Le projet de loi d’habilitation publié par Le Monde confirme l’ampleur de l’attaque voulue par Macron, Philippe et Pénicaud, au-delà des annonces de la campagne électorale. Après ce simulacre de concertation avec les syndicats qui se sont prêtés à cette mascarade, le gouvernement se dépêche maintenant de faire passer ses mauvais coups.
S’il n’a toujours pas communiqué le contenu des ordonnances à ce stade, la loi d’habilitation indique déjà les domaines où il veut s’attaquer aux droits des salariés : liberté plus grande de licencier, remise en cause du contrat de travail avec le CDI lié à une mission, dégradation des règles d’utilisation des CDD et des contrats d’intérim, primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche, etc.
Dans un communiqué, la CGT dénonce, après sa 2ème réunion, le silence du ministère sur « l’étendue des régressions sociales contenues dans les projets d’ordonnances » en commentant : « Le gouvernement n’assume toujours pas sa réforme »… Il assume au contraire totalement ses mauvais coups et roule des directions syndicales qui font semblant de croire à ce jeu de dupes !
Face à cette situation, des initiatives commencent à se prendre, comme celle d’un appel unitaire lancé par Copernic et rassemblant des syndicats CGT, Solidaires, des partis, etc.
Le 19 juin, à l’initiative du Front Social, des manifestations contre Macron et ses ordonnances ont eu lieu dans une trentaine de villes. Outre les 1000 à 2000 manifestants parisiens devant l’Assemblée nationale, plusieurs centaines se sont rassemblés à Rouen, à Toulouse, à Lyon, à Avignon, près de 1000 à Bordeaux,… montrant une volonté de se battre face au nouveau pouvoir qui se met en place.
Ces manifestations ont rassemblé des équipes syndicales CGT, Solidaires qui a appelé au 19 juin depuis son congrès la semaine précédente, des jeunes des collectifs de lutte nés de la lutte contre loi Travail ou même parfois des réseaux militants plus anciens comme sur Bordeaux, où des liens intersyndicaux issus des blocages de 2010 continuent d’exister. Des militants politiques étaient aussi présents, du NPA, de France Insoumise, de LO tout comme des militants d’associations contre le chômage, les violences policières, etc. Tous étaient là pour dire leur volonté de se battre face au gouvernement qui tente d’étouffer toute contestation en posant au pouvoir nouveau… pour imposer de vieux sales coups patronaux.
Si des militants se sont saisis de l'occasion pour exprimer leur mécontentement face à la politique particulièrement passive, voire complice selon les cas, des directions syndicales, l’enjeu se situe à un autre niveau.
Il est de construire une riposte de l’ensemble des travailleurs, pour imposer nos exigences face à ce gouvernement de DRH et de patrons. Cela commence par rompre avec cette politique du « dialogue social » destinée à paralyser les travailleurs.
Les ruptures politiques qui viennent de s’opérer durant cette longue séquence électorale, contre la gauche institutionnelle et sa politique au service des classes dominantes, touchent aussi les appareils syndicaux, liés aux mêmes institutions et jouant ce rôle de « partenaires sociaux ». Le dialogue social est le pendant des préjugés réformistes sur le terrain politique, et celui-ci se retrouve piétiné aujourd’hui par la brutalité de l’offensive de Macron et des riches. Plus que jamais, il nous faut mener largement la discussion pour faire vivre une politique lutte de classe dans nos syndicats et parmi les salariés.
Les projets du gouvernement : permettre de licencier sans entrave
Le gouvernement a appliqué les lois Larcher sur le dialogue social à la lettre, en réussissant à engluer des directions syndicales consentantes dans 48 réunions bilatérales d’ici au 21 juillet, où Philippe et Pénicaud peuvent souffler le chaud aux uns, le froid aux autres, récolter les demandes du patronat… Bref un vrai terrain de manœuvres ! Et tout cela, sans rien avoir mis par écrit de leurs intentions !
Le Medef se frotte les mains, comme ce proche de Gattaz qui se félicite de cette « nouvelle méthode constructive. Nous sommes face à une vraie réforme ambitieuse, et qui semble ouverte, ce qui est attesté par le fait qu'il n'y a justement pas de texte sur la table »… ça peut donc aller très loin pour les patrons !
Les fuites du ministère du Travail, publiées dans Libération et à propos desquelles la ministre du travail porte plainte, montrent pourtant à quoi tous ces gens travaillent et se préparent. Outre les points sur lesquels Macron s’est prononcé durant sa campagne, comme le plafond des indemnités prud’homales, la généralisation des dérogations aux accords de branche ou la fusion des CE, DP et CHSCT, le ministère a d’autres sales coups dans son sac.
