Trois ans après, le pouvoir, la presse, continuent de s’inquiéter de ce mouvement des Gilets Jaunes contre les hausses de prix de carburants, les taxes, la vie chère qui avait contesté bruyamment la politique de Macron au service des riches.

S’organisant à la base à partir d’AG sur les ronds-points, utilisant largement les réseaux sociaux, ceux-ci sont allés à l’affrontement « pour la justice sociale » chaque samedi pendant des mois, face à une brutale répression des flics de Castaner, armés de LBD et de grenades lacrymogènes.

A l’occasion de la date anniversaire du 17 novembre, les Gilets Jaunes ont occupé à nouveau des ronds-points un peu partout dans le pays, bénéficiant d’une forte sympathie des automobilistes, de la population, de ceux pour qui les fins de mois deviennent de plus en plus difficiles avec la flambée des prix actuelle. Et ce n’est pas la prime « inflation » de 100 € pour 38 millions de personnes, une provocation, qui calmera la colère. Elle ne fait que traduire la crainte du gouvernement.

Crainte fondée, vu la situation en Guadeloupe, où depuis lundi 15 novembre et à l’appel d’une trentaine d’organisations syndicales, associatives et politiques, les barrages se répandent sur l’île contre l’obligation vaccinale et la suspension des soignants dans une région où l’hôpital public est dans une situation catastrophique. Les revendications contre la vie chère, le chômage et la misère viennent s’ajouter à cette colère qui se répand parmi la population et la jeunesse et qui ne s’éteindra pas avec le couvre-feu décidé par le préfet ce week-end et le déploiement policier voulu par Darmanin.

Concernant les Gilets Jaunes, le fait que le mouvement perdure après 3 ans, même très affaibli, témoigne d’une politisation bien réelle. Beaucoup sont restés mobilisés durant les luttes des retraites, appelant à la convergence des luttes avec les collectifs interpros qui se montaient un peu partout, participant à divers blocages d’entrepôts, de dépôts de bus, etc. Des liens se sont tissés avec des salariés en grève, des militants syndicalistes cherchant à construire la convergence à la base. Les Gilets Jaunes se sont politisés dans ces luttes, s’affirmant anticapitalistes, aspirant à « changer le système » et pas à se contenter de quelques miettes.

Dans un climat de confusion politique liée à l’effondrement de la gauche syndicale et politique, ils font la démonstration que les travailleurs peuvent prendre eux-mêmes leurs luttes en main, sans attendre les appareils syndicaux englués dans le « dialogue social ».

Depuis la rentrée, les Gilets Jaunes dénoncent l’envolée des prix : + 57 % pour le gaz depuis le 1er janvier, + 24 % pour le gasoil et + 30 % pour le sans plomb en un an, sans parler de l’électricité et des produits de première nécessité ! Mais contrairement à 2018, ils ne dénoncent pas seulement les taxes. Ils dénoncent aussi les bas-salaires des premier(e)s de corvée, dans l’aide à domicile, le commerce, tous ces boulots les plus mal payés. Ils dénoncent aussi la maigreur des pensions de retraite ou des allocations chômage ou handicapés qui ne permettent pas de vivre.

Tout cela fait dire à Artus de la banque Natixis : « on peut même dire que la situation est encore plus explosive qu’en 2018 ». Une inquiétude reprise aussi par cet ancien syndicaliste de la CFTC dans le Figaro : « Une grande structure qui emploie plusieurs dizaines de milliers de salariés est venue nous demander conseil, car elle voit se créer en interne des phénomènes de type “gilets jaunes”. Une contestation du fonctionnement de l'entreprise qui se développe en dehors des syndicats, d'ailleurs rejetés et perçus comme bourgeois »… Une inquiétude devant une contestation plus profonde encore qu’il y a 3 ans et qui touche cette fois les entreprises, au moment où Macron fait sa campagne contre le monde du travail.

Une « reprise » pour les riches, sur le dos des plus précaires

Une campagne qui passe par les mensonges les plus grossiers, Macron affirmant le 9 novembre : « le chômage est au plus bas depuis près de 15 ans et nous sommes l'un des seuls pays du monde où le pouvoir d'achat a continué à progresser en moyenne et ou la pauvreté n'a pas augmenté »… Il a même annoncé un chiffre : « 170 euros de pouvoir d'achat » à tous les plus bas salaires depuis le début de son mandat !

D’après l’Institut des politiques publiques, l’augmentation de revenu serait en moyenne de + 1,6 %, mais avec de très fortes disparités… Les 1 % les plus riches ont eu une augmentation de 2,8 % de leur niveau de vie et la hausse culmine à + 4,1 % pour les 0,1 % d’ultra-riches ! Par contre, les 5 % de ménages les plus modestes, vivant avec moins de 800 € par mois, ont perdu jusqu’à 0,5 % de pouvoir d’achat !

Macron vend la suppression de la taxe d’habitation comme une mesure pour les plus modestes, mais elle n’a rien apporté aux 20 % de la population la plus pauvre qui ne la payait pas. Par contre, cette politique se traduit par une dégradation des services publics, de la santé publique, des écoles et une diminution des budgets sociaux. Depuis le début du quinquennat, les dépenses sociales ont reculé de 4,2 milliards (sous-revalorisation des retraites, réformes de l’assurance-chômage et des APL) qui impactent durement les plus précaires.

