La campagne électorale révèle de façon aigüe la décomposition des vieux partis au service de la bourgeoisie. Les primaires qui étaient censées donner un semblant de légitimité aux candidats LR et PS, déconsidérés par des années de partage du pouvoir et d’offensive brutale contre les classes populaires, ont au contraire accéléré la débandade. Au sein d’un parterre d’anciens premiers ministres et ministres, les outsiders sont sortis du chapeau. Depuis, le jeu de massacre ne fait que s’amplifier. Les rivalités exacerbées s’affichent sans complexe ni retenue et tout ce petit monde s’active à la manœuvre, soupèse, négocie.

Fillon personnifie le cynisme, l’arrogance et la violence de leur monde, celui où tout est permis à ceux qui ont l’argent, le pouvoir, qui mis en examen pour détournement d’argent public regardent droit dans les yeux, sourire aux lèvres, et annoncent du sang et des larmes. Qu’importent le million d’euros prélevé dans les caisses de l’Etat pour des emplois fictifs, les « cadeaux » à plusieurs dizaines de milliers d’euros, les mensonges, les revirements, les révélations qui se succèdent et éclairent un peu plus ce monde des serviteurs de l’argent et du pouvoir. Fillon a repris l’offensive au Trocadero, entouré de tout ce que la droite compte de plus réactionnaire, en appelant aux sans-culottes (à défaut des sans-costumes sans doute). Il est redevenu un candidat presque « normal », juste « mis en examen »… un candidat des riches et des puissants derrière qui se sont à nouveau rangés nombre d’« indignés » qui criaient au scandale la veille, jusqu’à Juppé lui apportant son parrainage ou l’UDI comptant les circonscriptions comme si de rien n’était…

Antisystèmes au service du système

La farce ne s’arrête pas là. Deux prétendus « antisystèmes » entendent profiter de la déroute des partis qui gouvernent depuis près de 40 ans. Chacun à sa manière et sur son segment, ils tentent de subjuguer l'opinion et les classes populaires… pour mieux poursuivre l'offensive contre elles, au service du système.

Macron, récent ministre de l’économie et banquier, inspirateur de la loi El Khomry qu’il estime ne pas être allée suffisamment loin, ne se veut ni de droite ni de gauche. Il est effectivement simplement au service des capitalistes et ratisse le plus largement possible pour amplifier l’offensive, prévoit 120 000 suppressions de postes dans la Fonction publique, une nouvelle attaque contre les retraites, le temps de travail, la poursuite du démantèlement du droit du travail, la hausse de la CSG, la baisse des impôts et cotisations des entreprises... « Je ne fais pas d'idéologie, je fais du pragmatisme » explique-t-il. Candidat sans parti, ce sont des « connaissances » fortunées qui ont financé jusqu’à ce jour sa campagne. Dernière péripétie en date, celui qui en appelle à la « tolérance zéro » et à la « justice immédiate », qui entend faire voter une loi sur la moralisation de la vie politique, est visé par une enquête pour soupçon de favoritisme dans le cadre d’un voyage ministériel.

Quant à Le Pen, l’héritière millionnaire de Montretout cumule les affaires judiciaires. Poursuivie pour emplois fictifs au Parlement européen -refusant de se rendre aux convocations de la justice-, elle est sous le coup d’un redressement fiscal pour avoir sous-évalué son patrimoine de 60 % -ce qui lui permet de ne pas payer l’ISF- et est poursuivie pour avoir financé illégalement le FN avec l’argent public lors de précédentes campagnes par le biais de son micro parti. Qu’importe, elle crie au harcèlement judiciaire, surfe sur le rejet du PS et de LR, flatte les ressentiments et amplifie sa propagande réactionnaire, xénophobe, pour mieux diviser les classes populaires… tout en déroulant son programme pour les patrons qu’elle est récemment allée rencontrer de même que Fillon et Macron.

