L’attentat aux avions-suicides d’Al-Qaida contre les tours jumelles du World Trade Center de New York, faisant 3000 morts, avait saisi d’effroi la planète. Ce matin du 11 septembre éclataient dans une terrible conflagration meurtrière les contradictions de la politique menée par Wall Street et le Pentagone depuis deux décennies. Ces deux décennies inaugurées en 1979 par l’arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher puis de Ronald Reagan furent celles de l’offensive libérale et impérialiste engagée par les vieilles puissances occidentales sous la houlette des néoconservateurs et des ultralibéraux américains pour relancer les profits, une offensive contre les travailleurs et les peuples. Liquidation des services publics, privatisations, mise en concurrence des travailleurs à l’échelle mondiale, financiarisation de l’économie, explosion des bourses et des marchés financiers, les USA et leurs alliés imposaient l’économie de marché à toute la planète, y compris par les armes et la guerre, déstabilisant tant les rapports entre les classes qu’internationaux.

La globalisation de la concurrence capitaliste généra une exacerbation des tensions internationales en particulier après l’effondrement de l’URSS qui avait participé au maintien de l’ordre mondial à travers la politique dite de coexistence pacifique.

L’année 1979, ce fut aussi la révolution iranienne liquidée au profit de la dictature des Mollahs. La mise en place d’une théocratie islamiste accompagnait le recul des forces progressistes qui avaient impulsé les luttes de libération nationale et ouvrait la voie à la montée des fondamentalismes religieux cherchant à capter à leur profit les frustrations, les humiliations, les mécontentements et la révolte engendrés par les ravages de la mondialisation capitaliste. Les forces les plus réactionnaires que les grandes puissances avaient su ménager ou utiliser, avec la collaboration de l’Arabie saoudite, dans leur croisade anticommuniste se mirent à leur propre compte pour tenter de trouver une place dans l’exploitation des peuples et le pillage des richesses.

C’est de ces tensions que naquirent Al-Qaida et Ben Laden qui, après avoir servi les USA contre l’occupation de l’Afghanistan par l’armée soviétique, se mit à son propre compte pour venger le prophète, galvaniser les masses musulmanes en frappant le grand Satan en son cœur même.

« La guerre sans fin », quand le terrorisme d’État nourrit le djihadisme

Pour Bush et le Pentagone ce fut l’occasion de mobiliser les USA, de retourner l’humiliation de l’attentat pour justifier leur plan militaire visant à renforcer, étendre leur domination sur le monde, l’empire, et tenter de surmonter le « Syndrome vietnamien », le refus de guerres meurtrières, destructrices et sans issue qui avait gagné l’opinion américaine après la victoire du Vietnam en 1975.

C’est ainsi qu’a débuté ladite « guerre contre le terrorisme ». Le terrorisme islamiste, nouvel « axe du mal », prenait le relais de « la menace communiste » pour tenter de justifier la politique impérialiste conduite au nom d’une prétendue défense de la démocratie.

Washington demande l’appui du Conseil de sécurité de l’ONU, qui adopte, entre le 12 septembre et le 20 décembre 2001, une série de résolutions votées à l’unanimité, Russie et Chine comprises, qui justifient au nom du combat « contre le terrorisme », la « guerre préventive ». Il ne s’agit pas de répondre à une agression mais d’anticiper une possible agression, ce qui viendra « légitimer » les interventions en Irak, puis 10 ans plus tard en Libye, et, pour la France, au Mali. Politique militariste et agressive qui loin d’enrayer le terrorisme le nourrira en aggravant l’instabilité et les tensions internationales, terrorisme dont les peuples du monde musulman sont les premières victimes mais qui n’a pas épargné les populations des puissances occidentales comme le rappelle le procès des attentats du 13 novembre 2015 à Paris. Dans la foulée, les lois liberticides se multiplient, du Patriot Act américain à l’état d’urgence en France.

Le 7 octobre 2001, les États-Unis envahissaient l’Afghanistan, l’« opération-éclair » de Bush vit la chute des talibans, fin 2001. Ben Laden s’était enfui au Pakistan, et la coalition mit en œuvre l’illusoire projet de construire un État à sa botte pour faire de l’Afghanistan un point d’appui pour l’armée américaine. Bush inscrivait sa stratégie impériale dans la perspective d’un « grand Moyen-Orient », un ensemble géographique hétéroclite s’étendant du Maroc à l’Afghanistan autour d’Israël et de l’Arabie saoudite.

