveur des travailleurs.

L’offensive libérale a dépassé ses propres objectifs, les inégalités se creusent chaque jour un peu plus, les profits ne savent plus où s’investir si ce n’est dans la folie du casino boursier. Le déficit budgétaire de l’Etat s’est transformé en " cagnotte " dont le gouvernement ne sait quoi faire de crainte de l’investir au profit de la population, des services publics et de l’emploi en mécontentant un patronat dont l’avidité ne connaît pas de limite.

Aujourd’hui, l’économie tourne à plein, les travailleurs sont en position d’exiger leur dû. Ce qui jusqu’alors les paralysait est en train de se rompre, la solidarité avec les partis de gauche dont il est clair qu’ils n’ont rien à attendre.

Cependant, au moment où l’heure est à l’offensive, les travailleurs se retrouvent, pour une part, désarmés, sans politique ni direction, le plus souvent isolés.

La révolte des travailleurs de Givet l’illustre, mais elle illustre aussi la capacité des travailleurs à rompre leur isolement, à vaincre les passivités syndicales, à défier patronat et gouvernement.

Il y a là une force capable de déjouer tous les calculs des uns et des autres.

Les travailleurs sont devant une contradiction, le rapport de force économique devient favorable à la généralisation des luttes, mais les directions des vieilles organisations, passées de l’autre côté, au service de l’ordre bourgeois, isolent les luttes quand elles ne les combattent pas pour préserver leur dialogue avec le patronat. Le dépassement de cette contradiction est dans nos luttes et notre travail militant. Poussée par ses propres besoins, une nouvelle génération de militants va chercher des réponses, des armes politiques. Ces armes, c’est l’expérience des luttes de classes passées, la capacité de comprendre la politique de son adversaire comme de ceux qui le soutiennent, afin de mener sa propre politique, en toute conscience et indépendance de classe.

Dans cette évolution, l’extrême-gauche a un rôle déterminant à jouer. Nous sommes les seuls à posséder ce capital politique dont les travailleurs ont besoin, il nous faut le mettre à leur service et pour cela, nous situer sans réserve du côté des luttes les plus radicales, c’est-à-dire celles qui ont clairement conscience que ce gouvernement est dans le camp de l’adversaire, soumis à la défense de ses intérêts.

Jouer des contradictions des partis de la gauche plurielle, loin de signifier entretenir des illusions sur leur compte, exige, au contraire, de les mettre devant les conséquences de leur propre politique en exprimant la volonté et les droits des travailleurs.

Oui, il nous faut construire le parti des luttes.

La nouvelle force politique qui s’est affirmée sur le plan électoral depuis 1995 est en train de devenir la force motrice des luttes en cours ou qui sont en gestation.

Les consciences des travailleurs évoluent bien plus vite que, souvent, les militants ne le croient. Les illusions réformistes s’effondrent sous les coups de l’offensive libérale, la confiance dans les partis de gauche se ruine sous les effets de leur duplicité, de leur suffisance comme de la cohabitation, une lucidité nouvelle arme la révolte, nourrit une volonté de lutte, voire une aspiration militante.

Cette force nouvelle deviendra une réalité militante par la fusion de l’extrême-gauche et du mouvement social à travers les luttes tant sociales que politiques. Son programme sera celui de la nécessité du contrôle démocratique de la population sur l’économie et la marche de la société pour en finir avec les méfaits du capitalisme, c’est-à-dire pour l’abolition de la propriété bourgeoise, le programme de la démocratie révolutionnaire.

Cette naissance s’accomplira à travers la prise de conscience par les travailleurs de leur unité, de leur force comme de leurs droits, de leur légitimité à affirmer leur droit à exercer leur contrôle, à travers aussi la prise de conscience par chaque travailleur que sa propre émancipation, son propre épanouissement a pour condition son dévouement à sa classe et à la collectivité, seule voie pour en finir avec la dépossession de lui-même par les capitalistes comme par les politiciens ou professionnels du syndicalisme qui lui vantent, pour mieux le dominer, les mérites de l’individualisme, c’est-à-dire la morale bourgeoise.

Notre tâche est d’aider à cette naissance.

 

 

La faillite du PS et du PC et la nécessaire renaissance du marxisme révolutionnaire

 

Pour une renaissance du marxisme révolutionnaire

Mettre à la disposition de la fraction du monde du travail et de la jeunesse qui se radicalise le capital politique de l’extrême-gauche, constitué par les idées marxistes et les acquis des luttes passées, est aujourd’hui une de nos tâches essentielles.

L’extrême-gauche est aujourd’hui la seule force politique qui se situe clairement dans le camp des travailleurs et de la fraction la plus révoltée de la jeunesse. Elle est restée fidèle à ses convictions politiques et à son camp social, elle a échappé à l’attraction exercée par le Parti socialiste au gouvernement, parce qu’elle est armée d’un capital d’idées inestimable, celui des idées marxistes, des expériences passées du mouvement ouvrier.

C’est grâce à cet héritage, transmis grâce au combat de Trotsky et de ses camarades, que l’extrême-gauche a pu préserver, dans le passé, une perspective politique indépendante des partis sociaux-démocrates et staliniens. Cette perspective ne pouvait prendre corps alors que la période d’expansion du capitalisme nourrissait des illusions sur la possibilité d’un progrès social dans le cadre du capitalisme, qui faisaient la force de ces partis malgré leur reniement des idées socialistes et communistes. Mais que, dans ces conditions, les idées marxistes révolutionnaires aient pu trouver l’oreille d’une fraction même minime de la classe ouvrière, est déjà une preuve de leur validité, de leur capacité à décrire et dénoncer une réalité sociale perceptible par les travailleurs.

Une nouvelle période qui met fin à l’isolement des révolutionnaires

Cependant du fait de leur isolement, du fait qu’elles n’étaient pas soumises assez largement à la vérification de la lutte pratique, ces idées ont souvent pris l’allure de proclamations ou de convictions appuyées davantage sur un volontarisme moral que sur le développement d’une situation concrète.

Il en va tout autrement aujourd’hui, l’extrême-gauche n’est plus isolée. Pour une large fraction du monde du travail, il est clair que non seulement tous les droits acquis dans la période passée sont remis en cause, mais que ce sont les partis de gauche qui mènent cette offensive pour le compte de la bourgeoisie, montrant ainsi qu’ils ne se situent pas dans le même camp. Une bonne partie d’entre eux est convaincue que seule une large mobilisation peut permettre d’empêcher que la situation ne se dégrade encore, et cherche des moyens d’agir malgré l’absence de perspectives et d’une direction pour ces luttes. Cette radicalisation va de pair avec l’affranchissement des solidarités envers les partis de la gauche plurielle, le sentiment que les travailleurs ne peuvent compter que sur eux-mêmes, et une sympathie croissante pour les idées de l’extrême-gauche.

Redonner vie aux idées marxistes

Cela ne signifie pas pour autant que les travailleurs, et même cette fraction d’entre eux, la plus radicale, ont suffisamment confiance dans leurs propres forces pour penser qu’ils sont capables de diriger eux-mêmes la société. Cette conscience suppose une compréhension de l’évolution des sociétés, du rôle parasitaire de la bourgeoisie, de la force que les travailleurs tirent de leur place dans l’économie, de la contradiction résidant dans l’appropriation privée du travail collectif. Elle suppose également de comprendre les avancées qui ont été faites dans le passé par le mouvement ouvrier, jusqu’à la révolution d’octobre 1917 et la naissance des partis communistes, et les raisons de son recul politique, de la trahison des partis sociaux-démocrates, et du stalinisme.

C’est là que l’extrême-gauche a un rôle essentiel à jouer, parce que ce capital politique, elle est la seule, par sa filiation, à en disposer.

Aujourd’hui, il ne s’agit pas de tenir, de préserver le drapeau des idées marxistes malgré un environnement défavorable, mais de mettre ce capital d’idées, les acquis des luttes passées, à la disposition des travailleurs et des jeunes qui cherchent des armes pour leur lutte, afin qu’ils y trouvent la légitimité de leur révolte et de leurs aspirations à défendre l’intérêt de la collectivité, en même temps qu’ils défendent leurs droits et leur dignité.

C’est ainsi que nous redonnerons vie à ces idées et que nous nous les réapproprierons nous-mêmes, en vérifiant leur validité à notre capacité à organiser autour d’elles des travailleurs.

Un capital inestimable à diffuser le plus largement possible

C’est une de nos tâches essentielles, et cet objectif militant ne peut se réaliser que par un effort volontariste, non pas dans le sens qu’il nous en coûterait, mais parce que ces idées ne peuvent venir au jour spontanément.

Outre le fait que les idées marxistes ont été défigurées et caricaturées aussi bien par les sociaux-démocrates que par les staliniens, la bourgeoisie dispose, avec le pouvoir, sa mainmise sur l’éducation et les moyens d’information, avec la force d’inertie des habitudes sociales, d’instruments autrement plus puissants que les nôtres pour diffuser son idéologie.

Les travailleurs sont d’autant mieux armés pour mener leur lutte qu’ils sont affranchis de cette idéologie, qu’ils ont les armes intellectuelles qui leur permettent de se fier à leurs réflexes, sans subir la pression morale de la bourgeoisie. Mais cela exige de comprendre comment celle-ci raisonne, dirige, est organisée…

Comment raisonnent et agissent nos adversaires, quels arguments ils emploient pour nous tromper, sur qui ils s’appuient, nous pouvons le mettre en évidence dans notre presse, nos feuilles d’entreprises ou de quartiers, qui s’adressent largement aux travailleurs et aux jeunes.

Mais comme n’importe quelle science, la théorie marxiste a aussi besoin d’être étudiée. Le socialisme scientifique est né, à l’époque de Marx, de la rencontre du mouvement ouvrier en lutte pour son émancipation et de ce que les sciences humaines, philosophie, histoire, économie, avaient de plus avancé. Il s’est enrichi des réponses que la classe ouvrière a apportées aux problèmes qui se sont posés à elle dans sa lutte, de la Commune de Paris en 1871 à la révolution d’octobre 1917 : de la forme du pouvoir des opprimés, de leur Etat et des conditions de sa disparition, à l’instrument nécessaire pour remporter la victoire face à la bourgeoisie, le parti, l’internationale. Plus tard, le combat de Trotsky et de ses camarades dans la continuité de celui du parti bolchevik, a permis de comprendre les causes de la dégénérescence stalinienne.

C’est pourquoi nous devons mettre sur pied nos propres " écoles ", nos propres cercles d’étude, afin de faciliter l’acquisition des bases du marxisme, à travers des exposés le plus vivants possibles qui suscitent une large discussion et l’envie de lire les ouvrages de nos ancêtres, Marx et Engels, Lénine, Trotsky, Rosa Luxembourg…

Afin de comprendre le meilleur du passé du mouvement ouvrier pour en écrire nous-mêmes la nouvelle page qui s’ouvre.

Gallia Trépère

 

La faillite, les reniements et les trahisons du Parti socialiste n’ont pas entièrement réussi à effacer le fait qu’il fut le premier parti ouvrier révolutionnaire moderne

Aujourd’hui, le Parti socialiste au gouvernement mène une politique au service de la finance et des trusts. La jeune génération qui connaît les emplois-jeunes, la précarité, les petits boulots, dont les parents sont licenciés pour que les profits des entreprises continuent à grimper, le voit comme un parti qui ne se différencie en rien des autres. On ne peut que se poser la question : est-il encore différent des partis de la droite alors que lui-même ne se dit même plus pour une transformation de la société ?

Pourtant, il garde une influence importante dans les milieux populaires, à travers les syndicats, les associations ; dans les municipalités, les élus de gauche ont souvent des préoccupations plus proches de celles de la population.

Cette assise dans les milieux militants, le fait que ceux qui aspirent à plus de justice sociale, alors que le fric regorge et que la misère progresse, se réclament toujours des idées de gauche, c’est ce qui le différencie des partis de la droite.

Actuellement, parti de gouvernement gérant les affaires de la bourgeoisie, le choix de se rallier à la bourgeoisie remonte à la période de la Première guerre mondiale alors qu’il était encore un authentique parti ouvrier, et que, passant dans le camp ennemi, il a trahi les espoirs que des millions de travailleurs avaient placé en lui.

A l’origine de ce Parti socialiste intégré à la société capitaliste, la faillite de la social-démocratie lors de la Première guerre mondiale

Au moment de la Première guerre mondiale, déclenchée par le besoin, pour les bourgeoisies concurrentes, de conquérir de nouveaux territoires pour satisfaire leur insatiable soif de profits, les partis socialistes de l’époque, les partis sociaux-démocrates, s’effondraient en quelques jours. Justifiant au nom de " l’Union sacrée " leur soutien à leur propre bourgeoisie, ils se ralliaient à la guerre, les députés socialistes votaient les crédits de guerre - à l’exception de minorités restées fidèles aux idées révolutionnaires en Russie et en Allemagne -, les dirigeants rentraient dans les gouvernements, comme Guesde et Sembat en France. Vaillant, un des responsables socialistes, déclarait, deux jours après l’assassinat de Jaurès, le principal dirigeant socialiste : " en présence de l’agression, les socialistes accompliront tout leur devoir pour la Patrie, pour la République et pour la Révolution. "

Appelant à la défense de la patrie, sombrant dans le chauvinisme, reniant les principes affirmés pendant des décennies, le programme socialiste qui se revendiquait de la nécessité de " mettre un terme à l’exploitation de l’homme par l’homme au moyen de la conquête du pouvoir politique par le prolétariat ", la capitulation des partis ouvriers de la IIème Internationale laissait la classe ouvrière sans organisation, sans direction, coupée de tout lien international, livrée pieds et poings liés à la bourgeoisie qui l’envoya mourir, pour la défense de ses profits, sur les champs de bataille.

Au moment décisif où l’action politique nécessitait de sortir du cadre légal de la société de classe, où le combat exigeait de mettre en pratique une politique inconciliable avec les intérêts de la classe dominante, le Parti socialiste se reniait en tant que parti ouvrier révolutionnaire et faisait un choix qui en faisait un serviteur fidèle des intérêts de la bourgeoisie, lui apportant un soutien qui désarmait le mouvement ouvrier.

La guerre a été le révélateur brutal du décalage entre les discours, les résolutions votées dans les Congrès, les principes théoriques qui étaient ceux de la social-démocratie et la réalité de sa politique, son renoncement dans les faits à faire des luttes de la classe ouvrière une lutte politique d’ensemble pour donner confiance aux opprimés dans leurs propres forces à transformer la société et dans leurs capacités à la diriger.

Pourtant, si le Parti socialiste était devenu ce parti de classe moderne, le premier dans l’histoire du mouvement ouvrier, c’était sur la base d’une critique radicale de la société bourgeoise et de la nécessité de substituer à la propriété privée capitaliste, la propriété sociale.

Avant sa faillite, il a été le premier parti ouvrier révolutionnaire moderne

La constitution des partis socialistes s’était faite sur la base d’un développement important de la classe ouvrière dans la période 1875-1914, grâce tout d’abord à la révolution industrielle et, à partir des années 1890, à l’élargissement de la production avec la révolution technologique basée sur le pétrole, l’électricité, la chimie, l’automobile. Cette longue période d’essor de la production signifiait des profits faramineux pour la bourgeoisie sur la base de la surexploitation des peuples des pays coloniaux et des conditions de vie et de travail très dures imposées à toute la classe ouvrière. Les progrès de la technologie aux mains de la classe dominante se retournaient contre le monde du travail auquel tout droit était nié, comme le droit de s’organiser jusqu’à la suppression de la loi Le Chapelier en 1884.

