« Comme chaque année, la Fête est l’occasion de rassembler tous ceux qui veulent dénoncer ce système capitaliste qui mène la planète à sa ruine, tous ceux qui veulent réaffirmer que l’humanité mérite d’être débarrassée de l’exploitation, de la misère et des guerres. » écrivent nos camarades de Lutte Ouvrière en préambule du très riche programme des débats politiques qui auront lieu lors de leur fête annuelle les 27, 28 et 29 mai à Presles

Alors que depuis 4 mois le mouvement des retraites a contribué à transformer les consciences de milliers de militant.es et ouvert une profonde crise politique, la fête de LO est, de fait, le seul cadre où l’ensemble des courants révolutionnaires vont pouvoir se retrouver, débattre des enjeux de ce mouvement inédit, de ses forces et de ses faiblesses ainsi que de bien d’autres thèmes dont la guerre en Ukraine...

Rassembler tous ceux qui veulent changer le monde... un vaste et enthousiasmant programme pour la fête de LO et surtout après, pour permettre, à travers l’indispensable débat entre les révolutionnaires et avec toute cette nouvelle génération militante qui a émergé de la lutte, d’avancer dans la construction d’un parti qui se propose de contribuer à débarrasser la société de l’exploitation.

La liste des débats proposés par les camarades de Lutte ouvrière comme par les différentes organisations invitées permet de voir toute l’étendue des questions et des problèmes dont nous devrions nous emparer et discuter ensemble à la fête... et bien au-delà.

Ainsi sur le mouvement et ses enjeux, les camarades de Lutte Ouvrière soulignent la nécessaire indépendance face au piège du cadre institutionnel : « Parlement, constitution, référendums : la gauche désarme les travailleurs » ; Révolution Permanente défend son initiative pour dépasser les limites de l’intersyndicale : « Réseau pour la grève générale : construire une alternative à la politique de l’intersyndicale » ; notre NPA insiste sur les responsabilités des révolutionnaires face à la profondeur du mouvement : « Les révolutionnaires face à un mouvement social et politique inédit » ; les camarades de Socialisme ou barbarie le resitue dans son contexte international « Le mouvement des retraites et les luttes anticapitalistes dans le monde »...

Lutte ouvrière dont nous partageons pour l’essentiel la position, donne avec raison une place importante à la discussion sur la guerre en Ukraine, la replace dans le contexte général d’exacerbation de la concurrence, des rivalités entre grandes puissances et des menaces de guerre mondialisée qui caractérisent la nouvelle période de crise globale du capitalisme : « Ukraine : terrain d’entraînement pour une guerre généralisée » ; « Guerre en Ukraine : révélateur des contradictions qui déchirent le monde ». Et à juste titre les camarades du POID (Parti ouvrier indépendant démocratique) soulignent la nécessité de garder un raisonnement de classe, « Guerre en Ukraine, menace contre la Chine : à bas l’union sacrée ! », alors que bien des confusions traversent le mouvement révolutionnaire sous la pression de la propagande officielle.

Autant de points de débats qui mériteraient une discussion, des clarifications entre nous, non pour nous opposer les uns aux autres dans une logique d’auto affirmation mais pour confronter les idées, en sortant des schémas préconçus, sans idéalisation du mouvement ou de nos propres forces et actions... débattre pour appréhender ensemble une situation inédite, en discuter les potentialités, définir une politique à discuter avec les militants du mouvement, pour que s’affirme une perspective indépendante du cadre institutionnel, une réponse de classe face à un capitalisme en faillite et aux logiques militaristes et bellicistes qu’il génère.

Et il est une question centrale, une préoccupation que toutes et tous nous partageons, comment surmonter le lourd héritage de divisions, de scissions, d’exclusions qui jalonnent l’histoire du mouvement trotskyste pour répondre aux besoins du mouvement ouvrier révolutionnaire, travailler à l’émergence d’un parti des travailleurs, faire face à une situation, une nouvelle époque qui ouvrent de nouvelles perspectives révolutionnaires ? Nous n’avons ni les moyens ni les possibilités de formuler la réponse à cette question mais il nous semble important de la poser, d’y apporter notre contribution.

Aider la fraction militante du mouvement à prendre conscience d’elle-même... l’embryon du parti

L’enjeu est bien de discuter de quelle politique l’ensemble du mouvement révolutionnaire, à l’échelle de ses forces, doit mener en direction des réseaux militants qui se sont construits dans le mouvement, pour les aider à s’emparer des questions politiques, à prendre confiance en eux et conscience d’eux-mêmes.

Face à un mouvement d’une telle profondeur, les révolutionnaires doivent se penser comme un des catalyseurs de ces évolutions de conscience, pour aider les militants de la lutte à tirer jusqu’au bout les leçons de cette première étape. Car c’est la conscience de la nécessité de s’affranchir du cadre institutionnel politique ou syndical, qui peut créer les conditions pour qu’émerge du mouvement lui-même l’embryon d’un nouveau parti. Un parti du monde du travail, capable de développer une politique de classe en toute indépendance de la gauche parlementaire comme des confédérations syndicales ; un parti pour contrôler nos luttes aujourd’hui et pour que demain l’ensemble de la marche de la société soit pris en main par ceux qui la font fonctionner par leur travail.

