La validation par le Conseil Constitutionnel de la loi sur la réforme des retraites et sa promulgation immédiate par Macron n’ont fait, en toute logique, qu’accentuer ce que la presse et les commentateurs qualifient de « crise de la démocratie », de « crise de régime ». Tous discutent de comment Macron et son gouvernement, les partis parlementaires d’opposition et l’intersyndicale pourraient sortir de l’impasse qui s’est refermée sur eux au cours de ces derniers mois, stérilisant le « débat parlementaire » et bloquant le « dialogue social ».

En provoquant l’affrontement avec les syndicats, le Parlement et le mouvement social, en voulant les faire plier, Macron a approfondi la crise politique à laquelle conduit l’offensive des classes dominantes. Elle ne se réduit pas à une « crise de régime » qui pourrait se résoudre, comme le prétend entre autres LFI, par un changement de constitution et de numéro de la république. Cette crise dite démocratique n’est pas en réalité une crise de la démocratie comme s’il existait une démocratie au-dessus des classes et de l’État qui les sert, de leur dictature. Ce qui est en crise, c’est leur démocratie parlementaire, cette machine née après la Révolution pour masquer la dictature économique du capital derrière le théâtre d’ombre du Parlement. La machine est grippée, la population n’y croit plus. Pour le plus grand nombre, les élections sont un jeu de dupes et la dictature économique des classes dominantes s’accompagne de l’autoritarisme du pouvoir incapable d’assurer autrement la paix sociale nécessaire à la bonne marche des affaires.

La marche à la faillite du capitalisme rend illusoire tout espoir de changement par la voie institutionnelle, parlementaire ou dialogue social, et engendre des politiques de plus en plus autoritaires et réactionnaires dont l’extrême droite voudrait devenir l’exécutante.

Comme dans le domaine économique et social, la réponse progressiste à cette crise est entre les mains du monde du travail et des classes populaires.

Le mouvement en réponse à la dégradation des conditions de vie du monde du travail sous les coups de la régression sociale organisée porte en lui la possibilité de conquérir et de faire vivre la démocratie. Par ses exigences élémentaires, incompatibles avec leur ordre social, il pose de fait la question de qui décide : la minorité de parasites ultra-riches dont Macron est la marionnette ou celles et ceux qui produisent toutes les richesses et sont saignés pour les seuls profits des premiers. En posant la question sociale, il pose la question de la nécessité d’un gouvernement et d’institutions ouvrières et populaires au service de la collectivité et contrôlés par elle.

Confrontée à sa faillite, la dictature de la minorité capitaliste supporte de moins en moins sa démocratie parlementaire

Macron focalise sur sa personne le profond rejet que sa politique suscite. Cette dernière n’est cependant pas un simple effet de sa volonté, de son autoritarisme. Elle vise avant tout à satisfaire les exigences de la bourgeoisie dont il est le serviteur, dans un contexte géopolitique et économique international qui ne cesse de se dégrader.

La baisse chronique et inéluctable de la productivité, des taux de profits que les capitalistes tirent de l’exploitation du travail a pour conséquence que les capitaux ne maintiennent leur rentabilité financière qu’en accentuant l’exploitation du travail, en extorquant, sous forme de plus-value et au détriment des salaires, une part toujours plus grande des richesses produites par le travail. Ces attaques contre les salaires sont gravement accentuées aujourd’hui, en termes réels, par l’inflation qui résulte des hausses imposées par les grandes multinationales de l’énergie, des matières premières minières et agricoles, des grands réseaux de logistique qui en tirent leurs méga-profits. Cela creuse les inégalités et génère une régression sociale sans précédent qui réduit à la famine des millions d’êtres humains dans les pays pauvres, sans épargner la population des pays riches.

Du fait de cette régression sociale, la baisse des taux de profit se double d’une récession économique latente, avec en corollaire une accentuation de la lutte entre multinationales, soutenues par leurs Etats, pour le contrôle des ressources, des marchés, des réseaux d’approvisionnement. La guerre en Ukraine est une des conséquences de cette exacerbation de la concurrence internationale, principalement marquée par l’affrontement entre les USA et la Chine. A cette guerre économique qui conduit à la guerre tout court s’ajoutent diverses catastrophes annoncées, climatique, financière, sanitaire, conséquences de la cupidité d’un capital en quête de la moindre goutte de profit.