Le mouvement ouvrier s’était pourtant de suite organisé sur le plan politique, bénéficiant de l’expérience et du dévouement des militants de la génération précédente qui avait participé à la Commune de Paris en 1871. Les besoins du mouvement ouvrier étaient immenses, besoin de prendre conscience de sa situation de classe exploitée, privée de tout, et en même temps de la nécessité de donner une perspective d’ensemble aux luttes menées pour améliorer son sort et conquérir sa dignité. Les groupes socialistes s’étaient formés pour répondre à ses aspirations en lui apportant une théorie de la lutte des classes, le marxisme, qui se fixait pour objectif de contribuer à l’émancipation des opprimés par eux-mêmes. Le travail d’éducation mené par les militants socialistes, regroupés à partir de 1905 dans un même parti dont Jaurès était l’un des principaux dirigeants, lui avait permis de s’organiser dans ses associations, ses Maisons du peuple, d’avoir ses journaux, et de prendre conscience que la classe ouvrière avait un rôle spécifique à jouer dans la transformation de la société. Les droits qu’elle avait conquis, droits démocratiques, suffrage universel, législation sociale, avancées par rapport à la situation des femmes, ont été imposés, par en bas, par des luttes souvent durement réprimées, avec des morts. La bourgeoisie n’avait rien concédé par elle-même.

Les positions gagnées par la classe ouvrière dans son combat contre la société de classe lui avaient permis d’imposer ses représentants au Parlement.

Si la bourgeoisie, craignant le mouvement ouvrier en plein développement, continuait à s’y opposer par la violence, elle avait aussi cherché à l’affaiblir en domestiquant certains de ses représentants.

Ce fut en France que, pour la première fois, un socialiste, Millerand, entra dans un gouvernement, en 1898. Certains, au sein de la IIème Internationale, comme Rosa Luxembourg et Lénine, avaient combattu, avec toute leur énergie, ce reniement, mais d’autres, comme Jaurès, l’avaient justifié. En Allemagne, à la même période, un autre socialiste, Bernstein, était le chef de file d’un courant ouvertement réformiste défendant l’idée que le capitalisme pouvait surmonter ses crises, que l’expansion était facteur de progrès, que la lutte révolutionnaire n’avait plus lieu d’être. Des points de vue qui resurgissent chez tous ceux qui sont admiratifs de la bourgeoisie dès que se manifestent des symptômes de reprise économique… qui prépare la prochaine crise.

La participation d’un socialiste à un gouvernement ennemi, comme la théorisation que faisait Bernstein du renoncement à la nécessité de la transformation révolutionnaire de la société, étaient le produit de cette longue période d’expansion économique qui avait nourri des illusions parmi les dirigeants politiques et syndicaux, mais aussi au sein d’une partie de la classe ouvrière. Et même si les congrès de l’Internationale condamnèrent ces germes de réformisme, en fait, les partis socialistes se laissèrent apprivoiser par leur bourgeoisie et leurs propres succès électoraux, comptant de plus en plus sur l’action parlementaire et syndicale, de moins en moins sur l’intervention indépendante des opprimés pour briser leurs chaînes.

La guerre que les bourgeoisies déclarèrent tout d’abord à leur propre classe ouvrière, fut fatale aux partis socialistes. Mais au moment même où la IIème Internationale faisait faillite, des militants éduqués à son école, relevaient le drapeau de l’internationalisme et, s’opposant à la guerre, devenaient les points d’ancrage pour que le mouvement ouvrier puisse redémarrer dès qu’il en aurait la force.

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Aujourd’hui rallié à l’économie de marché, le Parti socialiste n’a plus rien à voir avec le parti ouvrier de ses origines. S’il existe encore comme un parti différent, s’il y a encore des militants et plus largement des milieux qui se réclament des idées socialistes en faisant référence, confusément, à l’époque des jeunes partis socialistes, malgré tous les reniements qui ont suivi, c’est bien que l’effort militant pour implanter et défendre les idées de la lutte a été si profond qu’il a laissé des traces.

Les Partis socialistes de l’époque se sont brisés lorsqu’il y a eu un changement de période économique, qu’à l’expansion économique - dont profitait la seule bourgeoisie - a succédé la crise, allant jusqu’à l’affrontement dans la guerre. Aujourd’hui, nous sommes dans une situation de changement de période, économique parce la crise devient de plus en plus destructrice pour les salariés et aussi politique : la participation gouvernementale du Parti socialiste contribue largement à faire perdre leurs illusions à beaucoup de ceux qui, hier encore, s’en réclamaient.

Les idées défendues par le parti de Jaurès, avant sa faillite, gardent toute leur actualité, c’est elles qui ont permis que se forme un mouvement ouvrier politique. Redonner vie à ces idées, c’est donner aux idées de la lutte des classes leur contenu moderne, actuel, et aider tous ceux qui deviennent lucides sur la politique du gouvernement à rompre toute solidarité avec la politique, hier réformiste, aujourd’hui libérale, du Parti socialiste, c’est une tâche qui revient aux militants d’extrême-gauche.

Valérie Héas

 

Programme du Parti ouvrier français de 1882 :

La classe productive, sans distinction de sexe ni de race, ne sera libre c’est-à-dire maîtresse d’elle-même et de tout ce qui existe et est né de ses œuvres, que lorsqu’elle aura détruit l’appropriation individuelle des moyens de production et lui aura substitué l’appropriation collective ou sociale.

Cette socialisation ou collectivisation des moyens de production déjà devenus d’un usage collectif, ne pourra s’accomplir que par l’EXPROPRIATION DE LA CLASSE CAPITALISTE… "

La théorie socialiste n’est nullement un jeu oiseux de savants de cabinet, mais au contraire, une affaire très pratique pour le prolétariat en lutte.

Son arme principale, c’est le groupement de la masse en organisations puissantes, autonomes et libres de toute influence bourgeoise. On ne peut arriver à ce résultat sans une théorie socialiste, qui seule est à même de discerner l’intérêt prolétarien commun aux diverses couches prolétariennes et de séparer celles-ci du monde bourgeois.

Un mouvement ouvrier, spontané et dépourvu de toute théorie se dressant dans les classes travailleuses contre le capitalisme croissant, est incapable d’accomplir ce travail. "

Karl Kautsky, Les trois sources du marxisme, 1908

 

La fondation de la IIIème Internationale : la rupture pour affirmer la continuité révolutionnaire et la fidélité aux combats des masses

Lors du 30ème Congrès du PCF, la presse a évoqué la possibilité d’un " Congrès de Tours à l’envers ". Sur le plan politique, cela est déjà fait depuis longtemps mais le PC n’a aucune raison d’aller plus loin. Ne serait-ce que pour défendre ses intérêts d’appareil concurrent de celui du PS, il doit préserver sa propre indépendance, c’est-à-dire une part de ce qui lui reste de son influence ouvrière. D’où son double langage, d’un côté ses ministres font la politique du gouvernement, de l’autre le parti se voit autoriser une certaine marge de critique.

Le PC a tout intérêt à ne pas lever les ambiguïtés pour continuer à tirer profit de la rupture qui s’est opérée il y a maintenant 80 ans.

Le PC est né d’une scission au sein du Parti socialiste sous les effets de la vague révolutionnaire du lendemain de la première guerre mondiale et de la révolution d’Octobre. Les réformistes qui géraient la faillite du PS, et avaient participé au gouvernement de guerre, calomniant la Révolution russe, rompirent avec ceux qui, fidèles aux intérêts des masses ou sous leur pression, continuèrent le combat révolutionnaire.

C’est à cette rupture en 1920 que le Parti Communiste doit son influence auprès des catégories de salariés les plus exploités. Des milliers d’ouvriers socialistes, de paysans politisés au contact des ouvriers, avaient perdu confiance à travers les souffrances de la guerre dans la " démocratie " bourgeoise et ses défenseurs réformistes. Vieux socialistes ou jeunes recrues, ces révolutionnaires dirigèrent des mouvements quasi-insurrectionnels comme la grève des cheminots de 1920, la grève générale du Havre en 1922.

Au Congrès de Tours, ils rompirent avec la SFIO et le réformisme ; encouragés par les révolutionnaires russes, ils s’appelèrent communistes. Leur internationalisme était bien concret, pratique. Ils se revendiquaient de la Troisième Internationale, le parti mondial de la révolution et se battaient pour l’indépendance la plus complète de leur parti vis-à-vis de la bourgeoisie et de ses agents dans le mouvement ouvrier, les réformistes, apeurés devant les initiatives révolutionnaires des masses.

La IIIème Internationale a été l’œuvre de ces milliers de militants qui se sont fait l’instrument des luttes révolutionnaires des travailleurs, sur la base du capital politique et organisationnel de la IIème Internationale renforcé par l’expérience de la guerre, du bolchevisme et de la révolution russe. Ils ont assuré la continuité, la fidélité à leur camp social comme aux idées du socialisme et du communisme.

C’est ce passé qu’effacent les dirigeants du PCF en associant dans une même condamnation hypocrite et Staline et Lénine pour mieux s’allier avec la social-démocratie pour servir la bourgeoisie.

Sophie Candela

 

Malgré la politique contre-révolutionnaire de Staline, les travailleurs ont utilisé le PC pour leur propre combat

Les ex-staliniens comme Hue, pour mieux être reconnus de la démocratie parlementaire qui sert à masquer la dictature économique et sociale du capital, prétendent que Lénine et Staline menaient le même combat antidémocratique. En fait, ils renient l’époque où le PC était un parti révolutionnaire comme les décennies durant lesquelles les masses les plus exploitées s’en sont servies pour leur combat, même après sa dégénérescence contre-révolutionnaire et stalinienne.

Ce fut à la faveur du recul de la vague révolutionnaire en Europe et de la nouvelle offensive de la bourgeoisie que des dirigeants réformistes comme Cachin ou Frossard purent laisser libre cours à leurs réflexes d’adaptation politique, sans contrôle des travailleurs. Ils acceptèrent inconditionnellement de mener la politique dictée par Staline, qui avait mis sous sa coupe la IIIème Internationale, en usurpant les idées et les méthodes du bolchévisme pour les détourner au service des seuls intérêts de la dictature stalinienne. Mais même lorsqu’ils propagèrent les pires calomnies contre les trotskystes, servant la terreur stalinienne et ses procès de Moscou, même dans leur adaptation totale aux zigzags de la politique internationale stalinienne, ils ne purent empêcher le PC d’être l’instrument de luttes ouvrières.

Lorsque, après des années de recul de la révolution, à partir de 1928, il aurait fallu que le parti prenne des forces, que les travailleurs se regroupent pour la défense des intérêts ouvriers, le PC, suivant la directive stalinienne " classe contre classe ", s’isola des plus larges masses par son sectarisme. A coups de manifestations à contretemps, il mena une politique aventuriste qui exposa les militants à la répression. Lorsque les luttes reprirent dans les années 1935 et que la bureaucratie stalinienne, voulant les étouffer, dicta à l’Internationale de soutenir les démocraties bourgeoises, les PC abandonnèrent sans difficulté l’internationalisme pour se faire les chantres de la défense nationale. Ils se rallièrent sans une critique au Front populaire des socialistes que, la veille encore, ils traitaient de " social-fascistes " !

Pourtant, même lorsque les rangs du PC se sont clairsemés dans les années 30, ou renforcés dans les années de Front populaire, il n’a pas perdu ses militants les plus déterminés, dans les couches les plus exploitées. Ils se sont servis de lui pour se battre, pour résister de façon radicale aux campagnes anticommunistes féroces de la bourgeoisie, se sentant partie prenante de l’Internationale des travailleurs. La direction stalinienne a effectué tous ces virages sous la pression de sa base ouvrière. Elle lui devait des comptes pour garder son influence, elle ne pouvait pas se permettre d’être complètement en décalage avec elle sous peine d’être rejetée et de ne plus avoir de base sociale distincte de celle du PS.

Ce qui a changé aujourd’hui, c’est qu’avec la période qui s’est ouverte avec la fin des régimes prétendument communistes et le rétablissement de la propriété privée en ex-URSS, le PC s’est totalement adapté au libéralisme. Mais il est obligé de continuer à avoir un double langage, qui apparaît de plus en plus clairement au fur et à mesure qu’il apparaît comme un serviteur du libéralisme. C’est la raison pour laquelle ses militants, son électorat populaire, fidèles à leurs propres intérêts de classe, même sans être révolutionnaires, s’en détournent.

S.C.

 

Il y a 60 ans, Staline faisait assassiner Trotsky, symbole de la fidélité à la révolution d’octobre

Le 20 août 1940, Staline faisait assassiner Trotsky dans sa résidence d’exil à Coyoacan au Mexique, par un agent de sa police politique, le Guépéou.

Cet assassinat marquait l’aboutissement de la longue période de lutte acharnée menée par la bureaucratie stalinienne contre la révolution, et contre celui qui, exilé, calomnié, interdit de séjour dans la plupart des prétendues démocraties occidentales, en restait aux yeux des travailleurs du monde entier le symbole. Sans doute Staline craignait-il que Trotsky puisse, au tout début de la guerre, représenter une éventuelle direction aux futurs mouvements révolutionnaires qui, en même temps que l’ordre bourgeois, auraient balayé son alliée, la bureaucratie. Mais plus simplement aussi, c’est la fidélité même de Trotsky à la révolution qui constituait une menace pour Staline et la caste parasitaire qui, profitant du reflux de la vague révolutionnaire mondiale au début des années 20, avaient dépossédé les masses russes de leur pouvoir. C’est cette fidélité à la révolution qui faisait trembler Staline. L’existence même de Trotsky révélait son imposture, était une accusation, et menaçait de ruiner la légitimité du régime des bureaucrates. La haine de Staline à l’égard de Trotsky a été utilisée par certains pour faire de ce combat un combat personnel, une rivalité pour le pouvoir, alors que cette haine était bien politique et sociale, la haine de l’imposteur pour la vérité, du dictateur pour les masses.

La liquidation par Staline de la génération des révolutionnaires d’Octobre

Issue du Parti bolchevik et de l’Etat, reflétant en son sein la lutte que livrèrent au lendemain de la révolution les forces bourgeoises de la société contre la révolution, la bureaucratie dont Staline incarnait les intérêts fut le produit du reflux de la vague révolutionnaire mondiale qui conduisit à l’isolement le jeune Etat ouvrier. Alors qu’à l’extérieur la bourgeoisie regagnait les positions perdues, profitant à l’intérieur de la misère, de la lassitude et du découragement des masses, épuisées par la violence exercée par les forces bourgeoises internes et leurs alliés impérialistes dans la guerre civile, la bureaucratie, gangrenant le Parti et l’Etat, réussit à s’imposer au pouvoir. Elle se renforçait d’autant plus que les masses n’avaient plus la force d’exercer leur contrôle, réduites à mener la lutte pour leur survie dans le pays ruiné. La bureaucratie, produit monstrueux de la révolution russe isolée, étranglée par les bourgeoisies impérialistes qui avaient rétabli leur domination en écrasant partout la révolution, mais qui n’avaient pas réussi à reprendre ce qui avait été conquis par les masses russes, organisa le détournement des richesses à son profit à l’ombre de l’Etat, tournant le dos à la révolution, ramenant tout le " vieux fatras " bourgeois, la morale, l’individualisme et le nationalisme, devenant de plus en plus étrangère et hostile aux masses.

