« Un consensus n’a pas pu être trouvé et je le regrette », déclarait Macron jouant de son registre préféré, le mensonge et l’hypocrisie, contraint de reconnaître qu’« à l’évidence » sa réforme n’a pas été « acceptée ». Qu’importe, elle sera appliquée dès l’automne. Et, continuant sur le même registre plus l’emphase, il a cherché à vendre un « grand projet » pour « retrouver l’élan de notre nation », le tout en « cent jours », « cent jours d’apaisement, d’unité, d’ambition et d’action au service de la France ». Le 14 juillet viendra l’heure d’un « premier bilan ». Pas de référendum, pas de dissolution de l’Assemblée, même pas de remaniement, Borne reste là, comme pétrifiée, Macron « garde le cap », habité par l’esprit de Notre Dame, il choisit l’attaque. Il a bien compris que c’est « plus généralement de la colère qui s’exprimait. […] Colère face à un travail qui, pour trop de Français, ne permet plus de bien vivre, face à des prix qui montent […] Personne, et surtout pas moi, ne peut rester sourd à cette revendication de justice sociale et de rénovation de notre vie démocratique en particulier exprimée par notre jeunesse ». Hypocrisie, mensonge et cynisme, l’imposteur n’a pas d’autre choix que de tenter de troubler les esprits, de semer la confusion, d’accentuer les tensions, pour espérer sauver sa mise tout en continuant de faire le job pour les classes possédantes.

La réforme des retraites n’obéit qu’à un seul objectif, accentuer la pression sur le monde du travail pour faire travailler, plus longtemps et plus mal payé, pour financer les profits et les spéculations boursières ou financières du CAC40. Elle visait aussi à soumettre les appareils syndicaux à sa politique, aux intérêts du patronat que ledit dialogue social sert à approuver.

Macron a certes, de son point de vue, réussi mais le prix politique de sa victoire au 49·3 est en réalité un premier succès pour le monde du travail et notre mobilisation. Et c’est bien ce prix politique qu’il faut lui faire payer intégralement, c’est-à-dire rien lâcher, empêcher sa réforme de s’appliquer, inverser le rapport de force, renforcer, armer politiquement la colère et la révolte qui ont gagné tout le pays et nous donner les moyens de réaliser nos objectifs.

Les rassemblements qui ont accompagné du bruit des casseroles son allocution comme les mobilisations qui accueillent ses déplacements et ceux de ses ministres envoyés à la reconquête du pays pour faire le service après-vente de la réforme, témoignent de la vivacité de la mobilisation. Ils paniquent le pouvoir et sa police qui poussent le ridicule jusqu’à interdire et confisquer les casseroles sans pouvoir empêcher les manifestations de colère qui accompagnent la caravane Macron. Et il lui faut se faire à l’idée que ce sont bien les travailleurs qui font tourner le pays, quand les énergéticiens mettent en œuvre la sobriété énergétique en coupant le courant comme à l’usine Mathis ou à Ganges. « La colère est là et on ne tourne pas la page ! », la « journée de la colère cheminote », jeudi, a été une nouvelle occasion pour les équipes militantes de se rassembler sans attendre le 1er Mai et de discuter de la suite.

Si la réforme est adoptée, rien n’est joué et l’offensive des 100 jours de Macron pour reprendre la main et éviter une déroute politique sans issue exige une réponse politique de la part du mouvement, de celles et ceux qui se sont mobilisé·es déjà pendant plus de 100 jours pour le mettre en déroute, lui et sa politique.

Une des premières mesures qu’il a annoncées, l’augmentation des salaires des enseignants, qui pourrait donner le change, est en fait un cadeau empoisonné. Des primes existantes seraient augmentées et pour gagner plus - et ça ne compenserait même pas le retard accumulé et l’inflation - il faudrait accepter de remplacer des collègues au pied levé, accepter de faire les frais de la dégradation du service public !