Comme les autres, la bourgeoisie française et le gouvernement nous mènent une guerre sans relâche. Tout en l’aggravant, sa politique s’inscrit dans la continuité de celle de ses prédécesseurs qui n’ont cessé depuis des décennies d’imposer reculs sur reculs au droit du travail, aux retraites, à la protection sociale et sanitaire, aux services publics, etc., au profit du patronat. LR, PS, PC et Verts l’ont payé de leur effondrement électoral. Macron n’a dû sa réélection qu’au fait qu’il a pu être considéré comme un barrage à l’élection de Le Pen. Dépourvu de majorité, le gouvernement aux ordres du MEDEF n’a pu imposer sa réforme des retraites que grâce aux leviers constitutionnels de la Vème république, 49-3 et autres. En trois mois, la méfiance s’est transformée en rejet de plus en plus massif de Macron et de sa politique, mais aussi des institutions qu’il incarne.

Derrière ce qui est massivement perçu comme un déni démocratique révoltant doublé d’une arrogance et d’un mépris insupportables, se révèle en fait la véritable nature de leur démocratie, le masque d’un Etat de classe dont la fonction première est d’assurer l’ordre social en dressant les institutions et le parlement contre le monde du travail, le peuple auxquels est accordé un droit de vote par lequel il accepte d’abdiquer de tout pouvoir

Ni constituante, ni VIème république, la conquête de la démocratie par les travailleurs eux-mêmes

LFI comme le PCF désignent la constitution de la Vème république et son 49-3 comme principale responsable de cette dite « crise de régime ». Ils font campagne autour du projet de VIème république et d’un processus constituant que portaient Mélenchon à la présidentielle et la Nupes aux législatives. Il s’agirait de mettre en place une nouvelle constitution qui garantirait leur pouvoir aux « représentants du peuple », les parlementaires, face à un exécutif qui serait privé de la capacité de leur imposer ses dictats. Il serait aussi question de supprimer le Sénat, considéré à juste titre comme conservateur. C’est resservir le mythe d’un Etat indépendant, au-dessus des classes, capable, à condition que ceux qui le dirigent en aient la volonté, de réguler le capitalisme, d’assurer une répartition plus équitable des richesses produites sans remettre en cause le système. Un leurre !

Dans le contexte d’un capitalisme sénile qui n’assure ses profits qu’en aggravant ses prédations, tout retour à la vieille politique réformiste, faillie et jalonnée d’échecs et de reniements, est impossible. Y prétendre est un leurre qui vise à détourner la révolte sociale de la seule issue possible, l’affrontement de classe jusqu’au bout, la conquête du pouvoir par les travailleurs eux-mêmes.

Pour assurer son pouvoir, la bourgeoisie dispose de bien plus que d’une constitution et d’un Sénat réactionnaire. Elle peut compter sur un appareil d’Etat permanent, avec ses hauts fonctionnaires, son appareil judiciaire, son armée et sa police, ses moyens de propagande, tout un système spécialement formé à la servir. Remettre en cause son pouvoir politique passe nécessairement par un affrontement avec cet appareil d’Etat en même temps que par la contestation de son pouvoir économique et de ce qui le fonde, ses droits de propriété sur les moyens de production et d’échange.

« Alors s’ouvre une époque de révolution sociale… »

Dans sa préface à Critique de l’économie politique, décrivant la méthode, le matérialisme historique, selon laquelle il analysait les évolutions historiques, Marx écrivait : « À un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n’en est que l’expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s’étaient mues jusqu’alors. De formes de développement des forces productives qu’ils étaient ces rapports en deviennent des entraves. Alors s’ouvre une époque de révolution sociale. »

La crise globale dans laquelle s’enfonce le capitalisme financiarisé mondialisé, sa marche à la faillite, est l’expression de cette contradiction entre développement des moyens scientifiques et technologiques, le degré de socialisation que l’appareil de production et d’échange mondial a atteint, et la soumission de ce dernier à l’appropriation privée, aux lois de la concurrence et du profit immédiat. La régression sociale et démocratique qui en résulte, les menaces que constituent les catastrophes annoncées comme celle du climat, sont l’expression de l’aggravation de cette contradiction. Elle suscite, partout dans le monde et depuis déjà plus d’une décennie avec les révolutions du Printemps arabe et les mouvements des indignés en Grèce et en Espagne, d’innombrables mobilisations populaires dont une des dernières en date est la puissante révolte des femmes en Iran.