La lutte s’engagea au sein du Parti bolchevik entre la clique stalinienne qui s’appuyait, contre les masses, sur les forces sociales bourgeoises et sur les nouvelles couches dirigeantes, constituées d’arrivistes pour la plupart venus au Parti après la révolution, et les militants et dirigeants restés fidèles à la révolution. Autour de Trotsky, l’opposition s’organisa, rencontrant une large sympathie notamment dans la jeunesse et un crédit d’autant plus renforcé que la bureaucratie stalinienne, pour jouir tranquillement de ses privilèges, recherchait le statu quo avec la bourgeoisie impérialiste et menait une politique criminelle au sein de l’Internationale communiste conduisant la classe ouvrière et les peuples qui engageaient la lutte révolutionnaire, comme en Chine, aux pires défaites.

Pour masquer son rôle contre-révolutionnaire, il lui fallait briser, liquider physiquement tous ceux qui avaient été les acteurs de la révolution et lui restaient fidèles. L’appareil policier stalinien déporta dans les camps, liquida des milliers de militants qui avaient participé à la révolution, témoins de ses reniements et de ses mensonges. Des dirigeants révolutionnaires connus et estimés disparurent, assassinés dans les geôles staliniennes, mais Staline n’avait pas encore la force de faire assassiner Trotsky lui-même. Zinoviev et Kamenev, ex-dirigeants de la révolution qui s’étaient un temps alliés à Staline avant de rejoindre l’Opposition de gauche, disaient à Trotsky en 1926 : " vous croyez que Staline n’a pas discuté la question de votre suppression physique ? Il l’a bel et bien examinée et discutée. Il a toujours été arrêté par une seule et même idée : que la jeunesse ferait retomber sur lui personnellement la responsabilité, et répliquerait par des actes terroristes. C’est pourquoi il tenait pour indispensable de disperser les cadres de la jeunesse d’opposition.... "

Après que l’appareil bureaucratique de l’Internationale communiste eut conduit à l’écrasement sanglant de la révolution chinoise, qui avait soulevé dans l’opposition l’espoir d’un renouveau révolutionnaire et d’une transformation des rapports de force en Union soviétique, Staline fit exclure Trotsky et l’Opposition du Parti, en 1927, avant de le déporter, loin de tout, en Asie centrale. Son expulsion d’Union soviétique, deux ans plus tard, marqua une nouvelle étape dans la lutte de la bureaucratie stalinienne, au moment où son pouvoir était menacé de l’intérieur par les forces bourgeoises sur lesquelles elle s’était appuyée contre les masses ouvrières, les koulaks (paysans aisés), qu’elle réprima avec la pire violence et déporta par dizaines de milliers.

Le combat de Trotsky et des siens pour perpétuer les idées et les traditions démocratiques et révolutionnaires du bolchevisme

Mais si l’expulsion de Trotsky d’Union soviétique marquait une nouvelle victoire de la bureaucratie, dont la dictature n’était pas encore suffisamment assise et stable pour qu’elle ait pu le faire assassiner, comme elle avait déjà liquidé la plupart des dirigeants de la Révolution, la victoire avait un revers, l’exil permettant à Trotsky d’entrer plus facilement en contact avec le mouvement ouvrier international.

Avec la poignée des militants de l’Opposition de gauche internationale il s’attacha à la construction en son sein d’un courant marxiste révolutionnaire, pour réarmer le mouvement ouvrier des idées du bolchevisme dont il n’était plus qu’un des rares héritiers, qui en possédait la riche expérience pratique et organisationnelle.

De ce travail de construction, il écrivait en 1935 dans son " journal d’exil " : " je crois que le travail que je fais en ce moment –malgré tout ce qu’il a d’extrêmement insuffisant et fragmentaire– est le travail le plus important de ma vie, plus important que 1917, plus important que l’époque de la guerre civile... Si je n’avais pas été là en 1917 à Petersbourg, la Révolution d’Octobre se serait produite, conditionnée par la présence à la direction de Lenine. Tandis que ce que je fais maintenant est ‘irremplaçable’. Il n’y a pas dans cette affirmation la moindre vanité. L’effondrement de deux internationales a posé un problème qu’aucun des chefs de ces internationales n’est le moins du monde apte à traiter. Les particularités de mon destin personnel m’ont placé face à ce problème armé de pied en cap d’une sérieuse expérience. Munir d’une méthode révolutionnaire la nouvelle génération, par dessus la tête des chefs de la IIième et IIIème internationale, c’est une tâche qui n’a pas, hormis moi, d’homme pour la remplir. "

La tâche était difficile, les groupes révolutionnaires existants faibles, composés pour la plupart d’intellectuels sans liens avec la classe ouvrière au sein de laquelle les staliniens faisaient la police, en employant la lutte physique et des mœurs de voyous. Mais Trotsky faisait confiance aux masses travailleuses, à leur capacité à retrouver la voie de la lutte révolutionnaire face à la montée du fascisme en Europe et aux nouvelles crises que préparait la lutte pour leurs intérêts concurrents des puissances impérialistes mondiales.

En 1935, il écrivait de Staline dans son " journal d’exil " : " son besoin de vengeance contre moi n’est absolument pas satisfait : il a porté des coups, en quelque sorte physiques, mais moralement il n’est arrivé à rien : ni renonciation au travail, ni " repentir ", ni isolement ; au contraire, un nouvel élan historique est pris, qu’il n’est plus possible d’arrêter. "

La faiblesse des groupes de l’Opposition ne leur permit pas d’influer sur les mouvements révolutionnaires des années 30, ni de renverser le cours des choses, face à la montée du fascisme en Europe. D’autant que la bureaucratie stalinienne traquait et assassinait les militants partout où, en France ou en Espagne, ils pouvaient être susceptibles d’apporter une perspective révolutionnaire aux luttes en cours, comme elle le fit pour le dirigeant révolutionnaire espagnol Andres Nin, de nombreux membres de l’entourage de Trotsky dont son propre fils, Léon Sedov, assassiné à Paris par les hommes de main de Staline le 16 février 1938 alors qu’il venait de subir une opération chirurgicale bénigne.

La IV° Internationale, notre lien avec la génération d’Octobre 17

Staline comprenait-il l’importance du travail de Trotsky pour le mouvement ouvrier révolutionnaire, l’importance de la création en 1938 d’une nouvelle internationale, la IVème Internationale, à la veille de la guerre ? La politique à courte vue de Staline, bornée, limitée à la défense des intérêts immédiats de la dictature stalinienne, étrangère aux plans d’ensemble s’appuyant sur l’analyse de l’évolution des rapports de forces sociaux, l’amenait à agir par réflexe, au coup par coup, quand il sentait son pouvoir menacé. Alors que les puissances impérialistes se préparaient à lancer les masses ouvrières défaites dans la deuxième grande boucherie mondiale, Staline, qui avait plus que jamais besoin d’avoir les mains libres pour mener sa politique d’alliance avec les bourgeoisies impérialistes sur le dos des peuples et des travailleurs russes, devait achever son œuvre de liquidation physique de la vieille génération révolutionnaire.

Trotsky mort, la IVème internationale, née " des plus grandes défaites du prolétariat dans l’histoire " comme l’expliquait son programme de fondation, bien qu’existant dans de nombreux pays à l’échelle internationale, n’avait pas réussi à gagner assez de force pour inverser le cours des choses lorsqu’à l’issue de la guerre, les peuples opprimés par l’impérialisme entrèrent en lutte pour leur émancipation. Le mouvement trotskyste ne réussit pas à surmonter ses faiblesses sociale, numérique. Souffrant de l’absence d’une direction qui aurait pu lui apporter l’expérience pratique du bolchevisme, son éclatement en de multiples groupes fut pour l’essentiel le produit de la pression, de la violence que la bureaucratie stalinienne exerçait contre ceux qui contestaient son usurpation, pour les isoler de la classe ouvrière. Le programme de la IVème Internationale constitue le chaînon indispensable qui nous lie aux générations révolutionnaires qui nous ont précédés, à la tradition bolchevique et marxiste, avec laquelle les masses ouvrières révolutionnaires, poussées par leurs besoins à la lutte pour imposer leurs droits, renoueront.

Catherine Aulnay

 

Le trotskysme, continuité de la démocratie révolutionnaire

L'émancipation des ouvriers ne peut être l'oeuvre que des ouvriers eux-mêmes. Il n'y a donc pas de plus grand crime que de tromper les masses, de faire passer des défaites pour des victoires, des amis pour des ennemis, d'acheter des chefs, de fabriquer des légendes, de monter des procès d'imposture, de faire en un mot ce que font les staliniens. Ces moyens ne peuvent servir qu'à une fin : prolonger la domination d'une coterie déjà condamnée par l'histoire. Ils ne peuvent pas servir à l'émancipation des masses. Voilà pourquoi la IVe Internationale soutient contre le stalinisme une lutte à mort. "

Trotsky, Leur morale et la nôtre, 1938

 

Même après l’effondrement du stalinisme, reste l’odieuse caricature qu’il a faite du communisme et du bolchevisme. Mais le combat de Trotsky a permis que soit assurée la continuité de ce qu’ils ont toujours été, le combat pour l’émancipation des travailleurs par eux-mêmes, condition nécessaire d’une véritable démocratie.

Il y a 10 ans, la chute des dictatures en Europe de l’Est, la désintégration de l’URSS et son retour, avec la restauration de la propriété privée, dans le monde capitaliste, ont clos la longue période, commencée au début des années 1930, pendant laquelle le stalinisme a exercé son emprise sur le mouvement ouvrier.

La terrible contre-offensive de la réaction bourgeoise, qui rallia à elle tous les partis dont la social-démocratie, à l’exception des jeunes Partis communistes, ne put venir à bout de la révolution russe, mais réussit à l’isoler. La classe ouvrière russe était dans l’incapacité - trop faible et qui plus est exsangue au sortir de la guerre civile - de diriger elle-même son propre Etat. D’instrument nécessaire au fonctionnement de celui-ci, la bureaucratie devint une caste farouchement attachée à ses privilèges et à leur consolidation, intéressée à faire rentrer les travailleurs dans le rang. Elle sortit victorieuse, à la faveur du recul politique de la classe ouvrière internationale, de cette guerre civile à rebours. Mais elle ne pouvait exercer son pouvoir que dans le cadre social établi par la révolution d’octobre 17 et l’expropriation des capitalistes qui s’en était suivie ; c’est au nom du communisme et du soi-disant héritage de Lénine, que Staline élimina physiquement une génération entière de révolutionnaires.

Il fallait ces crimes, ce fossé de sang, pour masquer l’usurpation et les mensonges de la bureaucratie. Sous l’étiquette du communisme furent réintroduits et légitimés les privilèges et les moeurs de la société bourgeoise que la révolution avait prohibés. Les idées marxistes furent défigurées, transformées, à l’opposé de ce qu’elles étaient, en instrument de soumission, en dogme consacrant la toute puissance du   " petit père des peuples " et son infaillibilité. La conception matérialiste, scientifique, de l’histoire, qui permet aux individus d’agir consciemment dans une évolution déterminée en dernier ressort par les forces inconscientes de l’économie, fut ravalée au rang soit d’un déterminisme absolu ne laissant aucune liberté d’action aux hommes, soit d’une vision policière attribuant aux individus un pouvoir démesuré de faire le bien ou le mal. Une entreprise de corruption, de destruction, qui faisait dire à Trotsky que le " stalinisme est la syphilis du mouvement ouvrier ".

Non seulement la domination de la bureaucratie stalinienne devint, pour étouffer toute possibilité pour la classe ouvrière de reprendre l’avantage, un des totalitarismes les plus féroces de la planète, mais cette dictature fut justifiée au nom des idées communistes par ceux qui les avaient usurpées, et célébrée par tous les partis communistes et leurs compagnons de route, comme l’avènement du socialisme.

Cette caricature hideuse, dont s’est évidemment servie la bourgeoisie pour discréditer les idées de révolte et d’émancipation sociales que sont les idées marxistes, subsiste encore aujourd’hui, après l’effondrement du stalinisme. Mais il ne faut pas surestimer ses effets : bien des faits, en particulier, ces dix dernières années, éclairent la nature réelle du stalinisme, et son cousinage avec l’ordre social bourgeois. Ainsi, la conversion de toute la couche dirigeante de l’ancienne URSS à " l’économie de marché ", à la loi du profit, à l’individualisme triomphant, et parallèlement, la transformation des Partis communistes en partis de gouvernement qui prennent leur part dans l’offensive libérale menée contre les travailleurs montrent que dans leur religion de l’Etat, il n’y avait que l’impossibilité pour leurs aspirations bourgeoises de se donner libre cours, qu’une duplicité imposée par les circonstances de leur naissance.

De même, l’acharnement de la propagande anticommuniste de la bourgeoisie a révélé ses mensonges quand elle encensait le " champion de la démocratie " Eltsine ou aujourd’hui l’homme fort du Kremlin, Poutine, dans le même temps qu’elle masque les ravages sociaux causés par la restauration de la propriété privée en Russie, et ferme les yeux sur la sale guerre de Tchétchénie.

Bien des travailleurs et des jeunes ne sont pas dupes, et ces bouleversements, comme leur conscience de la faillite du système capitaliste, les amènent à chercher des réponses sur les causes de " l’échec " de la révolution russe, comme des perspectives de transformation sociale qui ne peut passer que par le renversement de la propriété privée capitaliste.

Quels que soient les ravages faits par le stalinisme, il n’a pu détruire, pas plus que ne peut le faire la propagande bourgeoise, les idées de révolte et de contestation, le marxisme révolutionnaire, qui décrit la réalité de la société capitaliste, de la lutte de classes, et est le produit des combats menés par la classe ouvrière.

C’est dans ce camp et de ce point de vue que Trotsky et ses camarades ont mené le combat contre le stalinisme. Ils ont ainsi mis en évidence la falsification que celui-ci a faite des idées marxistes, et transmis l’expérience précieuse des 20 ans qui ont suivi la révolution russe, l’histoire d’une lutte extraordinairement aiguë entre la bourgeoisie, menacée dans son existence même, et la classe ouvrière, dont la défaite a conduit, dans le même temps qu’elle engendrait le stalinisme en Russie, au fascisme en Italie et en Allemagne, puis à la deuxième guerre mondiale.

En faisant la critique radicale du stalinisme, Trotsky a permis que parvienne plus facilement jusqu’à nous ce qui était à la base du bolchevisme et du combat de Lénine : la lutte pour la plus large démocratie qui soit, c’est-à-dire l’exercice du pouvoir par les opprimés eux-mêmes, " que l’Etat - comme disait Lénine dans L’Etat et la révolution -, soit dirigé par une ménagère ".

