Après des semaines et des semaines de politique spectacle personnalisée au-delà de la caricature où les politiciens se mettent en scène pour assurer leur carrière et ambition, la machine électorale qui sélectionne celles et ceux qui vont continuer à faire vivre le théâtre d’ombres du parlement, des institutions, masque du véritable pouvoir du capital, a donné son verdict. Selon les premières estimations, à l’heure où nous écrivons, Macron n’aura qu’une majorité relative après avoir, depuis le tarmac d’Orly, le jour de son départ pour la Roumanie, la Moldavie puis, au final, Kiev, exhorté à « donner une majorité solide » au pays au nom de « l'intérêt supérieur de la Nation ». Son avion a certes décollé mais sa majorité est restée clouée au sol ! Faute de majorité absolue avec au maximum 235 députés, une baffe, il devra cohabiter avec une opposition où l’extrême droite, le RN, occupe une solide et menaçante position avec un groupe parlementaire d'au moins 80 députés alors que la bulle Zemmour, produit du marketing médiatique, s’est dégonflée. Si Mélenchon a perdu son pari, il ne sera pas Premier ministre, la NUPES a réussi son défi, gagner au moins 150 députés en recollant les morceaux d’une gauche faillie et brisée alors que le pouvoir en panique rejouait le numéro ridicule de la grande peur contre ceux-là mêmes qui avaient assuré au deuxième tour de la présidentielle son élection contre Le Pen. Quant à LR, avec au moins 80 députés, il espère tirer son épingle du jeu des difficultés de Macron pour monnayer son soutien...

Le spectacle n’a pas réellement fait recette. Ce deuxième tour, annoncé à longueur de débat comme décisif, historique, a laissé indifférent voire a suscité un solide rejet, une hostilité avec une abstention plus forte qu’au premier tour qui atteindrait les 54 %.

Ce profond rejet n’est ni indifférence ni apolitisme, il prend une signification politique claire que le monde politico-médiatique cherche à nier, celui du rejet d’une démocratie soumise entièrement aux intérêts et au diktat de la finance qui non seulement contrôle et dirige l’économie mais, par la dette publique, tient l’État dans sa main sans parler de l’impuissance de ce monde politique narcissique aveuglé par lui-même.

Et c’est bien une crise politique profonde qui mûrit et dont s’inquiètent les politiciens et leurs patrons. Le pays deviendrait ingouvernable, la révolte sociale gronde et menace alors que les directions syndicales sont déconsidérées, que le jeu parlementaire tourne à vide quels que puissent être les efforts des nouveaux promus de la NUPES pour tenter de lui redonner vie ou ceux du RN pour laisser croire que les uns ou les autres seraient une réelle opposition capable, demain, de changer la vie.

Derrière les effets de tribune et les discours de bateleur, s’engage une nouvelle bataille parlementaire à travers laquelle Macron poursuivra son rêve d’apprenti Bonaparte pour déployer son « économie de guerre » et vont se dessiner les nouveaux visages, se construire les nouveaux rapports de force entre les différents partis postulant à gérer l’ordre établi. Pour le monde du travail, il s’agit de construire une opposition extraparlementaire pour se protéger et se défendre, lutter pour ses droits et le pouvoir face à la déroute capitaliste.

Le désaveu de la caste politicienne au service d’un système condamné

« L’assemblée nationale des playmobils », c’est fini nous dit la NUPES promettant de redonner vie à un parlement qui ne serait devenu qu’une cour d’enregistrement. En réalité, des godillots aux playmobils, il n’y a qu’une différence superficielle d’époque. L’assemblée nationale associée au Sénat n’était depuis De Gaulle qu’une assemblée soumise au régime présidentiel dans lequel Mélenchon n’a manqué ni de talent ni d’envie et de passion de se mouler. Quoi qu’il en soit, le parlement ne sera jamais qu’une assemblée délibérative soumise au contrôle du Sénat et aux décisions de l’appareil d’État, lui-même soumis au capital, non seulement par toute son histoire, par ses pivots, l’armée et la police, par la dette détenue par la finance privée à laquelle les finances publiques versent, chaque année, une rente qui grossit en permanence. Aussi animés que deviennent les playmobils parlementaires ils seront impuissants à changer cette réalité.

La fonction réelle du parlementarisme est de permettre à la bourgeoise de gérer ses affaires dans une relative stabilité politique, un consensus national qu’aucun parti parlementaire ne remet en cause ni ne conteste. Le problème pour la bourgeoise, en l’occurrence l’oligarchie financière, est que la machine est grippée. La confrontation entre les discours politiciens et la réalité des politiques menées par les partis au gouvernement ou leur politique au parlement les discrédite de plus en plus.

Macron pensait pouvoir s’élever au-dessus de la mêlée et de l’opposition pour se faire le garant de « la cohésion nationale », il s’est plutôt enlisé dans le marais de la décomposition politique dont il est le produit.

