En début du mois, le prix Nobel de physique a couronné trois scientifiques, spécialistes de la physique quantique, la physique de l’infiniment petit, le français Alain Aspect, l’Américain John Clauser et l’Autrichien Anton Zeilinger.

Ils sont récompensés pour leurs travaux qui ont abouti à la vérification expérimentale d’une propriété révolutionnaire : « l’intrication quantique ». Une propriété prévue théoriquement par Albert Einstein dès 1935, mais tellement déroutante et contre intuitive qu’il considérait qu’étant impossible elle était surtout la preuve des limites d’une physique quantique encore en construction... et cela resta un sujet de polémique pendant des décennies avec un autre fondateur de la théorie quantique, Niels Bohr. Et en effet, cette propriété est pour le moins déroutante : deux particules jointes au départ restent unies par des liens indéfectibles, même à très grande distance, et continuent à avoir des comportements semblables...

Comme le dit lui-même Alain Aspect non sans humour : « Les principes de base de la physique quantique sont tout à fait choquants pour l’intuition. Mais rassurez-vous, on finit par s’y habituer ! ». Cela pourrait sembler n’être qu’une discussion scientifique entre spécialistes de la physique quantique, incompréhensible pour le commun des mortels et sans conséquence sur nos vies. Mais en réalité la révolution quantique a déjà été à l’origine d’une première révolution technologique qui a façonné l’évolution récente de la société. Comme le rappelle Alain Aspect : « Elle a notamment permis l’invention d’objets révolutionnaires comme le transistor, les circuits intégrés ou le laser. Elle est en quelque sorte à la base des nouvelles technologies de l’information et de la communication ».

L’intrication quantique, cette étonnante propriété prévue par Einstein et qui a donc été, contre toute attente, confirmée par l’expérience par Alain Aspect en 1982, annonce une seconde « révolution quantique » technologique. Les spécialistes travaillent déjà à la possibilité d’ordinateurs quantiques à la puissance de calculs sans commune mesure avec l’informatique actuelle, mais aussi à la possibilité de communications ultra-sécurisées, ou encore à des capteurs ultra-sensibles qui permettraient de nouvelles mesures d’une précision inégalée.

Une révolution qui a débuté au tournant du XXème siècle

Cette deuxième révolution quantique est une nouvelle étape d’une révolution scientifique commencée par Max Planck au début du siècle dernier alors que les progrès techniques et sociaux transformaient les consciences et que mûrissaient les conditions de la révolution sociale. Pour expliquer le comportement des particules les plus élémentaires qui structurent la matière, Planck a montré que l’énergie qui leur est associée ne peut prendre que des valeurs, des quantités précises, d’où le nom de théorie des quantas. A la même époque, Einstein a révolutionné nos conceptions sur la gravité, l’espace et le temps en développant sa théorie générale de la relativité qui montrait que l’espace et le temps ne constituent pas un cadre fixe et absolu, mais qu’au contraire ils sont étroitement liés évoluant de façon dynamique. Cela a permis de développer de nouveaux modèles cosmologiques, dont la théorie du Big bang, qui décrivent l’expansion de notre Univers depuis plus de 13,8 milliards d’années.

La révolution initiée par ces deux théories, l’une concernant l’infiniment petit, l’autre l’ensemble de l’univers, la physique quantique et la relativité, oblige les scientifiques à inventer une nouvelle vision du monde qui dépasse et intègre la physique classique de Newton, celle qui permet de décrire la grande majorité des phénomènes de notre vie quotidienne. Loin d’être une révolution achevée, cette nouvelle physique a soulevé une multitude de problèmes, de questions qui restent encore pour une large part sans réponse, laissant les deux théories comme incomplètes... « [...] la raison la plus évidente pour laquelle chacune des deux théories est incomplète est l’existence de l’autre. Il ne peut pas y avoir [...] deux théories de la nature, qui décriraient des phénomènes différents, comme si l’une n’avait rien à voir avec l’autre » explique le physicien Lee Smolin...