Mais les ouvriers de la Commune de Paris ou les travailleurs russes qui prirent le pouvoir 46 ans plus tard, ne pouvaient être que les précurseurs de la démocratie révolutionnaire, à une époque où une grande partie de la population, même dans les pays les plus industrialisés, vivait dans l’isolement qui était alors celui des campagnes. Rares aujourd’hui sont les travailleurs, même parmi ceux que l’on dit " indépendants ", qui ne sont pas reliés à l’organisation collective du travail - pour son exploitation - qui est celle de la société capitaliste moderne. La classe des salariés est devenue l’immense majorité de la population, elle est en mesure comme jamais de prendre effectivement le contrôle de l’économie afin de la mettre au service des besoins de tous. Ce qui s’oppose à cette démocratie, c’est le privilège, l’intérêt de quelques-uns, la propriété privée capitaliste - celle aujourd’hui des actionnaires des quelques 300 trusts qui dirigent l’économie mondiale - qui engendre anarchie de la production, crises, chômage.

Cette contradiction qui a atteint un degré insupportable, est au cœur de toutes les luttes sociales, de toutes les grèves ouvrières. En mettant en avant le programme de la démocratie révolutionnaire, le contrôle démocratique de la population sur l’économie qui détermine ses conditions d’existence, et le renversement de la propriété privée, les révolutionnaires en sont la fraction la plus radicale et la plus conséquente.

Gallia Trépère

 

La compréhension de l’histoire du mouvement ouvrier comme notre propre bilan critique, indispensables pour penser la révolution dont cette société est grosse

Nous publions un article écrit pour la revue Carré Rouge mais que le comité de rédaction n’a pas publié. Le débat n’en continue pas moins.

Dans le dernier numéro de Carré Rouge, Charles Jérémie dans son article " stalinisme et barbarie " décrit cette " tragique nouveauté " qu’a apportée le stalinisme " le meurtre comme argument politique " rompant avec " la tradition établie au sein du mouvement ouvrier international, c’est que les courants socialistes, anarchistes, communistes ne réglaient jamais leur désaccord par la violence. Au contraire, quelles que soient les tensions, l’autodéfense rassemblait les différents courants face à la bourgeoisie. La démocratie, la démocratie ouvrière, était la loi. Il faudra l’union sacrée pour que les chefs socialistes devenus ministres utilisent l’appareil d’Etat contre les militants révolutionnaires… Le stalinisme rompt radicalement avec cette tradition démocratique. Il institutionnalise la violence comme nécessaire conclusion du débat ". C’est effectivement la perversion la plus grave que le stalinisme a introduite dans le mouvement ouvrier, perversion érigée en vertu révolutionnaire par les mouvements nationalistes baptisés " communistes " par l’entremise de l’imposture stalinienne et qui encadrèrent la révolte des peuples coloniaux au lendemain de la deuxième guerre mondiale. Cette violence, c’est celle de la contre-révolution, de la bureaucratie, des couches bourgeoises nationalistes contre les masses.

Les flottements politiques passés de bien des révolutionnaires - attitude vis-à-vis du prétendu " socialisme réel ", soutien aux nationalistes parés de vertus socialistes - ont contribué à embrouiller cette question, semant le doute au moment où les tâches nouvelles qui sont devant nous nous renvoient à notre passé, et plus généralement à celui du mouvement ouvrier.

Il nous faut aujourd’hui nous retourner sur ce passé pour échapper à ce phénomène que Hobsbawm décrit en ces termes : " la destruction du passé ou plutôt des mécanismes sociaux qui rattachent les contemporains aux générations antérieures, est un des phénomènes les plus caractéristiques et mystérieux de la fin du XXème siècle. De nos jours la plupart des jeunes grandissent dans une sorte de présent permanent…. " . Pour aider les jeunes générations à échapper à cette domination par l’instant, à construire leur vision politique du monde, il nous faut faire cet effort de mémoire. C’est même la tâche essentielle d’une génération.

" Comprendre l’histoire du mouvement ouvrier est vital pour appréhender notre présent et construire des possibles pour le futur. Sans passé, nous sommes sans futur. " écrit Nicolas Béniès dans le dernier numéro de Critique Communiste qui aborde aussi la question du " travail de mémoire ".

Ce travail de mémoire est difficile. Ni notaire ni procureur, il nous faut comprendre, c’est-à-dire travailler à " la révélation de la loi intime du processus historique " selon l’expression de Trotsky dans l’introduction à son livre sur la révolution russe. Ce travail est indissociable de l’ensemble de notre travail militant, il en est au cœur.

Il s’agit de comprendre le bolchevisme en faisant notre propre bilan critique, c’est-à-dire en nous émancipant des caricatures.

La campagne actuelle menée par la bourgeoisie, la social-démocratie et les ex-staliniens contre le communisme et le bolchevisme assimilés au stalinisme, est une campagne contre les masses, les travailleurs, contre leurs droits démocratiques à prendre leur sort en main en utilisant la violence révolutionnaire.

Nous ne devons pas céder un pouce à cette campagne.

Ce serait une bien piètre politique que d’accuser de mille erreurs le bolchevisme, voire de considérer Staline comme le continuateur de Lénine, ou d’émettre des doutes hypocrites sur leur prétendue filiation. Ce serait reprendre à notre compte les mensonges non seulement de la bourgeoisie mais de l’imposture stalinienne elle-même. N’est-ce pas elle qui, pour tromper les masses contre lesquelles elle menait une véritable guerre civile, s’est affublée par la force des tribunaux, de la répression, du masque du " marxisme-léninisme " en en faisant une vérité d’Etat ? La seule façon politique, offensive, de se démarquer des caricatures que le stalinisme a produites, est d’affirmer notre solidarité avec les révolutionnaires qu’il a liquidés physiquement pour mieux se parer de leurs mérites. La seule réponse politique aux calomnies de la bourgeoisie qui accuse les révolutionnaires de ses propres crimes est une solidarité sans faille.

Inutile de préciser que la solidarité n’a rien à voir avec l’idolâtrie, elle est le cadre de la critique qui, elle-même, en est l’expression la plus élevée.

Une telle attitude fidèle à la vérité historique, soucieuse de dégager les vrais et authentiques jalons du combat révolutionnaire, implique pour le mouvement trotskyste qu’il se dégage de bien de ses errements passés qui l’ont conduit à prêter un rôle révolutionnaire à la bureaucratie ou à des mouvements nationalistes parés du " marxisme-léninisme " sans parler de certaines caricatures organisationnelles qui trouvaient leur justification dans une caricature du bolchevisme, compréhension frelatée mise en circulation par le stalinisme lui-même.

Les idées de Lénine, de Trotsky et de leurs compagnons étaient infiniment plus larges que la réalité sociale russe

Oui, il nous faut repenser l’histoire en nous dégageant de nos propres préjugés, ceux de militants longtemps isolés de leur propre classe qui n’ont connu, quant au fond, qu’une longue période de recul. Ces préjugés et habitudes militantes contribuent à détourner bien des révolutionnaires d’une juste appréciation du passé, jusqu’à avoir, parfois, une compréhension de l’histoire éloignée du matérialisme. Au lieu de comprendre ses mécanismes internes, l’intervention des militants au sein de ces mécanismes, on mesure les faits historiques à l’aune d’un programme socialiste transformé en instrument d’évaluation abstraite voire morale.

Il nous faut comprendre les réels rapports de force entre les classes qui conditionnent l’arène du combat, leurs évolutions et la marge étroite laissée à l’intervention consciente des révolutionnaires.

En août 1917, Lénine, conscient des difficultés dont les travailleurs russes seraient prisonniers, écrivait une brochure, " l’Etat et la révolution " comme s’il se défendait par avance de toutes les caricatures à venir, contre les calomnies, en utilisant son expérience pour donner corps et vie à la pensée de Marx et d’Engels et situer son combat dans la perspective de l’émergence d’une société sans classe débarrassée de l’Etat et de toutes les formes d’exploitation de l’homme par l’homme.

Cette large pensée a pris sa mesure en plongeant dans le combat de classe, prouvant sa fécondité dans sa capacité à aider les masses à s’emparer du pouvoir, à construire leur propre Etat. C’était la première fois que la pensée politique moderne, la pensée révolutionnaire, intervenait consciemment dans le processus de la lutte de classe pour conduire la classe révolutionnaire à la victoire.

Le processus historique s’est brisé sur les baïonnettes de l’impérialisme broyant les révolutionnaires pour engendrer le fascisme et le stalinisme.

Cette violence n’appartient pas au mouvement ouvrier, encore moins à la pensée de Lénine, Trotsky et de leurs camarades, elle est à verser entièrement au compte de la bourgeoisie.

Par quelle confusion de la pensée des révolutionnaires en arrivent-ils aujourd’hui à se dédouaner des révolutionnaires de 17 ?

Il y a là un des effets pervers du stalinisme, qui conduit ceux-là mêmes qui le combattaient mais ne pouvaient échapper à la pression qu’il exerçait sur l’ensemble du mouvement ouvrier, à tenter aujourd’hui de se laver les mains de leurs faiblesses en en cherchant les causes non pas en eux-mêmes, simplement, intelligemment, mais dans les faiblesses de la révolution d’octobre 17 elle-même. Ils se mettent en position de juges des révolutionnaires, façon perverse de tenter de se mettre au dessus d’événements historiques, collectifs, qui les dominent.

Ils restent ainsi prisonniers d’un univers de pensée formaliste, au lieu de prendre à bras le corps les faits eux-mêmes. Ils sont prisonniers de ce formalisme qui donnait à la formule de la double nature de la bureaucratie stalinienne un contenu qui pouvait justifier bien des adaptations. Il ne s’agissait plus d’une formule dialectique, révolutionnaire, mais d’une compréhension passive, " d’un côté, de l’autre "…

Il n’était possible d’échapper à cette pression du stalinisme sur le mouvement ouvrier, à cette compréhension formelle des contradictions de la révolution, de ce mécanisme monstrueux et barbare qui fit que la contre-révolution se glissa dans le cadre même de l’Etat né de cette révolution pour le pourrir de l’intérieur, que grâce à une activité révolutionnaire concrète, liée aux travailleurs.

Le drame est que, de défaites en défaites, les révolutionnaires furent de plus en plus isolés de leur classe soumise à la violence stalinienne et à la corruption social-démocrate.

La pensée de la majorité des révolutionnaires, à l’exception du groupe Barta, ne put échapper au cadre de pensée imposé par le stalinisme. C’est cette logique qui amena des trotskystes à considérer que les Etats des démocraties populaires étaient des Etats ouvriers bien qu’il n’y ait pas eu de révolution, états ouvriers déformés, disaient-ils, pour les différencier de l’Etat ouvrier dégénéré de l’URSS. Quelle casuistique ! C’est le même état d’esprit suiviste qui conduisit l’ensemble du mouvement gauchiste à idéaliser les luttes d’émancipation nationale.

Aujourd’hui, l’effondrement de ces régimes des démocraties populaires, Etats bourgeois déformés par la pression de l’Etat soviétique, pour reprendre l’expression juste de l’UCI (Lutte ouvrière), ou l’évolution des luttes d’émancipation nationale en dictatures avant de rejoindre le monde impérialiste, renvoient chacun à ses analyses. Et le sol se dérobe sous l’effet non pas de la confrontation avec un prétendu " socialisme réel " qui n’a jamais existé, mais de la confrontation avec l’histoire de la lutte de classe réelle.

Malheureusement, aujourd’hui, bien des intellectuels révolutionnaires, au lieu de se livrer à un retour critique sur eux-mêmes et leurs errements gauchistes préfèrent fuir en avant dans la confusion. Alors que le carcan stalinien est brisé, que le mouvement ouvrier va vers une renaissance, plutôt que se critiquer eux-mêmes, ils restent prisonniers de leur propre passé, cherchent des responsables, ils accusent. C’est la faute à Lénine...

Pour apprécier au mieux le passé des luttes révolutionnaires, il faut que notre propre pensée s’émancipe des erreurs dans lesquelles les différentes tendances du mouvement trotskiste ont pu se fourvoyer, en apportant leur soutien, sous couvert de défense de l’Etat ouvrier dégénéré, à des mouvements qui n’avaient rien à voir avec la révolution socialiste.

Il faut sans concession comprendre les mécanismes qui ont amené des révolutionnaires à confondre les chars de la contre-révolution stalinienne avec des armées libératrices, en faire la critique.

C’est le même aveuglement, celui de la pensée révolutionnaire transformée en formalisme programmatique, qui a fait de l’objectif militant formulé par Trotsky d’une révolution politique en URSS, une nécessité historique, un mythe, qui a aveuglé bien des révolutionnaires incapables de comprendre ce qui se passait avec la chute du mur de Berlin. Ce trouble de la compréhension étant bien sûr alimenté par les pressions idéologiques du moment.

C’est ainsi que dans ce qui n’était que l’aboutissement de la contre-révolution, inauguré par le démantèlement du glacis soviétique avant que l’URSS elle-même ne soit démantelée puis la propriété privée restaurée, ils virent une révolution populaire et démocratique. Nous ne regrettons pas, d’aucune manière que ce soit, le stalinisme ou " les Etats bourgeois déformés " des pays de l’Est, loin s’en faut, mais il n’y a là nulle raison d’idéaliser la démocratie de l’économie de marché.

Que l’effondrement de la bureaucratie ait suscité l’enthousiasme et la liesse populaire dans les pays que les chars de l’armée rouge avaient écrasés ne surprendra personne, sauf ceux qui avaient confondu ces chars avec le socialisme. Que la classe ouvrière russe n’ait pas trouvé la force, après 70 ans de dictature, malgré ses résistances, ses luttes, d’empêcher l’achèvement de cette longue contre-révolution, ne peut non plus surprendre. L’étonnant est la difficulté que l’impérialisme a eue à reconquérir les territoires perdus. Il y a là le plus sûr éloge de la révolution, et la condamnation du stalinisme qui l’a étouffée.

Nous n’aurons pas un mot de regret pour le stalinisme, mais nous ne nous réjouissons pas de la défaite des travailleurs, vaincus par la démocratie de l’économie de marché, qui opère des ravages terribles et a ravalé l’URSS au rang d’un pays sous-développé.

De la dépendance dogmatique au reniement dogmatique

" Les événements ne sauraient être considérés comme un enchaînement d’aventures, ni insérés, les uns après les autres, sur le fil d’une morale préconçue. Ils doivent se conformer à leur propre loi rationnelle. C’est dans la découverte de cette loi intime que l’auteur voit sa tâche ", écrit Trotsky dans l’introduction de son histoire de la révolution russe.

Cet exercice est aussi le nôtre, la tâche du " travail de mémoire ", il suppose que nous nous débarrassions de tout préjugé idéologique pour décrypter, analyser la lutte des classes telle qu’elle s’est déroulée à travers ce siècle. C’est la logique intime de ces luttes de classes qui a conduit à la prodigieuse montée du mouvement ouvrier, a accouché de la révolution russe puis a entraîné le monde dans une série d’oscillations et de crises dont la tendance a abouti à un profond recul, le triomphe du libéralisme impérialiste que nous connaissons aujourd’hui.

Cela signifie une critique sans concession des conceptions gauchistes qui résultent de la transformation des idées révolutionnaires et idées de la lutte de classes en une idéologie dogmatique, une norme programmatique figée, voire un moralisme stérile.

