Vendredi 28 avril, l’agence de notation Fitch a baissé la note de la dette de la France de AA à AA-. Bien que AA- caractérise encore une dette de « haute qualité », cette dégradation est un avertissement des marchés financiers au gouvernement et à Macron. Alors que l’endettement du pays dépasse 3000 milliards d’euros, l’agence craint que « les pressions sociales et politiques illustrées par les manifestations contre la réforme des retraites [ne viennent] compliquer l’assainissement budgétaire »… comprendre le pillage des richesses sociales par l’Etat au profit des plus riches. Jugeant le gouvernement pris dans une « impasse politique », elle estime que « le blocage politique et les mouvements sociaux (parfois violents) posent un risque à l’agenda des réformes d’Emmanuel Macron et pourraient créer des pressions en faveur d’une politique budgétaire plus expansionniste ou un retour en arrière des réformes précédentes »…

Le doigt sur la couture du pantalon, Le Maire a immédiatement réaffirmé « sa volonté de faire passer ses réformes structurantes » tandis que Borne ouvre avec les « partenaires sociaux » les discussions sur le « pacte de la vie au travail » de Macron, nouveau coup dur en préparation contre le monde du travail.

Tout ce petit monde voudrait bien tourner la page des trois mois d’affrontements autour de la réforme des retraites. Mais la révolte contre ce coup de force comme contre les mauvais coups à venir n’est pas près de s’éteindre. Borne aurait « avoué récemment », selon France Info, que concernant la dette publique un « scénario à la grecque est possible », ajoutant : « Si on dit qu’on se fiche des réformes, ça peut nous arriver ». Pour tenter de justifier sa politique de régression sociale, tenter de nous convaincre d’accepter ses réformes, elle nous menace, sinon, d’une possible crise semblable à celle qui a dévasté la Grèce il y a une dizaine d’années. Un argument bien incapable de désamorcer la colère sociale que les offensives du pouvoir entretiennent et exacerbent ! Comme l’écrit France Info, la décision de l’agence Fitch « met en lumière la réalité : la Macronie ne dispose plus d’une grande marge de manœuvre, même les marchés le savent »…

Le gouvernement pris dans le cercle vicieux de sa politique au service des plus riches

L’abaissement de la note de la dette ne peut que se traduire par une augmentation des taux auquel le gouvernement emprunte de l’argent pour boucler son budget, assurer le remboursement des emprunts précédents et son propre fonctionnement, financer les cadeaux au grand patronat, la politique d’armement dans laquelle il vient de se lancer…

Conséquence de la politique du « quoi qu’il en coûte » mise en œuvre pendant la pandémie de covid pour voler au secours des grandes entreprises, la dette s’est envolée. A cela s’ajoute le coût des divers « boucliers tarifaires » que le gouvernement a mis en place pour tenter d’atténuer les effets de l’inflation, éviter une recrudescence de la colère sociale tout en se gardant bien de s’attaquer à ses causes, le racket organisé par les grandes multinationales, TotalEnergies et cie. C’est ainsi qu’alors qu’elle s’élevait à 2 380 milliards d’euros fin 2019, 98,1 % du PIB, la dette publique dépasse aujourd’hui 3 000 milliards, à 116 % du PIB. Quant au déficit budgétaire, il ne cesse de se creuser, exigeant des emprunts toujours plus fréquents.

La charge de la dette, le total des intérêts à payer chaque année, s’accroît d’autant, pesant sur les finances publiques et poussant le gouvernement à toujours plus de « réformes structurantes », d’offensives anti-sociales. Ces dernières s’ajoutent à l’inflation pour créer une régression sociale d’autant plus insupportable que, parallèlement, une poignée de parasites affiche des richesses inconcevables et que le CAC40 caracole dans les sommets. C’est là que se trouve le terreau de la contestation sociale qui empêche Macron et Cie de mener comme ils l’entendent leur politique de prétendu assainissement budgétaire… Les marchés s’en inquiètent, et réagissent en augmentant leurs taux…

Ce cercle vicieux n’est pas propre à la France, pas plus qu’à son gouvernement. Une « crise de la dette » mondialisée se développe sous des formes et avec des conséquences diverses. Ce qui n’est ici pour le moment qu’une menace se traduit ailleurs par de véritables catastrophes économiques, sociales et humaines.

