Comme prévu, les neuf « sages » du Conseil constitutionnel aux ordres du pouvoir, barricadés derrière les murs anti-émeutes et une myriade de policiers, ont validé vendredi l’essentiel de la réforme des retraites dont le report de l’âge de départ à 64 ans... tout en rejetant la demande de Référendum d’initiative partagé. Et pour que les choses soient encore plus claires, ils ont retoqué les quelques mesures qui étaient censées atténuer les conséquences de la réforme : « l’index senior » et le « CDI senior ».

Macron s’est empressé, dans la nuit, de promulguer sa réforme, alors même que, nouvelle provocation, il avait convoqué l’intersyndicale pour mardi prochain. L’intersyndicale comme les principaux partis de la gauche parlementaire qui l’imploraient « solennellement » de ne pas le faire ont reçu leur réponse, une vraie leçon de choses… qui souligne l’impasse de leur stratégie respectueuse du cadre institutionnel. Et Macron nous annoncera lundi soir à la télé les nouvelles attaques qu’il concocte en guise « d’apaisement » !

Macron poursuit sa politique pour nous mettre à genoux, entre passage en force et jeu de dupe avec les forces parlementaires et syndicales, pour défendre les intérêts de classes des plus riches. Le même jour, le CAC40 battait un nouveau record à la Bourse de Paris, pour sa cinquième séance de hausse consécutive alors que le Smic ne sera augmenté que de 2,19 %. Voilà leur justice !

L’annonce du Conseil constitutionnel a été accueillie par les huées des manifestants et n’a provoqué que colère et mépris. Le soir, plus de 130 manifestations ont eu lieu dans la continuité de celles du jeudi 13 avril, dans lesquelles nombre de manifestants, anticipant cette décision, se préparaient à poursuivre le mouvement, à appeler à la grève reconductible et à multiplier les opérations de blocages, les manifestations.

Alors que pour l’heure la seule perspective mise en avant par l’intersyndicale est de faire du 1er mai « une journée de mobilisation exceptionnelle et populaire » avec des manifestations unitaires, sans attendre cette date, de nouvelles initiatives sont annoncées. Ainsi l’ensemble des syndicats de la SNCF appellent à « faire du 20 avril prochain une journée d’expression de la colère cheminote […] y compris dans un cadre interprofessionnel ». De son côté la CGT annonce deux journées « de mobilisation et d’action » le 20 et le 28 avril, tout en ajoutant que jusqu’au 1er mai, « plusieurs mobilisations, actions, grèves et manifestations vont exister et participeront à faire reculer le gouvernement »... Il est probable que d’autres appels suivront dans les jours qui viennent à l’initiative des syndicats et des collectifs. Constitutionnelle ou pas, le combat contre cette loi et le gouvernement qui nous l’impose continue !

L’impasse du cadre institutionnel, la vraie démocratie est dans la lutte...

« Le texte arrive à la fin de son processus démocratique. » a déclaré la Première ministre Bornes, appelant cyniquement à « poursuivre la concertation avec les partenaires sociaux pour donner davantage de sens au travail, améliorer les conditions de travail et atteindre le plein emploi. ».

Et tous les ministres comme d’ailleurs au-delà, Eric Ciotti pour LR, d’appeler « toutes les forces politiques » à « accepter » la décision du Conseil constitutionnel. Même finalement les partis de la gauche parlementaire se sont inclinés devant cette décision du Conseil constitutionnel pour, impuissants, implorer le bon vouloir de Macron.

Pour Le Pen aussi « la décision du Conseil constitutionnel clôt la séquence institutionnelle » mais elle espère surtout que le mouvement rentre dans le rang et dévoyer la colère sociale à son profit en appelant à « préparer l’alternance qui reviendra sur cette réforme inutile et injuste. »

Tous voudraient que notre mouvement s’incline devant leurs institutions. Mais depuis trois mois tout le monde a eu la démonstration que ces institutions offraient tous les moyens pour faire passer en force, contre l’avis de l’immense majorité de la population, leur réforme réactionnaire.

Après l’impasse du jeu parlementaire, le passage en force par le 49-3, l’échec des motions de censure, cette décision du Conseil constitutionnel comme la promulgation immédiate ne font que confirmer qu’il n’y a rien à attendre de leurs institutions auxquelles pourtant les partis de la gauche parlementaire comme les dirigeants des confédérations syndicales semblent s’accrocher et toujours ramener le mouvement.