Les révolutionnaires ne tirent pas leurs idées d’on ne sait trop quelle interprétation géniale de l’histoire, mais bien des faits, de l’évolution des rapports sociaux et politiques, des besoins même des opprimés. Le matérialisme n’est pas un dogme au sens où il considère que rien n’est écrit par avance, pas plus dans le domaine de l’évolution naturelle que dans le domaine de l’Histoire et qu’il conçoit les idées comme la description de l’agencement des faits réels, de façon concrète et historique, pour en dégager des moyens d’action tant sur la nature que sur la société, quand l’homme devient l’objet de son propre travail.

Le communisme, c’est la théorie de la lutte de classes, comme le darwinisme est la théorie de l’évolution.

La fameuse expression de Marx, les idées deviennent une force quand les masses s’en emparent, signifie que… les masses deviennent une force quand elles s’emparent des idées, c’est-à-dire qu’elles deviennent conscientes d’elles-mêmes, de leur place dans la société et dans les rapports de classes qui la définissent et qu’assumant pleinement leurs propres besoins, elles s’affirment comme une force révolutionnaire.

Aucune théorie n’est capable ni de prévoir ni de rendre compte de la richesse de ce qu’il advient dans une période telle que celle qu’ont connue les bolcheviks. Il nous faut nous l’approprier pour aborder nos tâches nouvelles sans préjugés idéologiques, en prenant l’histoire de la lutte de classes comme un fait brut, objectif. Ce qui suppose que nous nous considérions nous-mêmes comme des acteurs de cette lutte de classes qui, comme le dit François Chesnais dans l’éditorial du n° 13 de Carré rouge, " ne connaît pas d’interruption ".

Nos liens indestructibles avec le bolchevisme, " ils ont osé "

C’est dans cette compréhension de l’histoire vivante des luttes de classes que s’écrivent nos solidarités, nos filiations, que se construit le fil de la continuité du mouvement ouvrier et de notre combat, sans lequel nous sommes condamnés à la faillite. Notre lien avec les bolcheviks, c’est notre volonté d’être ce que Lénine appelait à l’époque, faisant référence à la révolution française dont ils se considéraient eux-mêmes comme les continuateurs, " les jacobins du prolétariat ", c’est-à-dire la fraction la plus avancée de la révolution populaire, la fraction la plus radicale, la plus démocratique, non pas au sens formel mais au sens révolutionnaire du terme. C’est ce qui nous fait dire aujourd’hui, à notre niveau, que nous sommes les bolcheviks de la classe des salariés modernes, parce que quelles que soient les faiblesses et les limites de la révolution russe, même si les transformations qu’elle avait engendrées sont aujourd’hui laminées par le triomphe de l’économie de marché, les bolcheviks restent ceux dont Rosa Luxembourg disait " ils ont osé ".

Faire notre propre bilan critique, c’est penser une révolution nouvelle

Oui, notre " travail de mémoire " exige un esprit critique sans concession, ce qui suppose d’exercer cet esprit critique d’abord à l’égard de soi-même. La démarche qui me semble la plus juste est de réévaluer les positions du mouvement révolutionnaire des quarante dernières années à la lumière des événements actuels, pour nous ouvrir la voie vers la réappropriation des idées révolutionnaires, qui ont permis pour la première fois dans l’histoire à un parti révolutionnaire de s’intégrer consciemment dans le processus qui allait conduire les masses à la prise du pouvoir.

Pour nous approprier ces connaissances, cette science révolutionnaire, il faut d’abord que notre propre esprit critique débarrasse les consciences des révolutionnaires d’aujourd’hui des préjugés hérités d’une longue période de recul du mouvement ouvrier.

Et ce n’est qu’à partir de cet exercice que nous pourrons nous hisser sur les épaules du passé révolutionnaire pour entrevoir l’avenir, nous préparer à de nouvelles conquêtes révolutionnaires.

Oui, dans le même travail militant, critiquer notre propre passé, le réévaluer à la lumière des faits et tâches nouveaux, revenir à la jeunesse de nos idées, 1848, 1871, 1917, nous les réapproprier, tout réapprendre, pour nous projeter dans l’avenir, formuler à partir de la réalité actuelle un projet révolutionnaire.

Les dépendances à l’égard du stalinisme se perpétuent pour priver les révolutionnaires de la force de s’affirmer comme courant politique indépendant

A travers ce travail critique, la pensée révolutionnaire se dégagera de toutes les déformations dont elle a hérité par la dépendance à l’égard du stalinisme comme des mouvements nationalistes qui avaient repris à leur compte " le drapeau du marxisme-léninisme ", puisant dans l’expérience stalinienne un large arsenal dans l’art de tromper et de domestiquer les masses.

Ces déformations s’expliquent non pas par la faillite morale d’une génération ou de plusieurs, mais par des rapports de force politiques, sociaux, par les conséquences du combat concret autant il est vrai que les idées ne sont pas des dogmes tout faits mais bien l’expression de ces rapports de classes, de ces rapports politiques. La caricature des idées révolutionnaires, à laquelle bien des révolutionnaires ont contribué, est l’expression de la domination stalinienne. Cette hégémonie inquisitoriale sur le mouvement ouvrier a contribué à vider les idées du trotskysme de leur contenu révolutionnaire pour en faire trop souvent une critique formelle du stalinisme, parce que simplement les militants trotskystes, hors des combats révolutionnaires de leur propre classe, étaient prisonniers du cadre intellectuel imposé par le stalinisme comme, à une autre époque, le cadre religieux s’imposait à toutes les pensées. Même la fraction révolutionnaire qui dans ce pays a été la plus apte à se lier à la classe ouvrière, à échapper le plus au carcan stalinien, ce qui lui donne une place déterminante, Lutte ouvrière, n’a pas échappé à ce cadre de pensée au point de s’y enfermer jusqu’à en être momentanément paralysée, prisonnière de l’idéalisation du PC en tant que parti ouvrier.

La jeunesse libre du passé

Cet exercice intellectuel pour redonner vie à la pensée révolutionnaire matérialiste n’est en aucun cas un exercice de cabinet de travail mais bien un travail militant, concret, qui trouve son énergie, sa force dans la jeunesse. Nous ne pouvons réussir dans cette œuvre de réactualisation de la pensée révolutionnaire qu’en nous attachant très concrètement à nous confronter à la jeunesse, à aller au-devant d’elle, à rechercher sa critique, sa contestation, pour comprendre comment elle-même juge ce passé, l’aider à construire le fil conducteur qui lui permettra de prendre conscience de son propre combat. C’est dans cette confrontation entre deux générations, c’est du travail militant commun, où chacun accepte par avance de se mettre à l’école de l’autre, que pourront se formuler les idées de la révolution future que nous avons à penser.

La permanence de la révolution

Oui, la lutte des classes ne connaît pas d’interruption. Le processus historique qui aboutira à l’émancipation des travailleurs puis à la disparition des classes et de tout appareil comme de toute forme d’oppression est infiniment complexe. Il connaît des hauts et des bas, des succès et des échecs, des sommets et des effondrements, des révolutions et des réactions, mais il est un, permanent, combat de chaque instant, quelle que soit la conscience qu’en ont les acteurs eux-mêmes.

L’histoire de la révolution est pour nous, avant tout, le récit d’une irruption violente des masses dans le domaine où se règlent leurs propres destinées. ", écrivait Trotsky. Ces périodes sont rares, elles sont préparées par de longues maturations, périodes de développement du mouvement ouvrier, de travail patient, tenace, et la révolution en elle-même n’épuise pas la question de l’émancipation sociale, elle en est une étape.

La révolution de 1917 a apporté des débuts de réponses concrètes aux problèmes posés par la première révolution ouvrière de 1848. Au lendemain de celle-ci, les révolutionnaires de l’époque écrivaient dans le " Manifeste des sociétés secrètes " : " une double mission nous était imposée, l’établissement de la forme républicaine et la fondation d’un ordre social nouveau. Ainsi, le 24 février nous avons conquis la République ; la question politique est résolue. Ce que nous voulons maintenant, c’est la résolution de la question sociale, c’est le prompt remède aux souffrances des travailleurs, c’est enfin l’application des principes contenus dans notre déclaration des droits de l’Homme. Le premier droit de l’Homme, c’est le droit de vivre... ". Les révolutionnaires de 48 avaient bien des illusions sur leur propre révolution politique, la Commune de Paris apporta une réponse concrète à ces illusions, l’Etat-Commune, l’exercice direct du pouvoir, législatif et exécutif par les masses. La révolution soviétique fit pour la première fois de ce principe vivant le fondement de son Etat. Malheureusement, l’émancipation politique, trop limitée, enfermée dans les frontières de la Russie, ne put déboucher sur une émancipation sociale, économique qui ne peut s’accomplir dans le cadre étroit d’un seul pays. La révolution à venir trouvera la solution concrète à cette question du passage de l’émancipation politique à l’émancipation économique, de la démocratie révolutionnaire à la fin des rapports d’exploitation, l’émancipation économique, sociale, l’humanité prenant conscience d’elle-même.

Yvan Lemaitre

 

Vers une remontée des luttes...

en dépit de la dégénérescence continuelle des syndicats et de leur intégration progressive à l’Etat impérialiste, le travail au sein des syndicats non seulement n’a rien perdu de son importance, mais reste comme auparavant, et devient dans un certain sens même, révolutionnaire. Chaque organisation, chaque parti, chaque fraction qui prend une position ultimatiste à l’égard des syndicats, c’est-à-dire qui en fait tourne le dos à la classe ouvrière, simplement parce que ses organisations ne lui plaisent pas, est condamnée à périr. Et il faut dire qu’elle mérite son sort. "

Léon Trotsky, Les syndicats à l’époque de la décadence impérialiste, août 1940

 

Un contexte économique favorable à une remontée des luttes et du mouvement ouvrier

Quand Chirac découvre avec une naïveté feinte qu’il y a disproportion entre la croissance d’un côté et la stagnation du pouvoir d’achat de l’autre, quand le gouvernement semble ne plus savoir comment gérer le problème de l’assurance-chômage au point de se laisser mettre en mauvaise position par le Medef auquel pourtant il cède tout, bref, quand le pouvoir laisse percevoir son inquiétude devant le mécontentement des classes populaires, c’est que le climat social change.

La croissance est là, l’argent s’étale partout, les entreprises annoncent des milliards de profits, gonflés par les gains de productivité de la " nouvelle économie ", c’est le boom de la consommation à crédit des classes moyennes dépensant les retombées boursières, les investissements reprennent, les carnets de commande de l’aéronautique, de l’informatique, du bâtiment sont pleins, les patrons cherchent des milliers de travailleurs. Et la Bourse, si elle s’est un peu calmée par rapport à l’euphorie du début d’année, continue sa progression.

Cette croissance se fait sur la base d’une guerre sans relâche contre le coût du travail, par des attaques continuelles contre les conditions d’existence des travailleurs que seules des décennies de luttes et de résistance avaient améliorées. Le chômage baisse mais c’est l’explosion de la précarité, des petits boulots, des CDD et de l’intérim, des temps partiels, dans le privé, mais aussi dans le secteur public, géré à la rentabilité, comme une entreprise, et privatisé pan après pan.

En appauvrissant les classes populaires, la bourgeoisie freine la consommation et rapproche l’échéance de la crise. Seule la classe ouvrière, en revendiquant pour ses droits, pour les salaires, les embauches, en imposant un repartage des richesses en sa faveur peut en retarder le délai, mais ce sera une lutte acharnée contre les intérêts des financiers, contre les actionnaires qui n’auront plus autant de carburant pour alimenter la Bourse.

Voilà la croissance actuelle, une croissance destructrice qui pousse les travailleurs à la lutte et met alors à l’ordre du jour la question des salaires, d’une autre répartition des richesses. Cette évolution entraîne aussi d’autres catégories sociales dans la lutte : luttes paysannes, mouvements antimondialisation, prises de positions d’intellectuels contre la finance et le libéralisme. Elle est aussi l’expression d’une confiance retrouvée, de la certitude d’être dans son droit.

Le cours des choses est en train de changer, les conditions d’une possible transformation du rapport de force sont réunis.

Depuis vingt ans, la bourgeoisie mène une offensive contre le monde du travail pour rétablir ses profits. Aujourd’hui, elle a atteint ses objectifs au-delà de ses espoirs, les investissements reprennent, la machine économique tourne à plein. Il est temps de nous organiser pour exiger notre dû.

Les batailles qui sont devant nous seront cependant dures car la bourgeoisie sait que la croissance est fragile, la concurrence mondiale acharnée. Elles porteront leurs fruits si nous sommes capables de les organiser en toute lucidité et conscience, sans craindre de faire de la politique, la politique de notre classe, sans craindre de remettre en cause l’ordre bourgeois et la propriété.

F.C.

 

La mondialisation ou les nouvelles conditions de la lutte révolutionnaire internationaliste

Les ravages provoqués par la mondialisation à l’échelle de la planète, misère, ruine de millions de petits producteurs dans le monde, aggravation du chômage, de la précarité et de la misère dans le monde du travail et la jeunesse, accroissement des inégalités, suscitent une contestation qui s’est exprimée à l’échelle mondiale au sommet de l’OMC à Seattle, en novembre dernier. En France, une fraction de la jeunesse et des militants syndicalistes ou associatifs se sont mobilisés à Millau, le " Seattle-sur-Tarn ", pour soutenir la lutte des petits paysans menacés de ruine par la dictature des trusts mondiaux de l’agro-alimentaire servie par les directives de l’OMC. Révoltés par les conséquences du libéralisme, ils se reconnaissent dans les perspectives de la lutte de José Bové et de la Confédération paysanne pour " une mondialisation citoyenne ", une " humanisation du marché ", pour parvenir à un " commerce équitable " dont les règles prendraient en compte les intérêts des peuples et pas seulement ceux du capital.

Reprise par des intellectuels et journalistes de gauche et des organisations comme ATTAC, cette idée de régulation des marchés s’exprime dans un nouvel internationalisme, nouveau tiers-mondisme qui prône la nécessité de combattre les excès d’un capitalisme qui condamne des millions d’hommes, en le régulant pour réduire les inégalités. Ces idées trouvent aujourd’hui un large écho dans la petite-bourgeoisie de gauche, qui voudrait donner au système un visage plus acceptable, faire disparaître les aspects les plus révoltants de l’exploitation, du pillage des peuples, sans voir que cela signifie remettre fondamentalement en cause le système lui-même, c’est-à-dire la propriété et les frontières.

C’est ce " protectionnisme altruiste " que prône un des responsables d’ATTAC, Bernard Cassen qui explique que " rapprocher les lieux de production des lieux de consommation... est une exigence démocratique. Chaque pays doit pouvoir définir lui-même ses choix de société... ". Qu’elles se parent des meilleures intentions démocratiques et solidaires, ces idées n’en sont pas moins réactionnaires, au sens où elles laissent croire qu’un retour au protectionnisme pourrait régler les problèmes de famine et de misère dans les pays pillés, ravagés par des dizaines d’années de colonialisme et de domination impérialiste. La révolte de la petite-bourgeoisie des pays riches qui cherche à combattre l’ouverture sans entrave des marchés, a d’autre voie que celle d’un retour en arrière, un protectionnisme réactionnaire, même s’il se pare " d’altruisme " et de vertus démocratiques.