La révolution scientifique commencée au XXème siècle reste donc inachevée, à l’image de la révolution sociale qui a accompagné sa naissance... L’enjeu pour les scientifiques est de parvenir à unifier la physique de l’infiniment petit et celle de l’infiniment grand pour fonder une théorie complète de la nature qui inclut l’ensemble de nos connaissances de la structure intime de la matière à tout l’Univers.

Un problème qui mobilise depuis des décennies des milliers de scientifiques à travers le monde. Et cette quête nécessite des moyens matériels de plus en plus importants, que ce soient les gigantesques accélérateurs de particules pour scruter l’infiniment petit ou les nouvelles générations de télescopes, comme le télescope spatial James Webb mis en service cet été, et bien sûr aussi l’utilisation d’ordinateurs de plus en plus puissants. Des moyens d’une telle ampleur qu’ils obligent les scientifiques à collaborer à travers le monde.

Des révolutions scientifiques « sans patrie ni frontière »

Alors qu’une partie de la presse se félicitait, non sans ridicule, de ce Nobel « français », Alain Aspect de son côté insistait sur la nécessité de cette coopération internationale : « C’est important que les scientifiques conservent leur communauté internationale quand le monde ne va pas si bien et que le nationalisme s’impose dans beaucoup de pays ».

En effet, dès ses origines, la révolution quantique a été, comme en réalité tous les progrès, le fruit d’un processus et d’une collaboration internationale. La « deuxième révolution quantique » dont parlent aujourd’hui les physiciens, ses enjeux théoriques comme les outils techniques qu’elle implique, nécessitent la plus grande des collaborations à travers le monde pour mobiliser les moyens humains, matériels, techniques, intellectuels. Une telle collaboration ne peut reposer que sur la plus large démocratie et sur la plus grande liberté de penser comme de voyager.

Toute pensée qui se prétend « nationale » est au mieux stérile et surtout réactionnaire, dépassée, hors d’une histoire des sciences qui ne peut se développer qu’à l’échelle internationale.

Le succès extraordinaire du télescope James Webb, qui est en train de bouleverser nos connaissances sur l’univers, montre ce que la coopération internationale sur trois décennies de scientifiques, d’ingénieurs, de techniciens est capable d’accomplir. Et on ne peut que comprendre et partager l’inquiétude d’Alain Aspect comme de nombreux scientifiques face à cette montée du nationalisme, « cette réduction de la démocratie » pour reprendre son expression.

La nécessité de cette collaboration démocratique des scientifiques du monde révèle en retour l’archaïsme des frontières, des rivalités entre Etats, de la logique du marché qui conduit à une mise en concurrence généralisée imposée par une poignée de multinationales qui dominent toute la vie sociale et qui conduit à une catastrophe économique et sociale, climatique, à la guerre. Une violence sociale qui est aujourd’hui devenue un frein aux progrès scientifiques, une entrave qui menace cette collaboration. Pourtant elle est plus que jamais nécessaire et indispensable pour faire face aux nouveaux problèmes auxquels l’humanité est confrontée avec la crise climatique, l’effondrement de la biodiversité, le risque de pandémie et la simple nécessité de permettre à chacun d’avoir accès à l’alimentation ou l’eau potable.

Le triomphe du réalisme ou du matérialisme scientifique sur l’obscurantisme religieux et toutes les formes de complotisme

Malgré ces entraves, les progrès des sciences ainsi que l’ensemble des progrès, fruit du travail humain, se poursuivent améliorant notre connaissance de la réalité matérielle du monde.

Cette réalité que la science nous révèle de plus en plus précisément est celle d’un Univers sans limite ni commencement, en perpétuel devenir, et cela à toutes les échelles, des particules élémentaires de la matière jusqu’à l’infini de l’espace.

