Sans surprise, le premier tour des élections législatives place en tête, très largement, le parti de l’abstention à travers lequel s’exprime le rejet d’une démocratie où les dés sont pipés et dont l’enjeu essentiel est de sélectionner qui veillera au sommet de l’État, de ses institutions, à la gestion des affaires des classes dominantes. Elle atteint 52,8 % au lieu de 51,3 % en 2017.
Les premières estimations, à l’heure où nous écrivons, soulignent les difficultés de Macron et de son gouvernement de « renaissance » dont les candidats réaliseraient 25,2 %, au coude à coude avec NUPES qui obtiendrait aussi 25,2 %. Il est de plus en plus probable que Macron n’obtienne pas de majorité absolue. Nous ne pouvons que nous en réjouir d’autant que ce vote sanction se porte principalement sur la NUPES, et non sur le RN qui ferait moins qu’à la présidentielle, avec 18,9 %. Nous sommes solidaires de toutes celles et ceux qui croient pouvoir faire opposition à Macron et à l’extrême droite par leur bulletin de vote, portés par l’espoir d’une possible majorité parlementaire qui imposerait Jean Luc Mélenchon comme Premier ministre dans le cadre d’une cohabitation.
Nous pensons cependant que ces illusions contribuent à désarmer le monde du travail dans sa lutte pour imposer ses revendications et exigences. Elles participent du manque de confiance dans les possibilités de la lutte collective qui conduit une grande partie des classes populaires à se réfugier dans l’abstention ou de vains espoirs. Non seulement une cohabitation avec Macron serait impuissante à changer quoi que ce soit mais elle provoquerait de nouvelles désillusions et démoralisations. Cohabiter avec Macron, c’est aussi et surtout cohabiter avec le capital, le pouvoir des multinationales et les privilèges des riches même si on croit pouvoir les égratigner.
Pour nous l’enjeu de ces élections n’est pas d’arbitrer les rivalités entre les forces politiques qui aspirent à gérer le système. Ce premier tour des législatives ne pouvait être qu’une tribune pour faire entendre la voix des travailleurs, défendre un programme pour les luttes et la transformation révolutionnaire de la société à l’heure où l’urgence de changer la façon de produire et d’échanger les richesses, d’en finir avec le capitalisme s’impose.
Les candidats du NPA ou de Lutte ouvrière pour lesquels nous appelions à voter là où le NPA n’était pas présent, sa direction préférant faire campagne pour NUPES, réalisent des scores très modestes dans la continuité de la présidentielle. Notre courant politique est aujourd’hui minoritaire, tout particulièrement sur le terrain électoral et institutionnel, mais les idées que nous portons gagnent du terrain, rencontrent une sympathie et un écho face à la catastrophe mondialisée dans laquelle le capitalisme entraîne la société.
Pour nous la lutte politique vise à contribuer à la prise de conscience qu’il est possible de changer le monde, à donner confiance aux exploités, aux opprimés en leur force, à aider à l’émergence d’une force politique qui soit leur instrument pour leur émancipation et celle de l’humanité. Il n’y a pas de sauveur suprême et personne ne nous défendra à notre place.
La démocratie est un mot creux sans la prise de parole des exploités et des opprimés, le besoin irrépressible de faire entendre sa voix, de se faire son opinion, de se battre pour elle, de conquérir des positions pour défendre ses idées et ses exigences en se dégageant des appareils électoraux.
C’est le point de départ de la mobilisation pour conquérir le droit de contrôler la marche de l’économie et de la société, la conquête de la démocratie pour construire un gouvernement des travailleurs et des classes populaires capable de prendre les mesures nécessaires à la satisfaction de nos exigences et à l’avenir de la société, annuler la dette, exproprier la finance, mettre en place un monopole bancaire pour en finir avec la propriété capitaliste afin que les richesses que nous produisons soient mises au service du plus grand nombre.
Cette démocratie est contagieuse, c’est elle que craignent les classes dominantes et leurs serviteurs, d’extrême-droite, de droite mais aussi de gauche.
Au mieux, pour eux, il s’agirait pour nous de bien voter. Nous exigeons bien plus en particulier le droit de demander des comptes, de contrôler les élus, de les révoquer s’ils ne respectent pas leurs engagements, de choisir nos représentants parmi les nôtres et non au sein des catégories sociales privilégiées et qu’ils touchent le salaire moyen des salariés.
