Lors d’un banal contrôle routier, Nahel, 17 ans, a été abattu de sang-froid par un policier à Nanterre après un refus d’obtempérer. Alors qu’il n’était nullement en état de légitime défense, le policier qui le tenait en joue et lui hurlait « Ouvre ou je te mets une balle dans la tête ! » a tiré à bout portant sur la poitrine du jeune homme.
La version des flics, celle de la légitime défense, serait devenue le mensonge officiel si la vidéo d’un passant, virale sur les réseaux sociaux, n’avait filmé les faits.
Ce n’est ni une bavure, ni une dérive, mais la logique d’une politique sécuritaire du pouvoir qui n’a d’autre réponse aux effets de la violence sociale qu’il organise que la répression par une police gangrenée par le racisme, la peur et la haine des classes populaires, de la jeunesse qui lui sont inculqués par sa hiérarchie et que l’extrême-droite, sa politique nationaliste et xénophobe nourrissent et encouragent.
Tout est permis à cette police sous pression qui peut agir en toute impunité, protégée par l’arsenal des lois votées sous les gouvernements Sarkozy, Hollande ou Macron, dont la loi Cazeneuve de 2017 dite de « sécurité publique » votée sous Hollande, véritable permis de tuer. En témoigne l’augmentation du nombre de tués par les forces de l’ordre qui a doublé depuis 2020, dont 13 en 2022 pour le seul refus d’obtempérer.
La révolte légitime des quartiers populaires contre la police et l’Etat
L’assassinat de Nahel a déclenché une série d’émeutes qui se sont multipliées dans la nuit de mardi à mercredi puis les nuits et les jours suivants, en région parisienne et dans les quartiers populaires et centres de nombreuses villes du pays, ciblant des commissariats, des bâtiments publics symboles des institutions et de l’Etat, des magasins livrés au pillage ou du mobilier urbain, qui témoignent d’une révolte profonde, explosive, d’une fraction de la jeunesse des classes populaires que la société exclut et stigmatise.
Cette révolte est largement partagée par les habitants des quartiers populaires dont des milliers ont manifesté à Nanterre, toutes générations confondues, lors de la Marche blanche, « Marche de la colère », gazée et dispersée par la police de Darmanin.
Les politiciens et autres commentateurs réactionnaires habitués des médias aux ordres ont affiché leur hypocrite incompréhension, accusé les jeunes de violence « aveugle », sur « des cibles incompréhensibles », pour discréditer leur révolte légitime contre la stigmatisation et le racisme, les contrôles au faciès et les provocations policières dans les quartiers populaires, mais aussi contre la discrimination à l’emploi, le chômage et la précarité, la misère dans ces banlieues ouvrières vidées de leurs services publics et de moyens pour leurs écoles, aux logements à l’abandon. Ils voudraient discréditer leur révolte contre cette société injuste et violente qui s’est aussi largement exprimée dans le mouvement contre la réforme des retraites de ces derniers mois.
Ils flattent l’indignation passive qu’entretient dans les quartiers le sentiment d’incompréhension devant les destructions de bâtiments publics utiles à la population dont une partie se sent une fois encore victime, pour mieux diviser, voire retourner une partie de l’opinion contre la jeunesse. Leurs calculs démagogiques, leur intérêt inhabituel pour la vie des habitants des quartiers pauvres, cette hypocrisie qui prétend désigner « les voyous » à la vindicte populaire et les parents comme incapables de « tenir » leurs enfants est insupportable de même que leur mépris social qui ne manquera pas de se retourner contre eux.
Le gouvernement, pompier-pyromane
Macron, a d’abord qualifié « d’inexplicable » et « d’inexcusable » la mort du jeune Nahel, alors que sa politique de guerre contre les « classes dangereuses », les pauvres, sa démagogie xénophobe et raciste ne font qu’encourager les crimes de la police. Les ministres, Borne en tête, se sont déployés sur le terrain, ont appelé au calme, contraints de prendre leur distance, de se désolidariser du policier assassin, placé par la justice en détention préventive pour « homicide volontaire ». Borne n’a pu que qualifier les images diffusées de « choquantes » tentant de faire de l’intervention du policier « qui ne semble manifestement pas conforme aux règles d’engagement de nos forces de l’ordre » une affaire isolée. « Ce n’est pas la République qui est en garde à vue, ce n’est pas la République qui a tué ce jeune homme » a déclaré Véran. Mais c’est bien cette République qui défend l’ordre des privilégiés, la violence sociale que la jeunesse conteste.
Et c’est contre celle-ci que Macron se retourne, condamnant les « violences […] injustifiables ». Ses appels au « recueillement, à la justice et au calme » veulent éviter « l’embrasement », dont les véritables raisons sont sociales. Affaibli et discrédité, il voudrait éviter à tout prix que la contestation ne s’étende, alors qu’une large partie de l’opinion comprend cette révolte et la partage. Il n’a d’autre réponse que la répression, qui a commencé avec le déploiement deux jours après la mort de Nahel de 40 000 gendarmes et policiers, la BRI, le Raid et le GIGN mobilisés. Il prépare le terrain pour remettre de l’ordre dans les quartiers, « ne rien exclure… adapter le dispositif de maintien de l’ordre, sans tabou ». Mais le déploiement policier, les centaines d’arrestations et les lourdes peines de prison ferme déjà prononcées, les couvre-feux ne peuvent étouffer la révolte.