La science moderne développe et enrichit ainsi une conception matérialiste, évolutionniste du monde qui sape les bases même de toutes les idéologies qui reposent, à l’inverse, sur la croyance en des lois éternelles, immuables régissant l’univers comme la société.

La science révèle qu’au contraire il n’y a rien de stable, rien de fini ou de définitif, pas plus dans l’histoire de la matière que dans l’évolution de la vie et l’histoire des sociétés humaines. L’univers, à tous ses niveaux, construit en permanence ses propres lois selon un déterminisme historique qui ne suit pas de plan préétabli mais résulte d’un développement ouvert fait d’évolutions et de révolutions.

Le matérialisme, la méthode sur laquelle repose toute démarche scientifique, toute connaissance objective qui se vérifie dans la capacité à agir sur le monde, contribue ainsi à émanciper les esprits. A l’opposé, toutes les idéologies que ce soit au nom de Dieu ou de la patrie s’appuient sur l’ignorance et entretiennent les peurs pour construire des mythes et des croyances, justifications idéologiques du pouvoir des classes dominantes.

A l’heure où les religions, les complotismes de toutes sortes empoisonnent les consciences, il est indispensable de s'approprier et de défendre les apports de la science, de défendre cette conception matérialiste scientifique qui est émancipatrice et dont le marxisme est à la fois l'enfant et le développement, sur le terrain de l'histoire, de l'évolution des sociétés humaines.

Le marxisme n’est ni une utopie, ni une idéologie, ni un dogme. Il s'inscrit en effet dans l'histoire de cette conception scientifique. Il est son application à l'histoire et aux luttes d’émancipation, ce qu'Engels appelait « le socialisme scientifique ». Il est la théorie de l'émancipation qui construit le lien entre la compréhension matérialiste évolutionniste du monde, apportée par l’ensemble des sciences, et le progrès social porté par le travail humain et par les luttes de tous les exploité.es et les opprimé.es contre les classes dominantes et leur idéologie, pour en finir avec l'obscurantisme de l'oppression.

« La science est la solution » ... dans un monde débarrassé du parasitisme des classes dominantes 

N’ayant pour seul horizon que la défense de leurs intérêts les plus étroits, les classes dominantes sont incapables de mobiliser les ressources, les compétences scientifiques, techniques à l’échelle de la planète pour faire face à la crise écologique globale, malgré les avertissements de la communauté scientifique internationale depuis des décennies. Bien au contraire, elles dévoient les progrès techniques et scientifiques au service de leur course aux profits, de leur domination de classe, de la concurrence, de la guerre.

Leur fuite en avant pour sauver à tout prix leur système en faillite fait exploser les inégalités sociales et accentue les ravages de notre environnement, tout en alimentant le développement des replis nationalistes, religieux ou identitaires, la montée de toutes sortes d’idées réactionnaires, d’obscurantismes, de peurs irrationnelles qui nourrissent les théories complotistes et les remises en cause de la science, voire la notion même de progrès.

Contre la montée de ces obscurantismes, Alain Aspect et bien d’autres scientifiques défendent la science. Ils ont bien raison ! « La science n’est pas l’ennemie des problèmes actuels », comme « le réchauffement climatique », a-t-il ainsi déclaré. Et en effet, ne serait-ce que la compréhension de l’origine humaine des bouleversements climatiques repose sur la coopération de milliers de scientifiques à travers le monde depuis des décennies, qui ont travaillé à recueillir des données climatiques grâce à un réseau international de stations et de satellites, à les traiter et les modéliser grâce à des ordinateurs de plus en plus puissants... et il en est de même pour des solutions envisagées par eux pour y faire face... « La science est la solution. » défend Alain Aspect

Oui, mais en ayant conscience que jamais la contradiction n’a été aussi grande entre les possibilités ouvertes par la science et la technique et la réalité d’une société où explosent les inégalités sociales, la misère jusqu'à la famine, où menacent les guerres et où l’incurie des classes dominantes nous conduit à la catastrophe économique, sociale, écologique tout en paralysant l’ensemble de la société pour y faire face.

