Les petites manœuvres du gouvernement ainsi que sa campagne policière d’intimidation ont reçu une nouvelle fois la réponse du monde du travail et de la jeunesse, massive, déterminée et dynamique, étendue à tout le pays avec 370 manifestations. Jeudi nous étions encore des centaines de milliers dans la rue à dire non aux 64 ans, à exiger le retrait ! La farce de la réception à Matignon de l’intersyndicale la veille a tourné au fiasco pour Borne qui semblait prête à sacrifier sa personne pour jouer le fusible et protéger Macron parti en Chine pour prendre ses habits neufs de chef d’État mondialisé ne manquant pas cependant l’occasion d’attaquer, médiocrement, le mouvement.

C’est la première fois que la Première ministre recevait les organisations syndicales depuis la présentation, le 10 janvier, de la réforme. Et si l’intersyndicale a fait le job en s’affichant unie pour exiger le retrait et retourner la pitrerie du gouvernement contre lui pour en faire un moment de mobilisation, elle a en même temps tenu à s’afficher courtoise et ouverte au dialogue social.

Une réunion pour rien nous dit-on ? Oui, une réunion pour rien si on a cru trente secondes qu’elle pouvait être le début d’un recul du gouvernement ! Personne n’y a cru un instant ! C’est dire que cette réunion inutile avait une autre fonction de part et d’autre de la table de négociation, un jeu de rôles institutionnel pour afficher publiquement la volonté réciproque et partagée d’éviter la rupture et de rester dans le cadre du jeu de dupes du dialogue social. Borne a mis les points sur les i à l’issue de la rencontre sur le perron de Matignon : « Même si nos désaccords sur l’âge n’ont pas permis de discuter de façon approfondie, je pense que cette réunion marque néanmoins une étape importante[...]. Les organisations syndicales, comme elles ont pu vous l’indiquer, sont disponibles pour travailler ultérieurement sur ces sujets et je leur ai dit ma disponibilité et celle de mon gouvernement parce que je n’envisage pas d’avancer sans les partenaires sociaux ». Pour ensuite appeler à ne pas « brusquer les choses », à respecter « une période de convalescence » afin d’éviter que les syndicats ne « sortent humiliés de cette séquence » ! Ces quelques mots ont suffi à mettre en scène un désaccord Borne-Macron, la belle blague ! Son mépris condescendant rivalise avec celui de Macron qui a rappelé le rendez-vous avec l’intersyndicale après la décision du Conseil constitutionnel.

Leur scénario est cousu de fil blanc. Macron fait le calcul de reprendre la main dans la foulée du rendez-vous de Matignon, une fois la réforme entérinée par le Conseil constitutionnel, en s’appuyant sur le geste de l’intersyndicale pour rouvrir le dialogue en engageant de nouvelles négociations bidon, tourner la page peut-être en sacrifiant son fusible pour accréditer le roman mirage d’un renouveau de son quinquennat… L’intersyndicale affiche une unité d’autant plus grande que chaque organisation a besoin de l’autre pour ne pas rompre ce faux-semblant qui consiste à prétendre vouloir imposer le retrait tout en se prêtant aux manœuvres du pouvoir et offrir à Macron une porte de sortie inespérée. Prisonnière de son double jeu, elle contribue à la poursuite de la mobilisation qui, elle, est étrangère à ce jeu de dupes.

Rien à attendre du Conseil constitutionnel et des manœuvres institutionnelles

« Il faut qu’on démontre la force de la démocratie sociale dans le calme, sans violence », dit Berger relayé par la nouvelle secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet : « Notre présence ici, elle, prouve notre sens des responsabilités et du dialogue. Nous avons trouvé face à nous un gouvernement radicalisé, obtus et déconnecté. [….] Le gouvernement porte la responsabilité du désordre. » L’intersyndicale se fait la championne du dialogue et de la démocratie sociale contre le gouvernement responsable du désordre. Elle est cependant bien obligée d’appeler à se mobiliser et de fournir une nouvelle étape au mouvement, tout en restant prisonnière des échéances institutionnelles.

« C’est la responsabilité du Conseil constitutionnel, que nous respectons et que nous ne mettons pas sous pression, explique Berger, d’entendre aujourd’hui que notre démocratie a besoin d’apaisement et que l’apaisement, ce serait que ce texte ne s’applique pas. » Tout en précisant aussitôt qu’il se pliera à sa décision alors que l’intersyndicale appelle à une nouvelle journée le 13 avril, la veille du jour où le Conseil constitutionnel délivrera sa décision. Nous devons poursuivre notre mobilisation, nos actions sous toutes leurs formes, faire du 13 un nouveau succès en ayant bien conscience que l’enjeu est d’affaiblir et d’isoler encore plus le pouvoir sans craindre la crise politique qui est déjà là, provoquée et voulue par Macron. Plus que de faire pression sur le Conseil constitutionnel, il s’agit de concentrer nos forces contre le gouvernement sans craindre qu’il soit contraint de céder la place. Cela veut dire préserver l’indépendance de notre mouvement de toutes possibles combinaisons parlementaires qui pourraient advenir.

Au mieux, le Conseil constitutionnel cherchera une issue qui permettrait à la bourgeoisie et à son Etat d’éviter le pire, de contenir la crise politique plutôt que de prendre le risque de déstabiliser le pouvoir en donnant raison à la rue. Il y a tout à parier que le Conseil constitutionnel se pliera à la décision de Macron tout au plus en recalant quelques points à la marge. Par contre il est sinon probable du moins fort possible qu’il lui soit difficile de refuser le référendum d’initiative partagée (RIP), tant sur le plan constitutionnel que pour donner le change et répondre à la demande de la gauche syndicale et politique.