Odieuse instrumentalisation du bloc réactionnaire
« Notre collègue a été cloué au pilori pour calmer des émeutiers qui s’en prennent à la République et acheter la paix sociale », a déclaré Davido Reverdy, du syndicat de police Alliance qui écrivait dans son premier tract « les policiers sont au combat car nous sommes en guerre. Demain nous serons en résistance et le gouvernement devra en prendre conscience ». Les syndicats de police disent tout haut ce que l’Etat lui-même ne peut dire pour ne pas ajouter à la provocation face à des millions de salarié·e·s et de jeunes qui sont descendu·e·s dans la rue contre sa réforme des retraites. Cette guerre, lui-même la mène contre les travailleurs et les peuples, imposée par la finance qui exige l’aggravation de l’exploitation du travail.
Le bloc réactionnaire a réagi aux accusations de racisme de la police en retournant l’accusation contre les jeunes « issus de l’immigration ». Le Républicain Bellamy a déclaré, « Si ce jeune est mort, c’est d’abord parce qu’il a cherché à se soustraire à un contrôle. Rien, jamais, ne justifie qu’on s’en prenne à des policiers. ». Pour Eric Ciotti, le crime du policier de Nanterre « n’entache en rien le soutien que l’on doit aux policiers… L’extrême gauche souffle sur les braises et espère une vengeance contre les forces de l’ordre. Insupportable ! ».
Avec l’extrême-droite, qui apporte son « soutien absolu aux forces de l’ordre », ils alimentent le climat de haine qui cherche à diviser les classes populaires, les travailleur.es, en flattant les peurs et les préjugés, l’incompréhension.
Appeler au calme ou à s’organiser collectivement contre la police et le pouvoir des Bolloré and co qu’elle sert ?
Si Darmanin a voulu chercher des responsabilités politiques en accusant d’irresponsables les députés de la France insoumise ou des différentes composantes de la NUPES qui ont exprimé leur solidarité avec la révolte, leurs ambiguïtés sur les appels au calme s’accompagnent de la défense d’une police républicaine dont se revendique tout autant Darmanin et qui ne pourrait être que ce qu’elle est, une police au service de l’ordre établi.
Dénonçant le racisme qui gangrène la police, ils défendent une police refondée, de proximité, proche des populations des quartiers, comme le maire communiste de Grigny, Philippe Rio, qui déclarait dans Le Monde, « Il faut que l’on ait le courage de remettre à plat notre doctrine policière, qui est en échec. Il y a sur ce sujet un dogmatisme politique, qui nous empêche de voir la nécessité de retisser une relation de confiance entre la police et sa population. »
Mais peut-on tisser une relation de confiance avec les forces armées d’un Etat qui défend un ordre social injuste et violent contre les exploité·e·s ?
La violence policière d’Etat s’exerce avec d’autant plus d’arbitraire et d’autoritarisme que les attaques redoublent contre les travailleurs, les jeunes, les pauvres, pour que la machine à profits continue de tourner pour une minorité.
Notre sécurité face aux provocations et violences de la police nécessite son désarmement et de nous organiser collectivement et démocratiquement pour assurer nous-mêmes notre défense et notre sécurité dans les quartiers, les manifestations, sur nos lieux de travail, et exercer notre contrôle démocratique sur les commissariats et les agissements des flics.
Pour lutter contre les violences policières et sociales, nous avons besoin de nous organiser en toute indépendance des pouvoirs établis pour construire ensemble une perspective avec la jeunesse révoltée. C’est la seule voie pour nous défendre dans les quartiers et partout contre la police mais aussi contre l’offensive violente de l’extrême droite. La seule voie aussi pour combattre la violence sociale en imposant nos propres réponses à nos besoins sociaux et démocratiques, en préparant l’affrontement avec l’Etat et sa police, et lui contester le pouvoir.
Dans cette situation inédite, rien n’est écrit par avance et nécessite la discussion ouverte et démocratique de toutes celles ceux qui ne peuvent rester calmes devant l’assassinat d’un jeune de 17 ans par la police, sur les moyens de riposter. De toutes celles et ceux qui veulent changer cette société, militants révolutionnaires, travailleurs et militants du mouvement qui ont refusé de donner aux patrons deux ans de plus de leur vie, qui ont lutté pour les salaires, des soulèvements de la terre qui partout contestent la dégradation de la planète par un capitalisme prédateur et destructeur, jeunes qui se révoltent contre l’insécurité sociale, le racisme et l’exclusion… pour prendre en main nous-mêmes les affaires de la société, construire un monde plus juste, qui n’aura besoin d’aucun organe de répression ni de coercition.
Christine Héraud