Le 17 septembre, plus de 3000 salariés de la santé (chiffres provisoires) étaient suspendus sans salaire pour défaut de vaccination. Une « infime minorité » d’après gouvernement et directeurs d’hôpitaux même si dans les Ehpad et divers établissements la situation, déjà très tendue du fait de la pénurie de personnels, est devenue plus que problématique. Dans certains hôpitaux, les directions ont demandé à des non vaccinés de rester quelques jours, d’autres se donnent un délai pour demander le statut vaccinal de chacun, sans compter les départements et territoires d’outremer où le gouvernement a par avance expliqué que la loi ne pouvait pas s’appliquer sous peine d’un effondrement du système de santé. La conférence nationale des directeurs généraux de CHU n’en communiquait pas moins le 16 au soir « avec satisfaction » que « 98 % des professionnels des CHU sont vaccinés ».

Alors comment expliquer une telle aberration alors que les hôpitaux peinent à recruter, un tel déferlement de menaces et de chantage ? Comment justifier de suspendre des milliers de travailleuses et travailleurs au lieu de leur proposer des postes moins exposés, en sachant que beaucoup ne reviendront jamais puisque l’obligation vaccinale est sans limitation de durée ? Et cela alors que le gouvernement évoque la levée prochaine d’une partie des contraintes dans les lieux publics.

Le gouvernement envoyait hier ces mêmes travailleuses et travailleurs sans masques ni protections, sans compter les heures supplémentaires, les repos et congés supprimés en allant jusqu’à exiger que, même positifs au Covid, ils viennent travailler s’ils étaient asymptomatiques.

Les médailles et envolées lyriques d’hier ont laissé place aux accusations, à la volonté de contraindre. Comme si le gouvernement entendait faire payer les hausses de salaire qu’il a dû céder avec le Ségur de la santé : 183 € dans le public, 160 € dans le privé lucratif auxquels s’ajoute la refonte des grilles de salaire des soignants. C’est bien en deçà de la revendication de 300 à 400 € pour tous, mais ces augmentations apparaissent substantielles au vu de la baisse de tous les salaires depuis 10 ans (encore -1 % en 2018, -0,8% en 2019 dans la Fonction publique hospitalière selon un récent rapport de l'Insee). La crainte que ces revendications fassent tache d’huile dans le monde du travail agite le gouvernement et les patrons.

Ce sont tous les travailleurs que le gouvernement vise et veut contraindre, et peu importe le gâchis humain, social et sanitaire que va engendrer sa politique et la suspension de milliers de professionnels de santé.

Face à la monté des colères, des exigences, il cherche à diviser celles et ceux qui font tourner la société par-delà l’incurie des riches et pourraient exiger leur dû, contester leur pouvoir.

Une société du contrôle et de la répression pour soumettre les travailleurs et les pauvres

A Roubaix en début de semaine, Macron a clos le « Beauvau de la sécurité » en annonçant « plus de bleu » dans les rues, promettant de doubler en dix ans la présence policière sur le terrain et de meilleurs « équipements ». Il a ajouté 500 millions d’€ au paquet cadeau qu’avait déjà annoncé Castex cet été portant à 1,5 milliard l’augmentation du budget du ministère de l’Intérieur et promettant une « simplification drastique » de la conduite des enquêtes et des procédures pénales.

Le gouvernement renforce le « maintien de l’ordre » et « simplifie » la justice de classe alors qu’explosent les inégalités sociales et la pauvreté, la violence sociale des riches.

Le Secours populaire vient de rendre publics les chiffres de son baromètre de la pauvreté : « on compte près de neuf millions de pauvres en France. C’est un million de plus qu’il y a dix ans. […] La situation se détériore pour les travailleurs précaires, les personnes en fin de droit, les jeunes, les personnes âgées, celles déboutées du droit d’asile […] près d’un tiers de la population (32 %) rencontre désormais des difficultés pour payer son loyer, son emprunt immobilier ou ses charges liées au logement (+7 points). En matière de santé, ils sont 29 % à avoir du mal à disposer d’une mutuelle santé (+8 points). Résultat, plus du tiers (36 %) est toujours embarrassé pour payer les actes médicaux mal remboursés par la Sécurité sociale ».

Une situation qui va encore se dégrader dès le 1er octobre, jour de l’application de la réforme de l’assurance chômage qui va se traduire par une baisse de 17 % en moyenne des allocations. Après avoir dû la reporter, Borne a justifié son application par la « reprise ». Une reprise qui n’est que celle des profits que le gouvernement ne cesse de subventionner. Il vient d’annoncer qu’il va « financer les entreprises qui formeront pendant plusieurs mois les demandeurs d'emploi de longue durée »…

La question centrale des salaires

Le Cac 40 et la distribution des dividendes ont atteint de nouveaux sommets, alimentés par l’intensification de l’exploitation, les restructurations, les suppressions de postes et la baisse des salaires réels. Une logique qui s’accélère dans tous les secteurs.

Le PDG de la SNCF a ainsi annoncé la poursuite des suppressions de postes au rythme de 2000 à 3000 chaque année au nom de la nécessité d’être « compétitif » à l’heure de l’ouverture à la concurrence, précisant « c'est une tendance historique, pas plus, pas moins que d'habitude, c'est autour de 1,5%-2% ».

Auchan, propriété de la famille Mulliez, qui a supprimé 1400 postes l’an dernier, a réalisé sur un an 1,6 milliard de bénéfices et décidé le versement de 750 millions de dividendes aux actionnaires (ce qui porte à 2,7 milliards le total des dividendes versés en 8 ans). Les salaires, eux, viennent d’être augmentés de 0,6%.