Au niveau des contrats de travail, le gouvernement voudrait sortir de la loi les quelques règles concernant les CDD et l’intérim, ce qui rendrait « négociable » la durée maximale, le nombre de renouvellements, la période de carence. Déjà que le patronat s’assoit largement sur la loi sur la question des contrats d’intérim, cela annonce une précarité encore plus grande pour la jeunesse en particulier. Concernant le CDI, le gouvernement voudrait aussi permettre aux patrons de remettre en cause la période d’essai, le préavis, l’indemnité et même le motif de licenciement. Déjà en 2015, Gattaz défendait les « CDI sécurisés »… pour les patrons, qui prévoient des clauses de licenciement en cas de baisses de profits par exemple. En attendant, la loi d’habilitation parle déjà de mettre en place des contrats de projets, le temps d’une mission ou d’un chantier, qui inscrivent directement le licenciement dès le contrat de travail !
Interrogé sur ces nouveaux reculs qui seraient intégrés dans les ordonnances et qui permettraient aux patrons de faire leurs propres règles sur le licenciement, Philippe a répondu : « On va discuter. Je ne dis pas que ce sera le cas, je dis qu'on va discuter ».
Depuis, d’autres fuites sont venues confirmer les pistes du gouvernement, comme protéger un groupe international quand il veut licencier dans une de ses filiales ou permettre à une entreprise de faire un plan de licenciement pendant qu’elle cherche un repreneur… ce qui permet avant tout au patron de licencier pour revendre plus facilement ! Le pré-projet d'ordonnances prévoit aussi de passer le seuil de déclenchement des PSE (plan de licenciement baptisé Plan de Sauvegarde de l’Emploi) de 10 à 30 salariés licenciés sur une période de trente jours. En dessous de ce seuil, plus besoin de proposer des reclassements, des dispositifs d'accompagnement à la recherche d'un nouvel emploi ou des formations ! Bref, tout est fait pour aider les patrons à licencier plus facilement, à précariser l’ensemble des salariés pour les exploiter encore davantage. Et tout ça au nom de la lutte contre le chômage… Cynisme, mépris, tout y est !
En même temps que ces révélations sortent dans la presse, le gouvernement continue de « concerter » les directions syndicales, sans écrire ce qu’il compte faire dans le cadre des ordonnances. Face à cette arnaque pure et simple, FO a sorti un communiqué prévenant le gouvernement qu’elle « n'hésiterait pas à mobiliser contre ce qu'elle considérerait comme une loi travail XXL »… Mailly a vite précisé les choses en déclarant : « Nous sommes ouverts et le restons. C'est une concertation constructive, c'est normal que ça avance à petits pas. Pour autant, il y a un moment où il va falloir que nous ayons les textes, et ce serait bien que ce ne soit pas le 19 septembre prochain… Il faudra que nous sachions si nous sommes entendus »... Quelle audace !
Après la réunion du 13 juin, la CGT a déclaré « Les salariés ont de quoi se mobiliser ! », dénonçant cette concertation : « 6 heures pour démanteler 120 ans de droit du travail conquis par les luttes sociales, voilà qui est inadmissible (…) Le scénario du pire pour l’ensemble des salariés se confirme ». Mais aucune politique n’est avancée pour la lutte, aucune initiative sérieuse, à commencer par le refus élémentaire de se prêter à ce jeu de dupes du gouvernement !
En fait, la direction de la CGT ne veut surtout pas marcher devant, formuler une politique pour construire l’affrontement, bien trop préoccupée à protéger ses positions d’appareil. Dans une récente interview, Philippe Martinez l’explique clairement au journaliste qui lui demande s’il sera la principale opposition au gouvernement : « je ne serai pas le leader de l’opposition politique. Tous ceux qui essaieront de nous faire dévier de nos objectifs syndicaux seront mis en échec ». Quant à la question « Allez-vous bloquer le pays ? », il répond : « Je n’aime pas ces expressions barbares… On n’a pas de bouton rouge pour déclencher la grève générale. Pas d’a priori non plus. Nous sommes à l’écoute. Mais on est plus inquiets après la première réunion qu’avant »… Cela montre à quel point la direction de la CGT a dû aller bien au-delà de ce qu’elle voulait durant la mobilisation contre la loi Travail.
Mais pour construire un vrai rapport de force capable de faire céder le gouvernement, pour préparer et construire un mouvement d’ensemble, cela signifie au contraire oser contester le pouvoir de la bourgeoisie, des actionnaires sur toute la marche de la société.
Contribuer à regrouper une opposition intersyndicale à la politique du « dialogue social »
Mais les choses sont en train d’évoluer. Dans la CGT par exemple, bien des militants pensent qu’il faut être offensif face à Macron. De même, le congrès de Solidaires qui a appelé au 19 et qui se positionne contre cette mascarade de concertations, va aussi dans le sens d’en finir avec cette politique de Macron, qui roule dans la farine les directions des grandes confédérations.