« Il s’agit d’apaiser et de redonner confiance à l’ensemble des citoyens, en considérant que notre société a besoin d’être écoutée », déclarait Fabien Roussel qui, dans le même temps, reconnaît à Darmanin « cette capacité à écouter les habitants populaires » tout en jugeant, à l’occasion du congrès du PCF, la Nupes « dépassée » ... Certes, le PC ainsi que LFI ont, à juste titre, refusé l’invitation de Borne. « À quoi bon aller perdre son temps à Matignon et faire semblant de discuter là où nos demandes sont extrêmement claires ? » s’expliquait Manon Aubry. Mais l’un et l’autre des rivaux sont dans la même démarche de demander à Macron des mesures d’apaisement.

Si le Conseil constitutionnel ne faisait qu’entériner la réforme, il prendrait le risque d’une explosion de colère et d’une aggravation de la crise politique. Macron, dans l’impossibilité de gouverner, n’aurait plus d’autre choix que la dissolution de l’Assemblée qui se retournerait contre... lui.

De Darmanin à Le Pen en passant par Macron, l’offensive du bloc réactionnaire contre le mouvement

Aux abois, Macron fait la politique du pire, aggrave en réalité sa propre crise et au final, seul le Conseil constitutionnel pourrait trouver une issue bancale mais néanmoins une porte de sortie pour Macron et les partis d’opposition. Donner le joujou du RIP à l’opposition permettrait à l’État de gérer au mieux la situation, de la stabiliser pour le compte du patronat tout en permettant à Macron de rester au pouvoir à moindre coût d’autant qu’il ne peut plus être candidat.

Derrière lui se profile l’ambitieux Darmanin qui se rend indispensable dans le double jeu du gouvernement, le dialogue et la matraque, et occupe le devant de la scène orchestrant le déploiement policier, les intimidations, les violences, la politique de la matraque qu’il justifie par une violente campagne mensongère qui retourne le désordre engendré par sa police contre le mouvement et ses militants, l’ennemi intérieur. Il délire contre « le terrorisme intellectuel » de ce qu’il appelle « l’extrême gauche », le péril de « l’ultragauche ». En écho à la campagne de toute la droite, Raffarin se félicitant du front anti-LFI à l’occasion d’une élection partielle en Ariège, il agresse : « Mélenchon est passé de pompier pyromane à pyromane tout court. Il ne fait qu’appeler aux manifestations interdites, déverse sa haine sur les policiers, essaie d’obtenir par le désordre ce qu’il n’obtient pas par les urnes. M. Mélenchon a un projet : la révolution. » Il diabolise tout ce qui conteste son pouvoir, veut interdire Les soulèvements de la terre et appelle à « cesser de financer des associations » telles que la LDH, « qui mettent en cause gravement l’Etat ». Tout en cherchant à se propulser sur le terrain de l’extrême-droite il fait le jeu de Le Pen tout comme Macron, chacun à sa façon, Le Pen dont ils voudraient faire une nouvelle fois un épouvantail.

Face aux luttes et ambitions parlementaires au sein de ce bloc réactionnaire qui se déchaîne contre le mouvement, il n’y aura pas de réponse dans la gauche gouvernementale, la Nupes, divisée par les rivalités politiciennes et son impuissance comme vient d’en faire la démonstration, ce week-end, le congrès du PC. La seule réponse démocratique, progressiste à la crise sociale, économique, politique des classes dominantes ne viendra que du monde du travail, de ses mobilisations à condition que nous osions postuler au pouvoir politique pour décider de la marche de la société.

Entre le dialogue social, les institutions et la lutte de classe, il faut choisir

Jeudi soir, l’intersyndicale a donc annoncé une nouvelle journée de mobilisation le 13 avril. Tant mieux mais tout le monde voit bien qu’il s’agit de mettre en musique le compromis qui pourrait arranger le monde institutionnel, le gouvernement, l’État et les forces parlementaires, un compromis que pourrait préparer le Conseil constitutionnel. Sauf que ce compromis exclut le principal acteur, le monde du travail, la jeunesse, le mouvement lui-même.

La CGT de la filière déchets et assainissement de Paris a déjà appelé à une nouvelle grève reconductible à partir du 13 avril contre la réforme des retraites après un mouvement de trois semaines, en mars. Les éboueurs pourraient bien donner un nouveau signal de la révolte, « pour le retrait de la réforme des retraites Macron-Borne et pour un retour à la retraite à 60 ans maximum, avec pour les personnels concernés un retour à 50 et 55 ans ». Le 13 on est en grève et le 14 on continue. Pas question de se plier à un verdict du Conseil constitutionnel qui avaliserait la réforme détestée et rejetée par la grande majorité de la population de ce pays.

Pour amplifier, radicaliser l’impulsion donnée par l’intersyndicale nous avons besoin de nous organiser, de tenir des assemblées générales pour discuter et décider de la suite du mouvement, nous coordonner, intervenir sur notre propre terrain, avec nos propres exigences, de mener notre politique en toute indépendance des manœuvres parlementaires pour faire valoir nos droits, exercer notre pression, notre contrôle. Ne laissons pas la politique aux forces institutionnelles et parlementaires, prenons nos affaites en main.

Yvan Lemaitre

 

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