Les visions impériales extravagantes de Bush et des néoconservateurs annonçaient la prochaine étape, l’invasion de l’Irak pour renverser Saddam Hussein et y construire un État à sa solde, deuxième point d’appui pour contrôler la région. Justifiée par un cynique et grossier mensonge d’Etat, les prétendues armes de destruction massive d’Hussein, elle eut lieu en 2003.

De la crise de 2008-2009 à la déroute

A travers de multiples crises et soubresauts, l’offensive de la mondialisation financière et militariste déboucha sur un double fiasco, d’abord la grande crise de 2008 et 2009 dont l’économie mondiale ne s’est toujours pas remise et la double débâcle en Irak et en Afghanistan sans oublier les dix ans de guerre en Syrie ou l’intervention française au Mali qui en sont les conséquences directes.

Après la crise des subprimes qui a entraîné des pertes financières considérables, surajoutées aux coûts des guerres d’Afghanistan et d’Irak, estimés alors à près de trois mille milliards de dollars sans que les armées américaines puissent parvenir à stabiliser la situation, Obama a été contraint, avec bien des hésitations, d’engager la politique de retrait, d’intégrer l’échec des projets fous de Bush.

L’offensive libérale, financière, économique, et l’offensive militaire impériale se sont confondues dans la même déroute.

Le moment charnière fut la débâcle en Irak après qu’Obama eut décidé le retrait des troupes américaines en 2011. En 2014, l’armée mise en place par les USA se décomposait et Daech proclamait, après la prise de Mossoul en juin, le Califat.

Puis, au terme de la guerre la plus longue de leur histoire, et après avoir enrôlé dans leur croisade pas moins de trente-huit pays sous le commandement de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), les États-Unis se retirent d’Afghanistan. Annoncé par Trump pour mai 2021, le retrait a été mis en œuvre par Biden dans l’improvisation la plus totale. Il avait été l’objet d’un accord, l’accord de Doha entre l’administration Trump et les organisations talibanes, signé en février 2020 sans aucune consultation du gouvernement de Kaboul, sans même une quelconque coordination avec les membres de l’OTAN, qui conservaient sur place 7 100 soldats. Le 10 mars, le Conseil de sécurité de l’ONU entérinait l’accord par le vote à l’unanimité de la résolution 2513.

Il est pour le moins hypocrite et mensonger de prétendre à la surprise face au fiasco annoncé…

Biden, la fin d’une ère ?

Aveuglés par leur propre puissance et le mépris des peuples, les Reagan, Bush and co ont cru pouvoir construire un monde sous leur férule financière et militaire, leur empire. Ils ont perdu, incapables même d’organiser leur propre retrait, là encore prisonniers de leurs propres bluff et mensonges. Des milliards ont été engloutis dans la corruption et les gaspillages militaires meurtriers, des centaines de milliers de vie humaines sacrifiées au délire de puissance des maîtres de ce monde avec le soutien de toutes les bonnes âmes si promptes à se laisser duper par les discours mensongers de la lutte contre le terrorisme et de la défense de la démocratie. La gauche, dont Mélenchon, n’était-elle pas au gouvernement cohabitant avec Chirac pour soutenir et participer à l’invasion de l’Afghanistan en 2001 ?

Cette guerre n’avait d’autres objectifs que ceux répondant aux intérêts de Wall Street et de l’État américain, s’assurer le contrôle du pays à des fins militaires par l’intermédiaire d’un gouvernement fantoche à leur botte. Une débâcle !

Le 31 août, Biden, au lendemain du départ des derniers soldats américains d’Afghanistan, s’est justifié « Nous n’avions plus qu’un choix simple. Soit suivre l’engagement pris par la précédente administration, et quitter l’Afghanistan, soit dire que nous ne partions pas et renvoyer des dizaines de milliers de soldats à la guerre. [...] Le véritable choix était entre le départ ou l’escalade. Je n’allais pas prolonger cette guerre éternelle et je n’allais pas prolonger le retrait éternel. »

« Le rôle du président américain est de défendre les États-Unis contre les menaces d’aujourd’hui, pas celles de 2001. ». Et d’ajouter pour donner à sa propre politique une dimension historique : « Cette décision sur l’Afghanistan ne concerne pas seulement l’Afghanistan. Il s’agit de mettre un terme à une ère d’opérations militaires majeures afin de redessiner d’autres pays. ».

