Le sommet du G7 réunissant les chefs d’État des pays membres (Etats-Unis, Japon, Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie, Canada) s’est tenu la semaine dernière au Japon, à Hiroshima, dans cette ville détruite, rasée le 6 août 1945 par la première bombe nucléaire de l’histoire avant que ne le soit Nagasaki, le 9 août. Le choix de cette ville martyre a une portée symbolique à l’opposé de celle que voudrait fabriquer la propagande d’État des grandes puissances occidentales qui dominent la planète. Les maîtres du monde, avant l’ouverture du sommet, ont déposé des couronnes en mémoire des victimes de la bombe atomique dans le parc du mémorial de la paix à Hiroshima. Une commémoration mensongère tant du point de vue du passé que de l’avenir.

Biden n’a pas présenté les excuses des USA pour ce crime contre l’humanité. Son attitude, après celle d’Obama, premier dirigeant américain à se rendre à Hiroshima après la fin de la Seconde Guerre mondiale, est à la fois une justification du passé et un avertissement pour l’avenir. Les USA ne reculeront devant rien pour défendre leurs intérêts.

Pour justifier l’usage criminel de la bombe en 1945, ils ont prétendu qu’il était nécessaire pour accélérer la fin de la guerre et éviter de payer le prix d’une invasion du Japon. En réalité, en août 1945, le Japon était à genoux après la défaite d’Hitler, impuissant face aux raids aériens américains. Le Japon était au bord de la capitulation.

L’usage de la bombe atomique était un avertissement au monde entier, en premier lieu à l’URSS, aux pays d’Asie afin d’assurer la domination des USA sur le monde qui allait sortir du chaos de la guerre. La cérémonie au mémorial de la paix ne contredit en rien ce qui a été et demeure l’axe de la politique extérieure américaine, la guerre, le Pentagone au secours de Wall Street et du dollar, politique dont ce sommet était une nouvelle illustration.

Il était consacré à la guerre en Ukraine et à la mise en scène de l’escalade militaire et belliciste des USA et de l’Otan. Zelensky fut l’acteur principal de cette mise en scène qui voit les grandes puissances occidentales répondre à ses demandes alors qu’il fait le job pour leur compte, ses propres intérêts dépendant des leurs et de leurs décisions. C’est ainsi qu’il a été promu maître d’œuvre de ce sommet qui prenait acte du choix des USA de franchir une nouvelle étape dans l’escalade militaire, une fuite en avant lourde de menaces dont personne ne maîtrise les conséquences.

N’oublions pas que cette guerre a commencé en 2014, produit et conséquence tout autant de la folie grand russe de Poutine que de l’offensive des USA, de l’Union européenne et de l’Otan en direction de l’ancien glacis de l’URSS pour intégrer celui-ci à leurs marchés et à leur zone d’influence après l’effondrement de cette dernière et soumettre la Russie à leur stratégie.

Cette politique a eu des enchaînements pour le moins non-maîtrisés en particulier du fait des conséquences de la grande récession de 2008-2009, de l’exacerbation des tensions internationales. Elle s’est inscrite, après la guerre en Syrie, dans une confrontation mondiale qui remet en cause l’hégémonie américaine.

Aujourd’hui, la décision de Biden d’autoriser les pays de l’Otan à envoyer des chasseurs F-16 en Ukraine représente une nouvelle étape dans cette escalade alors que le G7 s’est mis d’accord sur de nouvelles sanctions contre la Russie. En même temps, la ligne stratégique de ce sommet cible ouvertement la Chine, traitée par Washington comme l’adversaire principal, « l’ennemi du monde libre ».

En Sardaigne vient de se dérouler un grand exercice de la force de « réaction rapide » de l’OTAN avec la participation de plus de deux mille soldats d’Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Norvège et Lettonie sous commandement américain. Par ailleurs, lundi dernier, les États-Unis ont signé avec la Papouasie-Nouvelle-Guinée un pacte de sécurité qui donnera aux forces américaines un accès aux ports et aéroports de ce pays du Pacifique, où Washington cherche à contrer l'influence de la Chine.

