Le mouvement contre la réforme des retraites, le refus de perdre deux ans de plus de sa vie au travail, l’irruption du monde du travail sur la scène politique a bousculé la donne, changé les rapports de forces sociaux et politiques. Mouvement historique, inédit, au-delà des formules, il s’inscrit dans une remontée des luttes entamée avec le mouvement de 2016 contre la loi travail et dont les gilets jaunes ont représenté une étape importante au sens où il est la manifestation la plus radicale de rupture avec les institutions bourgeoises dites républicaines et les partis qui s’y partagent les sinécures. Le mouvement contre la réforme des retraites approfondit cette évolution. S’y retrouve une combinaison d’un mouvement de masse du monde du travail, indépendant de la gauche politique, qui a trouvé dans l’intersyndicale sa direction tout en développant en son sein de profonds sentiments anticapitalistes, antisystème et une mobilisation à la base autour d’actions de blocage dans la continuité des gilets jaunes. Se sont ainsi formés des cadres d’auto-organisation démocratiques où se sont retrouvés équipes syndicales, gilets jaunes, militants LFI, militants révolutionnaires soucieux d’agir au sein même du mouvement. Ils s’inscrivent dans la continuité des mouvements précédents et constituent des acquis, une expérience collective décisive pour préparer les combats à venir même s’ils n’ont pas été en mesure de dépasser les limites de la politique de l’intersyndicale.

Offensive et rivalités au sein du parti de l’ordre

La victoire de Macron n’est en rien la défaite du mouvement qui se poursuit par la lutte pour les salaires. Il avait fait de cette bataille la mère des batailles dans sa volonté de plier le monde du travail, les organisations syndicales, le parlement et sa propre majorité à sa volonté, de ce point de vue, le bilan se retourne contre lui. Il enregistre une défaite politique majeure. Il est sans majorité, discrédité, condamné à une fuite en avant sans issue, politique spectacle, bluff confronté à de grandes difficultés ne serait-ce que pour remanier son gouvernement et tourner la page. À plus ou moins long terme, il n’aura pas d’autre choix que de dissoudre la chambre pour revenir devant les électeurs en convoquant des élections législatives mais il est là aussi contraint de tenir jusqu’aux élections européennes de 2024 qui seront probablement pour sa majorité une nouvelle défaite. Loin de mettre à genoux le monde du travail et les organisations syndicales, il a contribué à une mobilisation inédite, à de nouvelles prises de conscience que la répression renforce. L’État n’est pas une machine au service de la société mais bien au contraire rodée à servir les intérêts des gros actionnaires, des classes possédantes. L’assassinat par un policier de Nahel à Nanterre en est une nouvelle démonstration. L’interdiction des Soulèvements de la terre vise le soulèvement populaire, des salarié.es, de la jeunesse, des femmes, des sans-papiers en cours…

Si la droite comme l’extrême droite ont joué au Parlement la comédie de l’opposition s’indignant hypocritement de la censure du 49.3 par peur d’être débarquée vis à vis de l’opinion, leur politique tout en étant rivale de Macron s’inscrit dans la même démarche, déterminée par les intérêts du CAC 40 et du patronat, des classes privilégiées. Leurs rivalités politiciennes ne les empêchent pas de cohabiter dans le même camp réactionnaire, de rivaliser de démagogie contre les migrants ou sur le terrain sécuritaire. On assiste à une lepénisation du climat politique. La démagogie visant à retourner la violence du système contre ses victimes désignées comme coupables et responsables devient le trait dominant de la propagande médiatique, un consensus réactionnaire étouffe toute pensée indépendante. La peur de la contestation comme de la faillite de leur propre système soude le camp réactionnaire contre le monde du travail, les femmes, la jeunesse, les migrants. L’enjeu des batailles politiciennes à venir visera à sélectionner qui réussira à en prendre la tête contre le RN auquel une large partie de la droite et de la bourgeoisie n’est pas disposée à laisser les rênes du gouvernement.