Un monde qui « dort sur une montagne de dettes »…

« Le monde dort sur une montagne de dettes, le réveil pourrait être difficile » écrivait récemment un site d’information. De fait, le niveau de l’endettement mondial n’a jamais été aussi élevé. Selon le FMI, il atteindrait 300 000 milliards de dollars, environ 250 % du PIB mondial, et devrait connaître, du fait de la récession latente qui frappe l’économie mondiale, une nouvelle vague de croissance.

Quant au « réveil difficile », il s’est déjà produit dans de nombreux pays dits « en développement », les pays les plus pauvres, les plus frappés par l’inflation et pour lesquels les taux exigés pour leurs emprunts sont d’autant plus élevés que le sont les risques d’insolvabilité. Nombre d’entre eux, une cinquantaine selon certaines sources, sont de ce fait au bord ou déjà en cessation de paiement, avec des conséquences sociales dramatiques. C’était en particulier le cas au Sri Lanka en 2022, incapable de financer les importations indispensables à satisfaire les besoins les plus élémentaires de la population. Cela a déclenché une puissance révolte sociale. Les pays dits émergents sont également particulièrement frappés. L’Argentine, entre autres, où l’inflation a dépassé 100 % sur l’année, tente actuellement de renégocier les conditions de refinancement de sa dette (324 milliards de dollars, 90 % du PIB) avec le FMI, qui l’a reconnue « insoutenable ».

En bonne logique capitaliste, les pays les plus riches bénéficient des taux les plus bas, richesse oblige. Ces derniers n’en augmentent pas moins, poussés entre autres par la séquence de hausse des taux directeurs des banques centrales, dont la FED et la BCE. Au risque de pousser les Etats emprunteurs dans des difficultés de plus en plus grandes. Le « scénario à la grecque » dont Borne voudrait rendre responsable la contestation sociale qui refuse les réformes ne semble pas près de se produire. Il n’en exprime pas moins une tendance qui peut très vite s’accélérer du fait même de ces réformes qui loin de guérir le mal, l’aggravent.

Aux USA, menace de défaut de paiement de l’Etat sur fond de crise bancaire

Aux Etats-Unis, le gouvernement se trouve actuellement confronté à une impasse politique liée à son endettement. Ce dernier ne peut en effet dépasser un plafond fixé par le pouvoir législatif, Sénat et Chambre des représentants. Ce seuil, fixé actuellement à 31 400 milliards de dollars, a été atteint à la mi-janvier. Depuis, l’Etat fédéral ne finance ses dépenses courantes qu’en en reportant d’autres, dans l’attente que la Chambre des représentants où les Républicains sont majoritaires accepte de le rehausser. Ces derniers viennent de faire une proposition : 1 500 milliards de dollars de rallonge qui permettraient de tenir jusqu’en 2024 en échange d’une coupe de 4 500 milliards sur 10 ans sur certaines dépenses fédérales, en particulier sociales, programmées par Biden dans ses « plans de relance ». Ce que ce dernier ne peut accepter à un peu plus d’un an à peine de la prochaine présidentielle…

Ce chantage électoral se reproduit chaque fois que les USA sont confrontés à cette situation. En 2021, une hausse de 2 500 milliards de dollars avait été votée juste à temps pour éviter le défaut de paiement. Cette fois, selon la secrétaire d’Etat au Trésor Janet Yellen, si aucun accord n’est trouvé avant le 1er juin, l’Etat fédéral devra suspendre ses paiements. Elle prévient : « L’incapacité à réaliser un paiement, qu’il s’agisse de nos obligations en matière de dette, vers les bénéficiaires des dépenses sociales ou nos militaires, provoquerait à coup sûr une récession aux Etats-Unis et pourrait entraîner une crise financière mondiale ».

En formulant ce scénario, Yellen veut évidemment peser dans les négociations qui opposent le pouvoir aux élus républicains. Mais l’hypothèse n’est pas hors sol alors que les USA s’enfoncent dans une crise bancaire.

Début mars, en l’espace de 4 jours, trois banques, Silvergate, Silicon Valley Bank et Signature Bank faisaient faillite (voir DR n°279). Une quatrième, First Republic, se déclarait au même moment en difficulté. Incapable de trouver les financements lui permettant d’y faire face, elle a dû se déclarer à son tour en faillite lundi 1er mai. Par son ampleur, c’est la seconde plus grande faillite bancaire de l’histoire des Etats-Unis.