Les travaux pratiques accompagnent la mise en scène propagandiste. Dénoncer ce consensus militariste et belliciste autour de la propagande officielle des grandes puissances occidentales et ses mensonges d’État sur le droit des peuples et la démocratie est indissociable de la dénonciation de l’agression grand-russe de Poutine contre l’Ukraine. L’ennemi est dans notre propre pays.

Zelensky au service du déploiement international des USA

« Je salue la décision historique des Etats-Unis et du président américain de soutenir la coalition internationale favorable à la livraison d’avions de combat. Cela va considérablement aider notre armée de l’air », a déclaré Zelensky tout à son œuvre diplomatico-militaire alors que l’Ukraine prépare sa contre-offensive. Pour plaider sa cause il a défendu celle de ses interlocuteurs pour les convaincre de faire ce qu’ils avaient déjà décidé en coulisses. Il s’adressait en fait à l’opinion publique pour convaincre de la légitimité d’une guerre qui instrumentalise la révolte du peuple ukrainien contre l’odieuse agression russe pour en faire leurs fantassins. Il y a ardemment travaillé en rencontrant les chefs d’État du G7, ainsi que le premier ministre indien, Modi, qui lui a promis que l’Inde ferait « tout son possible » pour régler le conflit russo-ukrainien. Avant le sommet, il avait été à Djeddah, en Arabie saoudite, pour participer au sommet de la Ligue arabe où il a obtenu du prince héritier Mohammed Ben Salmane « son soutien à l'intégrité territoriale et à la souveraineté de l'Ukraine ».

Le G7 lui a offert une tribune pour plaider pour un élargissement de la coalition qui s’organise autour des USA et de l’Otan. Scholz, le premier ministre allemand s’en est félicité reprenant à son compte les positions de Zelensky pour souligner qu’il n’était pas question d’un « gel » de la situation actuelle sur le terrain, « la Russie doit retirer ses troupes ». « La Russie ne devrait pas parier que, si elle tient suffisamment longtemps, cela finira par affaiblir le soutien à l’Ukraine », en clair, l’Otan envisage la guerre sur la durée.

Macron et le jeu des rivalités au sein de l’Otan

Macron s’affiche comme l’artisan de cette politique qui vise à élargir la coalition de soutien à l’Ukraine à des pays s’y étant jusqu’ici refusé. « C’est tout l’honneur de la France », d’avoir assuré la présence de Zelensky, « une manière de bâtir la paix », affirme Macron prétendant « éviter la partition du monde ».

Il joue les intermédiaires tout dévoués en affichant une relative indépendance des USA. Chaque membre du G7 cherche à faire valoir ses droits dans la course effrénée des États-Unis à préserver leur hégémonie mondiale et développe rapidement ses propres appareils militaires. L’Allemagne et le Japon se sont débarrassés des limitations légales et constitutionnelles mises en place après leur défaite lors de la Seconde Guerre mondiale et ont doublé leurs budgets militaires au cours de l’année écoulée. La Grande-Bretagne, qui a joué un rôle central dans la formation et l’armement des forces armées ukrainiennes, fait de même ainsi que la France.

On entend souvent dire que l’agression de l’Ukraine par Poutine est non seulement criminelle et odieuse mais aussi stupide au sens où elle aurait offert l’occasion et le prétexte aux USA de réintégrer l’Europe dans leur giron dans le même temps qu’elle redonnait vie à l’Otan. Cette version des choses rentre dans le cadre d’une storytelling qui vise à légitimer le rôle des USA mais qui n’a pas grand-chose à voir avec la réalité. Les USA n’ont pas eu besoin de Poutine pour créer les conditions pour renforcer les liens avec l’Europe, c’est leur politique et en particulier vis-à-vis de l’Ukraine dont les choix se sont organisés d’abord sur la question de l’adhésion à l’UE. De la même façon que cette guerre n’a pas été imposée par Poutine aux USA mais constitue un moment de violente confrontation entre leur stratégie et celle de Poutine, confrontation qui participe de la stratégie des USA qui n’ont rien fait pour l’éviter. Faut-il rappeler que ces derniers ont une longue pratique des mises en scènes et manipulations pour avancer leurs pions. La guerre d’Irak, il y a vingt ans, en a été une démonstration.