La gauche syndicale et politique dans le piège du jeu institutionnel

Face à cette offensive réactionnaire dictée par les intérêts de la finance inquiète de son propre avenir, la gauche parlementaire reste impuissante. Une partie d’entre elle se plie à la pression dominante et fait de LFI et Mélenchon son adversaire tout désigné pour complaire à la droite. Cela y compris au sein de la Nupes. Roussel ne manque pas une occasion de se démarquer tant de LFI que des écologistes les moins intégrés pour s’adapter aux préjugés les plus éculés. L’alliance électorale et parlementaire de la Nupes aura bien du mal à tenir jusqu’aux européennes. Son seul ciment est la peur du danger de l’offensive de droite extrême et d’extrême droite. LFI minée par ses propres rivalités internes face à Mélenchon est politiquement désarmée. Mouvement populiste de gauche né de l’effondrement des vieux partis ouvriers, socialiste et communiste, elle n’a ni base sociale ni appareil solide et n’échappera pas au sort de Syriza ou de Podemos, la voie grecque ou espagnole qui conduit à se plier à l’ordre établi.

L’intersyndicale, -en premier lieu la CGT, la CFDT qui se revendique d’un « mouvement social historique », SUD, la FSU-, a constitué la direction politique de la mobilisation contribuant en réponse à l’intransigeance de Macron à rassembler, unir le monde du travail. Cela lui vaut une large popularité, un renforcement organisationnel et politique qui, selon ses propres dirigeants, replace le syndicalisme au centre du jeu… politique. C’est bien là tout le paradoxe.

La stratégie perdante de l’intersyndicale a été définie par l’objectif d’intégrer la mobilisation dans le cadre du dialogue social qui est la condition même de l’existence des différents appareils qui la composent, c’est à dire leur capacité à contenir le mécontentement populaire dans le cadre institutionnel tout comme la gauche a pour fonction de le contenir dans le cadre des institutions parlementaires.

Elle prétend au lendemain du mouvement être en mesure d’utiliser le nouveau rapport de force pour défendre les droits des salariés, des chômeurs dans le respect du dialogue social, c’est un leurre qui prépare de lourdes déceptions.

Contre les ravages du capitalisme et la guerre,

En effet, une des caractéristiques essentielles de la période actuelle est que la dynamique régressive du capitalisme financiarisé mondialisé ne laisse que très peu ou pas du tout de marge de manœuvre au patronat dont la politique sous la pression de la concurrence exacerbée et de la baisse des gains de productivité vise à maintenir les profits par une aggravation de l’exploitation de l’homme et de la nature.

La leçon centrale du mouvement est que les exigences élémentaires du monde du travail sont devenues des questions politiques qui posent la question du rapport de force entre les classes qui ne peut être inversé si l’on craint de contester le pouvoir de la bourgeoisie, son État, c’est à dire de poser la question du pouvoir, non simplement la question du gouvernement mais celle de qui dirige au service de quels intérêts, de quelle classe.

La crise de la démocratie, c’est la crise de la machine parlementaire bourgeoise destinée à nous duper. Elle pose la question de la conquête de la démocratie par et pour les travailleurs pour contrôler et prendre en main la marche de la société. Cette question est au cœur des luttes, de notre démarche aussi.

Une autre conséquence majeure de la dynamique régressive du capitalisme financiarisé des multinationales et de l’exacerbation de la concurrence économique est la guerre, la militarisation croissante. La guerre en Ukraine atteint un seuil critique où l’affaiblissement de la Russie voulu par les USA et leurs alliés dans l’Otan pourrait déboucher sur la décomposition de l’État au profit des pires forces réactionnaires, conséquence de la politique engagée par les vieilles puissances impérialistes sous la houlette des USA depuis la liquidation de l’URSS par la bureaucratie dont la guerre en Yougoslavie, son démantèlement ont été la première étape. Cependant, cette décomposition de l’État russe pourrait encourager la rébellion des travailleurs, des femmes, de la jeunesse, la résurgence des traditions internationalistes du prolétariat russe qui en octobre 1917 avait mis fin à la guerre.