Ce futur parti des travailleurs ne se construira pas par en haut, comme l’aboutissement d’une géniale stratégie, comme le résultat de la seule activité d’une fraction révolutionnaire que sa ligne juste imposerait comme un pôle de regroupement, ni même d’ailleurs d’un simple regroupement de différentes fractions.

Le parti de l’émancipation se construira à travers un processus large, ouvert, démocratique cadre de la confrontation des différentes politiques comme de la mise en commun des expériences et des moyens militants, des compétences, un melting-pot révolutionnaire. Il se construira à la base dans le cadre d’un mouvement réel, vivant, à travers les relations démocratiques que les différents courants révolutionnaires auront réussi à construire avec ses militants, pour discuter et définir ensemble ses orientations politiques comme sa direction.

Apprendre du mouvement pour dépasser les divisions

Le courant révolutionnaire dans sa diversité est riche de tout un capital politique et militant, celui du mouvement ouvrier, du marxisme révolutionnaire, du mouvement trotskiste. Mais ce capital n’est pas un héritage à protéger contre les autres courants, comme le catalogue des meilleurs mots d’ordre, ramenés à des formules toutes faites, valables en tout temps, en tout lieu, grâce auquel il serait possible de constituer la future direction des luttes, par en haut, celle que le mouvement finira par reconnaître.

Il nous faut au contraire faire vivre ce capital au cœur des masses en lutte, le confronter à la réalité du mouvement, et surtout rompre avec la prétention d’être capable de lui imposer une direction préformée qui aurait par avance la bonne politique, la ligne juste... indépendamment des problèmes concrets qui se posent à nous comme à l’ensemble des militants de la lutte.

Le mouvement révolutionnaire, de par son capital politique, a un rôle primordial à jouer car il est le seul à pouvoir formuler une politique indépendante des institutions comme des appareils politiques et syndicaux qui ne craigne pas les conséquences de l’inévitable affrontement direct avec le gouvernement. Mais cette politique est à construire à la base, à travers des rapports démocratiques avec la fraction la plus militante du mouvement, en s’appuyant sur l’expérience concrète tant politique que sociale qu’elle est en train de vivre, des problèmes qu’elle se pose.

En tant que militants politiques du mouvement, nous pouvons l’aider à s’approprier l’enjeu de la bataille en cours, en inscrivant le mouvement actuel dans toute l’évolution sociale et politique du capitalisme mondialisé en faillite, en le pensant comme une manifestation de cette nouvelle période qui entraîne des ruptures de plus en plus profondes d’une partie du monde du travail et de la jeunesse avec ce système, ses institutions au service de l’offensive menée par les classes dominantes.

La crise ouverte n’est pas près de se refermer, elle connaîtra bien d’autres étapes, d’autres développements que nous ignorons mais il s’agit bien d’une bataille politique globale contre la politique des classes dominantes et des Etats à leur service, dont l’objectif final ne peut qu’être la contestation de la domination des classes possédantes, la remise en cause de la propriété capitaliste au nom de laquelle elles s’approprient le travail de l’immense majorité.

Face à ces enjeux qui donnent, aux yeux d’une fraction du monde du travail et de la jeunesse, toute son actualité à la perspective révolutionnaire, les organisations d’extrême gauche restent paralysées, dominées par des rapports sectaires, où les débats tactiques servent à s’affirmer, à se délimiter et alimentent aussi un sectarisme à l’égard du mouvement lui-même jugé en fonction de ce qu’il devrait être, de ce qui lui manquerait par rapport à de prétendus modèles historiques souvent eux-mêmes mythifiés.

Construire des rapports démocratiques avec le mouvement implique de faire notre propre révolution pour surmonter un morcellement de l’extrême gauche hérité de la période précédente. Ce n’est ni une question de morale, ni de volontarisme, mais un problème politique qui implique de débattre à partir de ce capital commun qui devrait nous réunir, pour répondre aux enjeux de la période marquée par la crise globale du capitalisme, l’effondrement des vieux partis issus des périodes précédentes de l’histoire de mouvement ouvrier, mais aussi par la montée de la colère et de la révolte dans le monde du travail, de la jeunesse, des femmes.

L’unité des révolutionnaires, s’imposer par le rapport de force ou construire ensemble sur la base de ce qui nous unit

Trop souvent la question de l’unité entre les organisations révolutionnaires n’est envisagée que comme une tactique pour créer le cadre d’une confrontation à travers lequel chaque courant espère prouver la justesse de sa ligne contre les autres, pour finalement l’imposer sur la base d’un rapport de force. Loin de renforcer le mouvement révolutionnaire dans son ensemble, une telle conception de l’unité n’a fait qu’accentuer son morcellement au fil des fusions, scissions et exclusions dont notre histoire est malheureusement trop riche.