A partir des réalités locales et aussi politiques, nous pouvons aider à coordonner ces milieux militants qui veulent se positionner dès maintenant pour préparer la riposte et qui se sont saisis de l’occasion du 19 juin pour le dire. Bien souvent, des liens se sont tissés durant les mouvements de ces dernières années, lors des blocages, avec les jeunes, lors de grèves locales, etc.
Face à la gravité de l’offensive, il nous faut maintenir et renforcer ces liens, organiser cette opposition intersyndicale pour qu’elle prenne des initiatives, par exemple à partir des luttes en cours pour construire des convergences à la base et donner aux luttes une dimension plus large. Les luttes chez GM&S ou chez Tati ont de fait une portée dans l’opinion publique et en cela, une portée politique. Face aux menaces qui se profilent dans la filière automobile par exemple, comme c’est le cas pour Ford Blanquefort, des convergences contre les licenciements peuvent se mettre en place et donner confiance dans la lutte. De même, des grèves sont appelées, à l’inspection du travail contre les suppressions de postes, dans les organismes sociaux, dans les transports, etc.
Face à Macron qui veut libérer les licenciements et supprimer les quelques protections et droits qui existent pour les salariés, les travailleurs doivent se faire entendre, dénoncer les politiques patronales qui mettent des régions entières dans la misère, tout ça pour que les profits se portent encore mieux… et qu’un Carlos Ghosn puisse empocher 7 millions de rémunération à Renault et atteindre les 15 millions d’€ avec son salaire de Nissan !
C’est dans ces initiatives et parmi ces équipes syndicales qu’il faut discuter largement de la légitimité de l’interdiction des licenciements, du partage du travail entre tous sans partage des salaires, d’en finir avec la précarité en réclamant un CDI pour tous, etc., et organiser cette opposition intersyndicale en fonction des réalités et des histoires locales.
L’enjeu est d’agir le plus largement possible vis-à-vis de l’ensemble des travailleurs, agir pour que chaque lutte s’intègre dans la perspective d’une mobilisation d’ensemble de la classe ouvrière. Nous ne sommes pas dans l’auto-affirmation et la question n’est pas de construire une nouvelle organisation, au niveau national et par en haut, comme le propose aujourd’hui le Front Social, avec par exemple son projet de Manifeste. Celui-ci n’est même pas une plate-forme pour combattre cette politique du dialogue social qui n’est même pas citée dans le texte. Par contre, s’il ne dit pas grand-chose sur le plan politique, il conclut sur la référence aux « jours heureux », du nom du programme du CNR que Mélenchon tente de recycler aujourd’hui.
Pour préparer les luttes répondant à la situation, nous avons besoin de regrouper sur les lieux de travail les militants combatifs, formuler avec eux une politique de classe dans les syndicats, largement. Ce travail est indissociable de la tâche de construction d’un parti des travailleurs, qui intègre la question sociale et pose le problème du pouvoir.
La question de la riposte est au-delà de la question d'une date à la rentrée, même si le problème se pose bien évidemment. Des dates sans lendemain ou sans réelle politique pour construire un mouvement d'ensemble ne règleront pas la situation. C’est ce que nous avons connu toutes ces dernières années et, là encore, les directions des grandes confédérations ne le veulent pas et se refusent à l'affrontement.
Il n’y a pas d’issue positive pour la classe ouvrière hors du changement de rapport de force, hors d’une lutte d’ensemble face à l’offensive que veut imposer Macron. Celle-ci n’est pas conjoncturelle, elle s’inscrit dans la fuite en avant des classes dominantes pour accaparer toujours plus de profits, dans une concurrence acharnée dont les travailleurs paient le prix fort. Pour défendre même ses intérêts immédiats, la classe ouvrière ne pourra éviter de se poser le problème de changer la société, de remettre en cause « qui dirige ».
Les luttes sociales pour inverser la situation nécessitent l’intervention directe des travailleurs et d’oser contester le pouvoir des classes dominantes et du gouvernement à leur service. En cela, il s’agit de regrouper les militants, les travailleurs qui veulent mener une politique d’indépendance de classe, en rupture avec le dialogue social, et agir pour que les travailleurs prennent en main la défense de leurs intérêts, l’organisation démocratique de leurs luttes à travers des comités de mobilisation, de grèves, des collectifs de lutte, etc. Ce travail militant ne peut se faire qu’en menant de front la construction d’un parti des travailleurs, révolutionnaire, démocratique, posant tous les problèmes sur un terrain de classe, cherchant à élever le niveau de conscience et l’indépendance face aux préjugés réformistes et institutionnels pour construire l'unité du monde du travail dans les luttes.
Laurent Delage