Pas de scoop, ce dimanche soir, Macron ne s’est guère « réinventé ».  Il a tenté de reprendre la main, comme il avait, parait-il, envisagé de le faire en provoquant une élection présidentielle anticipée ! Il a tenté de se placer au dessus de la mêlée au nom de l’union nationale pour affronter la vague de mécontentement qui monte de partout, y compris au sein de sa police, alors qu’après avoir perdu la majorité au Parlement, son parti va vers une déroute aux municipales. Et l’imposteur n’hésite pas « en même temps » à soutenir sa police au service de « la loi et l’ordre » contre les classes populaires tout en prétendant rejeter le racisme et comprendre la jeunesse...

Ce mécontentement profond s’exprime dans la rue, au mépris de la loi d’urgence sanitaire qui prétend interdire les rassemblements de plus de 10 personnes. Les manifestations contre les menaces de fermeture ou de licenciements comme à Renault, les mobilisations contre la remise en cause d’acquis sociaux comme à Derichebourg près de Toulouse, la préparation de la journée de mobilisation pour la Santé mardi 16 en sont autant d’expression. De même que les multiples rassemblements contre les violences policières et le racisme suite au meurtre de George Floyd et pour exiger justice pour Adama Traoré, dont celui de samedi à Paris qui a été l’occasion pour le préfet Lallement de nouvelles provocations.

C’est une même contestation politique et sociale, démocratique qui sourd de partout.

Le gouvernement n’en poursuit pas moins sa politique au service du CAC40, alors que l’ampleur de la débâcle économique et sociale se révèle de plus en plus.

Au nom de la préparation d’une prétendue relance, il en appelle à l’effort de tous, à l’union nationale, pour imposer la seule politique possible pour les classes dominantes, une offensive sans précédent contre la classe ouvrière. Pour Le Maire, la lutte contre l’explosion du chômage, c’est sauver les profits et donc distribuer des milliards aux grandes entreprises. Pour « amortir le choc » des 800 000 emplois déjà perdus et les annonces de faillite qui se multiplient il distribue des milliards pour tenter de maintenir l’activité en maintenant les profits pour sauver ce qui peut l’être en attendant les hypothétiques effets de la « relance »…

« Sauver les profits pour sauver l’emploi », c’est le sens des attaques de Pénicaud contre les travailleurs. Nul ne sait jusqu’où les rapports de force sociaux lui permettront d’aller, mais les objectifs sont clairs, formulés par divers think tanks patronaux : prolonger le plus longtemps possible les mesures dérogatoires au temps de travail mises en place pendant le confinement, en finir avec les 35 heures, liquider ce qu’il reste du code du travail, porter l’âge de départ à la retraite à 65 ans…  (retraite dont la réforme, mise en attente depuis le début du confinement, refait son apparition). Les grandes confédérations syndicales, bien loin d’organiser la riposte qui s’impose, s’empressent de répondre aux invitations du ministère du travail, comme la semaine passée pour une « concertation express des partenaires sociaux » sur le régime de financement du chômage partiel.

Autre chantier auquel prétend s’être attaqué le gouvernement, celui du système de Santé dont la crise sanitaire a révélé l’état de délabrement. Mais le « Ségur de la Santé », piloté par Nicole Notat, se révèle pour ce qu’il est, une mascarade pour que rien ne change. Sud a, à juste titre, claqué la porte.

Patrons et ministres sont pressés d’en finir avec le confinement pour que l’activité économique reprenne. Mais la loi d’urgence sanitaire par laquelle le gouvernement a tenté de maîtriser sous contrôle policier la propagation de l’épidémie reste encore sur bien des points en vigueur. C’est à travers elle qu’il contrôle le processus de déconfinement, de façon toute aussi policière, en supprimant ou en « adoucissant » certaines des 25 mesures qui la constituent. Pour l’instant, 5 ont été levées, concernant essentiellement les limitations de circuler sur le territoire national ; 4 ont été « adoucies », comme celle qui interdisait aux restaurants de recevoir des clients. Les autres restent actives, telle par exemple la « limitation du contrôle parlementaire sur les ordonnances prises par le gouvernement ». Quant à celle qui visait à interdire les manifestations en limitant les rassemblements à moins de dix personnes, elle vient d’être retoquée par le Conseil d’Etat. Il est vrai qu’elle avait été mise à mal par les mobilisations de ces derniers jours…