La guerre en Ukraine permet aux USA de développer leur stratégie à la fois contre la Russie et la Chine en faisant pression sur les autres pays dits des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) ainsi que sur les pays comme l’Argentine, l’Algérie, l’Indonésie, la Turquie, l’Arabie saoudite qualifiés de non-alignés.

Ils voudraient aussi jouer des contradictions entre la Russie et la Chine que le G7 a appelé à « faire pression sur la Russie pour qu’elle cesse son agression » contre l’Ukraine, tout en affirmant vouloir des relations « constructives et stables » avec Pékin. « Nous encourageons la Chine à soutenir une paix globale, juste et durable sur la base de l’intégrité territoriale », « y compris à travers son dialogue direct avec l’Ukraine », étrange double jeu auquel se plient les USA convaincus qu’au final seules comptent les pressions économiques et militaires.

Tout en déclarant « Nous sommes prêts à bâtir des relations constructives et stables avec la Chine », le G7 réaffirme son « opposition » à toute « militarisation » chinoise en Asie-Pacifique et souligne « l'importance de la paix et de la stabilité de part et d'autre du détroit de Taïwan » en se disant « gravement préoccupé » par la situation en mer de Chine méridionale, accusant la Chine de « coercition ».

En gros, tout en ciblant la Chine, les grandes puissances occidentales tentent de se la concilier pour des intérêts tant économiques que stratégiques.

Xi Jinping a répondu en disant au premier ministre russe, Mikhaïl Michoustine, en visite à Pékin qu’il allait poursuivre « le ferme soutien mutuel avec la Russie sur les questions relevant des intérêts fondamentaux de chacun ».

Ces jeux diplomatico-militaires croisés reflètent la fragmentation des rapports internationaux soumis aux tensions contradictoires de l’interdépendance et de la concurrence exacerbée alors que les USA qui ne sont plus en mesure de réguler les échanges internationaux, de garantir leur stabilité deviennent, au contraire, le principal facteur de cette instabilité par leur politique visant à défendre leur hégémonie. Ils conduisent à une aggravation des tensions économiques, sociales et politiques avec en conséquence le risque de multiplication de conflits militaires.

Une nouvelle étape vers la guerre mondialisée multipolaire ?

« Les exigences ukrainiennes doivent être la base pour discuter d’une éventuelle sortie du conflit, quand Kiev jugera le moment venu », affirme le G7 sans autre initiative visant à ouvrir des négociations ou à poser les bases d’éventuelles négociations. Pas plus qu’avant que Poutine ne décide d’agresser l’Ukraine les USA, l’UE ou l’Otan n’ont discuté des demandes de la Russie concernant la sécurité en Europe, ils ne tentent aujourd’hui de définir les conditions de la fin de la guerre. Que leur importent les sacrifices imposés à la population en Ukraine, aussi en Russie et les répercussions de la guerre sur le monde, leur politique et celle de l’armée ukrainienne qu’ils contrôlent, arment, financent et dirigent exigent le retrait des troupes russes comme préalable à toute négociation. Leur stratégie s’inscrit dans la durée, toute issue négociée étant conditionnée à l’effondrement de Poutine.

Il serait illusoire de croire qu’une telle issue signifierait la souveraineté de l’Ukraine qui serait vassalisée à ses protecteurs, sorte de base militaire des puissances occidentales ou de l’UE voire de l’Allemagne et la Russie ne deviendrait en rien un État démocratique mais bien une nouvelle forme de dictature elle aussi vassalisée aux puissances occidentales et soumise aux exigences et conflits avec et entre les différentes nationalités qui la composent.

C’est d’ailleurs un des problèmes des USA qu’après l’effondrement du régime de Poutine, l’ensemble de la Russie ne soit menacée de balkanisation, livrée à des clans tout aussi réactionnaires contre un monde du travail désarmé, atomisé par des décennies de dictature et de propagande nationaliste, ouvrant de nouvelles zones de conflit, voire de guerre. La nature des groupes armés russes soutenus par l’armée ukrainienne qui ont mené une attaque sur Belgorod en Russie, est, de ce point de vue, significative. Le Corps des volontaires russes et la légion Liberté de la Russie sont des formations ultra-nationalistes et racistes d’extrême-droite voire néofascistes. Elles sont indicatives des forces russes qui seraient disponibles à négocier leurs services après l’effondrement de Poutine ouvrant la porte à un probable éclatement de la Russie.

