Le 8 septembre dernier s’est ouvert le procès en cour d’Assises des membres survivants et présumés complices des commandos de terroristes de Daech qui ont massacré 300 personnes et blessé des centaines d’autres à Paris le soir du 13 novembre 2015, aux abords du stade de Saint-Denis, sur les terrasses des Xè et XIè arrondissements et dans la salle de spectacle du Bataclan.

Ce procès va durer plus de 8 mois, les verdicts devant être rendus vers le 24 ou 25 mai 2022. Plusieurs juges d’instruction ont participé à l’enquête dont le rapport compte près d’un million de pages. Près de 1800 personnes se sont portées parties civiles. Des centaines de victimes des attentats, blessées ou rescapées et de proches des personnes assassinées vont y témoigner ainsi que des policiers, des dizaines d’experts, enquêteurs et membres du renseignement. Président de la République et ministre de l’Intérieur de l’époque, Hollande et Cazeneuve seront appelés à la barre à l’automne, Valls en tant qu’ancien Premier ministre et Le Drian, ancien ministre de la Défense, au printemps 2022.

Alors certainement ce procès apportera-t-il quantité d’informations sur cette tragédie à partir des enquêtes menées par les juges d’instruction mais il ne dira rien des causes profondes du terrorisme ni de la responsabilité des États des grandes puissances dont les dirigeants affichent avec arrogance leur bonne conscience.

A les en croire, ils détiendraient la vérité et représenteraient le camp du bien, de la défense des libertés tandis que toutes les forces qui s’opposent à eux seraient l’incarnation du mal. Tous les moyens de propagande, de manipulation, de désinformation sont déployés pour accréditer cette vision policière de l’histoire. C’est ainsi qu’en 1990 les États-Unis ont inventé de toutes pièces des atrocités commises par les soldats irakiens dans des maternités koweïtiennes pour justifier le déclenchement de la guerre contre l’Irak au début 1991. Dix ans plus tard Bush fils, en 2003, a lancé une nouvelle guerre contre l’Irak au motif de cet énorme mensonge qu’étaient la prétendue détention par Saddam Hussein d’armes de destruction massive et ses soi-disant rapports avec Al-Quaïda.

En miroir, les fondamentalistes religieux voudraient prendre au piège mortel de la haine les populations qu’ils veulent soumettre à leur propre pouvoir. Ce n’est pas la religion qui explique le terrorisme djihadiste même s’il s’alimente du fanatisme religieux. C’est une réalité sociale et politique née des contradictions à l’œuvre dans le monde arabo-musulman du fait des guerres, de la concurrence et de la lutte pour l’appropriation de la rente pétrolière et des richesses.

Quels que soient leurs discours enragés contre les puissances occidentales qui sèment la mort et la destruction par leurs guerres et suscitent une haine dont ils profitent, ce sont des ennemis féroces de la liberté, des travailleurs et des peuples, des femmes, et qui ambitionnent de les plier à leurs préceptes religieux moyenâgeux pour mieux les exploiter.

Le terrorisme djihadiste, Daech, produit du chaos généré au Moyen-Orient par les guerres des grandes puissances

L’intervention au procès mercredi dernier de Salah Abdeslam, seul survivant des commandos du 13 novembre et l’article publié par Médiapart le lendemain est l’illustration de cette fausse alternative.

« Une partie civile a demandé : pourquoi la France ? a déclaré Abdeslam. La juge n’a pas donné de réponse. Moi je vous dis : on a combattu la France. On a attaqué la France. On a visé la population, des civils, mais ça n’a rien de personnel. On a visé la France et rien d’autre. Parce que les avions qui bombardent l’État islamique ne font pas de distinction entre les hommes, les femmes et les enfants. On a voulu que la France subisse la même douleur que nous subissions. »

Il serait faux de voir dans les propos d’Abdeslam, membre fanatique de Daech qui régnait par la terreur sur le territoire du califat, la moindre compassion à l’égard des victimes civiles, bien réelles, des frappes aériennes françaises. Mais il est erroné de prétendre, comme le fait Médiapart dans son article intitulé La guerre la fausse excuse des djihadistes : « N’en déplaise à Salah Abdeslam, c’est parce que l’État islamique avait frappé la France et répandu le sang de nouveau dans l’Hexagone que l’armée française a procédé à des frappes en Syrie. Pas l’inverse. »

L’un et l’autre justifient la guerre par l’argument utilisé pour justifier toutes les guerres, celui du premier agresseur. Et Médiapart reprend à son compte les justifications des gouvernements Hollande hier, Macron aujourd’hui à leurs interventions militaires en Syrie ou au Mali, la fable de l’agression et la défense du prétendu intérêt national quand il s’agit des intérêts d’une puissance militaire qui cherche à garder son rang dans le monde et la place de ses multinationales, dont en premier lieu celles de l’armement.