Le quatrième tour électoral de dimanche ne changera rien pour le monde du travail
Certes Macron pourrait être mis en difficulté, privé d’une majorité à sa botte malgré un mode de scrutin antidémocratique qui, par la logique des alliances, favorise le camp réactionnaire. Anticipant ses difficultés à venir, il a sorti un nouveau gadget, un « Conseil national de la refondation » avec les « forces politiques, économiques, sociales, associatives » ainsi que des citoyens tirés au sort, aréopage destiné à donner à sa politique contre la population sur l’inflation et la hausse des prix, les attaques contre les retraites ou les prétendues mesures pour l’écologie ou la réformes des institutions un verni consensuel grâce au faux semblant du dialogue social. Il a d’ailleurs, la veille du 1er tour, vendredi, invité les représentants des confédérations syndicales pour un « déjeuner de travail » à l’Élysée, auquel seul Philippe Martinez pour la CGT a refusé de se rendre, Solidaires n’étant pas invité. Au moment où c’est l’organisation d’un mouvement d’ensemble sur les salaires qui devrait être à l’ordre du jour, les directions syndicales discutent du CNR, le cadre de leur collaboration avec Macron !
Alors qu’aux crises sanitaire, économique, climatique, l’absurdité du capitalisme vient rajouter l’irruption de la guerre au cœur de l'Europe, qu’il devient impératif, urgent de transformer radicalement notre façon de produire et d’échanger, la réponse des classes dominantes, c’est la fuite en avant. Nous faire travailler plus pour gagner moins résume leur politique pour sauver leurs profits et faire face à la concurrence.
Et en prime pour le capital, continuer à baisser les impôts de production ainsi que les cotisations sociales patronales, les « charges », afin de « réindustrialiser la France » dixit Le Maire qui prétend vouloir « continuer à se battre sur la compétitivité hors coûts et l’amélioration de l’offre française », c’est à dire faire baisser le coût du travail, s’attaquer à notre niveau de vie pour perpétuer un système qui ruine la société et la planète.
Être radical, c’est prendre le mal à la racine, la propriété privée capitaliste, la concurrence et le profit
En réponse à cette fuite en avant, NUPES et Mélenchon prétendent apporter une réponse de gauche, une réponse du peuple, une réponse progressiste, un populisme de gauche qui se situe dans le cadre du système, une autre voie pour préserver l’ordre existant même si elle n’a pas aujourd’hui les faveurs du patronat.
La NUPES ne répond pas aux intérêts et besoins du monde du travail mais vise à servir l’ordre établi. Loin de renforcer la conscience de classe, elle la dilue, l’étouffe dans sa démagogie populiste, électoraliste et nationaliste. De ce point de vue, le fait que Mélenchon se situe dans une perspective de cohabitation est significatif du contenu social et politique de sa démarche.
Son « programme partagé », catalogue de 650 points, en est une autre illustration. Sur la question aujourd’hui brûlante des salaires, la NUPES défend maintenant un Smic net à 1500 euros, ce qui est mieux que la revendication initiale de 1400 euros, mais bien insuffisant, même pas au niveau des 2000 euros brut, soit plus de 1600 net que revendique la CGT et bien loin des 1800 à 2000 euros nets nécessaires pour vivre décemment.
Pour les salaires supérieurs au Smic (soit, aujourd’hui, 88 % d’entre eux), la Nupes se borne à annoncer son intention d’« organiser une conférence sociale générale sur les salaires ainsi que dans chaque branche, qui aborderont notamment : les augmentations de salaires (…) les écarts de salaires (…) la répartition de la valeur. » Rien donc sur l’augmentation générale des salaires et des pensions, pas d’échelle mobile des salaires, l’indexation automatique des salaires, retraites, allocations et prestations sociales sur les prix. Sur la question de l’emploi, un « droit de veto suspensif des comités d’entreprise sur les licenciements », rien sur l’interdiction des licenciements ou le partage du travail entre toutes et tous avec maintien du salaire. Une politique qui n’égratigne pas les intérêts du patronat.
« On tient la bonne méthode : dire crûment que l’on peut vivre autrement, et que pour cela il faut répartir différemment le fruit de la richesse produite entre capital et travail.[…] Un nouveau compromis social est donc possible avec le capital productif. Mais, s’il n’en veut pas, on se passera de lui. », explique Mélenchon. Rodomontade d’une hypothétique majorité qui ne se donne pas les moyens de sa politique et n’envisage nullement de mobiliser « le peuple » contre le capital financier.
Le « programme partagé » défend la VIe République qui devrait avant tout permettre la mise en place d’« un régime parlementaire stable ». Nous sommes loin d’une véritable démocratie. La République de Mélenchon n’a d’autre objectif que de rénover des institutions discréditées, une machine électorale incapable de remplir son rôle, encadrer le mécontentement populaire. A l’opposé, il est indispensable de tracer la perspective d’un gouvernement des travailleurs et des classes populaires dont ces derniers seraient les acteurs permanents et directs avec des élections à la proportionnelle, la fin du régime présidentiel et du bicamérisme, une démocratie directe, à la fois législative et exécutive, des assemblées populaires locales, des comités de travailleurs contrôlant la marche des entreprises.
Les objectifs et la méthode se rejoignent et par-delà les élections, le monde du travail a besoin d’un programme et d’une stratégie cohérente pour prendre le contrôle de la société, la gérer en fonction des intérêts du plus grand nombre pour en finir avec les pouvoirs exorbitants d’une minorité.