Le mouvement actuel en France comme les mouvements de grève qui se déroulent dans divers pays d’Europe sont partie prenante de cette « mondialisation de la révolte » qui, sous des formes diverses (luttes pour les conditions d’existence, pour les droits de femmes, contre les discriminations, pour le climat, contre les pouvoirs dictatoriaux en place…), sont les réponses que la classe ouvrière internationale oppose à la guerre de classe que lui mène le capitalisme financiarisé mondialisé et qui l’entraîne dans sa déroute. Elles s’inscrivent dans un processus révolutionnaire dont le contenu même est de mettre un terme à cette fuite en avant, en retirant à la bourgeoisie et à son personnel d’Etat leur pouvoir de nuisance, en leur imposant notre propre programme politique.

Notre programme, la lutte pour le contrôle, la conquête de la démocratie, la lutte pour le pouvoir

Commencé dans un cadre syndical tandis que l’opposition parlementaire s’occupait de l’aspect politique, le mouvement n’a pas tardé à dépasser les deux pour s’affirmer comme une lutte de classe politique. Face à l’intransigeance du pouvoir, la lutte sociale s’est transformée en lutte politique. Elle s’est imposée à l’intersyndicale, et a été prise en charge par le mouvement lui-même dans les collectifs, les interpros. L’expérience a été faite que face à un pouvoir décidé à ne rien lâcher, la défense de nos revendications conduit inévitablement à mettre en cause la légitimité même de ce pouvoir, à lui opposer notre propre pouvoir, nos propres organisations.

Ce qui se pose pour les retraites se pose également pour l’ensemble de nos revendications, à commencer par la revalorisation des salaires et minimas sociaux, leur indexation sur le coût de la vie. Imposer la satisfaction de ces revendications vitales ne peut s’envisager qu’à travers un affrontement avec le patronat et le pouvoir, un affrontement politique.

La première leçon de la première phase du mouvement est qu’il n’est pas possible de faire triompher nos droits sans remettre en cause la bourgeoisie et son pouvoir qui s’y opposent frontalement. Nous n’avons pas à rechercher l’apaisement par crainte de la crise politique, bien au contraire nous ne craignons pas de l’aggraver parce que nous savons que le monde du travail a entre ses mains l’issue démocratique et progressiste.

La crise politique que traverse le pouvoir, sa fuite en avant réactionnaire avec en perspective l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite quel qu’en soit le chef futur met à l’ordre du jour, pour les travailleurs, la nécessité de mettre en avant leur propre solution politique, leur propre organe de pouvoir, une république sociale, démocratique, révolutionnaire.

Sociale, parce que sa priorité sera de répondre aux besoins de chacun. Démocratique, parce qu’elle sera placée sous le contrôle direct des travailleurs et de la population, mise en application concrète de « c’est nous qui travaillons, c’est nous qui décidons ». Révolutionnaire, parce qu’elle devra conduire à la transformation de la société, la transition du mode de production capitaliste à un mode de production socialiste.

Quelques grands axes pour cette transition s’imposent d’eux-mêmes. Prendre le contrôle de l’économie impose d’exproprier les grandes multinationales à travers lesquelles s’organisent les chaînes de production et d’échange qui produisent l’essentiel des biens et services. Cela n’a rien d’utopique. Ces entreprises ne doivent leur fonctionnement qu’aux travailleurs de toute catégorie qu’elles emploient. Le rôle de leurs patrons se limite à définir des stratégies qui n’ont pas d’autre but que d’optimiser les profits des actionnaires. Débarrassées de ces parasites et placées sous le contrôle de leurs travailleurs, elles pourront être réorganisées afin d’assurer la satisfaction des besoins de tous à partir d’un plan de production établi démocratiquement, tout en contribuant à restaurer les équilibres environnementaux.

Mettre en œuvre une telle planification démocratique de la production suppose contrôler la circulation monétaire et le crédit. Cela passe par l’expropriation des parasites qui règnent sur le système financier, le regroupement de ses services dans un seul organisme bancaire public, contrôlé par ses propres travailleur·e·s et par la population. Cela permettra d’en finir immédiatement avec les dettes, d’abolir les bourses et autres marchés financiers et avec eux les menaces de krach. Cela permettra d’orienter les avances de capital vers les entreprises en fonction des besoins à satisfaire et non plus selon les perspectives de profit.

Prendre le contrôle de la production et de la finance par l’expropriation de leurs actionnaires, mettre en œuvre une planification démocratique de la production, prendre le pouvoir politique suppose bien évidemment le renversement du vieil appareil d’Etat de la bourgeoisie, son remplacement par l’organisation démocratique des « producteurs associés », selon l’expression de Marx, qui se sera constituée dans la lutte pour la conquête de nos droits et de la démocratie.

Daniel Minvielle

 

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