Auto-liquidation de la gauche institutionnelle

Quant au PS, il y a embouteillage au sommet pour quitter le navire. Du non-parrainage d’Hamon par Valls à la mise en scène du ralliement à Macron de Le Drian en passant par Delanoë, Bartolone, les offres de service de Touraine ou Royal… ou Le Guen qui fustige Hamon « Il ne peut pas s'adresser simplement à 20 % des Français qui, pour telle ou telle raison, sont sensibles à des thèmes d'une gauche radicalisée », le PS se retrouve face à lui-même : un parti assumant depuis 36 ans la mise en œuvre et l’offensive de la mondialisation capitaliste au service des possédants. Ses dirigeants préfèrent aujourd’hui l’auto-liquidation et le recyclage plutôt que de couler avec le navire Hamon… quels que soient les gages que celui-ci peut donner.

Le PC, lui, pris au piège des institutions, de la course aux élus, tente de survivre entre la « machine » Mélenchon qui entend bien finir de le marginaliser… et le PS dont ses élus dépendent. Les pathétiques tentatives de Laurent essayant de négocier les parrainages d’élus PC ne font que mettre un peu plus en lumière le piège qui se referme.

De quoi troubler bien des militants, alors même que grandit la confusion chez tous ceux qui se situent sur le terrain institutionnel, tel Braouezec, ancien du PCF passé à la Fase, une des composantes d’Ensemble!, qui a récemment pris position pour le vote Macron au nom du « vote utile » contre Le Pen… rejoignant ainsi les Cohn-Bendit, Hue, etc.

Le « tribun du peuple » et la marche pour la 6ème République

« Sommes-nous capables de transformer en énergie positive les miasmes de la décomposition politique en cours ? » demande Mélenchon sur son blog invitant à la « Marche pour une 6ème république ». Il y a quelques jours, à l’occasion du « sommet du plan B », habillé de bleu-blanc-rouge, il chantait depuis Rome les louanges de César, « figure populaire, assassiné par les ennemis du peuple » : « nous sommes les héritiers de ça, les tribuns du peuple. C’est ce que je voudrais incarner ». Une façon très personnelle de sortir des « miasmes de la décomposition politique ».

Le programme de Mélenchon, ancien ministre PS, se situe non seulement sur le terrain institutionnel, avec des objectifs très mesurés, tels que la retraite à 60 ans et 40 annuités -et non le retour aux 37,5- ou le SMIC à 1326 €, mais aussi dans une logique nationaliste lourde de dangers pour les travailleurs : sortie de l’Europe accompagnée de la glorification de la patrie, de la nation, Marseillaise chantée à gorge déployée, écrits sur les réfugiés et les travailleurs étrangers expliquant qu’ « il vaudrait mieux qu’ils restent chez eux »…

Son objectif est dit-il de « fédérer le peuple », en particulier lors de la marche du 18 mars dont il compte faire une démonstration de force autour de sa personne et de son mouvement : « nous écrivons ensemble une page de la légende populaire ! ». Et s’il appelle les partis du feu Front de gauche à en faire une réussite, il leur demande, « pour que tout le monde se sente à l’aise », de ne pas donner « le sentiment de s’approprier la marche » : « ceux qui veulent défiler derrière leurs drapeaux défileront à la fin du cortège ». Le PCF et Ensemble! ne peuvent qu’apprécier.

Pour sortir du trouble, comprendre la logique du système et la réalité des rapports de classe

Bien des militant-e-s sont aujourd’hui désemparé-e-s. Des illusions tombent, les rapports de forces politiques, de classe, apparaissent dans leur brutalité. Des ruptures sont en cours qui ouvrent la voie à une prise de conscience, mais il n’y a rien d’automatique.

Passer de raisonnements réformistes, même combatifs et radicaux, à la lutte de classe consciente, menée en toute indépendance, demande de s’extraire des discours dominants et de réflexes ancrés depuis de longues années. Cela passe par la compréhension des évolutions en cours, de la réalité des rapports de classe, de la logique du système, du rôle du monde du travail et des classes populaires du monde entier dans la marche de la société, des perspectives que leurs luttes portent.

Il n’y a rien de spontané à cela à l’heure où les démagogues de tout poil jouent sur la confusion et que l’offensive des classes possédantes contre les travailleurs et les peuples se double d'une offensive réactionnaire, raciste, nationaliste et xénophobe dans le monde entier.