La liquidation en bonne et due forme du projet paranoïaque de Bush, Rumsfeld and co n’est pas sans poser des problèmes à Biden contraint de s’adapter sans renier de trop le slogan quelque peu trumpien de sa propre campagne, « L’Amérique est de retour ». Et de préciser : « En tant que commandant en chef, je crois fermement que la meilleure voie pour protéger notre sécurité passe par une stratégie dure, impitoyable, ciblée et précise qui traque la terreur là où elle se trouve aujourd’hui. Pas où elle était il y a deux décennies. ». En réalité, ce à quoi pense principalement Biden ce sont les menaces qui environnent les USA dans un monde bouleversé, déstabilisé dans lequel ils ont perdu leur leadership : « Nous sommes engagés dans une compétition sérieuse avec la Chine. Nous faisons face à des défis sur de multiples fronts avec la Russie. Nous sommes confrontés aux cyberattaques et à la prolifération nucléaire » …

Monde multipolaire, instabilité et tensions internationales, conflits locaux, rivalités entre puissances régionales, jeux rivaux des grandes puissances, s’il est difficile dans ce contexte d’évaluer l’impact que pourra avoir la chute de Kaboul, elle symbolise aux yeux du monde entier l’échec des prétentions américaines à construire un nouvel ordre mondial.

De la globalisation de la concurrence à la guerre globalisée….

La défaite en Afghanistan constitue une nouvelle étape dans les transformations internationales qui rendent caduques les prétentions des vieilles puissances occidentales, les USA en premier lieu, à gouverner le monde et imposer leur ordre mondial. Cet ordre ne s’est pas effondré parce qu’il était confronté à des ennemis plus puissants. Les USA gardent leur supériorité technologique, militaire, monétaire sur le monde. Leur puissance reste pleine et entière. Leur déclin est relatif à l’évolution des rapports de force dans le monde, aux prises de conscience des populations tant aux USA que dans le reste du monde.

La politique de Bush ne pouvait que finir dans le désastre. La paranoïa impériale qui voit dans la supériorité militaire et économique des vieilles puissances occidentales le droit moral de diriger ne peut définir une stratégie autre que celle de l’échec. Elle s’est effondrée précisément au moment où aucune autre puissance ne la contestait, prisonnière de son aveuglement, de son arrogance, de son mépris pour les peuples dont elle prétend faire le bonheur !

Après Obama, Trump a tourné brutalement le dos aux aventures de Bush et Biden n’aura pas d’autre choix que de marcher dans les pas de Trump. La chute de Kaboul symbolise la fin d’une ère où les USA ont pu croire faire du XXIe siècle le siècle américain, un fiasco. Mais ce fiasco ne signifie en aucune manière la fin des prétentions du capital américain, il doit simplement s’adapter à de nouveaux rapports de force, ce que Trump a, à sa façon, commencé à mettre en musique. Biden prend le relais assumant le double opprobre de vingt ans de guerres pour rien et de la débâcle ! Mais l’intitulé de son programme de campagne, « Guider le monde démocratique », suffit à montrer à quel point les dirigeants américains n’ont en rien abdiqué de leur volonté hégémonique.

Désormais, le sort de l’Afghanistan va se décider dans les luttes de pouvoir interne et le jeu des puissances régionales encadré par la Chine, la Russie. Cette évolution illustre l’instabilité croissante d’un monde soumis à la concurrence généralisée sans qu’aucune puissance ne soit en mesure de maintenir un ordre un tant soit peu stable.

La nouvelle ère dont la chute de Kaboul est le symbole s’est façonnée à travers la fin de l’ère du colonialisme et de l’impérialisme telle que la décrivait Lénine il y a un siècle et l’échec de la première puissance mondiale à imposer son ordre au capitalisme mondial après les luttes de libération nationale et l’effondrement de l’URSS.

Cette nouvelle ère s’annonce comme une ère de désordre et de chaos mondialisés d’un capitalisme multipolaire incapable de se réguler tant sur le plan économique que politique.

Les souffrances du peuple afghan en témoignent cruellement dans le même temps qu’à travers elles s’accomplissent de profondes transformations qu’exprime la révolte des femmes. L’entrée violente des peuples dominés dans le monde capitaliste du XXIe siècle participe de la préparation des conditions de l’émergence de nouveaux rapports internationaux de solidarité et de coopération qui se construisent à travers les multiples révoltes, initiées par les révoltes du monde arabe de 2011, qui secouent la planète.

Yvan Lemaitre

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