La science est la solution si, débarrassée du parasitisme de la propriété privée, elle est mise au service de l’intérêt de tous pour s’attaquer et résoudre les problèmes qui concernent l’ensemble de l’humanité, et non pas détournée de son utilité sociale au profit des intérêts d’une minorité et de leur folle et mortifère logique d’accumulation du Capital.

Des révolutions scientifiques qui participent de l’émergence d’un nouveau monde...

Les progrès des sciences et des techniques ont fait de cette planète un village interconnecté où les connaissances peuvent circuler instantanément, créant pour la première fois les conditions d’un débat démocratique mondial permanent, d’une mise en commun de toutes les compétences dont cette société est riche, de l’émergence d’une intelligence collective à l’échelle de l’humanité.

Cette possibilité permise par les progrès techniques éveille déjà et transforme profondément les consciences à travers le monde. Elle fait naître, notamment dans la jeunesse, de nouvelles aspirations démocratiques et la conscience de la nécessité et de la possibilité de prendre son sort en main, en refusant de se soumettre à cet archaïsme que constitue le pouvoir des classes dominantes avec leur nationalisme, leurs dogmes religieux, leurs idéologies réactionnaires qui ne visent qu’à soumettre les esprits.

Les progrès scientifiques accentuent le décalage entre les possibilités de développement social qu’ils ouvrent et la réalité de cette société de classe qui repose sur l’exploitation et l’oppression, ils révèlent en cela les contradictions du capitalisme, rendant d’autant plus insupportables tous les obscurantismes qui ne servent qu’à justifier les inégalités et les injustices. Ils contribuent à transformer la société en profondeur, à accélérer les évolutions de conscience et conditionnent aussi les évolutions possibles, indiquent le sens, les objectifs des combats à mener...

Décrire et rendre conscients ces transformations et ces objectifs de la lutte émancipatrice, tel est l’apport des idées socialistes dans leur forme moderne, celle du socialisme scientifique développé par Marx et par Engels. En s’inscrivant pleinement dans le développement des sciences de son temps, Marx a montré que le capitalisme n’est qu’une forme temporaire de l’histoire des sociétés vouée à disparaître, tout en décrivant les mécanismes internes à l’origine du rapport d’exploitation salariée. « Ces deux grandes découvertes : la conception matérialiste de l'histoire et la révélation du mystère de la production capitaliste au moyen de la plus-value, nous les devons à Marx. C'est grâce à elles que le socialisme est devenu une science, qu'il s'agit maintenant d'élaborer dans tous ses détails » comme l’expliquait Engels. 1

Depuis, les progrès et les révolutions scientifiques et techniques n’ont fait qu’accentuer et révéler les contradictions du capitalisme mondialisé tout en constituant autant de points d’appuis qui rendent possible et nécessaire un bouleversement de tout l’ordre social pour les dépasser. Ils créent les conditions matérielles pour une société démocratique, débarrassée du parasitisme des classes exploiteuses, de toute forme d’exploitation et d’oppression, qui repose sur la solidarité et la coopération entre les peuples, sur le respect des limites naturelles de notre planète… Un nouveau monde où, libérés des rapports d’exploitation et des idéologies réactionnaires, les êtres humains pourront pleinement se réapproprier les fruits de leur travail collectif et donner ainsi la pleine mesure de ce que les progrès techniques et scientifiques sont capables d’accomplir, sans prétendre follement à dominer la nature mais en contribuant à l'harmonie entre l'humanité et elle qui sont pleinement... « intriquées ».

Bruno Bajou

1 Engels, « Socialisme utopique, socialisme scientifique », https://www.marxists.org/francais/marx/80-utopi/utopie.pdf

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