Alors que tout converge pour aggraver les ravages du capitalisme, taux d’intérêt et menace de krach boursier, exacerbation de la concurrence, guerre, spéculation, inflation, explosion de la dette, récession, crise climatique et alimentaire, pandémie, la préoccupation des partis est de se hisser au pouvoir en prétendant apporter une réponse à cette « crise de la démocratie », c’est à dire la crise de l’autorité de l’État. D’où d’ailleurs leur incapacité à prendre en compte la déroute globale du capitalisme, leur aveuglement devant cette réalité brutale qu’ils se refusent à voir parce qu’elle ruine par avance leur démagogie. « Le chaos économique », ce n’est pas seulement Macron comme le prétend Mélenchon mais le système lui-même quel que soit le gouvernement à la manœuvre. La majorité de la population en a une conscience de plus en plus claire. Elle échappe à tout contrôle des appareils et chapelles idéologiques, les cerveaux se libèrent, la parole aussi. Le voile se lève sur la fonction réelle de l’État, de sa police, servir la bourgeoise, les classes privilégiées et maintenir un ordre injuste et inégalitaire, destructeur et prédateur. La fonction de l’État et celle aussi des politiciens parlementaires...

La menace Le Pen, du groupe parlementaire à la radicalisation

« Nous pouvons arriver en tête dimanche », avait déclaré Le Pen le soir du 10 juin. Le RN en est loin, mais il dépasse LR avec au moins 80 députés ce qui lui permettra de peser au Parlement.

Le RN laisse la place de premier opposant à la Nupes même s’il progresse puisqu’il ne comptait que huit députés sous la précédente législature. Il était présent au second tour dans plus de deux cents circonscriptions, deux fois plus qu’il y a cinq ans -le FN avait pu se maintenir dans 110 circonscriptions. Avec 19,2 % des voix, scrutin après scrutin, le RN poursuit sa progression, puisque son score est d’environ 6 points supérieur à celui de 2017. Il confirme que dans la recomposition qui se poursuit à l’échelle nationale, l’extrême droite s’affirme bien comme une menace pour l’avenir dans le contexte de guerre et de crise politique et sociale. Si Zemmour et Reconquête ont pris une claque sévère -tous leurs candidats étaient éliminés dès le premier tour-, l’écho qu’ils ont rencontré dans l’électorat de droite indique la direction que va prendre le RN « dédiabolisé ».

La « crise de la démocratie » donne à l'extrême droite sa fonction et sa raison d'être. Marine Le Pen se porte candidate à un pouvoir fort qui ferait d’une partie de la population ses supplétifs idéologiques et policiers pour propager la division des préjugés racistes et les mettre en œuvre dans la vie quotidienne, y compris par la violence physique, tournée aussi contre les travailleur/ses, les exploité.es, les militant.es syndicalistes et politiques du mouvement ouvrier. Il est probable qu’une partie du patronat voit dans une extrême-droite débarrassée ou pas de Le Pen une force qui pourrait lui être utile en préparation des tensions sociales et politiques à venir.

La NUPES, une stratégie parlementaire sans issue pour le monde du travail

Après l’abstention, le fait marquant de ces élections est la percée de la Nupes portée par la campagne de Mélenchon qui a su comprendre et saisir l’occasion offerte par une situation sociale et politique en pleine évolution pour développer une stratégie parlementaire de conquête du pouvoir y compris après son échec à la présidentielle. Il a su inscrire LFI dans une bataille électorale inédite alors que le mouvement révolutionnaire était, lui, incapable de comprendre et de saisir les possibilités nouvelles pour fonder sa propre stratégie.

« J’appelle notre peuple à déferler dimanche prochain » avait déclaré Mélenchon au soir du premier tour persistant dans sa stratégie de se faire élire Premier ministre. Son « échec » attendu ne doit pas nous cacher la signification de sa bataille politique certes parlementaire mais néanmoins une campagne qui, de fait, posait la question du pouvoir, qui dirige au service de quels intérêts sociaux, bataille politique, prisonnière du cadre institutionnel, mais qui posait la bonne question tout en y apportant une réponse sans issue. Elle a cependant permis à Mélenchon de capter un électorat radical, ouvrier, populaire, jeune alors que le mouvement révolutionnaire était, lui, incapable de poser et de formuler une réponse à cette question centrale, le pouvoir, qui dirige au service de qui.

Et c’est cette façon de Mélenchon d’oser poser la question du pouvoir qui lui a valu une large sympathie tout autant qu’une hostilité du bloc réactionnaire, dénonçant « la gauche néo-trotskiste… » « une gauche décolonialiste, qui réécrit l’histoire, une gauche wokiste, qui nie les valeurs de la République, et c’est une gauche islamo-gauchiste. » « une extrême gauche anarchiste » ! Le propos peut amuser, il relève de la propagande la plus grossière, mais il est aussi l’expression déformée de façon caricaturale de la question qui est au cœur de tout le débat politique, au cœur des luttes aussi, qui dirige, pourquoi, la question aussi de l’impérieuse nécessité de changer radicalement la façon de produire et d’échanger, de mettre fin à la domination capitaliste.