L’Etat a « confié la dépouille » de First Republic à JPMorgan Chase, la plus grande banque des USA. Dans la foulée, Biden s’est empressé d’affirmer que « les dépôts de tous les clients sont protégés, les actionnaires perdent leur mise et surtout, les contribuables ne sont pas sollicités ». Il a joint sa voix à celles du patron de JPMorgan Chase et de Powell, président de la FED, pour jurer ses grands dieux que « le système bancaire américain est extraordinairement sain »…

Cela juste avant que, jeudi 4, deux nouvelles banques, Parc West dont l’action a dévissé de 23 à moins de 4 dollars depuis le début de l’année, ou encore Western Alliance dont l’action plongeait de 21 % ce mardi, ne se retrouvent sur la sellette.

First Republic, Park West, Western Alliance, et certainement bien d’autres, sont touchées par le même phénomène qui a conduit Silicon Valley Bank à la faillite. Pour faire face à l’augmentation brutale des retraits de dépôts, il leur fallait puiser dans leurs réserves, à priori suffisantes et réputées solides puisque reposant pour une bonne part sur des obligations d’Etat. Et pour cela vendre rapidement une partie de ces obligations. Il s’est alors avéré que ces titres ne pouvaient trouver preneur qu’à une valeur bien inférieure à leur prix d’achat, révélant que le montant des réserves porté dans les bilans était largement surestimé. Incapables de ce fait de rassembler les capitaux permettant de répondre à la demande de retraits, elles ont été contraintes à la faillite.

Ces faillites n’ont rien de phénomènes isolés dans un « système bancaire extraordinairement sain ». Elles sont une des multiples expressions d’une faillite beaucoup plus générale, celle du capitalisme financiarisé mondialisé.

Un système économique en déroute

Pour certains économistes et commentateurs, il n’y aurait de salut, face à la menace de crise de la dette, que dans la croissance… C’est le leitmotiv de Le Maire et de bien d’autres : leurs « réformes structurantes », leurs cadeaux sans limite au grand patronat seraient indispensables pour relancer la croissance, seule capable d’« assainir les finances publiques »… C’est un mensonge pour tenter de justifier leur politique.

L’économie mondiale, à des degrés divers selon les pays, est confrontée à une tendance à la baisse de la productivité, du rendement des capitaux investis dans la production qu’aucune « innovation » n’est capable d’inverser. Et c’est pour compenser en partie cette baisse de rendement que patrons et gouvernements multiplient leurs offensives contre le monde du travail. Cette baisse tendancielle de la productivité des investissements et les réponses qu’y apportent patrons et gouvernements à seule fin de sauvegarder les profits, a des conséquences multiples, dont une tendance chronique à la récession. 

D’autres facteurs s’ajoutent à cela et s’alimentent mutuellement. Des masses considérables de capitaux ne trouvant pas à s’investir de façon rentable dans la production des biens et services s’engouffrent sur les marchés financiers, y créant bulles spéculatives sur bulles spéculatives, et dans une « industrie de la dette » dont la prolifération finit par se heurter aux limites de la solvabilité des emprunteurs, Etats, entreprises ou ménages.

Ce risque d’insolvabilité s’accroît avec la hausse des taux d’intérêt pratiqués par le système bancaire. Cette hausse suit l’inflation, la « profitflation » selon un terme utilisé par certains économistes pour mettre en évidence qu’elle est le résultat du racket organisé par les multinationales de l’énergie, des matières premières, de la logistique maritime qui en ont tiré leurs méga-profits, avant que les hausses de prix se répercutent tout au long des chaînes de production. D’autres parlent de « greedflation » (greed = cupidité en anglais)…

La hausse des taux d’intérêt est aussi la conséquence des hausses de taux directeurs pratiqués par les banques centrales qui tentent, en durcissant les conditions auxquelles elles fournissent de l’argent au secteur financier privé, de ralentir les pratiques spéculatives, de retarder les krachs qui menacent. Contrairement à ce que ce qu’elles prétendent, ces politiques ne réduisent en rien l’inflation, au contraire. Elles constituent par ailleurs un facteur de récession qui vient à son tour réduire les perspectives de croissance. Elles sont, comme on vient de le voir, un des facteurs de la crise bancaire actuelle aux Etats-Unis.

