Lundi 3, sur RTL, Le Maire présentait ses « quatre pistes » pour éponger la « dette covid », 168 milliards dépensés par l’Etat pour voler au secours des patrons : 1) miser sur la reprise économique ; 2) étaler la dette ; 3) transformer le pays, réformer ; 4) faire payer les entreprises ayant perçu des aides…

Le Maire laisse entendre qu’il veut faire payer les patrons… sans augmenter leurs impôts, simplement en faisant en sorte qu’une partie de ce qu’ils paient déjà aille au remboursement de la dette covid. Comme si allouer plus d’argent au remboursement de la dette sans augmenter les recettes ne revenait pas à diminuer d’autres lignes de dépenses budgétaires ! Le secret de ce tour de passe-passe est dans la « piste » 3 : « transformer le pays, réformer », c’est « poursuivre les transformations structurelles comme la réforme des retraites, que j’estime nécessaire dans notre pays » explique-t-il.

Et d’autres conséquences du traitement budgétaire de la crise de la covid s’abattent déjà. Entre autres, selon l’Association des Maires de France, « un tiers des collectivités locales vont augmenter leur taxe foncière » pour faire face à l’accroissement de dépenses indispensables alors que la participation de l’Etat ne cesse de diminuer.

Bien évidemment, il ne peut être question de « payer leur crise » mais le slogan prend dans le contexte un contenu politique qui va au-delà et qu’il nous faut exprimer, celui de la contestation de l’ensemble du système, de sa logique qui rend illusoire la possibilité d’imposer une plus juste répartition des efforts et des richesses.

Pour la bourgeoise et les États, aujourd’hui, ce qui est en jeu, c’est d’éviter le krach, la banqueroute ce qui implique un transfert toujours plus important dans leur poche au détriment de la population, un renforcement sans limite de l’exploitation. Ils voudraient nous faire croire que la situation dans laquelle nous sommes plongés a pour seule responsable la pandémie de covid ; que si on accepte de faire ce qu’ils exigent, on va sortir de la crise et retrouver les « jours heureux. » Mais la situation d’avant la crise n’avait rien de « jours heureux », du moins pour les classes populaires. Personne ne peut oublier leurs attaques contre les retraites, leur crainte d’un nouvel effondrement financier, leur incapacité manifeste à mettre un coup d’arrêt à la destruction des équilibres écologiques… Destruction des équilibres naturels qui a permis au virus de se transmettre aux humains, avant qu’il ne se répande sur la planète et ne vienne accentuer la dégradation d’une économie mondiale déjà profondément malade.

La fin de la pandémie, dont personne ne sait rien, n’apportera aucune amélioration à long terme à un capitalisme devenu sénile. Les sommets de la bourgeoisie et leurs serviteurs politiques ont bien conscience que le monde d’après sera incapable de retrouver ne serait-ce que les niveaux de production d’avant la crise sanitaire ni de mettre un coup d’arrêt au processus de dégradation continue de la situation globale, économique, sociale, politique, écologique. Ici, Macron et Le Maire, cramponnés à leur politique de « l’austérité et du ruissellement », peuvent sembler plus rétrogrades que Biden et sa « révolution fiscale ». En réalité, leur politique répond à la même préoccupation, aider leurs multinationales à faire face à l’exacerbation de la concurrence, tenter, « quoi qu’il en coûte », de maintenir à flot un système économique en faillite.

Le grand bluff de la « Bidenmania » ou le libéralisme d’État

L’annonce en fanfare par Biden de ses deux plans de relance assortie de son intention d’en financer une partie par une augmentation des impôts des entreprises, suivie récemment de sa déclaration que « la politique du ruissellement n’a jamais fonctionné », subjugue une partie de la gauche française. Faure, le patron du PS dit être « … Biden plutôt que Macron ». Le secrétaire national du PCF, Roussel, trouve que « le plan qu'il [Biden] met en œuvre est un plan révolutionnaire ». Mélenchon, lui, que « c’est la bonne méthode qu’applique Biden » en faisant du « keynésianisme de base ».

Voir dans le show du représentant de Wall Street une « politique révolutionnaire » donne la mesure du degré de déliquescence politique de cette gauche, quel que soit son degré de « radicalité ». Comme si cela redonnait un semblant de crédibilité au slogan antilibéral de « taxer les riches » : c’est possible, puisque Biden le fait… Et tous de se précipiter sur cette planche pourrie comme si cela pouvait les sauver du naufrage politique.

