Dans la nuit de mardi à mercredi dernier, plus de 7000 migrant·e·s sont arrivé·e·s depuis les côtes de Tunisie et de Libye sur la petite île italienne de Lampedusa. Les distributions de nourriture et de vêtements, assurées par les habitants et des bénévoles, n’ont pas suffi à satisfaire même les besoins minimums des nouveaux arrivants, exténués et affamés. Le maire de Lampedusa a décrété l’état d’urgence mercredi soir, réclamant de l’État italien et des pays européens des « soutiens et des évacuations rapides ».
Au mois de juin, plus de 650 migrants avaient perdu la vie dans le naufrage du chalutier qui les transportait au large de la Grèce et, à Lampedusa, c’est une enfant de cinq ans qui s’est noyée. Depuis le début de l’année, près de 120 000 personnes sont arrivées sur les côtes italiennes et 2325 sont mortes ou ont été portées disparues en Méditerranée alors qu’elles tentaient de rejoindre l’Europe pour fuir l’enfer de leur pays.
Les catastrophes terribles survenues dans les 15 derniers jours au Maroc et en Libye, les guerres au Sahel et dans l’Afrique subsaharienne, la misère et les famines aggravées par les conséquences de la guerre en Ukraine, l’accentuation de la crise économique et de la crise climatique, poussent des centaines de milliers de femmes, d’hommes et d’enfants à affronter les pires dangers de l’exil au risque d’y perdre leur vie. Mais pour les classes dirigeantes européennes, une fois passé le moment obligé de compassion hypocrite, il n’est question que de « protéger les frontières » et de défendre leur ordre, celui des multinationales, l’exploitation sans frein des êtres humains et de la nature qui ravage la planète, en premier lieu leurs anciennes possessions coloniales toujours et encore réduites au sous-développement et à la misère comme du temps de leur empire.
Une Europe de murs, de barbelés et de camps de rétention
« Le plus important n’est pas de transférer les migrants mais de les empêcher de quitter l’Afrique. » a d’emblée déclaré la cheffe d’extrême droite du gouvernement italien Meloni tandis que son collègue et allié politique Salvini accusait : « Cette vague migratoire est un acte de guerre. »
L’extrême droite française a saisi l’occasion de lancer sa campagne pour les élections européennes. Bardella, future tête de liste du RN, a réclamé de Macron qu’il prenne l’engagement que « La France n’accueille pas un seul migrant ». Marion Maréchal, qui conduira la liste de Reconquête, a parlé de « submersion », tout comme sa tante Le Pen. « Face à l’urgence, a martelé le chef du groupe Les Républicains Ciotti, nous demandons au président de la République de convoquer un référendum sur l’immigration d’ici à la fin de l’année ».
Extrême droite et droite réactionnaire qui instrumentalisent la tragédie des migrants pour les besoins de leur démagogie xénophobe et raciste et flatter la peur et les préjugés, ne font que surenchérir sur la politique déjà mise en œuvre par les Etats de l’Union européenne. Macron n’a pas dit autre chose : « L’Europe doit mieux protéger ses frontières. Il faut mieux prévenir ces départs du continent africain et du Moyen-Orient. »
C’est cette fermeture des frontières européennes qui provoque la tragédie dont sont victimes les migrants, ils n’ont pas d’autre choix que d’avoir recours à des moyens illégaux et des passeurs sans scrupules. Douze États européens ont déjà fait construire 2000 kilomètres de murs et de barbelés pour empêcher de nouvelles entrées sur leur territoire. Et surtout, l’Union européenne a sous-traité hypocritement la répression contre les migrants avec des États comme la Turquie, le Maroc, la Tunisie, la Libye, la Mauritanie. Les candidats à l’exil d’Afrique subsaharienne y ont subi les pires exactions, et en Tunisie, de véritables pogroms racistes suscités par le gouvernement.
Le « paquet migration et asile », discuté par les ministres de l’UE prévoit la construction sur ses frontières extérieures de centres de rétention pouvant accueillir 30 000 personnes et à terme 100 000 dans le but de renvoyer toutes celles qui n’obtiendraient pas l’asile -la très grande majorité-, vers leur pays d’origine. Il prévoit également le renforcement du règlement de Dublin en vertu duquel c’est le premier pays où est arrivé un réfugié en Europe qui est responsable de lui, faisant reposer sur les pays de « première ligne », l’Espagne, l’Italie, la Grèce, Chypre, Malte, la charge la plus lourde de l’accueil des réfugiés. Les classes dirigeantes européennes, quoique alliées au sein de l’UE, ne connaissent que leurs intérêts nationaux.
Pour un monde sans frontières, en finir avec le capitalisme
Contrairement aux fables complotistes propagées par les démagogues populistes réactionnaires, des centaines de milliers de femmes, d’hommes et d’enfants ne bravent les dangers de leur exil que parce qu’ils n’ont pas d’autre choix. Le règne sans partage du capitalisme mondialisé et la conjonction des crises qui en résulte, exacerbation de la concurrence économique et des tensions guerrières, crises économiques et climatiques, répression accrue, rend leur situation dans leur pays invivable.
La lutte des migrants, la défense de leurs droits, du droit de libre circulation et d’installation, de la régularisation de tous les sans-papiers, a un contenu subversif, émancipateur, du fait qu’elle remet en cause ce soutien indispensable à la propriété privée capitaliste que sont les frontières et l’État national.
Ces Etats nationaux sont dépassés par le développement économique et social, par la constitution d’une économie monde fondée sur l’interdépendance entre les peuples et la libre circulation des capitaux et des marchandises.
Et c’est bien la survivance de ces structures de classe qui n’ont d’autre fonction que la défense des intérêts des classes dominantes et des privilégiés en contradiction avec le développement des techniques et de la culture qui est la cause fondamentale des maux dont souffre l’humanité toute entière.
Les migrant·e·s ne sont pas les simples victimes de la démagogie réactionnaire et xénophobe mais bien une partie du prolétariat international qui se bat pour ses conditions d’existence, lutte qui sape les piliers de l’ordre établi tant institutionnel qu’idéologique, la nation et le nationalisme, et fait appel à un humanisme fondé sur la solidarité internationale. Leurs exigences, leur combat sont ceux de tous les travailleurs. Pour l’ouverture des frontières, pour la réorganisation des rapports sociaux à l’échelle mondiale pour satisfaire les besoins de l’humanité et non plus l’enrichissement d’une infime minorité parasitaire.
Ces exigences ne sont pas un vœu pour des temps lointains, elles sont au cœur des besoins engendrés par la faillite capitaliste, aujourd’hui. Elles sont la réponse aux démagogues apprentis sorciers qui, incapables de concevoir d’autre réponse que policière ou militaire, exacerbent les tensions et les drames pour défendre les privilèges d’une classe dépassée.
Galia Trépère