La logique militariste de la guerre sans fin de Bush, « la guerre contre le terrorisme » mise en route après les attentats du 11 septembre 2001 poursuit ses ravages, les amplifie, de l’Irak à l’Ukraine et la Russie aujourd’hui.

Incapable de faire vivre un ordre mondial stable, les USA entraînés par la défense de leurs propres intérêts, de leur domination, entraînent la planète dans une instabilité croissante, une guerre sans fin, un processus qui sape toujours plus les bases de leur propre domination et que seule l’intervention des travailleurs, des classes exploitées pourra empêcher de déboucher sur le pire, une guerre nucléaire.

En réalité, la suite sinon l’issue de la guerre en Ukraine ne dépend pas seulement de l’effondrement du régime de Poutine, peut-être en cours, ou de l’évolution de ce qu’il est convenu d’appeler « la nouvelle guerre froide » entre les USA, le monde capitaliste occidental et la Chine mais surtout de l’évolution globale du capitalisme mondialisé.

La propagande de la Maison Blanche construit un monde bipolaire soumis à la concurrence entre les USA et la Chine mais la réalité est bien plus complexe que ce stéréotype qui mettrait en scène une possible nouvelle troisième guerre mondiale entre les USA et la Chine dans le cadre de ce que furent les deux premières guerres mondiales. L’état du monde ne répond pas à cette polarisation manichéenne.

Le fait que les Etats-Unis ne possèdent plus le rayonnement et la supériorité économique, sinon militaire qui étaient les leurs pendant la période de la guerre froide est la conséquence de l’émergence de nouvelles puissances économiques, les BRICS, mais aussi d’autres puissances régionales. Quant à l’Europe, elle avance dans la foulée des USA pour défendre ses propres intérêts en réponse à la politique américaine, chacun des membres de l’UE jouant son propre jeu. Tout particulièrement l’Allemagne engagée dans son réarmement voit dans l’effondrement de Poutine de nouvelles opportunités à l’Est et en Russie. Par ailleurs, aujourd’hui rassemblées contre Poutine, les puissances capitalistes occidentales le sont bien moins dans la concurrence et la rivalité avec la Chine et l'Inde de Modi entend jouer sa propre partition. Au sein des nouvelles puissances capitalistes la concurrence est aussi sévère face à Wall Street et à la domination du dollar.

Nous sommes loin d’un monde bipolaire. Si, dans le passé, le marché mondial avait jusqu’à la financiarisation mondialisée trouvé une puissance capable de plus ou moins réguler le désordre de la concurrence, l’Angleterre à l’époque du capitalisme de libre-échange, les USA à l’époque impérialiste, aujourd’hui, aucune puissance n’est en mesure de le faire tant la société s’est développée, la production et les échanges devenus interdépendants et mondialisés avec l’intégration de l’ensemble de la planète au capitalisme.

Ce dernier n’en a pas pour autant résolu ses contradictions, au contraire, elles se sont exacerbées à un niveau supérieur. La concurrence a toujours pour corollaire le militarisme et la guerre comme politique économique.

Les USA et l’Otan avancent leurs pions militaro-politiques pour renforcer leur camp, élargir leur zone d’influence, neutraliser des ennemis potentiels pour maintenir la domination du dollar et du Pentagone. Une politique qui conduit la planète au chaos mondialisé, la guerre sans fin de Bush qui ne pourra connaître d’autre réponse que celle de la nouvelle classe montante, la classe des producteurs, des prolétaires, classe internationale dont les intérêts se confondent avec la nécessaire coopération, la solidarité internationales, bases incontournables pour une paix démocratique respectant le droit des peuples et pour l’urgente réorganisation de la production et des échanges.

Yvan Lemaitre

 

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