Car si bien évidemment, les organisations syndicales ont refusé d’aller au rendez-vous proposé par Macron, mardi prochain, elles ont voulu laisser la porte ouverte en précisant qu’elles accepteront de rediscuter mais qu’après le 1er mai. Mais sur quelle base et pour discuter de quoi ? Borne avait appelé à « respecter une période de convalescence », Berger lui parle d’« un temps de décence », pour nous c’est un temps pour engager la mobilisation à un niveau supérieur, nous organiser à la base pour affronter le gouvernement et ses institutions qui servent les classes dominantes.

Se libérer du piège du dialogue social et du cadre institutionnel

Le mouvement est à un tournant. Ni toutes les manœuvres parlementaires, ni la succession des journées de grève appelées par l’intersyndicale n’ont permis de faire plier le pouvoir !

Partis de gauche comme confédérations syndicales sont dans une impasse, eux qui ne jurent que par le cadre institutionnel, ils sont bien incapables de formuler une politique pour le mouvement. La crise politique est profonde et semble sans issue, d’autant que la colère sociale, elle, est toujours là, et bien là ! Et tous craignent finalement que cette colère déborde leur cadre.

Depuis trois mois ce qui fait la vitalité du mouvement est qu’il ne s’est jamais laissé cantonner au calendrier parlementaire, ni ne s’est contenté de celui de l’intersyndicale. Il a su s’appuyer sur le succès des journées de grève pour aller plus loin en s’organisant à la base pour prendre une multitude d’initiatives. Il est en train de franchir une nouvelle étape, de prendre confiance en lui et de tirer les leçons des semaines passées qui lui ont permis de mesurer que sa force est dans sa capacité à s’organiser à la base démocratiquement.

A travers cette expérience collective, démocratique, les militants du mouvement se sont politisés. Ils ont de fait été amenés à penser et agir en parti, en parti de la lutte, au sens où ils ont, à travers les AG, les collectifs créé des cadres démocratiques pour penser et discuter une stratégie pour la lutte, se coordonner. Il nous faut aller plus avant face à un pouvoir mis à nu, sans craindre de l’affronter directement, d’accentuer sa crise politique qu’il a lui-même provoquée. Sans non plus écouter tous ceux qui, y compris dans notre camp, appellent à la paix sociale.

La stratégie de l’échec ou une politique indépendante des institutions pour engager l’affrontement

L’unité syndicale qui s’est maintenue a permis le succès des 12 grandes journées d’actions, mais cette stratégie des journées syndicales, uniquement conçues comme un moyen de faire pression dans le cadre bien huilé du dialogue social avec le gouvernement, apparaît aujourd’hui comme une impasse face à l’intransigeance de Macron. Si depuis le début, nombre de militants ont voulu surmonter les limites de cette stratégie de l’échec en s’organisant dans des collectifs pour pouvoir prendre d’autres initiatives, il s’agit maintenant d’en tirer les leçons et de s’en émanciper totalement, pour se préparer à l’inévitable affrontement avec le gouvernement. Être l’aile marchante et active du mouvement ne suffit pas, il faudrait être assez fort pour prendre sa direction politique.

D’autant que même si les grèves reconductibles qui ont commencé dans certains secteurs ne se sont pas généralisées au point de bloquer toute l’économie, la multiplication des actions de blocages de ronds-points, de sites industriels, les piquets de grève, les occupations de fac, les manifestations non déclarées, de jour ou de nuit, ont contribué à entretenir une agitation sociale et politique permanente dans le pays qui a trouvé un large soutien dans la population, et qui a, de fait, élargi le contenu même de la lutte.

Grace à la détermination des équipes militantes du mouvement, ce climat de contestation s’est diffusé dans toute la société et a maintenu une pression tant sur le gouvernement qui s’est retrouvé de plus en plus isolé, que sur l’intersyndicale qui, malgré sa volonté de ne pas rompre le cadre du dialogue social, a maintenu la revendication du rejet de la réforme et appelé, semaine après semaine, à de nouvelles journées de grèves.

