Macron, de retour de Londres où il a affiché son admiration pour Charles III, a commémoré le 8 mai 45, la fin de Seconde Guerre mondiale, dans le vide, sur des Champs Élysées déserts protégés par sa police des concerts de casseroles. Une grande solitude qu’il cherche à meubler à travers un tour de France chaotique forme de remake du grand débat pour rien suite au mouvement des gilets jaunes...

Et en même temps, la police fait son sale boulot… Les cents jours d’apaisement de Macron ce sont les interdictions de manifs, des arrestations, des interpellations pour outrage au président de la République ou pour « outrage à une personne dépositaire de l’autorité publique. » Cette outrance policière ridicule participe d’une offensive contre toutes celles et ceux qui ne veulent pas tourner la page, criminalisant la simple expression ironique de la colère, la caricature du pouvoir et flatte l’indignation stupide des bien-pensants. La censure et la répression visent à restaurer l’autorité d’un pouvoir rejeté et détesté, le sens même de l’apaisement vu par Macron, aussi, à plus long terme, intimider, faire taire pour façonner l’opinion au respect de l’ordre. C’est l’objectif de la loi « anticasseurs bis » en discussion, rassurer les tenants de l’ordre dans l’espoir d’affermir le pouvoir chancelant de Macron.

A partir du moment où le mouvement ne baisse pas les bras, ne se laisse pas intimider et manifeste sa colère et son impertinence, ces mesures se retournent contre lui et accentuent la crise politique tout comme le zèle de Darmanin à l’affût des opportunités de se valoriser ministre de l’intérieur et de l’ordre. Il se voit comme l’homme de la situation et fait feu de tout bois pour afficher sa fermeté face à une extrême droite qu’il juge bavarde et inefficace.

A Mayotte, Darmanin fait la démonstration qu’il n’est pas de ceux qui connaissent le doute quand il s’agit de renouer avec les pratiques odieuses des opérations policières coloniales. Pour réussir à faire passer le plus tôt possible sa loi immigration, il se propulse, affronte Macron qui voulait la faire passer à la découpe, puis Borne qui avait repoussé la discussion à l’Assemblée à l’automne pour au final, de revirements en revirements, la faire passer en juillet. Au passage, il provoque un incident diplomatique avec l’Italie avant de désavouer et son préfet de police de Paris et Borne qui se refusaient à interdire les manifs des fascistes cagoulés, dont quelques amis de Le Pen, pour être lui-même désavoué par les tribunaux... Peu lui importent les décisions des juges, défenseur de l’ordre, il fait une politique d’extrême droite tout en combattant Le Pen au nom de ses ambitions personnelles. Les tensions et la crise politique se répercutent au sommet de l’État contribuant à affaiblir Macron.

A Matignon en attendant l’Assemblée nationale, l’intersyndicale brade notre lutte

C’est à ce moment-là que les 5 syndicats dits représentatifs font le choix d’accepter l’invitation à des rencontres bilatérales lancée par Borne pour les 16 et 17 mai tout en plaçant ses leurs derniers espoirs dans le vote à l’Assemblée d’un projet de loi d’abrogation de la réforme des retraites, le 8 juin. Son adoption dépend du RN et de députés LR et en réalité ne réglerait rien. Cela relancerait le processus parlementaire, la loi devrait passer par le Sénat… Rien à attendre de ce jeu parlementaire pas plus que des rencontres dans les salons de Matignon. Et cependant, la secrétaire générale de la CGT Sophie Binet, a appelé « solennellement l’ensemble des députés le 8 juin prochain à prendre leurs responsabilités et voter cette proposition de loi ». Elle a rencontré de façon démonstrative, ainsi que Laurent Berger, le président du groupe qui la présente. La journée du 6 juin appelée par l’intersyndicale n’a pas d’autre objectif que le soutien à ce projet de loi.

« Il ne faut pas laisser à penser qu’on passerait à autre chose, écrit dans un communiqué l’intersyndicale. Pouvoir exprimer notre opposition à la réforme des retraites est donc un préalable à un retour à la table des négociations. Ceci dit, nous pensons que nous pouvons profiter du rapport de force que nous avons établi pendant le mouvement social pour intervenir sur d’autres sujets, comme les salaires ou la réforme du lycée professionnel.