Contrairement aux mensonges cyniques de Macron, la précarité a fortement progressé : 5,6 millions de familles sont en précarité énergétique. Quant aux demandes d’aide alimentaire, elles ont littéralement explosé de 25 % en 2020 et continuent de progresser de + 12 % en 2021.

La « valeur travail » c’est travailler plus pour gagner moins, aggraver l’exploitation

Macron entre en campagne contre le monde du travail, en déclarant : « C’est par le travail, et par plus de travail, que nous pourrons préserver notre modèle social ». Il laisse à Zemmour, Le Pen ou Ciotti le terrain des surenchères démagogiques les plus crasses contre les migrants… après les avoir lui aussi utilisées largement avec Darmanin et Blanquer.

Macron fait le job pour les classes dominantes, en stigmatisant les chômeurs, les pauvres pour mieux attaquer l’ensemble de la classe ouvrière.

« Au moment où trois millions de nos compatriotes se trouvent encore au chômage, cette situation heurte le bon sens » a-t-il déclaré le 9 novembre en annonçant une augmentation des contrôles de 25 %. Son seul objectif est de contraindre les travailleurs au chômage à accepter les pires boulots, les moins bien payés possible.

Le patron du Medef, De Bézieux, applaudit des deux mains : « Nous soutenons aussi la réforme de l'assurance-chômage et nous aurions même souhaité qu'elle aille plus loin. C'est en effet un des éléments qui expliquent la situation : l'écart n'est pas toujours significatif entre revenus nets du travail et revenus du ‘non-travail’ »… une offensive contre les chômeurs pour maintenir les bas-salaires quoi qu’il en coûte !

Macron veut aussi s’en prendre aux retraites dès 2022, allonger l’âge de départ à la retraite et supprimer les régimes spéciaux juste après les élections… et le Sénat et la droite font de la surenchère en votant dès maintenant un amendement sur le passage à 64 ans.

Il veut aussi allonger le temps de travail et baisser les salaires. Quand il parle de « parvenir au plein-emploi », cela signifie généraliser les petits boulots payés une misère, les emplois précaires, pour le plus grand profit des capitalistes.

Préparer la lutte d’ensemble pour les salaires, les pensions, les allocations

Toutes les déclarations du gouvernement et du Medef sur la revalorisation des salaires restent de la poudre aux yeux pour alimenter le « dialogue social » et tenter de paralyser les travailleurs.

En réalité, les augmentations sont insuffisantes et inférieures à l’inflation qui a atteint 2,6 % sur un an en octobre, à l’image de la BNP qui vient de terminer ses négociations annuelles obligatoires (NAO) avec une augmentation collective de … 0,6 %.

Pour De Bézieux, « Le temps des hausses généralisées, tous secteurs confondus, est révolu » et quand il dit qu’il y aura « des augmentations de rémunération », cela signifie une politique d’individualisation, de primes d’intéressement, de primes défiscalisées… Bref tout sauf une augmentation collective et générale !

Même politique pour le gouvernement, qui compte bien maintenir le gel du point d’indice des travailleurs de la fonction publique, comme Macron l’a fait durant tout son mandat dans la continuité des gouvernements précédents. Du coup, FO vient de claquer la porte de la conférence « sur les perspectives salariales dans la fonction publique » qui a débuté fin octobre. La CGT, la FSU et Solidaires menacent de faire de même. Mais comment penser qu’une telle mascarade peut changer quoi que ce soit à cette politique d’austérité salariale menée depuis des années ?

C’est par des grèves contagieuses que les travailleurs pourront imposer les augmentations dont ils ont besoin. Mais cela signifie une politique, un plan de bataille que les directions syndicales se refusent à mener, engluées dans leur rôle de « partenaires sociaux ».

Aujourd’hui, dans les syndicats, en rupture face à la passivité des directions, des équipes cherchent à se coordonner, à l’image des PPG, les salariés du Joint Français de Bezons, qui appellent avec les TUI, Sud PTT 92… à une nouvelle manifestation pour l’interdiction des licenciements et des suppressions d’emplois le 27 novembre.

Sur les ronds-points, des réseaux de Gilets Jaunes se reconstituent, cherchant à faire de l’agitation contre la vie chère, les bas-salaires en cherchant à construire des convergences, tout comme les collectifs interpros issus de la lutte des retraites et qui continuent de se réunir. L’aspiration à prendre nos luttes en main est bien présente, elle demande une politique.

La question des salaires exprime ce rapport de force global entre l’ensemble de la classe ouvrière et les capitalistes. Elle est politique et ne se réglera pas boite par boite. C’est bien une lutte d’ensemble qu’il s’agit de construire, par en bas, en en prenant nous-mêmes le contrôle. Une lutte qui se donne l’objectif d’une augmentation collective des salaires, des retraites, des allocations, mais pose aussi la nécessité du contrôle des prix par les travailleurs, la population, les associations de chômeurs ainsi que de l’échelle mobile des salaires pour que les augmentations ne soient pas annulées par l’inflation.

Ce sont ces luttes qu’il s’agit de préparer aujourd’hui, en discutant d’un programme pour l’intervention directe des travailleurs face à la déroute du capitalisme. C’est un tel programme que les révolutionnaires doivent porter à travers la campagne des présidentielles, en donnant un contenu de classe à cette aspiration des Gilets Jaunes en 2018 toujours bien présente : « on ne veut pas des miettes, on veut la boulangerie » !

Laurent Delage

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