Il nous faut continuer pour leur rendre la vie impossible ! Notre combat va au-delà du refus de cette réforme injuste. Il porte une colère sociale profonde, un rejet global de cette société. Une révolte contre les bas salaires, contre l’inflation, contre la précarité, le chômage, contre la dégradation des conditions de travail comme des services publics alors que dans le même temps les profits records s’affichent avec un cynisme total.

De par sa profondeur, son ampleur, sa durée et sa détermination il est devenu un mouvement de contestation globale de cette société, un mouvement politique contre le pouvoir, son cynisme et sa violence, une lutte globale contre les classes dominantes et les institutions à leur service. Il nous faut en prendre conscience et l’assumer pleinement.

Cet élargissement, cette politisation du mouvement est aussi la condition de son renforcement, une étape dans l’affirmation du monde du travail et de la jeunesse en tant que force sociale porteuse d’un autre avenir pour la société contre leur système capitaliste financiarisé en faillite.

En ayant mis à nu les mensonges du gouvernement comme en renforçant la conscience de la nécessité de s’organiser à la base, le mouvement contre la réforme des retraites prépare d’autres luttes contre l’ensemble des attaques que nous subissons et celles à venir, notamment sur la question des salaires qui a pris une importance vitale avec l’accélération de l’inflation.

Comme pour les retraites quand le gouvernement parle de nécessité économique et justifie les faibles hausses de salaire par le risque d’inflation, il ne fait que défendre les intérêts des multinationales et de leurs actionnaires contre ceux de l’immense majorité de la population. La relation entre salaires insuffisants, profits qui explosent et inflation qui s’accélère n’est pas une question économique neutre mais il s’agit bien d’une question de rapport de force entre les classes. Le gouvernement défend les intérêts des multinationales qui utilisent l’inflation pour accroître leurs profits dans un contexte de concurrence et de rétrécissement des marchés, alors que pèse la menace d’une crise financière majeure aux conséquences catastrophiques pour l’ensemble des populations.

Leurs « arguments économiques » ne servent qu’à masquer la lutte de classe qu’ils mènent pour leurs profits. Il nous faut balayer ces mensonges et lutter pour imposer des augmentations de salaires dont la seule légitimité est que c’est une nécessité vitale pour la majorité de la population.

S’organiser par en bas, « faire parti » pour construire le parti de la lutte

Les prochaines étapes du mouvement, sa capacité à s’élargir, à devenir le cadre d’une lutte globale seront difficiles, incertaines. Intervenir au mieux des possibilités, c’est aussi capitaliser toute l’expérience que nous avons déjà accumulée, en apprenant à nous organiser démocratiquement, syndiqués, non-syndiqués, jeunes, gilets jaunes, militants du courant révolutionnaire. Pendant ces trois mois de lutte, nous avons pu entrevoir ce que représente la force collective du monde du travail quand il s’organise et se mobilise. Poursuivre la lutte, c’est renforcer et consolider les liens militants qui se sont construits à la base dans la lutte, « faire parti » pour nous donner les moyens de discuter une autre stratégie que celle de l’intersyndicale. Les militants du courant révolutionnaire sont les catalyseurs de ce processus démocratique d’organisation par en bas, rompant avec les sectarismes d’appareils qui ont la peau dure. A partir des liens réels qui ont été construits avec tous les militants de la lutte, ils participent à l’élaboration d’une réponse politique indépendante du jeu institutionnel et des forces politiques et syndicales qui en dépendent.

L’enjeu est de tirer jusqu’au bout et tous ensemble, quelles que soient nos organisations syndicales ou politiques, les leçons de cette expérience collective unique, et mettre en commun nos forces pour parvenir à formuler clairement l’enjeu de la nouvelle bataille qui vient de commencer. Et au-delà des retraites, nous préparer à la bataille politique globale contre les classes dominantes et l’Etat à leur service.

Que ce soit sur les retraites, sur les salaires ou contre l’inflation, une telle perspective implique de ne compter que sur l’intervention directe des travailleurs, sur leur capacité à s’organiser et à construire leurs propres organes de contrôle de l’économie, en toute indépendance et de fait en opposition à l’ensemble de l’appareil d’Etat, à ses institutions au service des classes dominantes.

C’est une bataille qui porte la seule alternative possible, la contestation de la domination des classes possédantes, la remise en cause de la propriété capitaliste au nom de laquelle elles s’approprient le travail de l’immense majorité et ruinent la société.

Bruno Bajou

 

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