Le système financiarisé mondialisé et ses déclinaisons nationales qui lui sont intimement liées sont prises dans un tissu de contradictions qui font que les mesures prises pour tenter de résoudre certaines d’entre elles se traduisent immanquablement par l’aggravation, voire l’apparition de certaines autres. C’est l’expression, sur le plan financier, du fait que ce système s’enfonce dans une déroute dont il est incapable de sortir.

Le dictat des marchés imposé aux Etats

Derrière la « santé » de la Bourse que les chroniqueurs économiques aux ordres voudraient nous faire prendre pour un gage de la santé de l’économie, se tient une tout autre réalité. Les capitalisations boursières qui s’envolent ou s’effondrent n’ont que peu de lien avec la valeur réelle d’une entreprise et ses perspectives de profit. Les sommets délirants qu’elles atteignent ont tout d’accès de fièvre hors contrôle d’un malade en soin palliatif, shooté par la perfusion permanente d’argent que lui assurent les Banques centrales et les Etats.

La dégradation de la note de la dette française par Fitch est venue rappeler à Macron qu’il n’était pas question de baisser les bras dans la guerre de classe contre le monde du travail, indispensable pour entretenir la perfusion, assurer aux marchés financiers la circulation d’argent dont ils ont besoin pour exister. Elle est une illustration claire de la façon dont la loi des marchés s’impose aux Etats et leur dicte leur politique.

Et cela de gré ou de force, comme nous le rappelle Borne avec sa formule du « scénario à la grecque » qui nous renvoie au drame social consécutif à la violente crise de la dette grecque il y a un peu plus de dix ans. Elle nous rappelle la reculade dramatique imposée à Syriza, et surtout à la population qui avait cru en ses promesses, par la troïka, Union européenne, BCE et FMI, qui s’étaient partagé le travail pour saigner le pays afin que ses créanciers puissent récupérer leur mise. C’est au fond l’alternative que nous propose le pouvoir : nous plier aux réformes qu’il veut nous imposer au nom d’un prétendu « assainissement financier », ou risquer le pire en nous obstinant à nous y opposer…

Face à cette alternative, pour la refuser, nous ne pouvons pas compter sur les mirages du « dialogue social » et du « travail parlementaire » que nous proposent syndicats et Nupes, remake des politiques réformistes du passé. Elles ont depuis longtemps montré leur impuissance à répondre aux exigences sociales, mais aussi leur pouvoir de nuisance, en détournant sur le terrain institutionnel les révoltes sociales qui ne peuvent aboutir que sur leur terrain de classe, dans l’affrontement avec les pouvoirs en place.

Nous ne pouvons compter que sur notre capacité collective à poursuivre le « blocage politique et les mouvements sociaux » qui ont incité Fitch à dégrader la note de la dette française, à pousser à son terme la crise politique dans lequel le pouvoir s’est enfermé.

Refuser le « scénario à la grecque », annuler la dette, libérer l’économie de l’emprise de la finance

La seule façon réaliste d’en finir avec la menace que fait régner sur la société, parmi bien d’autres, la course sans fin à l’endettement est de s’attaquer à la racine du mal : annuler les dettes, sans craindre d’aller contre l’ordre établi, le prétendu droit indiscutable qu’aurait celui qui prête de l’argent de récupérer sa mise, quoi qu’il arrive.

Mis à part les quelques économies placées par les travailleurs qui ont effectivement toute légitimité à les récupérer, l’immense masse des capitaux qui s’investissent dans la dette publique, d’entreprise ou personnelle est le fruit d’un gigantesque processus d’accaparement, l’accumulation de la plus-value extorquée par la bourgeoisie à des générations et des générations d’exploité·e·s. « Le capital est du travail mort, qui ne s’anime qu’en suçant tel un vampire du travail vivant, et qui est d’autant plus vivant qu’il en suce davantage » écrivait Marx.

Ce capital est de plus en plus concentré entre les mains d’une minorité, l’oligarchie qui règne sur le capitalisme financiarisé mondialisé. Retirer à cette infime minorité la possibilité de se servir de ce capital pour en accumuler toujours plus quelles qu’en soient les conséquences pour l’immense majorité, est légitime et indispensable. Cela passe par l’expropriation des organismes financiers privés, banques et compagnies d’assurances, leur regroupement dans un monopole du crédit socialisé, contrôlé par ses travailleurs et la population. C’est indispensable pour libérer l’économie du diktat de la finance, ouvrir la perspective de la prise de contrôle de l’économie par celles et ceux qui la font tourner.

Daniel Minvielle

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