Macron tente aussi de donner le change en prétendant ouvrir des discussions sur un « pacte de la vie au travail » qui serait « construit par le dialogue social », le thème fourre-tout qui permet de faire semblant de discuter de tout et surtout… de rien. Recevant mardi le patronat, soucieux d’affirmer son autorité, il a tenu à fixer les délais de la discussion qui doit se conclure d’ici à la fin de l’année. Le maître du temps brasse du vent tout comme avec son grand projet pour l’enseignement professionnel qui n’a d’autre préoccupation que de répondre aux besoins des patrons.

Les cent jours de Macron se résument à accélérer lesdites réformes, l’offensive sociale et politique au service du capital. Il tente en même temps de rétablir son autorité personnelle en étouffant ou réprimant la révolte tout en jouant la même musique que Le Pen. Macron porté au pouvoir pour répondre au discrédit de la droite et de de la gauche, le caméléon ni de gauche ni de droite, s’adapte aux couleurs de l’air du temps de l’offensive réactionnaire. C’est maintenant à droite toute, la droite extrême avec son complice caméléon, Darmanin comme futur concurrent de Le Pen. Une politique qui répond aux besoins du CAC40 pour défendre l’ordre capitaliste en prévision des tempêtes à venir.

Macron-Darmanin en rivalité avec Le Pen sur le même terrain

« Il faut être dur avec ceux qui veulent nous crever la paillasse. Faire payer l’hypocrisie et les jeux de dupe » a-t-il dit lors d’une réunion à l’Élysée devant ses principaux ministres et responsables de sa majorité. C’est « l’apaisement » façon Macron qui n’a qu’un but, utiliser au maximum l’avantage que lui donnent le 49·3 du Conseil constitutionnel et le respect des institutions de la gauche syndicale et politique pour reprendre la main et « accélérer » son offensive réactionnaire, sociale et politique, contre le monde du travail. Sans majorité au Parlement, détesté par une large majorité dans le pays, il n’a plus d’autre issue que de tenter de mettre à sa botte un Parlement déconsidéré et l’intersyndicale capitularde pour imposer à la population le pouvoir que lui garantissent la constitution et les forces de police. Il entend ainsi garder le cap d’une politique qui a nourri l’oligarchie financière de centaines de milliards d’euros, dont Bernard Arnault devenu l’homme le plus riche de la planète avec une augmentation de sa richesse de 40 milliards chaque année depuis le début de la pandémie. De quoi financer trois fois les 13 milliards d’euros annuels que Macron compte amputer des retraites des Français. Cette même politique qui détruit les services publics pour financer le patronat et « l’économie de guerre » dans laquelle Macron veut engager le pays et l’Europe.

Ses cents jours, c’est une offensive contre les travailleurs en particulier les plus défavorisés.

Attal a ouvert le bal en annonçant « un plan de lutte contre la fraude sociale » qui fait écho à ses déclarations de mars dernier dans lesquelles le ministre du budget avait commencé à esquisser son projet de durcissement des conditions d’attribution des minimas sociaux et des allocations sociales en ciblant tout particulièrement les travailleurs immigrés. Darmanin s’est empressé de faire du zèle : « Je suis pour que ceux qui ne souhaitent pas retravailler et qui touchent des minimas sociaux et notamment ceux qui touchent le RSA […], s’ils ne souhaitent pas reprendre le chemin du travail, nous prenions des sanctions envers eux. » Pour, ensuite, lui aussi passer à l’offensive pour revenir sur le découpage du projet de loi « Immigration » en plusieurs textes proposé par Macron : « Je souhaite qu’il y ait un projet de loi fort, le texte que j’ai proposé sous l’autorité de la Première ministre ». Le texte rien que le texte peut être amendé par Ciotti qui demande un durcissement du droit d’asile et une refonte du Code de la nationalité.

En prime de cette offensive xénophobe, Darmanin vient de confirmer l’envoi à Mayotte de « quatre escadrons de gendarmes mobiles, des policiers de la CRS-8, spécialistes de la lutte contre les violences urbaines, au total 510 membres des forces de l’ordre », une odieuse opération militaire et policière qui vise à détruire les logements précaires de plusieurs milliers de migrants et à les chasser vers les autres îles de l’archipel des Comores.