Nous souhaitons donc participer à ces discussions, avec l’objectif que nos exigences se transforment en un agenda social à notre main. Le moment est venu de montrer notre utilité en allant discuter pied à pied de tous les éléments de la politique sociale. Même si le gouvernement a fait un coup de force qui ne passe toujours pas, il demeure notre interlocuteur pour les années à venir. Notre rôle est d’aller porter auprès de lui les revendications des salariés, y compris de manière très combative ». De toute évidence une façon de tourner la page en bluffant sur le rapport de force que la politique de l’intersyndicale contribue à dégrader.

Le principal acquis du mouvement, malgré la promulgation de la loi qui constitue sinon un échec au moins un point marqué par Macron, est d’avoir commencé à changer le rapport de force en gagnant l’opinion, en isolant le pouvoir, en montrant la force du monde du travail, en renforçant son organisation. Cet acquis s’est construit contre l’État, le gouvernement et le patronat par la lutte et non par le dialogue social. Et l’intersyndicale se précipite pour le brader en acceptant d’aller à Matignon tout en semant des illusions sur un vote parlementaire qui ne changera rien même s’il est majoritaire. Tout au plus un camouflet à Macron mais qui ne sera pas un point d’appui pour relancer le mouvement si une perspective claire n’est pas tracée, si le mouvement reste prisonnier des illusions du dialogue social et de la pseudo démocratie parlementaire, si le mouvement ne se donne pas une direction politique indépendante des appareils intégrés au dialogue social ou à la gauche parlementaire pour construire l’affrontement de classe afin de faire céder le pouvoir.

Construire le rapport de force, combattre les illusions institutionnelles, prendre en main la lutte y compris sur le terrain politique

Alors que les manifestations, les mobilisations contre la répression, le rejet par une majorité de la population de cette loi scélérate et de Macron, qui gouverne contre le peuple, persistent et continuent de s’exprimer, l’intersyndicale contribue à étouffer et démobiliser la lutte politique qui s’est engagée entre les travailleurs, le gouvernement et l’État.

Elle enferme les travailleurs dans une posture impuissante dépendante d’un vote parlementaire pour le moins incertain d’une opposition hétéroclite tout en acceptant de négocier avec Borne alors que la principale leçon de ces derniers mois est bien que, pour imposer le retrait de la réforme, nous devons mener une lutte politique contre le gouvernement et l’État.

Ce n’est pas à Matignon qu’il faut discuter des exigences du monde du travail, mais dans les usines, sur les lieux de travail, dans nos organisations, dans les collectifs et interpros nés de la mobilisation pour établir un programme d’action, un programme de lutte portant les exigences du mouvement sur les retraites, les salaires et l’inflation, contre le chômage et la précarité, sur l’immigration, la police et l’État, sur la fraude généralisée que sont la politique du patronat, la guerre et l’économie de guerre.

Notre objectif n’est pas de discuter sagement dans le cadre doré des institutions de ce que le patronat veut bien nous concéder ou plutôt ne pas nous prendre, des mauvais coups qu’il prépare dont la loi travail déjà en discussion, mais de nos exigences, de nos droits sociaux et démocratiques, d’une politique de progrès et d’émancipation.

Nous nous battons pour nos retraites mais aussi contre le fait que la réduction des dépenses sociales réalisée par cette réforme servira à financer l’augmentation du budget de l’armée d’environ 90 milliards d’euros avant 2030. La lutte pour les retraites est partie intégrante d’une lutte d’ensemble contre la logique de rentabilité financière, de concurrence, de guerre qui régit leur système.

Nous ne pouvons pas déléguer la direction de notre lutte à l’intersyndicale qui la brade pour négocier les intérêts des appareils qui la constituent. Sa stratégie n’est pas une erreur, une incompréhension, elle obéit aux intérêts des appareils dans le cadre de l’ordre institutionnel qui garantit le pouvoir de la classe capitaliste. Cela implique pour nous de mener la discussion au sein de nos organisations syndicales, de nous atteler à construire nos propres comités d’action, nos collectifs, à nous coordonner dans des interpros démocratiques et indépendantes de la politique des directions syndicales. C’est la seule façon de préparer le 6 juin et les suites pour faire vivre les acquis de notre mouvement et non les brader.

Yvan Lemaitre

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