L’anti-américanisme, vieil alibi du nationalisme

Dans la lutte contre l’OMC et la mondialisation sous l’égide des Etats-Unis, s’est aussi exprimé un anti américanisme, d’apparence unanime, rejetant les Mac’Do, symboles de la malbouffe, la dictature de Coca Cola ou de tout ce qui représente l’hégémonie libérale américaine. S’il exprime l’aspiration légitime de certains à une meilleure qualité d’alimentation et de vie, il ne manque pas d’être repris par la démagogie de politiciens comme Pasqua, qui agitent le danger américain, qui battrait en brèche les " valeurs françaises ", flattant les préjugés chauvins. Les politiciens de la gauche plurielle ne sont pas en reste, quand il s’agit d’utiliser le vieux sentiment anti-américain pour tenter de faire croire aux travailleurs que, face à la concurrence américaine, il faudrait être solidaire de la politique qu’ils mènent au service des patrons français contre les trusts américains. Ils voudraient nous faire croire qu’on ne peut pas empêcher la déréglementation des marchés et la mondialisation orchestrées par les Etats-Unis, tentant de justifier leur impuissance face aux licenciements, et que mieux vaut se placer dans les meilleures conditions pour faire face à la concurrence, c’est-à-dire être solidaires de leur politique qui sert le patronat. Ils opposent une économie organisée à l’échelle internationale à une économie nationale : " l’OMC ou le parti du repli " déclarait Sautter à la veille du sommet de Seattle. Mais leur guerre économique n’est pas la nôtre. Ils la mènent au nom du profit, des trusts et actionnaires français ou européens contre leurs concurrents américains. Ils se prétendent solidaires des inquiétudes des petits agriculteurs ruinés par les trusts de l’agro-alimentaire, pour tenter de masquer, derrière l’anti-américanisme, leurs propres responsabilités dans la logique libérale qu’ils défendent et qu’ils servent.

Seule alternative à la mondialisation capitaliste, l’internationalisme des travailleurs et des peuples opprimés

Les idées d’apparence radicales des opposants à la mondialisation trouvent leurs limites dans leur refus de remettre en cause la propriété privée et l’ordre social bourgeois, et c’est d’ailleurs au nom des intérêts des grandes puissances elles-mêmes que les tenants de l’aide aux pays pauvres voudraient convaincre les dirigeants des pays riches que des mesures aussi ridiculement minimes qu’une taxe du type Tobin, reversée aux pays pauvres, pourraient même être favorables au capital en relançant la consommation dans ces pays, lui offrant de nouvelles perspectives de débouchés. Ils se défendent de ceux qui voudraient leur attribuer des idées révolutionnaires, en transformant leurs textes en " prise de position radicale, extrémiste, facile à condamner ", selon les propos du sociologue Bourdieu, et craignent que la contestation des jeunes et des travailleurs trouve un débouché révolutionnaire. Toujours selon Bourdieu, " les faux-semblants de la gauche plurielle déçoivent les électeurs de gauche, démobilisent les militants, renvoient vers l’extrême-gauche les plus exaspérés ". 

Les révolutionnaires sont solidaires et partie prenante des mobilisations du mouvement de contestation contre la mondialisation, mais dans ces mobilisations, plus largement que l’évolution libérale du capitalisme, ils combattent le capitalisme lui-même, qui ne connaît aucune limite à sa soif de profit, qu’il accroît au prix d’une exploitation toujours plus forcenée des travailleurs et des peuples opprimés, en creusant le fossé des inégalités, en concentrant toujours plus la richesse aux mains de la minorité possédante qui parasite le travail de l’ensemble des producteurs.

Aujourd’hui, la nouvelle offensive du capital à l’échelle du monde est en train de détruire toutes les digues érigées par les luttes des peuples pauvres comme des salariés des pays riches. L’évolution libérale actuelle n’est pas un choix de système sur lequel il serait possible que des esprits raisonnables et de bonne volonté fassent revenir les dirigeants de l’économie mondiale. Il ne s’agit pas de " résister " à la vague libérale, dans le sens que prônent des organisations comme ATTAC qui expliquent que " l’horizon du mouvement social est une internationale de la résistance au néolibéralisme et à toutes les formes de conservatisme ", accréditant l’idée qu’il pourrait exister un autre capitalisme, humain, domestiqué, régulé. Toute l’évolution du capitalisme des dernières décennies le dément : le fossé ne cesse de se creuser entre pays riches et pays pauvres. Les 100 plus grands groupes capitalistes qui dirigent aujourd’hui l’économie mondiale, les " nouveaux maîtres du monde ", ont réduit de façon drastique leurs investissements dans les pays les plus touchés par la crise, comme la Russie, et pratiquement abandonné le continent africain qui ne bénéficie plus que de 1,3 % des investissements mondiaux. La machine à faire du profit ne s’alimente dans sa course folle que du pillage du travail, de l’aggravation de l’exploitation des producteurs à l’échelle mondiale.

La seule alternative à la mondialisation capitaliste est l’internationalisme des travailleurs et des peuples opprimés, producteurs de l’ensemble des richesses, l’union de leur force au niveau qu’impose l’évolution actuelle du capital, c’est-à-dire l’arène mondiale, pour exercer leur contrôle sur le capital et sur les marchés, dans l’intérêt de la collectivité.

Face aux évolutions en cours, il ne s’agit pas de regarder le passé d’un oeil nostalgique, en l’idéalisant, mais de s’appuyer sur les profondes transformations sociales et économiques qu’impose la mondialisation, sur l’aggravation des antagonismes de classe qui préparent les prochaines crises révolutionnaires.

Catherine Aulnay

 

Syndicalisme de " proposition " ou de lutte de classe ?

Au cours de la " discussion paritaire " sur la question de l’assurance-chômage, les centrales syndicales ont participé complaisamment aux négociations, se prêtant au jeu du Medef.

La CFDT est apparue comme le fidèle relais de la politique patronale, plus clairement encore qu’en 95, quand elle soutenait le plan Juppé. Quant à la CGT, plus que jamais syndicat de " proposition ", elle est restée placidement à la table des négociations, pour dire, à la fin, qu’elle ne signait pas, n’envisageant à aucun moment d’organiser la moindre mobilisation. FO, tout en jouant son propre rôle, n’avait pas d’autre politique.

Si les principales centrales ont des politiques différentes, elles partagent ouvertement la même ambition, être des syndicats " de proposition ", reconnus comme des " partenaires sociaux " responsables.

Des appareils intégrés à l’appareil d’État…

D’ailleurs, la CGT et la CFDT se rapprochent, notamment au sein de la Confédération syndicale européenne, sur les cendres froides de décembre 95, et plus profondément sur la base d’un rôle identique dans la société, celui d’avocats du monde du travail auprès du patronat et de l’Etat. Gestionnaires de nombreuses caisses sociales, les centrales syndicales sont des organisations institutionnelles, en grande partie intégrées à l’appareil d’Etat, fonctionnant sur un plan matériel et financier en partie grâce à lui.

Les dernières affaires de financements plus ou moins légaux de permanents par des caisses de retraite ou par les caisses d’assurance maladie ont contribué à révéler que ce ne sont pas les cotisations qui payent les permanents, les locaux. Comme le dit le président de la CGC : " à raison de 1 000 francs par an et par adhérent, ce n'est pas avec ça que les confédérations peuvent exister ". La CGT avait d’ailleurs exposé ouvertement dans un rapport financier qu’elle ne pourrait vivre que 4 mois sur 12 si elle ne comptait que sur les cotisations. La politique actuelle de la direction de Renault de financer directement les syndicats (voir VDT n°134) participe de la même logique d’intégration des syndicats au système.

Cette situation montre toute la valeur des discours sur " l’indépendance syndicale " ressortis au moment de la manifestation du 16 octobre. Indépendants ? oui, mais des travailleurs qui sont descendus dans la rue pour exprimer leur mécontentement. Pour recevoir l’argent de l’Etat et des patrons, l’indépendance n’est pas leur problème !

… tournant le dos aux intérêts des travailleurs

Tant que le capitalisme était en expansion, durant les Trente glorieuses, les luttes des salariés, grèves partielles ou générales, résistance quotidienne, ont arraché à la bourgeoisie des augmentations de salaires, des améliorations des conditions de travail. Et les directions syndicales, encadrant les luttes et négociant avec le patronat, pouvaient s’approprier le mérite de ce qui revenait au rapport de forces créé par la classe ouvrière. A partir de la crise des années 70, il n’y a plus eu de " grain à moudre " comme l’avait dit Bergeron, dirigeant de FO de l’époque, et sous le coup des attaques patronale, la classe ouvrière subit un recul profond. Le rapport de forces monnayable auprès de l’Etat et du patronat étant de moins en moins favorable, les centrales se sont éloignées des intérêts des travailleurs : de plus en plus gestionnaires, de moins en moins organisations de lutte.

Se faisant ensuite le relais direct des intérêts gouvernementaux dans la période Mitterrand, alors que les vagues de licenciements se succédaient, continuant à partir de 86 quand les privatisations se sont multipliées, les centrales syndicales ont montré un visage repoussant pour les travailleurs, et décourageant pour les militants, le nombre d’adhérents chutant de 21,5 % en 78, à 12,3 % en 88, et 8 % aujourd’hui.

Cette faiblesse du taux de syndicalisation, c’est l’argument préféré des directions syndicales qui veulent justifier leur collaboration avec les gouvernements, leur faiblesse devant les patrons. Si les travailleurs étaient organisés en nombre, alors là, on verrait… les lions ! En réalité, les directions syndicales dédaignent les travailleurs qui se tournent vers les syndicats, comme elles écartent les travailleurs non organisés, craignant que leur capacité de mobilisation ne vienne troubler les routines bureaucratiques.

Mais malgré la politique des directions syndicales, ce sont leurs propres militants qui sont les animateurs des luttes.

Pas de syndicalisme sans lutte de classe

Aujourd’hui les luttes reprennent, et faute d’organisation, ou par défiance, les travailleurs se réunissent le plus souvent en AG ou en coordination pour les mener. Mais bien souvent, après, il n’en reste pas grand chose, sinon les liens tissés entre quelques uns, pendant la lutte. Le besoin d’une organisation qui garde la mémoire des luttes menées, et qui soit un réseau pour collectiviser les expériences ne peut que renaître.

Les syndicats peuvent redevenir, localement, très vite cet instrument. Il s’agit de mettre en avant un programme de contre-attaque de la classe ouvrière, pour qu’il soit discuté, évalué, approprié par les équipes militantes dans les entreprises. Il faut que ce programme soit celui de l’offensive des travailleurs, exprimant leurs droits, leurs dûs, et que les revendications n’apparaissent ni en retard par rapport aux besoins, ni coupées de ce que les travailleurs pensent possible. Pour cela, la discussion la plus large est nécessaire avec l’ensemble des salariés, syndiqués ou non, pour que la politique syndicale en soit l’émanation. Il ne peut y avoir de réel syndicalisme sans cette démocratie la plus large.

En renouant avec la lutte de classe et la démocratie, par lesquelles les travailleurs avaient créé les syndicats et les avaient imposés à la bourgeoisie, les salariés reprendront confiance en eux-mêmes et renoueront avec leurs organisations. Le syndicat pourra redevenir ce qu’il était à l’origine : une organisation de lutte, dans laquelle les travailleurs prenaient en main leurs intérêts, une école pour le contrôle de toute la société.

Franck Coleman

 

Les révolutionnaires et la taxe Tobin - pour un contrôle démocratique sur les banques, les entreprises et l’Etat, et non une régulation des marchés !

En recevant, le 10 juillet, des représentants d’Attac, Fabius a déclaré que le succès de la taxe Tobin " venait de la rencontre entre deux idées parfaitement justes : d’un côté, la nécessité de lutter pour le développement, de l’autre, la nécessité d’une meilleure régulation ". C’est une reconnaissance qui réjouit les responsables d’Attac comme Bernard Cassen mais qui est significative de la portée d’une telle taxe. L’idée est reprise, aujourd’hui, par nombre de politiciens de gauche qui aimeraient bien profiter, à peu de frais, de la sympathie qu’Attac rencontre en dénonçant les effets de la mondialisation.

Mais c’est du point de vue des intérêts des groupes financiers qu’ils servent que politiciens et économistes reprennent cette idée. Pour eux, il s’agit de débarrasser l’économie de " ses excès ". Ils voudraient nous faire croire qu’on peut concilier le développement, profitable à tous, et la course aux profits si elle est " régulée " !

Réguler le capitalisme, c’est l’idée de départ de Tobin lui-même, cet économiste américain, devenu prix Nobel, dans les années 70. Il proposait de taxer les mouvements de capitaux spéculant sur le change des monnaies à raison de 0,1 %, un taux infime pour ne pas gêner la finance tout en la régulant ! Ce Tobin est d’ailleurs aujourd’hui le premier étonné par la campagne faite autour de son idée. " Le fait que l’on assimile mon système de taxation des opérations de change à une réforme de gauche demeure pour moi une énigme " a-t-il déclaré. Mais peu importe pour tout un milieu de gauche, fier de pouvoir se targuer d’une idée simple et radicale en apparence, émise par un prix Nobel !

La campagne que mène Attac se situe dans la même perspective : " Il s’agit de taxer, de manière modique, toutes les transactions sur les marchés des changes pour les stabiliser et, par la même occasion, pour procurer des recettes à la communauté internationale ". Mais de quelle communauté internationale s’agit-il ? De fait, les dirigeants d’Attac s’en remettent aux Etats nationaux qu’ils opposent à la dictature des marchés et des grands groupes financiers internationaux, c’est ce qu’ils appellent " reconquérir les espaces perdus par la démocratie au profit de la sphère financière. " Mais ce sont justement ces Etats nationaux, tout aussi anti-démocratiques que les marchés, qui ont ouvert la voie à l’explosion de la sphère financière. Comment s’en remettre à eux ? " Les gouvernements ne le feront pas sans qu’on les y encourage " répond Attac.

La seule perspective que les dirigeants d’Attac donnent à ceux qui luttent contre les effets de la mondialisation c’est de faire pression sur les gouvernements pour qu’ils régulent les marchés ! Ceux qui se battent contre le parasitisme de la finance ont bien d’autres aspirations que de faire confiance à la gauche plurielle. Ce qui fait dire à certains camarades de la LCR : " L’intérêt de la taxe Tobin est devenu politique du fait de son appropriation par le mouvement social ". Oui, et c’est pour cela qu’il ne s’agit pas de tourner le dos à ces mouvements anti-mondialisation comme le fait LO, au nom du réformisme de ses dirigeants. Mais il est impératif que les révolutionnaires aident tous ceux qui viennent à la politique à travers cette campagne à y voir clair. C’est une illusion de croire qu’une mesure technique permettra de réguler une économie qui repose avant tout sur un rapport de force entre les classes, sur la lutte menée par une minorité pour s’approprier les richesses sociales produites par le travail de millions de femmes et d’hommes.