Le Maire a fait, de son côté, une sortie digne d’un représentant du RN en pointant la « fraude aux aides sociales » des immigrés. Selon lui « nos compatriotes en ont ras-le-bol de la fraude, ils en ont ras-le-bol de voir des personnes toucher des aides qu’ils payent eux-mêmes. C’est le contribuable, l’entrepreneur, le salarié qui paye, et il n’a aucune envie de voir que des personnes peuvent en bénéficier, les renvoyer au Maghreb ou ailleurs alors qu’ils n’y ont pas droit. Ce n’est pas ça le modèle social ».

Ce discours puant et xénophobe véhicule les clichés répétés ad nauseam par la droite et l’extrême droite contre les travailleurs immigrés qui « profiteraient des allocs » et frauderaient pour obtenir des aides miséreuses.

Et au service de cette politique pour « lutter contre toutes les formes de délinquance, toutes les fraudes, sociales ou fiscales » est annoncée la création de 200 brigades de gendarmerie « dans nos campagnes ».

La reprise en main voulue par Macron face à la profonde crise politique qu’il a lui-même ouverte rime avec une offensive contre les pauvres et les immigrés, une démagogie xénophobe et raciste, la défense de l’ordre établi et des privilèges grands et petits. Macron-Darmanin ne se contente pas de marcher sur les plates-bandes de l’extrême droite, alors que le RN espère ramasser la mise, ils entendent prendre la tête du bloc réactionnaire de droite extrême contre Le Pen en se présentant comme les plus sûrs garants de l’ordre. Notre préoccupation n’est pas de savoir qui sortira vainqueur des rivalités au sein de la réaction mais bien de comment la balayer en remettant en cause leur ordre social injuste et inhumain.

La dérobade généralisée de la gauche syndicale et politique

Les travailleur.es ne peuvent pas confier la tâche de mener l’opposition à la gauche tant parlementaire que syndicale. L’intersyndicale a certes décliné l’invitation de Macron pour le 18 avril, pas de discussion possible avant le 1er Mai qui devrait être historique, la première fois depuis l’après-guerre que le 1er Mai verra l’unité de l’ensemble des organisations syndicales. Mais ce 1er Mai sera aussi pour elle le point d’orgue du mouvement, une façon pour l’intersyndicale de reprendre les propos de Borne, ni vainqueurs ni vaincus, la voie de l’apaisement tout en continuant de demander le retrait...

L’intersyndicale a démissionné de diriger le mouvement pour gagner en affrontant le gouvernement, l’État et les patrons. Elle n’a pas attendu pour cela la démission de la direction de la CFDT de Berger qui n’a cessé de répéter son attachement au dialogue social. « Vous le savez, vous nous connaissez. On ira discuter des conditions de travail, on ira discuter des salaires. Mais on veut un minimum de décence dans cette relation. On ne répond pas quand on nous siffle. » Il le dit et le redit depuis le début : « Il faut faire attention de ne pas mépriser les travailleurs, qui ont été très nombreux à se mobiliser pendant ces 3 mois ». Lui et l’intersyndicale ont menacé le pouvoir du risque d’une explosion sociale qu’ils craignaient tout autant que lui ! La CGT comme Sud se sont calés. « Le problème, c’est qu’il nous tend la main après nous avoir fait un bras d’honneur », dénonce Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, mais après le 1er Mai, tout redeviendrait possible.

En démissionnant, Berger fait une étonnante critique de lui-même et de l’intersyndicale pour mieux convaincre qu’il faut savoir arrêter un mouvement. Outre la menace d’éclatement de l’intersyndicale, il ne faudrait pas prendre le risque « de faire croire aux salariés que c’est la succession de journées de mobilisation qui feront revenir le président de la République en arrière, alors qu’il y en a eu douze et qu’il ne nous a ni reçus ni écoutés ». C’est sûr mais il faut pousser le raisonnement jusqu’au bout. La stratégie de l’intersyndicale était une stratégie de l’échec qui visait à négocier la place des directions syndicales dans le dialogue social et non à imposer au pouvoir les droits et exigences du monde du travail.