La farce est d’autant plus triste que Biden n’a aucune intention de s’en prendre aux riches. L’augmentation des impôts sur les entreprises ne rattrapera que pour moitié les baisses décidées par Trump. Globalement, sur plusieurs mandats présidentiels, l’imposition des entreprises US n’a cessé de baisser. Quant aux milliards du plan de relance, ils iront pour une grande part aux entreprises. Ce sont elles qui bénéficieront en premier lieu de la restauration des infrastructures délabrées par des décennies de manque d’entretien et qui en réaliseront les travaux, financés par la dette de l’État et la planche à billets de la FED. Biden promet des « millions d’emplois, bien rémunérés ». C’est de la poudre aux yeux pour masquer les véritables enjeux de cette injection massive d’argent dans l’économie, financer la bourgeoisie US dans sa lutte face à la concurrence chinoise, rendre les USA « plus compétitifs dans le monde », les mettre « en position de gagner face à la Chine ». La précarité terrible qui frappe des millions d’individus dans la première puissance mondiale continuera de sévir.

Biden vient d’ajouter un trophée à son image d’homme de gauche en proposant de lever la propriété intellectuelle sur les vaccins contre la Covid. L’existence de brevets sur les vaccins est une monstruosité responsable de la mort de dizaines de milliers d’êtres humains, leur levée est une urgence. Mais les motivations de Biden relèvent de tout autres préoccupations. La situation terrible en Inde montre à quel point la pandémie est loin d’être sous contrôle. Les retards dans la vaccination, le fait que des populations entières n’y aient pas accès favorisent l’apparition de variants, plus résistants aux vaccins actuels. Lever les brevets s’impose pour tenter de prendre cette évolution de vitesse, éviter un nouveau confinement généralisé aux conséquences dévastatrices pour les affaires de la bourgeoisie. En semblant s’en prendre aux intérêts des producteurs de vaccin, Biden et les dirigeants politiques qui se sont depuis ralliés à sa proposition ne font que défendre les intérêts généraux des classes dominantes. Quant aux actionnaires de Pfizer et autres, ils n’y perdront rien. Ils ont déjà largement récupéré leur mise, d’autant que les États ont contribué généreusement au financement des recherches. Et rien n’est dit des transactions en sous-main qui vont probablement accompagner cette « levée des brevets », rachat par les États, certainement pas expropriation.

En déclarant devant le Congrès, le 28 avril, que « la politique du ruissellement n’a jamais fonctionné », Biden voulait marquer sa rupture avec la politique de Trump. Mais cette rupture n’est que relative, en ce sens qu’elle est tout autant au service des classes dominantes US et que son levier principal reste l’injection de milliers de milliards dans l’économie. Ce qui change, c’est qu’il espère, en orientant autant que faire se peut la destination de cette masse d’argent frais, mettre de l’ordre dans l’économie US où les désorganisations créées par la pandémie sont venues s’ajouter à celles de l’anarchie inhérente au fonctionnement « normal », si l’on peut dire, du capitalisme financiarisé, du libéralisme. Le « libéralisme d’Etat » de Biden s’inscrit dans sa politique, « America is back », au service de la bourgeoisie US dans sa concurrence avec son principal adversaire, la Chine.

La logique infernale du sauvetage du capitalisme pour éviter la banqueroute

La politique de Biden peut peut-être aider les multinationales US face à leurs concurrentes chinoises ou autres. Mais, pas plus que celle de Macron-Le Maire ou autres, elle n’est capable de résoudre le problème crucial qui se pose au capitalisme financier mondial : stopper sa marche à la faillite, éviter sa banqueroute.

Le creusement des inégalités sociales est un des symptômes de celle-ci, le signe que le capitalisme est incapable de remplir la fonction de l’économie : assurer aux êtres humains leurs moyens de subsistance, à hauteur du niveau atteint par le développement scientifique et technologique. Mais le maintien des profits, la survie de la domination de classe ne peuvent se faire qu’au prix d’un accaparement toujours plus avide des richesses, d’une dégradation continue des conditions de vie d’une grande majorité de la population mondiale. Avec pour conséquence la montée d’une révolte sociale qui n’hésite pas à contester la légitimité de la domination de la bourgeoisie.

Un autre de ces symptômes est dans l’incapacité des États et des institutions financières à mettre un coup d’arrêt à l’accumulation des dettes et des bulles spéculatives qui conduisent inévitablement à un effondrement financier mondial aux conséquences dévastatrices. L’ampleur du krach à venir et la probabilité qu’il se produise sont directement proportionnels à l’ampleur des mesures budgétaires et monétaires sans lesquelles la machine a profits serait incapable de survivre.

