La petite phrase de Borne dimanche dernier, présentant le RN comme « héritier de Pétain », lui a valu un recadrage puis une réaffirmation de sa « confiance » par Macron... Qu’il soit en train de la liquider ou de la remettre à sa botte, qu’importe... la crise politique est bien là, et il y répond en concentrant les pouvoirs entre ses mains et en faisant la politique que Le Pen aimerait faire en accédant au pouvoir.

Car quand Macron répond à Borne « On ne combat pas l’extrême-droite par des arguments moraux », après avoir repris à son compte la « décivilisation » chère à Le Pen, loin de la combattre, il montre surtout qu’il cherche à renforcer son pouvoir sur un bloc réactionnaire qui partage les mêmes « valeurs », sécuritaire et offensif contre le monde du travail.

Combattre l’extrême-droite, dès maintenant, c’est combattre Macron, sa politique et ses commanditaires du CAC 40, pour défendre les retraites et les salaires, pour faire vivre la démocratie par en bas au sein du mouvement.

Diversions parlementaires et offensive sécuritaire, nationaliste et xénophobe

A l’approche du 8 juin et du vote de la loi du groupe LIOT pour abroger la réforme des retraites, macronistes et LR ont asséné un énième coup de force. Ils ont fait sauter l’article 1, celui de l’abrogation proprement dite au sein de la Commission des affaires sociales de l’Assemblée, qui examinait la loi.

LIOT et NUPES cherchent comment réintroduire l’article sous forme d’amendement ou présenter une nouvelle motion de censure. Mais la présidente de l’Assemblée a toujours sous le coude l’article 40 lui permettant de rejeter le vote... et le Sénat sera là pour s’opposer à la loi si elle était adoptée. Au-delà de ces manœuvres parlementaires, l’épisode illustre le renforcement des liens entre LR et macronistes dans une surenchère réactionnaire.

On le mesure avec la loi immigration de Darmanin. Après avoir proposé deux autres textes plus xénophobes encore, le LR Ciotti a dit « chiche » à Darmanin, qui a répondu lui aussi « Chiche, travaillons ensemble... il y a des propositions, nombreuses, sur lesquelles nous sommes d’accord chacun doit faire un pas ». Une entente pour durcir davantage encore le racisme du texte de loi : fixer des quotas sur les migrants, restreindre ou supprimer l’AME (aide médicale de l’État destinée aux sans-papiers), etc.

Macron soutient l’offensive de Darmanin et a désavoué à plusieurs reprises Borne et ses proches. Le bloc réactionnaire prend forme, partageant les mêmes « arguments moraux » dirait Macron, à commencer par le mépris des classes populaires, la haine des pauvres et des étrangers, la même morale en effet que leurs concurrents du RN. Il y a cinq ans, le 1er juin 2018, ces derniers changeaient de nom et Le Pen proclamait : « La vérité, c’est que le monde change, et nous aussi ». Bardella se félicite aujourd’hui « on récolte ce que Marine Le Pen a semé ». Ils peuvent déjà se réjouir que leur politique raciste et nationaliste soit en marche, contre les migrants, la répression à Mayotte, l’augmentation des budgets de guerre et des forces de police... Ils n’ont qu’à ajouter que ce n’est pas assez.

Le plan Attal contre la « fraude sociale » va dans le même sens. Présenté cette semaine, il l’estime à 15 milliards... mais ne fera rien ou presque, contre la fraude aux cotisations patronales qui en représente plus de la moitié, 8 milliards, et cela alors que les subventions à fonds perdus versées au patronat s’élèvent à plus de 150 milliards par an.

Macronistes, LR, lepenistes, ils sont tous d’accord pour les mesures de flicage, comme le projet de fusion de la carte vitale avec la carte d’identité, ou des règles xénophobes, comme celle qui imposerait aux 500 000 retraités étrangers pauvres de séjourner 9 mois en France au lieu de 6, pour percevoir l’aide de solidarité aux personnes âgées, ex « minimum vieillesse », 960 € au maximum, avec l’impossibilité à partir du 1er juillet qu’elle soit versée dans une banque hors UE.

Face à la concurrence mondialisée, tout pour les patrons

Ces attaques s’ajoutent à celles contre les retraites, les allocataires du RSA, les chômeurs, tous les services publics pour nous rendre coupables de la crise et dégager de l’argent public pour financer la dette et le patronat.

Au nom de la réindustrialisation, les multinationales sont arrosées, comme l’usine de production de batteries ACC, lancée par Stellantis, Mercedes et TotalEnergies. Elle recevra 800 millions de l’Etat français et 500 millions de l’Allemagne. L’usine concurrente Verkor, de Renault, Maquarie et SibanyeStillwater, touchera 120 millions de la CDC et une aide de la Banque Européenne pour l’Investissement.

Ce ne sont que deux exemples du « quoi qu’il en coûte » pour limiter les effets de la crise qui s’étend. Dans l’immobilier, le recul des transactions se répercute déjà par une hausse importante des faillites d’agences, des promoteurs, des constructeurs... Dans la distribution, Casino serait au bord de la faillite avec plus de 3,4 milliards de dettes non garanties.

Les profits du CAC40 n’ont jamais été aussi élevés... et la bourgeoisie s’inquiète. Le Figaro du 27 mai se félicite que « le CAC40 progresse contre vents et marées » mais Les Echos, le même jour, voient « L’économie française sous la menace d’un coup de frein ». La bourgeoisie navigue à vue et exige de l’Etat qu’il garantisse ses profits à venir.