Et c’est la même panique devant le risque d’un affrontement de classe qui a envahi les cerveaux des politiciens. « Nous sommes dans une crise politique majeure... Il faut apaiser », selon Sandrine Rousseau, reprenant le discours de la Nupes dont tous les dirigeants, Mélenchon en tête, implorait Macron d’apaiser le climat social et politique. L’éruption de la lutte des classes a paniqué les milieux institutionnels, les dits corps intermédiaires se voyant menacés de ne plus pouvoir encadrer, maîtriser la force créatrice de la révolte contre le conservatisme des appareils. Mais ce n’était qu’un début, on lâche rien...

Tirer les enseignements de 3 mois de mobilisation, nous organiser en parti

Il y a trois mois, le 19 janvier, des millions de travailleurs participaient à une première journée d’action contre la réforme des retraites. La colère ouvrière a éclaté face au président-banquier qui voudrait leur voler deux ans de plus de leur vie.

La lutte qui s’engageait n’était pas une lutte syndicale visant à convaincre Macron, mais une lutte politique contre la classe et l’État capitalistes. Macron, le Parlement, les institutions, les corps intermédiaires sont une machine construite à travers des décennies de luttes des classes pour servir une oligarchie capitaliste qui exerce sa dictature économique sur l’ensemble de la société. Macron réalise ses folles ambitions que partagent tous les aspirants à la direction de l’État mais au-delà il se soumet à la sinistre rationalité de la loi du profit, de la concurrence, de la guerre, de la lutte de classe qui lui dicte la politique qu’il est chargé de mettre en musique, une musique scandée par les matraques et les bruits de bottes.

Il n’y a pas de dialogue possible avec lui, ses collègues drapés de bleu-blanc-rouge et leurs commanditaires. La lutte de classe qu’ils mènent très consciemment derrière leur double langage hypocrite ouvre les yeux aux millions de femmes, d’hommes, de jeunes dont ils piétinent les vies, souvent les brisent.

Les 3 mois qui viennent de se passer sont une leçon de choses, la confrontation de la solidarité, de l’entraide, de la révolte partagées face à la violence d’une classe minoritaire, parasitaire et prête à tout pour sauver son pouvoir en espérant réussir à capter les illusions, les égoïsmes de catégories sociales jusqu’alors moins défavorisées ou plus ou moins privilégiées. Les dangers que le capitalisme fait courir à l’humanité et à la planète, la faillite économique d’un système, la crise climatique et écologique, la guerre n’épargneront personne.

Et c’est bien ce qui fait la grandeur de notre lutte, elle a toute sa légitimité non seulement en refusant le vol de deux ans de nos vies mais aussi en participant à une lutte plus globale pour défendre nos droits, la démocratie, le droit de contrôler et décider, de défendre la planète et la paix. Le combat contre la réforme des retraites n’est pas clos mais, de fait, il prend une nouvelle dimension, il devient une contestation globale de l’ordre capitaliste.

Cette contestation, c’est d’abord conquérir la démocratie, commencer à nous organiser pour discuter, décider, contrôler nos propres luttes, les faire converger, organiser la solidarité, faire nos propres campagnes politiques pour gagner l’opinion, aider aux prises de conscience, montrer les chemins de notre émancipation collective. Nous ne sommes pas seuls, notre lutte se déroule sur fond d’une vague de grèves de millions de travailleurs en Allemagne, au Royaume-Uni, au Portugal, en Belgique et au-delà.

Pour nous, les cents jours de Macron marquent une nouvelle étape pour construire notre unité à la base, faire vivre notre mouvement sans illusion sur ce qui pourrait venir des appareils qui ont depuis longtemps abdiqué de la lutte de classe pour changer le monde, prendre par nous-mêmes les initiatives, les confronter, les faire converger, faire notre politique pour défendre nos intérêts, ceux de toute la société, nous constituer en parti des travailleurs, œuvre des travailleurs eux-mêmes.

Yvan Lemaitre

 

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