La mondialisation libérale est entrée dans une nouvelle étape où se redéfinissent les rapports internationaux et les rapports de classe. L’arrivée de Trump à la tête de la principale puissance mondiale, le Brexit, les gesticulations de Poutine ou Erdogan, l’arrivée de l’extrême-droite aux portes du pouvoir dans de nombreux pays européens tels les Pays Bas, la montée de l’intégrisme islamique… donnent la mesure des évolutions en cours et des conséquences de l’intensification de la guerre des classes possédantes pour extorquer les richesses…

Il ne peut être question de « raisonner » ou freiner cette offensive par les voies institutionnelles. Leur avidité, la folie capitaliste ne peuvent trouver d’issue sans l’intervention consciente des travailleurs et des peuples posant la question du pouvoir et de l’expropriation de l’oligarchie financière.

Regrouper notre classe, poser la question politique

Cette compréhension des logiques en cours, de l’évolution des rapports de forces économiques, politiques, est une nécessité pour pouvoir porter aujourd’hui les exigences sociales, démocratiques, écologiques. Aider aux mobilisations, à leur convergence, à l’unité de notre classe, nécessite de faire le lien avec la question politique, celle de la conquête de la démocratie et du pouvoir.

Nous militons au quotidien au sein des mouvements sociaux, du monde du travail et de la jeunesse pour aider à construire une compréhension et une conscience communes des tâches et des perspectives pour l’ensemble des opprimé-e-s. Ce sont des mobilisations que viendra le changement du rapport de force.

En ce sens, nous sommes pleinement solidaires des militants syndicalistes qui appellent à se mobiliser le 22 avril prochain, veille du premier tour de l’élection présidentielle, pour un « premier tour social » mais nous ne sommes pas… abstentionnistes. Nous pensons que c’est une erreur de flatter l’apolitisme en mettant tout le monde dans le même sac, en faisant comme si rien dans cette campagne ne concernait les travailleurs, ce que sous-tend le sous-titre de l’appel « C'est notre tour et il n'est pas présidentiel ».

Notre premier tour est politique, nous sommes fermement convaincus que le monde du travail doit mener bataille et disputer l’influence politique sur tous les terrains, y compris le terrain électoral. Nous savons aussi que la convergence des luttes n’est pas une simple question de volonté, de combativité et de dénonciation des directions syndicales, mais bien une question de conscience politique commune, base pour construire une confiance et une volonté communes. Elle est indispensable pour mener la bataille politique, entraîner largement, disputer l’influence aux bureaucraties syndicales. Et cette conscience ne surgit pas spontanément.

A l’heure où nous écrivons, nous attendons la confirmation que nous avons bien franchi le barrage antidémocratique des 500 parrainages permettant la présence dans la campagne présidentielle de Philippe Poutou, militant anticapitaliste, révolutionnaire, et seul ouvrier de cette campagne, en lutte pour son emploi et celui de ses camarades de travail…

Nous nous sommes battus pour que Philippe soit présent dans cette bataille pour y porter les exigences de notre classe et la perspective d'unir ses forces et nous avons confiance sur l’issue parce que Philippe a su susciter une très large sympathie y compris parmi bien des élus. Il est aussi le candidat du rassemblement des anticapitalistes et des révolutionnaires, non de façon formelle mais à travers une dynamique démocratique, respectueuse de chacun, les débats, la confrontation, les expérimentations communes et parallèles.

Lors d’un récent meeting, Nathalie Arthaud expliquait « deux candidats dénonçant le capitalisme dans ces élections ne seront pas de trop face à tant de politiciens ayant les deux pieds dans le camp de la bourgeoisie. Et puis, cela permettra à tous ceux qui se reconnaissent dans l’extrême gauche de voter au plus près de leurs convictions ». Oui, et vu le temps de parole prévu pour chacun, vu le ton des journalistes comme par exemple à ONPC, à propos de l’interdiction des licenciements avec Philippe Poutou ou du SMIC à 1800 euros avec Nathalie Arthaud… cela a du sens, être deux n’est pas de trop. Mais cela laisse entière la question des responsabilités qui sont les nôtres, militants révolutionnaires, anticapitalistes. Il ne s’agit pas de proclamation mais bien de se poser concrètement la question de la construction d’un parti des travailleur-se-s, du processus démocratique pouvant lui donner jour. Un parti instrument des luttes et de leur convergence aujourd’hui, et demain instrument pour le pouvoir et pour transformer la société, vers le socialisme et le communisme.

Isabelle Ufferte

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