Et cela n’a fait aussi que renforcer le caractère sectaire de nos relations qui se combine d’un sectarisme vis à vis du mouvement réel qui ne correspond jamais aux modèles des uns ou des autres et déçoit leurs espérances. Ce sectarisme a pour conséquence les difficultés collectives des révolutionnaires à formuler une politique pour l’ensemble du mouvement social et non une politique particulière pour se distinguer des autres courants au risque d’être proclamatoire par rapport à la réalité, aux besoins réels du mouvement. C’est ce que Marx décrivait en 1868 à propos de la difficulté des organisations socialistes à franchir une étape, pour passer d’un mouvement de secte à un mouvement de classe.... « La secte cherche sa raison d'être et son point d'honneur, non pas dans ce qu'il y a de commun au sein du mouvement ouvrier, mais dans sa recette particulière qui l'en distingue. » écrivait-il [1].

La difficulté reste entière, même si la situation, la période est différente. Le mouvement révolutionnaire est morcelé, dominé par des questions tactiques, bien relatives à l’égard des enjeux du moment mais qui prennent une importance énorme dans nos relations du fait de cette volonté d’auto affirmation face aux autres courants. Cela crée de fait un écran entre tous les courants révolutionnaires et la réalité sociale et politique, les empêchant d’apparaître ensemble comme une force politique porteuse d’une perspective d’avenir cohérente parce que répondant aux besoins du mouvement réel.

Faire notre révolution passe par abandonner les grilles de lecture du passé qui conduisent à chercher le bon mot d’ordre, la solution écrite par avance et discuter de comment avec nos faibles forces nous pouvons intervenir et agir dans le mouvement, comment nous pouvons contribuer à faire évoluer le niveau de conscience, et à travers cela dépasser des divisions dont l’importance devrait nous apparaître comme bien relative par rapport à la nécessité d’apporter des réponses à toute une nouvelle génération, de travailleurs, de jeunes qui ne sont pas comptables des débats du passé.

Nous sommes surtout faibles de notre morcellement, de notre difficulté à nous appuyer sur ce qui nous unit, au-delà des désaccords tactiques, pour agir ensemble du point de vue des intérêts généraux du mouvement. Et cela jusqu’à la caricature d’organisations révolutionnaires qui appellent les travailleurs à la nécessaire unité, comme autant de bons conseilleurs, tout en restant incapables de la réaliser pour elles-mêmes.

Échapper à ce piège dans lequel le mouvement révolutionnaire lui-même s’est enfermé est une question politique qui passe par la prise en compte de la nouvelle période du capitalisme financiarisé mondialisé et des nouvelles perspectives qu’elle ouvre pour le mouvement ouvrier, des besoins qu’elle suscite, du renouveau de la lutte des classes qui, nécessairement, connaît des développements inédits.

Le mouvement actuel en est l’illustration. Répondre aux besoins de sa fraction qui cherche une perspective pour continuer, avec le dynamisme et le cadre démocratique qui se sont déjà construits dans les collectifs, les AG, les interpros, nécessite une refondation unitaire et démocratique du courant révolutionnaire. Il en est aussi le creuset qui peut nous permettre de confronter nos appréciations, de les discuter publiquement et démocratiquement au sein même du mouvement afin de formuler une politique indépendante de tout cadre institutionnel.

Indépendamment de la compréhension que les uns et les autres peuvent avoir des origines de nos faiblesses, il serait erroné d’en rendre responsables les conditions objectives ou les travailleurs eux-mêmes, le recul politique, sans nous interroger sur les voies et les moyens de les dépasser collectivement. Erroné de ne pas explorer les possibilités qui se présentent aujourd’hui de surmonter ces faiblesses alors que le mouvement lui-même a su se donner les moyens de créer des cadres d’actions, de discussion, de coordination à la base, locaux. Les révolutionnaires qui tous se font les champions de la convergence et de l’auto-organisation craindraient-ils de se coordonner à la base, en lien avec la fraction la plus avancée du mouvement pour, ensemble et collectivement, contribuer à la construction d’un parti du monde du travail, instrument aujourd’hui de ses luttes pour leur donner une politique indépendante de la gauche syndicale ou parlementaire embourbée dans le cadre institutionnel, instrument demain de la conquête de la démocratie, des moyens de décider et contrôler, du pouvoir pour et par les travailleurs eux-mêmes ?

C’est pourtant une voie incontournable, un vaste chantier qui, de fait, s’invite dans tous nos débats au regard des bouleversements en cours engendrés par la déroute du capitalisme financiarisé mondialisé et du renouveau de la lutte de classe internationale.

Bruno Bajou

 

[1]1868 - Karl Marx, Lettre à J.-B. von Schweitzer - https://www.marxists.org/francais/marx/works/1868/10/km18681013.htm

 

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