L’évolution du capitalisme mondialisé ne laisse pas le choix, il est moins aménageable, moins réformable que jamais.
L’offensive réactionnaire que Macron s’engage à poursuivre nourrit l’extrême droite. La NUPES, quant à elle, ne peut que générer de nouvelles désillusions, déceptions qui, comme les reniements de la gauche dans le passé, la renforcent. La seule issue est la mobilisation sociale et politique pour défendre nos droits sociaux et démocratiques.
Nous sommes solidaires de toutes celles et ceux qui iront voter NUPES, nous comprenons leur envie de donner une baffe à Macron dimanche prochain, mais nous n’avons aucune illusion à nous faire. La réponse progressiste et démocratique à la faillite capitaliste ne peut venir que de nous, pas du bulletin de vote mais de la force collective du monde du travail pour imposer ses exigences.
Ce n’est pas une majorité d’opposition à Macron qui pourra changer les choses. La gauche au gouvernement s’est toujours pliée au jeu institutionnel et aux puissances de l’argent. Quand bien même Mélenchon réussirait son pari d’être « élu Premier ministre » et obtiendrait de Macron quelques mesures sociales pour désamorcer la colère des classes populaires, il n’aurait d’autre choix que de se soumettre lui aussi au diktat de la finance, à la propriété capitaliste qu’il ne veut pas remettre en question.
Alors que ce système s’effondre à l’image des systèmes de santé et d’éducation à bout de souffle, la satisfaction de nos besoins, la paix, la réponse à la crise climatique exigent une remise en cause radicale de la domination des capitalistes et de l’État qui les sert.
Pour cela, il est possible et nécessaire dès maintenant de nous organiser pour exiger une hausse générale de nos salaires d’au moins 400 € net pour toutes et tous et un revenu minimum de 2000 € net. Pour mettre fin au chômage et à la précarité, organiser la répartition du travail entre toutes et tous.
La lutte pour les droits démocratiques, pour l’égalité entre les sexes, pour les droits des LGBTI, contre toutes les oppressions et discriminations, est notre affaire à toutes et tous.
Cette lutte est une lutte internationaliste contre le poison du nationalisme, le chauvinisme et le racisme. Elle passe par la défense des migrant.es quelle que soit leur origine, la liberté d’installation et de circulation, la régularisation de tous les sans-papiers.
Contre l’Europe du capital et de la guerre, nous voulons construire une Europe de la solidarité des travailleurs et des peuples.
Notre quatrième tour, développer nos luttes et la lutte pour un parti des travailleurs ouvert, large, démocratique et révolutionnaire
Bien des travailleurs ont engagé la lutte pour les salaires, contre les licenciements ou pour les conditions de travail ces dernières semaines. De multiples conflits ont ponctué à travers tout le pays la période électorale malgré la passivité des directions syndicales. Nombreux sont celles et ceux qui comprennent bien que nous n’aurons rien si nous ne prenons pas nos affaires en main sans attendre quoi que ce soit des promesses électorales ou de la concertation et du dialogue social. Il manque cependant, alors que le vieux monde politicien se décompose, que les faux espoirs du passé sur la gauche sont devenus désillusions, une nouvelle perspective politique tirant les leçons des échecs pour forger une nouvelle conscience collective libre des appareils intégrés à l’ordre établi pour construire nous-mêmes l’avenir en en étant les acteurs conscients.
Pour les militant.e.s du mouvement ouvrier la tâche de l’heure est de préparer la suite en œuvrant au rassemblement de toutes celles et ceux qui ne sont pas dupes de l’électoralisme du vote utile et qui ont conscience que rien ne nous évitera la lutte sur notre terrain et avec nos armes de classes. Prétendre l’inverse, c’est vouloir instrumentaliser le mécontentement et la colère à des fins politiciennes qui n’ont rien à voir avec les intérêts de la population.
Au rassemblement des divers morceaux d’une gauche faillie sous un nouvel emballage populiste, il est indispensable d’opposer une force politique capable d’ouvrir une perspective qui arme nos luttes et combats quotidiens, les lie à une stratégie de conquête du pouvoir en rupture avec le capitalisme et ses institutions pour en finir avec la domination de l’oligarchie financière et réorganiser l’économie, la société pour afin de les mettre au service de la population et non d’une minorité parasite et prédatrice.
Nous souhaitons que toutes celles et ceux qui se sont retrouvés dans la campagne de Nathalie Arthaud et de Philippe Poutou, indépendamment des désaccords et divergences, des incompréhensions, se coordonnent, se regroupent sans confusion ni ambiguïtés vis à vis de la gauche de gouvernement autour d’un programme et d’une stratégie révolutionnaire pour avancer vers la construction d’un parti des travailleurs, large ouvert, démocratique, révolutionnaire.
Yvan Lemaitre