L’attitude vis-à-vis de la guerre définit une ligne de rupture avec la gauche intégrée à la défense du système qui la justifie mais aussi avec des courants pacifistes qui confondent la paix avec la victoire des USA et de l’Otan dans la guerre par procuration que ces derniers mènent contre la Russie sous couvert de défense de l’Ukraine dont ils ont fait leur place forte, qu’ils financent, arment et dirigent. Il ne peut y avoir de compromis avec la propagande officielle des grandes puissances occidentales qui font de Poutine le seul responsable de la guerre pour masquer leur propre responsabilité de pays belligérants et qui censure toute contestation de ce mensonge officiel. Il n’y a pas de compromis possible avec les courants, y compris au sein de la gauche dite radicale voire révolutionnaire, qui ferment hypocritement les yeux sur le rôle des USA dans les origines de la guerre, leur politique d’expansion militariste vis à vis des pays de l’ancien glacis soviétique depuis l’effondrement de l’URSS pour reprendre à leur compte le mensonge de la défense des droits démocratiques de l’Ukraine.

La lutte pour la paix, c’est la lutte des travailleurs pour en finir avec la domination des États et des classes dominantes capitalistes contre Poutine, Biden, Macron et Zelensky qui s’est fait leur chef de guerre, la lutte pour la fraternisation des travailleurs, le socialisme.

La convergence des mouvements et des révoltes

Autre question mise au centre du débat politique par la mondialisation capitaliste, la lutte des migrants. Cette lutte, la défense de leurs droits, du droit de libre circulation et d’installation, de la régularisation de tous les sans-papiers a un contenu subversif, émancipateur du fait qu’elle remet en cause ce soutien indispensable à la propriété privée capitaliste que sont les frontières et l’État national.

Les migrants ne sont pas les simples victimes de la démagogie réactionnaire et xénophobe mais bien une partie du prolétariat international qui se bat pour ses conditions d’existence, lutte qui sape les piliers de l’ordre établi tant institutionnel qu’idéologique, la nation et le nationalisme. Leurs exigences, leur combat sont ceux de tous les travailleurs.

A un autre niveau, le caractère politique pris par les marches des fiertés, la lutte contre les violences et contre l’ordre moral et policier, la contestation du patriarcat et de la famille traditionnelle bourgeoise en décomposition, parallèlement à l’évolution des luttes des femmes et avec elles, font de ces mobilisations un facteur révolutionnaire. De la lutte pour l’égalité à la lutte contre les discriminations et les oppressions, elles deviennent par elles-mêmes une lutte pour l’émancipation des exploité·e·s.

La crise écologique, le réchauffement climatique donnent à la faillite du capitalisme une dimension mondiale et font de la transformation du mode de production, -en finir avec la propriété financiarisée pour construire un mode de production socialiste, communiste-, une impérieuse nécessité. L’ensemble des composantes de la déroute capitaliste comme les progrès technologiques et le développement du prolétariat conduisent à la même conclusion inscrite dans l’évolution de la société et les luttes des classes décrites par la théorie marxiste.

Le mouvement révolutionnaire a pour tâche d’œuvrer à la convergence des différents mouvements de contestation du système, composantes d’une même lutte de classe contre l’exploitation capitaliste dans la perspective de la transformation démocratique et révolutionnaire du monde. Il est partie prenante de l’ensemble de ces luttes non pour leur faire la leçon ou prétendre les diriger mais pour participer à leur prise de conscience que la réalisation de leurs aspirations passe par la liquidation de la société d’exploitation.

Au regard du besoin d’unir le monde du travail, les exploité·e·s et les opprimé·e·s autour d’une politique de classe de contestation révolutionnaire du système, les divisions entre révolutionnaires et leurs justifications idéologiques sont autant de freins. De ce point de vue, les scissions-exclusions du NPA qui ont abouti en un an à la formation de trois organisations rivales est un symptôme de l’incapacité du mouvement à être la force unificatrice et démocratique dont les luttes d’émancipation ont besoin. Dépasser les divisions, surmonter ces échecs nous fixent la tâche d’une refondation démocratique et révolutionnaire du NPA instrument d’une politique visant à unifier notre mouvement.