C’est là aussi le talon d’Achille de la NUPES. On ne peut combattre ni Macron ni l’extrême-droite et encore moins le capitalisme en élisant des députés NUPES afin que Mélenchon devienne Premier ministre.

Le capitalisme est en proie à une crise mondiale qui ne peut être résolue à l’intérieur des frontières de la seule France, l’inflation participe d’une guerre sociale alors que la guerre elle-même se mondialise. Mais en offrant ses services en tant que premier ministre « de notre patrie commune » à Macron, qui contrôle la politique extérieure, Mélenchon a indiqué qu’il ne s’opposera pas à ces politiques. Il a, d’ailleurs, tenu à le rappeler à l’occasion du déplacement de Macron à Kiev. Il ne veut pas, non plus, mobiliser la classe ouvrière.

Nous ne savons pas ce que sera l’avenir de Nupes, chaque composante essaiera d’avoir son groupe parlementaire tout en préservant un cadre commun avant que l’ensemble n’éclate sous la pression de l’aggravation de la crise tant économique que politique et internationale. La pression nationaliste et militariste révélera sous peu l’impuissance des joutes parlementaires, la vanité des discours démagogiques et ouvrira vite la porte à de nouveaux besoins, la nécessité de réponses politiques nouvelles.

Nous rassembler pour construire une opposition démocratique et révolutionnaire

L’abstention combinée à l’écho rencontré par la NUPES sont l’expression, au-delà de leur dimension électorale, des changements, des maturations qui s’opèrent au sein du monde du travail, des classes populaires, de la jeunesse. Alors que s’expriment un rejet sans perspective du système, un réel écœurement des jeux politiciens, renaît, en particulier dans les milieux militants, l’espoir de pouvoir changer le monde même s’il prend la forme d’illusions électoralistes et parlementaires, institutionnelles. Il y a là deux formes d’expression des évolutions des consciences, d’une révolte ouvrière et populaire qui prépare des explosions sociales et politiques à venir, premiers moments d’affrontements plus larges. L’enjeu de la bataille politique qui commence est de les dépasser l’une et l’autre pour construire une perspective révolutionnaire qui permette d’armer la révolte d’une volonté politique indépendante des illusions parlementaires, électoralistes, qui encourage chacune et chacun à devenir les acteurs conscients d’un mouvement collectif par en bas. Oser imaginer, penser le pouvoir hors de cette république dont les uns et les autres nous rebattent les oreilles pour imaginer une république sociale, démocratique et révolutionnaire.

Ces évolutions sont inscrites dans les transformations de la société sous la pression de la déroute du capitalisme à l’échelle mondiale. Un conflit de classe international est en cours, entraîne les travailleurs à entrer en lutte. Il porte en lui les réponses à l’impasse dramatique du capitalisme dans la perspective de la contestation du pouvoir de la finance pour transférer le pouvoir aux travailleurs, à la population.

Notre tâche est de trouver notre place dans ces évolutions spontanées naissant du conflit de classe pour leur donner la conscience d’elles-mêmes, de leurs ennemis et faux amis afin de changer les rapports de force, rompre avec le nationalisme et le parlementarisme pour conquérir des positions dans l’objectif de prendre en main le contrôle de la marche de la société.

Assumer nos responsabilités suppose de la part du mouvement révolutionnaire esprit critique et lucidité pour faire le bilan d’une séquence électorale qui a révélé ses limites. Divisé par ses échecs passés, le mouvement révolutionnaire n’a pas été capable de s’unir pour porter une réponse radicale, globale à la fuite en avant des classes dominantes pas plus qu’aux prétentions du nouveau populisme de gauche réformiste de Mélenchon. Au contraire même, une partie du mouvement s’est ralliée à lui cherchant un strapontin au prix d’une abdication politique.

A défaut de réussir à rassembler ses forces autour d’un programme et d’une stratégie inscrite dans les bouleversements en cours provoqués par la nouvelle phase de développement du capitalisme mondialisé, de les avoir anticipés, les révolutionnaires sont marginalisés et leur division s’accroît alors que nos idées prennent pour beaucoup un contenu plus concret, plus crédible !

Militer pour le nécessaire rassemblement des différentes fractions, tendances ou courants du mouvement révolutionnaire n’est pas un hochet, une recette œcuménique, un simple argument contre le sectarisme ou l’opportunisme, c’est un choix stratégique. Un choix, c’est à dire une volonté qui se décline tant dans la recherche de cadres communs d’action, de discussions visant à l’efficacité, à construire des liens de solidarité, démocratiques que dans la volonté, en rupture avec les politiques d’autoproclamation, de construire le cadre stratégique et programmatique qui permette le rassemblement, en définisse le contenu. C’est une telle volonté qui nous donnerait les moyens de mener la bataille au bon niveau, la confrontation publique et large entre la politique du pouvoir qui nourrit l’extrême droite pour sauver l’ordre établi et le programme du populisme de gauche condamné à l’échec et aux désillusions, pour ouvrir une perspective démocratique et révolutionnaire, l’intervention directe des classes exploitées pour changer le monde maintenant !

Yvan Lemaitre

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