Cet état d’urgence devrait prendre fin le 10 juillet, mais le gouvernement s’est réservé la possibilité de le prolonger, expliquant : « Si une aggravation générale ou localisée de la situation devait justifier des mesures plus restrictives de liberté, le gouvernement devrait alors recourir à nouveau à l’état d’urgence sanitaire, lequel pourrait être remis en vigueur, sur tout ou partie du territoire, par un décret en conseil des ministres. »…

L’État se prépare à l’affrontement social.

«  Un immense défi »… pour le monde du travail

L’OCDE publiait le 10 juin un rapport présentant deux « scénarios catastrophes » pour les mois à venir. Une version « optimiste », dans l’hypothèse où la pandémie restera sous contrôle, et une « pessimiste », dans le cas contraire. Les deux prévoient un fort recul du PIB mondial sur l’année 2020 (– 6 % et -7,6 %), suivi en 2021 d’un rebond à 5,2 % pour la version optimiste, de 2,4 % sinon. Mais même dans l’hypothèse la plus favorable, et en admettant que ce rebond se produise vraiment, ce qui est loin d’être acquis, + 5,2 % ne compense pas – 6 %. Comme le dit une auteure du rapport, quel que soit le cas, la « perte de revenu dépassera celle de toutes les récessions précédentes au cours des cent dernières années, sauf en période de guerre, avec des  conséquences terribles et durables pour les populations, les entreprises et les gouvernements »… Les prévisions de l’OCDE sont bien pires pour la France, où le recul de croissance pour 2020 devrait se situer entre –11 % et - 14%.

Ces prévisions rejoignent celles de la Banque Mondiale parues en début de semaine, pour qui la situation actuelle est « la plus grave crise économique mondiale depuis 150 ans ». Selon une de ses dirigeantes, « Il s’agit d’un choc dévastateur dans toutes les économies qui ont besoin d’une action mondiale urgente [...] C’est une crise qui devrait laisser des cicatrices pendant longtemps et poser d’immenses défis à l’échelle mondiale ».

A cette récession sans précédent s’ajoutent les menaces accumulées sur le plan financier. En France, l’endettement des entreprises approche 2 000 milliards d’euros, le double d’il y a dix ans. Celui de l’Etat explose du fait des interventions de soutien aux entreprises, des divers plans de relance (automobile, tourisme, aéronautique…). A quoi il faut ajouter les garantis de prêts par lesquels les caisses publiques s’engagent à rembourser entre 70 et 90 % des sommes empruntées en cas de faillite de l’entreprise bénéficiaire.

Le surendettement des entreprises et des ménages, alors que s’accentuent les menaces de faillites et de pertes d’emplois augmente le risque qu’une forte part de ces dettes ne puisse jamais être remboursée. C’est pourquoi la BCE se prépare à étendre les mesures de rachat de dette, jusqu’alors limités aux marchés obligataires (dettes d’État et de grandes entreprises), aux crédits bancaires aux entreprises et privés. Alors que les sommes allouées au rachat des dettes obligataires s’élèvent à 1350 milliards, la somme pour le rachat des autres dettes s’élèverait à 500 milliards et pourrait être doublée en cas de nécessité.

Ces milliers de milliards dépensés par l’État, comme ceux distribués sans compter par les banques centrales n’ont en réalité qu’un effet très limité sur les perspectives de reprise économique. Celle ci est conditionnée par la reprise de la demande, du marché solvable, lourdement frappé par la vague de pertes d’emplois. Le phénomène est pour l’instant compensé en partie, en France, par les mesures de financement du chômage partiel. Mais ces mesures prendront fin pour des dizaines de milliers de travailleurs lorsque les vagues massives de licenciement annoncées dans divers secteurs deviendront effectives, sans oublier les faillites de petites et moyennes entreprises dont personne ne peut évaluer l’ampleur. Quant aux milliers de milliards distribués, loin de créer de l’emploi, ils vont servir à financer pour une part les restructurations et modernisations que les multinationales préparent pour faire face à une concurrence internationale exacerbée, comme à alimenter le casino des marchés financiers, accumulant les ingrédients d’un nouveau krach financier.