Une chose est sûre par contre, c’est que Daech est né du chaos généré par les guerres qui ravagent le Moyen-Orient depuis 30 ans et dont les grandes puissances, États-Unis en tête, France et autres portent la responsabilité. Nombre d’officiers des armées irakiennes et libyennes, après la dislocation de ces Etats, ont rejoint les rangs de l’État islamique. En 2014, Daech s’est emparé d’un territoire à cheval entre la Syrie et l’Irak, y a installé son administration, proclamé le Califat. Ses bandes armées y ont régné de 2014 à 2017 par la terreur, dressé des murs de peur et de haine au sein des populations pour les soumettre à la charia, à leur pouvoir, les exploiter, les rançonner.

Des racines au cœur même des citadelles capitalistes

C’est bien une guerre que mènent, à coup d’attentats qui sont les armes de ceux qui n’ont pas d’État, Daech ou d’autres groupes terroristes djihadistes. Non pas pour se tailler un empire aux Etats-Unis et en Europe comme voudraient le faire croire les plus réactionnaires et les plus stupides de la classe politique française mais pour conquérir une portion de territoire et la part de butin qui va avec, en Irak, en Syrie, en Afghanistan, en Libye ou au Mali, dans toute cette région du monde ravagée par le terrorisme des grandes puissances.

C’est dans les pays musulmans que le terrorisme djihadiste fait le plus de victimes, dans des attentats meurtriers destinés à soumettre par la peur les populations, faire redouter des représailles sanglantes à toutes celles et ceux qui ne se plieraient pas à leur dictature.

Aux États-Unis ou en Europe, l’objectif des terroristes djihadistes est de surprendre, sidérer, terroriser la population et provoquer de la part des pouvoirs en place une réponse disproportionnée qui augmente cette peur, grandit la menace, fait suspecter tous les musulmans, alimente le racisme, toutes choses qui en retour justifient leur influence et la haine qu’ils propagent.

Objectif atteint quand François Hollande déclarant solennellement le 16 novembre 2015 devant le Congrès réuni à Versailles : « La France est en guerre », transforme une poignée d’assassins en véritable armée. Les états d’urgence successifs, autant de réponses policières et sécuritaires, sans même s’interroger sur ce qui peut amener des jeunes Français à s’engager dans le djihad, vont dans le même sens.

Cela n’empêchera, bien au contraire, ni le terrible attentat de Nice le 14 juillet 2016, dont l’auteur, au volant d’un camion-bélier tua 86 personnes sur la promenade des Anglais ni ceux qui se sont succédé depuis lors dont plus récemment la monstrueuse décapitation de Samuel Paty. Ils n’ont pas été perpétrés par des réseaux aussi nombreux, programmés depuis la Syrie comme ceux du 13 novembre mais organisés par quelques individus, voire des individus seuls, le plus souvent déséquilibrés.

L’intégrisme religieux et la violence terroriste, la célébrité promise au « martyr » mort en « héros », peuvent fournir un exutoire à la haine de jeunes musulmans ou récemment convertis contre une société qui les rejette, secrète la misère et le racisme, la violence sociale.

Comme il n’est pas question pour les gouvernements et les classes dirigeantes de remettre en cause leur système, l’exploitation, la concurrence sauvage mondialisée, leurs guerres, ils masquent leur responsabilité en désignant un ennemi « l’islam » qu’ils accompagnent de l’adjectif « radical » comme l’ont fait sans scrupule Darmanin et Macron, sur qui ont surenchéri, sur le terrain de cette démagogie, xénophobe, raciste, discriminatoire à l’égard des musulmans, une grande partie de la droite et toute l’extrême droite.

C’est ainsi que pouvoirs capitalistes et terrorisme djihadiste s’alimentent l’un de l’autre, cherchant à prendre au piège de leur fausse alternative les travailleurs et la population.

Pas de réponse hors de l’intervention consciente et démocratique des opprimés

Défendre la liberté et la démocratie, c’est attaquer le mal à la racine, tant dans ses causes géostratégiques que dans ses racines sociales et politiques.

Le terrorisme et la guerre contre le terrorisme comme l'état d'urgence permanent qui leur est associé sont des symptômes de la désagrégation de nos sociétés sous les effets de la crise du capitalisme, symptômes et facteurs aggravants. Leurs combinaisons et enchaînements dominent les esprits et conduisent à l’éclatement des solidarités collectives, à la désespérance individuelle faute de pouvoir peser sur les évolutions sociales.

Pour échapper aux constructions idéologiques des uns et des autres justifiant leur politique aveugle et criminelle, il est indispensable de garder les pieds sur terre, solidement enracinés dans les luttes de classes du point de vue des classes exploitées, et de regarder, comprendre, analyser et agir du point de vue de leurs intérêts contre tous ceux qui veulent les plier à leurs intérêts privés.

Il n'y a pas d'autre voie pour briser cette logique infernale que de militer autour de la défense des droits démocratiques pour les peuples comme pour les travailleurs, contre toutes les discriminations d'où qu’elles viennent, le racisme et la xénophobie quelle que soit la religion qui les justifie, pour l'égalité des sexes et la solidarité entre les opprimés, en finir aussi avec la domination des multinationales et des États qui les servent.

La question n’est ni religieuse ni idéologique mais sociale et politique.

Galia Trépère

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