Pour la coopération des révolutionnaires, dépasser les divisions vers un parti des travailleurs

La construction d’un parti du monde du travail se pose en termes nouveaux qui nous imposent des choix politiques pour mettre un terme à cette situation qui maintient le mouvement révolutionnaire en marge des mobilisations, prisonnier des rivalités de ses tendances tout entières attachées à leurs tâches d’autoconstruction.

La nouvelle phase de développement du capitalisme sénile et le renouveau des luttes de classe qui l’accompagne, ici les derniers mois de mobilisations contre la réforme des retraites, à la fois nous l’imposent comme ils nous en offrent la possibilité si nous sommes en mesure d’apprendre collectivement du mouvement lui-même.

Pendant de trop longues années, nous avons été des révolutionnaires sans révolution. L’adaptation au recul a poussé à la recherche d’expédients soit au nom d’un espèce de réalisme -la révolution n’est pas à l’ordre du jour, demain peut-être-, soit à un renoncement plus ou moins ouvert conduisant au suivisme vis à vis de la gauche ou à des proclamations gauchistes sectaires.

La nouvelle époque à laquelle le mouvement ouvrier est confronté, les bouleversements qu’elle opère, le renouveau des luttes sous diverses formes sont à la fois l’occasion et la nécessité pour le mouvement révolutionnaire d’opérer sa mue, sa révolution culturelle. Ce n’est pas une simple question de bonne volonté unitaire mais bien l’enjeu de la discussion stratégique et programmatique, répondre aux besoins de la période pour sortir de la répétition des formules héritées d’il y a un siècle pour repenser ce que signifient véritablement le socialisme, le communisme et la révolution dans le monde d’aujourd’hui, c’est-à-dire reconstruire.

Nous sommes confrontés à un choix politique, perpétuer les divisions justifiées par des choix tactiques que personne n’a les moyens de vérifier pratiquement ou nous donner les moyens d’œuvrer à une refondation démocratique du mouvement révolutionnaire en commençant par débattre de ce qui nous rassemble en lien avec le mouvement réel, avec ses actrices et acteurs, nous coordonner pour élaborer une compréhension et une politique communes.

Le parti des travailleurs, des luttes, parti pour la transformation révolutionnaire de la société ne se formera ni par une accumulation primitive de forces autour d’une des fractions existantes ni par un front de fractions ou la fusion entre différentes fractions. Aussi légitimes et utiles que soient l’une et l’autre de ces tentatives qui s’inscrivent dans le travail de l’ensemble du mouvement, ce travail ne pourra déboucher en l’état actuel des choses que s’il s’inscrit consciemment dans un processus combinant la coordination et la coopération des courants révolutionnaires soucieux de ne pas se limiter à leur autoconstruction, respectant la pleine autonomie et capacité d’initiative de chaque fraction tout en s’ouvrant à celles et ceux qui cherchent des réponses politiques tant à l’échec du mouvement sur les retraites qu’à la faillite du capitalisme sénile. Ce cadre de coopération et de coordination devrait aussi être un cadre d’élaboration politique et programmatique pour définir les bases stratégiques du parti dont le mouvement ouvrier a besoin.

Il ne s’agit pas de discuter « du parti que nous voulons », formule qui renvoie en général à une autre formule, « un parti de type bolchevique », formule qui exprime une schématisation du marxisme -qui ne définit pas de modèle pas plus de parti que de société mais part des possibilités tant objectives que subjectives- et souvent un rapport sectaire aux masses auxquelles le parti devrait apporter la bonne politique. Le parti auquel nous participons n’est pas extérieur au processus d’auto-organisation mais en est une composante la plus consciente. Leur parti comme leur émancipation sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes.

Le 28 juin 2023

 

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