Contrairement à ce que rabâche la propagande aux ordres, le Covid-19 n’est pas en lui-même responsable du champ de ruine économique, sociale, politique, écologique dans lequel se trouve plongée l’humanité. Tout au plus est-il le déclencheur et l’accélérateur d’un effondrement déjà en cours dont les causes sont à chercher dans le fonctionnement même du système, sa soumission à l’anarchie de la concurrence et des lois des marchés, comme dans les politiques menées depuis des années par les États et les banques centrales pour garantir les profits d’une minorité totalement parasitaire, maintenir sous perfusion un système économique à l’agonie.

Les travailleurs, la jeunesse sont, eux, porteurs d’un « immense défi » qui n’est pas un mirage, mais la perspective de sortir l’économie mondiale de la débâcle dans laquelle le capitalisme l’entraîne, en la débarrassant des rapports d’exploitation capitalistes, du profit et de la concurrence.

Pour un plan d’urgence sanitaire, social, écologique, démocratique

La vague de licenciements qui a commencé met à l’ordre du jour la nécessité d’une riposte pour imposer l’interdiction des licenciements, la répartition du travail entre toutes et tous, le maintien des salaires, la réquisition des entreprises en faillite. Quant à l’urgence sanitaire, elle ne peut trouver ses réponses que dans la satisfaction des exigences que porte depuis longtemps, le personnel hospitalier qui sera en grève le 16. Il est urgent d’en finir avec les destructions de services, d’ouvrir des lits, moderniser les équipements, d’embaucher massivement et d’augmenter les salaires. Il faut mettre fin aux logiques de rentabilité dans la Santé, mettre fin à la concurrence public-privé, ce qui suppose exproprier les groupes financiers propriétaires de cliniques et d’Ehpad, pour constituer un seul service public de santé. 

La pandémie a brutalement démontré que la question écologique est une question d’urgence qui englobe les conditions de vie de l’humanité tout autant que le climat et l’avenir de la planète. Une gestion consciente des relations entre la société humaine et la nature nécessite de mettre fin au désordre de la concurrence mondialisée.

L’urgence écologique se combine à l’urgence démocratique. Il n’y a pas de progrès sanitaire, économique, social sans l’intervention du monde du travail et des populations pour exercer leur contrôle, décider de leur propre destin. L’exigence démocratique, l’aspiration à la dignité, à l’égalité et à la justice ont été une nouvelle fois portées par le soulèvement planétaire contre les violences policières et le racisme déclenché par le meurtre de George Flyod. Elles étaient au cœur des puissants mouvements de révolte populaire qui ont secoué le monde durant la dernière décennie et en particulier au cours de l’année passée. 

Ces aspirations se heurtent de plein fouet aux intérêts des classes dominantes et des gouvernements qui les servent. Elles remettent en cause le règne de rapports sociaux d’exploitation issus du passé, basés sur l’appropriation privée par les « 1% » des richesses produites par le travail des « 99% ». C’est avec ces rapports sociaux qu’il s’agit d’en finir.

C’est la tâche qui incombe au monde du travail conscient que l’ampleur de la crise globalisée du capitalisme pose de façon pressante la question du pouvoir, de qui décide dans la société, la grande masse de celles et ceux qui produisent toutes les richesses, ou une infime minorité de parasites dont la soif de profits  a conduit le monde à la ruine.

Elle se réalise à travers chaque lutte, chaque mobilisation qui, pratiquement, sont autant de moments vers la mise en œuvre d’un plan d’urgence sociale, sanitaire, écologique, démocratique comme le sera la journée du 16 aux côtés et ensemble avec les travailleurs de la santé, l’occasion de discuter de nos revendications communes, de préparer les jours d’après face à un pouvoir en déroute.

Daniel Minvielle

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