Et c’est là que le geste des députés révolutionnaires au Parlement européen prend toute son importance. En refusant de voter en janvier dernier le projet qui, sous couvert de taxe Tobin, demandait une étude sur le meilleur moyen de réguler les spéculations, ils ont jeté un pavé dans la petite mare de la gauche. Cela a provoqué l’indignation hypocrite de tous les partis de la gauche gouvernementale qui ont dénoncé le " sectarisme " de l’extrême-gauche. Ne pas être complice d’une mascarade pour aider des partis compromis au gouvernement à se refaire une image radicale, ce n’est pas du sectarisme. Les révolutionnaires ne sont pas prisonniers d’un faux radicalisme, mais s’ils sont solidaires de tous ceux qui s’éveillent à la lutte, en étant partie prenante de leur combat, leur rôle, leur utilité pour le mouvement, c’est en disant la vérité pour que les masques tombent. Et la vérité c’est que la taxe Tobin en elle-même n’a pas d’autre objectif que d’aider au fonctionnement de la société d’exploitation et de pillage impérialiste. Taxer le capital pour freiner cette folle course au profit, cela voudra dire la mobilisation et l’intervention d’une large fraction de la population pour exercer directement son contrôle démocratique sur les entreprises, les banques et l’Etat, parce qu’il ne s’agit pas de lutter contre un dysfonctionnement de l’économie mais de se battre dans une guerre sociale, la guerre que mène une poignée de riches contre l’ensemble de la population.

Charles Meno

 

Jeter les bases d’un nouveau parti des travailleurs...

 

Jeter les bases d’un nouveau parti des travailleurs, c’est écrire la continuité de notre programme…

Comme ceux de Cellatex et d’Adelshoffen, souvent acculés, n’ayant pas d’autre choix, des travailleurs luttent pour sauvegarder leurs emplois, avec leurs moyens, sans illusions, avec une détermination d’autant plus grande qu’au même moment, patrons et gouvernement se vantent de la croissance retrouvée, de la baisse du chômage. Ces actions sont le signe d’une évolution importante des consciences. Ces forces éparses sont en train de changer le rapport des forces. Aujourd’hui sur la défensive, elles ont besoin d’une politique pour pouvoir réellement inverser le cours des choses, c’est-à-dire prendre l’offensive. La remontée des luttes qui se prépare a besoin d’une politique et d’un programme.

Au lendemain de notre exclusion de LO, en mars 1997, nous écrivions : " nous entendons (…) contribuer à ce que le mouvement révolutionnaire se donne les moyens matériels, humains, politiques pour nous préparer à une remontée du mouvement ouvrier. Nous voulons agir pour que se constitue le cadre nécessaire à la collaboration de tous ceux qui veulent participer à la construction du parti dont la classe ouvrière a besoin ". Toute l’évolution politique et sociale actuelle le confirme, nous sommes au début de cette remontée et les forces de l’extrême-gauche ont devant elles la tâche de jeter les bases de la force politique nouvelle indispensable. Cela suppose une politique.

Cette perspective passe par le regroupement des organisations d’extrême-gauche, mais aussi par l’ouverture la plus totale à tous les militants qui sont conscients de la nécessité de constituer une force capable de s’opposer au gouvernement et au patronat et prêts à s’y engager. Mais pour que ce regroupement puisse se faire, pour qu’il fonctionne, il faut que nous puissions dire aux personnes qui se tournent vers nous : " voici notre politique, voici pourquoi nous nous battons, voici nos objectifs ", et ainsi leur permettre de se reconnaître ou pas, comme des amis politiques. Il faut également qu’au sein du parti, chaque militant, chaque groupe, soit à même de tirer les enseignements de chaque combat, de construire son " bagage politique ", et pour cela dispose d’un cadre de référence dans lequel il puisse situer ses actions et évaluer leurs résultats. Pour toutes ces raisons, le parti, petit ou grand, a besoin d’un programme.

Après avoir été exclus de Lutte ouvrière, nous nous sommes attelés à la tâche d’écrire un projet de programme, " Pour un parti démocratique des travailleurs révolutionnaires (socialiste et communiste) ", destiné à notre propre usage militant, mais aussi à servir de base de discussion avec les autres organisations. Il a pu sembler prétentieux à certains qu’un petit groupe ait cette audace. Là n’est pas le problème. Chaque révolutionnaire qui veut réellement militer doit se donner les moyens de le faire. Ecrire un programme est une nécessité, une tâche militante comme une autre, qui demande de la lucidité sur ses propres forces et dans laquelle la fausse modestie n’est d’aucune utilité pratique.

Le programme de militants marxistes ne peut pas se donner pour objectif de trouver une réponse à tous les problèmes de la vie sociale. Destiné à servir de référence à notre action militante, il doit avant tout nous permettre d’élaborer une description suffisamment précise de la situation en cours pour que nous soyons à même d’anticiper sur ses évolutions probables, afin de nous fixer des objectifs politiques réalistes. Un tel programme s’appuie nécessairement sur le passé, sur la compréhension des enchaînements historiques, sur les méthodes et les façons de raisonner de nos prédécesseurs. Mais il ne peut pas être le calque des programmes du passé. Tenter de " coller ", par exemple, le Programme de transition, écrit par Trotsky pour la 4ème Internationale à la fin des années trente, sur la situation actuelle ne pourrait aboutir qu’à masquer la réalité, qu’à nous paralyser politiquement. Matière essentiellement vivante, le programme est à réécrire à chaque changement de la situation, à chaque nouveau pas en avant du parti.

Notre projet de programme fixait l’objectif urgent et immédiat du regroupement de ses diverses tendances dans la perspective de la construction d’un parti des travailleurs révolutionnaires. Un pas a été franchi dans ce sens avec notre entrée comme tendance au sein de la LCR, un petit pas et… comme nous le disions dans nos thèses pour le dernier congrès de notre organisation : " l’évolution politique et sociale met à l’ordre du jour comme une tâche urgente et immédiate le regroupement de toutes les forces du monde du travail qui veulent se constituer en une opposition de classe à la politique du gouvernement. Nous militons pour que ce regroupement se fasse sur les bases des idées vivantes du marxisme révolutionnaire, autour d’un programme se définissant dans la continuité des idées du socialisme et du communisme, programme de transformation sociale révolutionnaire dont nous avons voulu esquisser le contenu dans notre projet de programme. "

Eric Lemel

 

Offrir une alternative, c’est aider les opprimés à prendre la parole

Le capitalisme ne se contente pas de prélever son profit à travers l’exploitation des salariés. La situation sociale dans laquelle la logique du marché plonge toute la société fait que les catégories de la population les plus opprimées en font plus que doublement les frais. Depuis des années, avec leurs propres méthodes, en l’absence d’un mouvement ouvrier capable de leur offrir une perspective politique, ces catégories sociales ont su trouver les chemins de la lutte. Elles ont su dénoncer la situation qui leur était faite, accuser, revendiquer leurs droits, conquérir le droit à la parole que leur nie cette société.

Résultat de la dernière crise économique, des millions de travailleurs se sont retrouvés au chômage. Trimballés de stages en petits boulots, beaucoup ont dû et doivent encore se contenter d’allocations leur permettant tout juste de survivre, quand ils n’ont pas fini dans la rue, " sans domicile fixe ". A l’initiative d’organisations comme AC !, la CGT chômeurs, et d’autres, ils ont su vaincre leur isolement social et se battre, pour faire respecter leur dignité, affirmer leur droit à une vie décente et leur refus du statut d’exclus que les bonnes âmes ont tenté de leur coller. Mais leur combat est loin d’être terminé. Au moment où patrons et gouvernement se félicitent de la baisse du chômage et de la croissance, Seillières, avec la complicité de Notat, a pour projet de les forcer à accepter n’importe quel travail, à n’importe quel salaire, sous la menace du retrait de leurs allocations- chômage. Nous sommes loin d’en avoir fini avec le chômage.

Chassés par la pauvreté de leur pays, attirés par la richesse relative des pays européens, des centaines de travailleurs, africains, asiatiques, cherchent à franchir les frontières. Quand ils y réussissent, au risque de leur vie et en y laissant leur pécule, sans qualification professionnelle, ils deviennent les proies de patrons du bâtiment ou de la confection sans scrupules. Victimes d’autant plus faciles à exploiter qu’immigrés sans-papiers, ils sont soumis au risque d’expulsion, à la double peine, aux charters façon Chevènement. Privés de tous droits, ils n’ont pas eu d’autre ressource que de mener des grèves de la faim, souvent très longues, à la mesure de leur détresse et de leur révolte. Pour leur droit le plus élémentaire de vivre, pour tenter d’arracher au gouvernement de la gauche plurielle la régularisation de leur situation.

Les femmes ont une place bien à part dans ce monde malade. Dans une société basée sur la propriété privée, transmission de l’héritage des parents aux enfants oblige, elles sont les premières victimes de l’idéologie qui en découle. Dévalorisées dans leur travail, considérées comme inférieures aux hommes, elles ont dû se battre pendant des dizaines d’années de luttes pour le droit à la contraception et à l’IVG. Mais ces luttes sont à recommencer sans arrêt. A cause des réactionnaires hystériques qui organisent les commandos anti-IVG, bien sûr, mais surtout parce que, plus insidieusement, la société sécrète des pressions sociales telles qu’en France, les services pratiquant l’IVG ont du mal à recruter les médecins nécessaires et que certains sont fermés, faute de personnel. Actuellement, on peut voir, au nom de l’" éthique ", la socialiste Aubry tergiverser devant la possibilité d’allonger le délai d’intervention de 10 à 12 semaines pour l’IVG.

Si toutes les femmes sont victimes des mêmes discriminations, les conséquences pratiques en sont différentes selon leur situation sociale. Les plus aisées peuvent, comme par le passé, se payer des cliniques privées où avorter ; elles ont les moyens de se débarrasser des tâches domestiques et de la garde des enfants en payant des " employés de maison ". Il n’en est pas de même pour le commun des femmes travailleuses. Elles doivent souvent s’occuper des enfants et du ménage après leur journée de travail, ajoutant leur oppression de femme à celle de travailleuse, et beaucoup d’entre elles ont été touchées plus durement que les hommes par le chômage. Pire encore, dans quelques uns des pays les plus pauvres, mais aussi en Europe, dans certains milieux issus de l’immigration, sous la pression de la misère et en l’absence d’autres perspectives politiques, se développent des réactions religieuses qui se traduisent par un véritable esclavage domestique des femmes dont le port du voile, pour les femmes musulmanes, n’est que la partie la plus visible. Enfin, loin de s’atténuer, la conséquence la plus abjecte de la misère, la prostitution, se développe.

A travers leurs associations, chômeurs, sans-papiers, ont trouvé les moyens de rompre leur isolement. Le combat des femmes pour le maintien de leurs droits est animé par divers collectifs regroupant des militantes et des militants d’horizons différents. Autant d’encouragements pour tous ceux qui souffrent de l’exploitation à prendre la parole, dénoncer, accuser, s’organiser.

E.L.

 

En finir avec les fausses barbes du centralisme démocratique…

" Il ne peut y avoir une forme d'organisation immuable et absolument convenable pour les partis communistes. Les conditions de la lutte prolétarienne se transforment sans cesse et, conformément à ces transformations, les organisations d'avant-garde du prolétariat doivent aussi chercher constamment les nouvelles formes. Les particularités historiques de chaque pays déterminent aussi des formes spéciales d'organisation pour les différents partis. "

(Thèses sur la structure, les méthodes et l'action des partis communistes, troisième congrès de l'Internationale Communiste).

Voilà en quels termes les communistes révolutionnaires posaient la question des formes d’organisation des partis en train de se former au début des années 20. Nulle idée préconçue, nul dogmatisme, nul modèle !

Le stalinisme a caricaturé la pensée révolutionnaire faisant de tout un dogme, un modèle dans lequel il enfermait toute pensée, censurant par avance tout esprit critique. Tout obéissait à des règles

au nom du " marxisme léninisme ", toute pensée indépendante était par avance exclue. Pour imposer cette censure, Staline et les siens, comme leurs successeurs, ne se contentaient pas des règles, les règles n’étaient qu’un moyen de pression qui n’aurait guère eu d’efficacité si elles n’avaient eu comme alliée la violence sous toutes ses formes, y compris physique.

Les procès n’auraient pas suffi à eux seuls à décapiter, à briser le mouvement ouvrier sans les condamnations et les exécutions.

La discipline imposée par la bureaucratie a trouvé sa justification dans une formule vidée de tout contenu révolutionnaire, " le centralisme démocratique " dont la paternité reviendrait à Lénine. En matière d’organisation, comme dans tous les autres domaines, la pensée de Lénine n’a jamais été figée, surtout pas en une formule dont la déclinaison peut se faire de bien des façons. Entre la démocratie comme condition même de toute centralisation ou la réciproque, il y a une infinité de compréhensions concrètes de cette formule au point qu’elle a été tellement galvaudée qu’elle ne veut plus rien dire aujourd’hui. Ou plutôt, elle a pris un sens et un contenu dont les révolutionnaires ne peuvent que chercher à se dégager.

Cela ne veut pas dire que nous nous détournons du contenu qu’y donnaient les révolutionnaires. " Une centralisation formelle et mécanique ne serait que la centralisation du "pouvoir" entre les mains d'une bureaucratie en vue de dominer les autres membres du parti ou les masses du prolétariat révolutionnaire, extérieur au parti. Mais seuls les ennemis du communisme peuvent prétendre que, par ses fonctions de direction de la lutte prolétarienne et par la centralisation de cette direction communiste, le parti communiste veut dominer le prolétariat révolutionnaire. C'est là un mensonge et, de plus, à l'intérieur du parti, la lutte pour la domination ou un antagonisme d'autorité est incompatible avec les principes adoptés par l'Internationale Communiste relativement à la centralisation démocratique. " (Thèses sur la structure, les méthodes et l'action des partis communistes. Troisième congrès de l'IC)

Aujourd’hui, les révolutionnaires reprennent pleinement à leur compte cette façon de penser, tout en la mettant en œuvre dans un contexte nouveau.

Ne pas être prisonnier des formules

Cela signifie ne pas se contenter de formules toutes faites mais, à l’opposé, tout redéfinir pour nous donner les moyens d’accomplir nos propres tâches. Il s’agit de penser notre propre activité réelle, au lieu de se bluffer en invoquant des formules ou en prenant la pose. Prétendre se donner les structures d’une organisation visant à la prise du pouvoir quand on est un petit groupe, même de quelques centaines de militants, est au mieux du bluff au pire une imposture.

Trop souvent, dans le passé, nous avons été dupes de ces formules qui dominaient notre propre pensée et surtout notre propre activité coupée d’une classe ouvrière influencée par les préjugés réformistes.

Nous ne pouvons aborder sainement nos tâches organisationnelles qu’en discutant concrètement de notre situation réelle, de nos forces comme de nos objectifs. Voilà la façon dont nous formulions ce problème en avril 1997, en conclusion d’une brochure intitulée " La question du parti " : Nos buts actuels sont de diffuser le plus largement possible les idées du communisme, les conceptions marxistes, de faire pénétrer ces idées dans les milieux les plus larges de travailleurs, mais aussi dans les milieux de la petite-bourgeoisie intellectuelle.

Il serait ridicule de proclamer une fausse discipline formelle, qui n'est en général que le masque de la passivité et de l’irresponsabilité à laquelle une vraie discipline souple, tolérante, résultant des besoins et des tâches, est infiniment supérieure et plus efficace. Cette discipline n'est pas décrétée administrativement, elle résulte du travail nécessaire en fonction du développement du mouvement révolutionnaire. Sinon, la discipline comme les fausses barbes de la clandestinité, ne sont que les instruments d'un pouvoir sur les militants, un mode petit-bourgeois de gouvernement, des méthodes de direction qui s'apparentent à celles d'un chef du personnel.