Romaric Godin, dans Médiapart, décrit une « économie, coincée entre récession et inflation, prise au piège de ses propres limites ». Il souligne que le ralentissement de l’inflation n’efface en rien les hausses déjà subies, notamment les 14,1% sur les produits alimentaires en un an. La hausse des prix imposée par les multinationales et la finance pour compenser la baisse des ventes atteint ses limites et a fini par provoquer un recul de la consommation qui a atteint son plus bas niveau depuis la crise de 2008-2009. Tous les facteurs se combinent pour aggraver la situation, inflation, hausse des taux d’intérêt, compression des salaires réels, qui ruinent la consommation et rapprochent de la récession.

L’impasse de l’intersyndicale

Cette situation pose le problème de remettre en question ce système capitaliste qui entraîne le monde dans sa faillite. Pour la NUPES, il n’en est pas question. En colloque à la Sorbonne, elle a montré une fois de plus qu’elle patauge dans ses manœuvres pour les prochaines élections... et est incapable de faire autre chose que de la diversion parlementaire, ou pire, d’apporter son soutien discret à la politique militariste de Macron.

De son côté, l’intersyndicale a exprimé ses craintes dans sa déclaration du 30 mai : « si, encore une fois, le gouvernement s’obstinait à passer en force... la colère n’en serait que renforcée ». Un constat bien impuissant, ne cherchant certainement pas à encourager cette colère et à l’armer de perspectives.

Après les rencontres bilatérales avec Borne, l’intersyndicale n’en a pas, si ce n’est en appeler une fois de plus à la réouverture du dialogue « pour permettre une négociation collective de qualité dans le cadre d’une démocratie sociale avérée ... l’intersyndicale demande d’améliorer et renforcer les moyens pour les représentants du personnel en termes d’heures de mandats ».

« Des moyens pour les représentants du personnel »... mais aucune revendication claire sur les salaires, qui pourrait être un encouragement pour les luttes dans les entreprises. Les ouvrières de Vertbaudet viennent d’arracher de 90 à 140 € net d’augmentation, après 72 jours de grève. Entre 1000 et 2000 salariés de Disneyland Paris ont manifesté cette semaine dans le parc pour exiger 200 € nets, du jamais vu. Les revendications d’augmentations uniformes se popularisent, comme 150 € ou 250 € pour tou·te·s. Dans de nombreuses discussions, la réflexion fait son chemin sur l’échelle mobile des salaires, l’indexation immédiate sur l’inflation. Mais pas question pour l’intersyndicale de faire des salaires une nouvelle bataille politique globale pour l’ensemble du monde du travail, alors qu’il y a bien une politisation autour de ce besoin vital. Elle se contente d’affirmer : « Le SMIC doit demeurer un salaire d’embauche et ne peut pas être une trappe à bas salaires maintenant les salariés au SMIC toute leur carrière professionnelle ».

L’explication de l’impasse dans laquelle s’est enfermée l’intersyndicale est bien là. En fait, les revendications, comme les salaires ou le rejet de la réforme des retraites, prennent un contenu politique radical, contestent le système, posent le problème de qui décide, pour quels intérêts... la question de la lutte des classes jusqu’au pouvoir, que l’intersyndicale rejette et combat... « dialoguons ! » dit-elle à nos ennemis.

Le 6 juin, toutes et tous dans la rue et préparons la suite

La colère est là. Elle se manifeste dans de nombreuses grèves. Elle pourrait éclater dans l’éducation nationale où le Pacte de Ndiaye est vécu comme une provocation, une casse des conditions de travail et du statut au prix d’une prime minable, sans parler du démantèlement de l’enseignement professionnel.

Malgré le ralentissement de la fréquence des journées nationales de grève, les initiatives de contestation continuent. Toute une partie du mouvement qui s’est organisée indépendamment de l’intersyndicale nationale, dans des collectifs, des réseaux, des assemblées, continue de discuter et décider de ses propres actions.

Cet acquis d’une partie du mouvement qui réunit des travailleur·ses, des jeunes, des syndicalistes, des gilets jaunes, et qui fait vivre sa propre organisation démocratique constitue sa force la plus vivante, la plus dynamique, qui prend ses initiatives sans attendre les consignes. Cette démocratie par en bas est la condition même de l’action et de la politisation, qui fait le lien entre les expériences militantes collectives et les prises de consciences pour comprendre et discuter de nos tâches, de nos perspectives.

C’est une première étape pour que le mouvement pense par lui-même des perspectives hors du cadre institutionnel, sans rien attendre ni du parlementarisme ni du « dialogue social », mais en cherchant à donner un contenu au « Macron dégage ! ». Il ne peut être progressiste que si on lui fixe la perspective du contrôle démocratique des travailleurs sur toute la société, pour renverser le capitalisme, qui ne peut naître que de l’expérience du contrôle démocratique de nos propres luttes.

Dans un contexte de crise et de bouleversements politiques et économiques, d’impuissance et de déstabilisation de toutes les vieilles organisations issues du mouvement ouvrier, toutes les évolutions sont possibles. La poussée réactionnaire autour de Macron, s’appuyant sur le refus de l’affrontement de l’intersyndicale, provoque déjà une phase de doute chez de nombreux travailleurs, elle peut provoquer une démoralisation dans une fraction de notre classe tandis qu’une autre relève la tête, s’organise, cherche les idées de son émancipation collective. Nous avons besoin de voir et discuter tout ça lucidement, pour se projeter, construire dans la durée, discuter nos perspectives pour défendre nos droits, transformer la société, en prendre le contrôle.

Soyons nombreux·ses le 6 juin pour faire entendre notre colère et construire la suite de notre mobilisation.

François Minvielle

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