Le cercle vicieux de la spéculation et de l’endettement, vers le krach

Une des premières conséquences des politiques du « quoi qu’il en coûte » est une augmentation sans précédent de l’endettement des États. En France, en 2020, la dette publique a augmenté de 215 milliards d’euros, pour approcher 120 % du PIB. Aux États-Unis, elle est passée de 23 200 milliards de dollars à 28 000 milliards en un an, à presque 130 % du PIB, soutenue par un plan de rachat mensuel d’obligations d’État par la FED, la banque centrale US, de 80 milliards de dollars et d’une politique de taux directeurs très bas, voire négatifs. La même politique est mise en œuvre par la banque centrale européenne. Elle a engagé 1850 milliards d’euros jusqu’en mars 2022, renouvelables si nécessaire, pour poursuivre sa politique de rachat d’obligations au rythme mensuel de 20 milliards d’euros. Les investisseurs privés sont ainsi protégés des risques d’insolvabilité des États. Et même si les taux sont bas, le montant gigantesque des dettes permet aux créanciers, banques, assureurs et autres fonds d’investissement, de s’assurer un flux continu d’entrées financières, alimenté par la planche à billets des banques centrales.

L’endettement des entreprises va de pair. En France, il a augmenté de plus de 10 % en fin d’année 2020 pour atteindre 1888 milliards d’euros. D’après Les Échos, ce chiffre pourrait rapidement atteindre 2000 milliards, soit le double de ce qu’il était avant la crise de 2007-2009. Une partie de cet endettement fait l’objet de garanties de l’État et arrive bientôt à échéance alors que l’activité d’une bonne partie des entreprises concernées n’a repris que partiellement, voire pas du tout. Confronté à la perspective de faillites en masse, le gouvernement envisage de prolonger le processus, cherche des solutions pour annuler certaines de ces dettes. Ces expédients ne peuvent au mieux que reculer les échéances tout en accentuant l’endettement de l’État.

Un des arguments utilisés par les Banques centrales pour justifier les milliers de milliards dont elles abreuvent le système financier et bancaire est que cela favoriserait le crédit aux investissements productifs. La réalité est tout autre. Le freinage imposé à la production et aux échanges par les mesures prises face à la pandémie a accru la tendance à la baisse des taux de profit et de la productivité du travail qui se constatait déjà bien avant. Cela ne pouvait qu’accentuer la fuite des capitaux frais vers les marchés financiers, la spéculation. La folie qui en résulte dépasse toutes celles du passé. Sur les Bourses des actions, le décalage entre la capitalisation boursière d’une entreprise et les perspectives de profit qu’elle est susceptible de produire atteint des sommets. Exemple parmi bien d’autres, GameStop, un marchand de jeux vidéo dont le chiffre d’affaires était de 5 milliards de dollars en 2020 est valorisée à plus de 12 milliards, son action a augmenté de 2 700 % en un an. Pour bien des spéculateurs, il s’agit de se livrer à un trading frénétique, vendre pour acheter en tentant de dégager une plus-value et en espérant que se poursuivra la hausse globale des valorisations, le gonflement des bulles spéculatives. Au risque de les voir se dégonfler brutalement. En mars, les « difficultés » d’Archegos, un fonds d’investissement, ont entraîné la chute boursière de divers groupes américains et chinois ainsi que de lourdes pertes pour diverses banques. Morgan Stanley aurait perdu 911 millions de dollars, Nomura 2,3 milliards, Crédit Suisse 5,3 milliards… La panique ne s’est pas généralisée, le krach est resté contenu, mais la menace est bien réelle.

Sur les marchés des matières premières, l’activité spéculative repart aussi de plus belle. Dans l’espoir de se placer en vue d’une reprise éventuelle, les spéculateurs font des réserves, anticipant l’augmentation de la demande. Il en résulte une hausse des prix des matières premières bien avant que cette augmentation de la demande ne se produise… si elle se produit. C’est en particulier le cas du cuivre. La tonne, qui valait 8000 dollars début janvier a grimpé à 10 000 dollars en quelques jours, suite aux commandes « à livrer dans 6 mois » passées par divers spéculateurs. Ou comment l’espoir d’une reprise se transforme en frein à cette même reprise, par l’augmentation des coûts qui en résulte…

Le cas du marché du cuivre est significatif des contradictions auxquelles se trouvent confrontés les Etats et les banques centrales dans leur tentative de maintenir en état de marche une machine économique en bout de course. C’est pourquoi les politiques budgétaires et monétaires sont consacrées prioritairement à retarder autant que faire se peut le krach généralisé des marchés financiers et la crise de la dette dont tout le monde sait qu’ils ne peuvent manquer de se produire. Ils le font en déversant des milliers de milliards dans l’économie, dans l’espoir d’éviter la panique qui pourrait faire s’écrouler tout le château de cartes. Ce faisant, ils contribuent à alimenter les marchés financiers, à creuser l’endettement, à accentuer les risques qu’ils voudraient combattre.