La démocratie, comme ses indispensables corollaires, la discipline et la confiance, ne se décrètent pas. Elles reposent sur une participation quotidienne de tous aux tâches politiques y compris aux tâches d'élaboration au sens où aucune direction ne peut élaborer, concevoir une politique pour une fraction même minime de la classe ouvrière, sans la participation active de celle-ci.

De ce point de vue, la vie qui s'organise autour de la presse de l'organisation est le creuset où se fondent discipline et démocratie grâce à la confiance et où elles prennent un contenu vivant, concret, politique, vérifiable par chacun. C'est alors que la discipline apparaît concrètement comme le complément indispensable de la démocratie, la condition même de la démocratie. Cette presse, c'est d'abord et avant tout la presse d'entreprise, qui est en quelque sorte le modèle que reproduit à différents niveaux la presse en général d'une organisation ou d'un parti révolutionnaire, visant à associer militants, sympathisants, travailleurs du rang, à son élaboration, sa confection politique et technique, à sa diffusion comme à sa discussion, sa défense tant politique que financière.

C'est à cela que nous voudrions essayer de donner corps dans la mesure de nos moyens et avec tous ceux qui voudront nous y aider, pour peut-être demain créer un cadre qui permette dans la démocratie la plus large, dans une pleine transparence, de vérifier, de confronter les idées, les raisonnements et les hommes qui donneront naissance à un véritable parti ouvrier, communiste et révolutionnaire. "

A notre modeste niveau, nous avons avancé dans notre travail qui maintenant s’inscrit pleinement dans le cadre de notre nouvelle organisation.

C’est cette conception vivante, pratique de la discipline comme de la démocratie que nous voudrions mettre en œuvre pour aider notre organisation à accomplir la tâche qui lui incombe face à la remontée du mouvement ouvrier, redonner vie aux idées du marxisme révolutionnaire.

Yvan Lemaitre

 

Faire de la politique autrement, c’est faire la critique la plus radicale de la société !

Il est fréquent d’entendre aujourd’hui des personnalités ou des courants politiques affirmer la nécessité de " faire de la politique autrement ". Ces affirmations sont la prise en compte d’une réalité nouvelle : le discrédit des formations politiques, reflet des illusions perdues sur la capacité des partis de gauche, Parti socialiste comme Parti communiste, à changer la société dans le sens des intérêts du monde du travail et de la population. A défaut d’une alternative révolutionnaire qui s’affirme largement, ce discrédit se traduit souvent par l’idée que les luttes menées, l’engagement pour la défense des droits des opprimés, ne peuvent être que dévoyés s’ils se placent sur un terrain politique et qu’ils sont alors utilisés à des fins électoralistes. Le sociologue Bourdieu - et d’autres avec lui - s’est fait le champion de cette " autonomie du mouvement social " à l’égard des organisations politiques.

Mais à elle seule, cette proclamation de " faire de la politique autrement " en refusant l’intervention des partis et des organisations politiques ne suffit évidemment pas. La revendication d’apolitisme n’a jamais protégé de la " récupération politique ", bien au contraire. Elle favorise plus sûrement les manœuvres en censurant toute discussion dès lors qu’elle est initiée par des organisations ou par des militants qui affichent leur combat politique.

L’autonomie du mouvement social " telle qu’elle est revendiquée aujourd’hui ne peut aboutir qu’au morcellement des mouvements de contestation et de révolte qui se sont manifestés ces dernières années et ne pas vouloir " faire de la politique " dans de telles conditions, cela peut se traduire aussi par le fait de ménager le gouvernement ou d’espérer le faire changer de politique en faisant pression " dans le bon sens ", ce qui est très politique !

Tout au contraire, les salariés ne peuvent défendre leurs intérêts que s’ils n’admettent aucune limite à la critique de la société, à la remise en cause de ceux qui la dirigent sur le plan politique et économique. Ce n’est pas avec la politique, - c’est-à-dire avec la nécessaire intervention dans tous les domaines de la vie sociale - qu’il faut rompre, c’est avec tous les calculs politiciens, les concessions aux illusions électorales, les appareils des partis de la gauche gouvernementale. Cela suppose de combattre pied à pied l’idée d’une possible amélioration du sort des travailleurs dans le cadre de ce système social, d’oser affirmer nos propres objectifs et définir une politique qui défende les intérêts généraux du monde du travail, qui remette en cause les droits de la propriété privée, la mainmise des bourgeois sur l’économie. C’est s’organiser à la fois pour défendre ces idées et mener les luttes nécessaires contre les mille aspects de l’exploitation. C’est donner l’objectif à ces luttes de changer la société, en faisant la critique la plus radicale qui soit de la société actuelle. C’est affirmer que l’on se place dans un camp social, affirmer la fierté de ce camp et lui donner confiance dans sa capacité à lutter et à changer la société, en l’aidant à s’émanciper de toutes les illusions et de toutes les pressions par lesquelles la bourgeoisie et ses porte-parole politiques tentent de nous empêcher de mener notre propre combat politique.

Jean Kersau

 

La jeunesse : le souffle du parti, l’avenir de la société

On a vu souvent, ces derniers mois, la jeunesse faire irruption sur le devant de la scène politique. Les mouvements lycéens de 98 et 99, les manifestations contre Seattle et plus récemment, la mobilisation de Millau contre la mondialisation, qui a été l’occasion d’un gigantesque rassemblement auxquels les jeunes ont massivement participé, sont le signe vivant de l’engouement et de la volonté de la jeunesse de jouer son rôle dans la vie politique et sociale. Dans cette société, les jeunes sont les plus touchés par le chômage et la précarité qui s’abattent violemment sur l’ensemble de la population et leurs perspectives d’avenir sont bien souvent réduites aux petits boulots, à l’intérim, bref, à l’incertitude la plus totale. C’est donc sur le terrain des luttes que les jeunes, lycéens, étudiants ou travailleurs, se retrouvent pour dire leur ras-le-bol de ce monde dirigé par la loi du fric, gouverné par des politiciens qui se fichent éperdument de leur sort et qui n’hésitent pas à leur balancer leur mépris à la figure quand ils descendent dans la rue pour dire à quel point ils sont en colère.

Qui pourrait s’étonner ensuite que les jeunes rejettent en bloc les organisations politiques traditionnelles ? Qui pourrait reprocher à la jeunesse de ne pas faire confiance à ces politiciens de tous bords, ces rapaces assoiffés de pouvoir qui se bagarrent pour des postes alors qu’une fraction de plus en plus grande de la population s’enfonce dans la misère pendant qu’une petite minorité s’en met plein les poches ? N’en déplaise aux gouvernants donneurs de leçons qui aimeraient mieux que la jeunesse soit sage et obéissante, la génération des 15-20 ans fait de la politique, elle agit, participe aux luttes, crie sa révolte et a bien l’intention de changer le monde.

Ce que veulent les jeunes, c’est du concret, de l’efficace, avoir l’impression que l’action change les choses, jour après jour : " Il vaut mieux agir que faire de grands discours ". L’humanitaire, l’écologie, la lutte anti-raciste par exemple, sont des domaines qui touchent particulièrement les jeunes et à travers lesquels ils pensent changer le monde, petit bout par petit bout, à défaut d’une autre solution, d’autres perspectives. Car ce sont ces perspectives qui manquent le plus à la jeunesse ; malgré des aspirations généreuses, une profonde volonté de faire évoluer le monde et de se battre contre les ravages de cette société, les jeunes se retrouvent bien souvent sans boussole, dans une impasse. C’est bien là que réside le rôle des révolutionnaires, donner des perspectives claires aux jeunes, les aider à nourrir leur révolte, leur donner confiance en eux pour que les idées de la révolution deviennent la principale arme de leurs luttes et de leur émancipation. La tâche n’est pas des plus aisées, mais gagner une nouvelle génération aux idées de la révolution, de la lutte contre la propriété privée qui génère tous les maux de cette société, est une priorité et un pas indispensable dans la construction du parti.

Les préjugés contre le communisme et contre la révolution ne sont pas si solides qu’on peut le penser chez les jeunes, qui n’ont pas connu toute la période d’opposition entre les blocs de l’Est -représenté par les dictatures " communistes "- et de l’Ouest -le monde de la " démocratie ". Quant aux vieilles guerres d’appareil, aux différents sectarismes dans l’extrême-gauche, bref, tout le vieux fatras, les jeunes n’en sont pas prisonniers : le passé n’a pas ce poids sur leur conscience et leur cerveau est ainsi plus libre pour le présent, pour les idées, pour la lutte.

A nous maintenant d’être capables d’offrir aux jeunes le cadre réellement démocratique auquel ils aspirent, celui dans lequel ils pourront militer et débattre librement, celui où les valeurs qui leur sont chères, la solidarité, le respect de chacun quels que soient son origine ou son sexe, s’exprimeront largement et quotidiennement. C’est à toutes ces exigences des jeunes et des moins jeunes que le cadre du parti devra répondre.

Les jeunes générations ont l’avenir devant elles et un monde à transformer, une organisation politique sans jeunes est destinée à s’éteindre. Nous devrons savoir attirer à nous un grand nombre de jeunes, accepter qu’ils nous bousculent, qu’ils nous transforment, qu’ils nous apportent des idées, qu’ils nous poussent à être moins timides. Le parti que nous voulons construire aura besoin de l’énergie et de l’audace de la jeunesse, de son esprit plus libre et novateur. Elle sera le souffle de nos prochaines luttes et de nos victoires.

Léa Prassi

 

Députés révolutionnaires au Parlement européen : un point d’appui pour le mouvement révolutionnaire

Les résultats des Européennes ont confirmé que les idées révolutionnaires défendues par la LCR et LO représentaient désormais un courant d’opinion significatif et durable, quatre ans après les élections présidentielles de 95 et après les élections régionales de 98.

C’est la première fois que l’extrême-gauche a, en France, des élus dans un scrutin national et cela contribue bien sûr à donner une crédibilité au courant révolutionnaire et une notoriété plus grande à ses porte-parole.

Alors que les révolutionnaires dénoncent les illusions électorales et qu’ils privilégient les luttes sociales et politiques comme moyen de changement de la société, il est paradoxal que ce soit à travers des élections que l’unité des révolutionnaires ait pris une réalité à l’échelle nationale et même au-delà. Mais s’il est regrettable que l’unité n’ait pu se faire que sur un terrain électoral, l’élection des députés révolutionnaires européens sur une liste commune a été un fait significatif et encourageant.

L’activité des députés révolutionnaires européens permet de faire la démonstration qu’au-delà de divergences bien normales entre deux courants qui ont des histoires différentes, il y a entre eux, face aux autres forces politiques et sur les sujets les plus divers, un accord sur l’essentiel. Et l’apparition commune d’Arlette Laguiller et d’Alain Krivine dans la manif des Michelin, par exemple, donne une réalité et un visage à la force politique révolutionnaire qui s’est exprimée à travers leur élection et les luttes sociales.

La parution du bulletin commun de l’activité des parlementaires européens témoigne de cette possibilité de militer côte à côte. Même s’il est regrettable qu’il ne soit guère utilisé pour illustrer le fait que l’unité des révolutionnaires est possible dans d’autres secteurs d’intervention.

J.K.

 

L’unité, une politique pour les luttes

Au moment où tout laisse prévoir une remontée importante des luttes de la classe ouvrière, les carences du mouvement ouvrier se font d’autant plus cruellement sentir. Et pourtant, depuis décembre 1995, des luttes se développent, dans lesquelles les travailleurs, militants syndicaux compris, passant outre aux divisions, remportent des succès, et font, sans en mesurer souvent toute l’importance, de sérieuses incursions dans le domaine politique, puisqu’une des conséquences de l’échec de Juppé en décembre 95 fut l’aventure de la dissolution de l’Assemblée nationale par Chirac, que plus récemment Jospin a dû se séparer de trois de ses ministres. Le besoin d’unité dans les luttes est le résultat direct du besoin profondément ressenti par des travailleurs de plus en plus nombreux de stopper l’évolution de la situation, et de la conscience que personne ne le fera à leur place. Il offre du même coup aux militants révolutionnaires de larges perspectives politiques.

L’urgence et la gravité des situations qui sont à l’origine des mouvements de ces dernières années, la prise de conscience par de nombreux militants ouvriers du PC qu’il n’y a plus rien à attendre de ce dernier, ont permis que tombe le mur qui, depuis des dizaines d’années, oppose, parfois de façon musclée, les " staliniens " et les " gauchistes ". Désormais, ils peuvent se reconnaître mutuellement pour des militants ouvriers, ayant des idées différentes certes, mais du même bord, dévoués aux mêmes intérêts de classe. De là à se retrouver tous à construire le parti qui fait défaut aux travailleurs, il n’y a plus qu’un pas… que les sectarismes politiques s’ingénient à rendre infranchissable…

Les appareils syndicaux, même faibles, ont leur propre logique et cherchent à maintenir un état social qui est le gage de leur propre survie. Ce faisant, ils ne peuvent que constituer des obstacles sur le chemin de nos luttes, même si c’est par défaut, en évitant soigneusement tout ce qui pourrait étendre un mouvement, donner des objectifs communs à des luttes éparses. Il est aussi illusoire et ridicule pour les militants révolutionnaires de penser pouvoir infléchir la politique de ces appareils en faisant pression sur eux, ou encore d’espérer les changer de l’intérieur en acceptant les postes qu’ils bradent dans des bureaux laissés vacants par le départ de militants démoralisés, que de regretter, comme le fait Lutte ouvrière, la disparition du PC en tant que parti ouvrier, c’est-à-dire, si on a bonne mémoire, en tant que gendarme de la classe ouvrière.

Car les perspectives que nous offre la situation sociale actuelle sont autrement enthousiasmantes ! Décembre 95, c’est aussi la naissance du slogan " tous ensemble ". Passant outre à la volonté des directions syndicales de ne pas donner d’objectif réel au mouvement, des milliers de travailleurs, militants syndicaux et politiques du rang en tête, ont découvert que " tous ensemble " on peut fixer les objectifs de nos luttes, que " tous ensemble " on peut les conduire. Et qu’en plus, ça fait du bien !

Tous ensemble ", c’est-à-dire démocratiquement. Quand il n’est pas organisé par en haut par un syndicat, un mouvement ne peut se développer que s’il trouve en lui même sa propre capacité d’organisation, sa propre force. Cette force, il la tire de sa capacité à prendre en compte l’aspiration de chacun à prendre la parole. Parce qu’il est nécessaire d’avoir l’avis de chacun, de discuter de tout, de se mettre d’accord pour élaborer des objectifs. Et parce que c’est à cette seule condition que peuvent se prendre les engagements mutuels solides, réels, base de la discipline nécessaire à la lutte. La conscience de la nécessité de la démocratie la plus totale dans les luttes se construit peu à peu. Elle enlève à la démocratie son masque idéologique, moral, de " valeur de gauche ", pour lui donner son véritable sens : une nécessité pratique.

Oui, la nécessité de s’unir à ses propres camarades afin de prendre, collectivement, notre sort en main.

E.L.

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