Et Borne a eu le culot de se féliciter de la hausse du SMIC « la plus forte depuis 2012 » : 34,89 euros brut, +2,2 %, fruit de la revalorisation automatique. Une hausse à peine égale à l'inflation officielle, loin de couvrir l’augmentation des dépenses incontournables, et qui ne concerne pas ceux dont le salaire est à peine supérieur (la moitié des salariés touche moins de 1,5 fois le SMIC).

Agitation politicienne, leur monde et le nôtre

La politique du gouvernement, l’offensive sécuritaire et antiouvrière renforcent d’autant plus les idées réactionnaires que la gauche est défaite, paralysée, voire se fait l’auxiliaire du gouvernement dans sa police sanitaire.

L’approche de la présidentielle agite les appareils et les potentiels candidats. Dans le camp réactionnaire, l’heure est aux surenchères pour tenter d’appâter l’électorat pour mieux offrir ses services aux classes dominantes. De Macron à l’outsider Zemmour en passant par Bertrand, Pécresse ou Le Pen chacun postule à présider aux affaires pour mener l'affrontement de classe.

De leur côté, les milliardaires qui contrôlent les groupes de presse et se déchirent à coups d’OPA, telle celle de Bolloré sur le groupe Lagardère, y déversent leur propagande, leur idéologie de classe à travers leurs créatures à la Zemmour ou d’autres plus ou moins policées.

Quant à la gauche institutionnelle, ses différents morceaux et candidats tentent de redorer leur image, d’Hidalgo, ancienne Macron-compatible, à Jadot, le favori de la primaire écologiste pour qui l’écologie n’est « ni de gauche ni de droite », en passant par Roussel, candidat PCF qui appelle les classes populaires et la jeunesse à respecter la police, ou Mélenchon, admirateur nostalgique de Mitterrand et ancien ministre qui voudrait « redonner aux catégories populaires l’appétit de vote » à travers son « Union populaire ». Tous voudraient faire croire à la possibilité d’une vraie politique « de gauche », « écologiste » ou « populaire » au gouvernement, comme si le monde du travail n’avait pas chèrement payé la politique menée par les différents gouvernements de gauche de 1981 à 2002… Des années d’offensive anti-ouvrière dont le mouvement ouvrier est sorti profondément affaibli et qui ont largement contribué à renforcer l’extrême-droite.

Les préoccupations des travailleurs, des jeunes, de l’immense majorité de la population sont bien loin de ces gesticulations politiciennes.

Aussi confus soient-ils, la colère et le désaveu des classes dominantes, des politiciens à leur service s’expriment au sein des entreprises, dans les quartiers, les universités, sur les piquets de grève, dans les manifestations du samedi… La conscience grandit dans une fraction de la population que c’est dans les luttes, en se mobilisant nous-mêmes pour exiger notre dû que les choses pourront commencer à bouger, et qu’il y a urgence. Le sentiment qu'il faut « bloquer l'économie », la contrôler dans l’intérêt de la collectivité et donc contester le pouvoir des classes dominantes fait son chemin parmi ceux qui cherchent à agir.

Un plan et un programme pour nos luttes, pour imposer notre contrôle sur la société

L'absence de réaction des syndicats et de la gauche laisse le champ libre aux réactionnaires de tous poils et pèse lourd dans la situation. La journée du 14 septembre appelée (discrètement) par la CGT dans la Santé pour protester contre les suspensions et l’obligation vaccinale, ainsi que les quelques initiatives intersyndicales prises ce jour-là et le lendemain ont, à quelques exceptions près, rassemblé peu de monde. Mais comment aurait-il pu en être autrement au vu de l’atonie et du silence assourdissant des directions syndicales durant tout l’été ?

La journée du 5 octobre, initiative de « rentrée » intersyndicale, est appelée sans autre perspective qu’une « journée d’action » visant à « tirer l’oreille » du gouvernement pour reprendre l’expression de Philippe Martinez. Une journée qui ne s’inscrit dans aucun plan de lutte, sans chercher à faire le lien et unifier les mobilisations en cours, qu’il s’agisse du refus de la police sanitaire, des luttes pour les salaires, contre les restructurations et la remise en cause des statuts comme chez Transdev ou Total, les luttes catégorielles dans la santé (psychologues, infirmiers de bloc opératoire, sage-femmes...) ou la journée de grève du 23 septembre dans l’Education nationale.

Cette absence de perspectives paralyse, favorise l’éclatement et démobilise une partie des travailleurs et des militants. Les AG de rentrée dans les syndicats, les unions locales ou départementales en donnent la mesure avec une participation souvent faible. Mais parmi les militants présents s’exprime le besoin de tisser des liens, de regrouper, d’articuler les revendications dans une même mise en cause de la politique des classes dominantes et des initiatives se prennent, à la base, sans rien attendre des confédérations.

C’est avec cette préoccupation qu’il nous faut nous saisir de la journée du 5 octobre, la préparer dans les syndicats, les services, les ateliers, en aidant à l’organisation à la base pour formuler nous-mêmes nos exigences avec les collègues de travail, en faisant le lien avec celles de l’ensemble des travailleurs, des classes populaires, de la jeunesse précarisée et révoltée. Toutes débouchent sur la nécessité que celles et ceux qui produisons les richesses dans les entreprises, qui assurons le fonctionnement de l’ensemble de l’économie et de la société en prenions le contrôle, que nous décidions nous-mêmes de ce qui est utile, nécessaire, en fonction du seul intérêt collectif.

Isabelle Ufferte

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