Creusement des inégalités sociales, crises sociales et politiques

La fortune de l’homme le plus riche du monde, Jeff Bezos, a doublé depuis le début de la pandémie, pour atteindre 200 milliards de dollars. D’après le magazine Forbes, l’Europe compterait 611 milliardaires, dont la fortune globale aurait augmenté de 1000 milliards d’euros en un an. Bernard Arnault vient d’accéder au rang de deuxième fortune mondiale avec 182 milliards de dollars. Les entreprises du CAC40, dont certaines licencient après avoir empoché les aides de Le Maire, vont verser 52 milliards d’euros de dividendes à leurs actionnaires en 2021…

Tandis que les bourses exultent, que les milliards pleuvent sur une minorité d’ultra-riches, les inégalités sociales ne cessent de se creuser, entre pays riches et pays pauvres mais aussi au sein des populations des pays riches. Selon l’enquête annuelle d’OXFAM, les 1% les plus riches de la planète accaparent plus du double des richesses que se partagent les 90 % les plus pauvres. La moitié de l’humanité vit avec moins de 5 dollars par jour. Et ce sont des moyennes qui ne disent rien du degré de misère auquel sont réduits des millions d’êtres humains.

Ces ravages sociaux sont le produit de la politique menée à l’échelle mondiale par une organisation économique ne répondant qu’aux exigences de la poignée d’oligarques financiers qui trônent au sommet de quelques dizaines de multinationales. Une organisation économique rongée par un mal profond, l’incapacité de sortir d’une situation économique, sociale, démocratique, environnementale qui ne cesse de s’aggraver du fait même des politiques censées y remédier.

Cette crise sociale qui frappe des centaines de millions d’individus se traduit par une crise politique profonde qui touche, sous des formes et à des degrés divers, l’ensemble des pays du monde.

Ici, comme dans l’ensemble des pays européens, cette crise politique se traduit par un désaveu des partis institutionnels, leur difficulté à maintenir le vernis démocratique sous lequel la bourgeoisie masque son pouvoir. Les gouvernements n’ont qu’une seule réponse aux exigences sociales qui tentent de s’opposer à la régression sociale : la répression, la politique sécuritaire, l’embrigadement de la population. Ils bâillonnent la démocratie, cherchent à nous diviser, à dresser les victimes les unes contre les autres, dans une surenchère dont se nourrit la montée de l’extrême droite.

Il n’y a qu’une réponse possible à cet état de fait : faire de la politique, une politique de classe, démocratique, révolutionnaire pour construire un autre ordre social.

Refuser la logique du capitalisme pour prendre en main le contrôle de l’économie

Cette perspective ne se pose pas seulement d’un point de vue propagandiste. Elle est portée dans la rue, face aux flics, par des dizaines de milliers de jeunes, de travailleurs un peu partout dans le monde. La mobilisation des « 99 % » contre le « 1 % » d’accapareurs dont se revendiquaient les indignés de 2011 est plus que jamais d’actualité. Cette « mondialisation de la révolte » a connu une recrudescence en 2019 et se poursuit aujourd’hui, en Birmanie où elle est confrontée à une répression féroce, en Colombie, etc. Les exigences sont diverses, démocratiques, sociales, pour les droits des femmes, contre le racisme, les discriminations, les violences policières, pour le climat… Mais toutes désignent un même responsable, le capitalisme, le pouvoir destructeur de la finance, des « 1% ».  C’est un front international du refus de l’existant, des exigences d’un autre futur. Il est porteur de l’idée que le capitalisme a fait son temps, que ça ne peut plus durer comme ça, qu’il faut que le monde change, bien au-delà du « refus de payer leur crise ».

Il constitue en même temps la seule force capable de mener à bien les changements nécessaires, sur le terrain de la lutte de classe, révolutionnaire, d’imposer la seule mesure capable d’en finir avec le capitalisme financiarisé, sénile et destructeur : prendre, collectivement, démocratiquement le contrôle économique et politique de la société.

Daniel Minvielle

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