Après la déroute de LREM aux élections régionales, Macron tente de reprendre la main vis à vis de l’électorat réactionnaire, posant à celui qui a le « courage » de s’en prendre aux plus précaires et à l’ensemble du monde du travail au travers des retraites.

Dès le mois de mars, la droite avait déjà pris les devants avec Bertrand : « À l’horizon 2028-2030, il nous faudra travailler deux ans de plus, jusqu’à 64 ans, et si l’espérance de vie continue à progresser, il faudra, dans les années qui suivent, aller jusqu’à 65 ans ».

Début juin, Macron lançait un premier ballon d’essai, en annonçant sa volonté de prendre des « mesures difficiles » sur les retraites dans les mois qui viennent, pour couper l’herbe sous les pieds de la droite. Mardi 6 juillet, il convoquait un sommet social destiné à préparer ses futures annonces sur la fin du quinquennat et sur les retraites tout particulièrement.

ris à contre-pied par le chef, les ministres et les députés LREM ont multiplié les déclarations contradictoires. Lemaire réclame de relever l’âge de la retraite « sans remettre à demain ce qu'on peut faire aujourd'hui » au nom de l’équilibre des comptes… lui qui a creusé les déficits avec un plan de relance qui a profité exclusivement au CAC40 ! Ferrand, président de l’Assemblée nationale, appelle à attendre l’après-présidentielles : « se précipiter serait folie à mes yeux », tout comme le patron LREM du Sénat, Patriat : « Il y a déjà eu assez d’embûches avec les gilets jaunes, le conflit sur les retraites et le Covid pour charger encore la mule » !

Quant à de Bézieux, président du Medef qui défend le passage de l’âge de départ à 64 ou 65 ans, il faut préparer l’offensive : « Pour faire cette réforme, il faut un capital politique. Le temps est passé depuis 2017. Pour moi, c’est un débat de la présidentielle »… Le souvenir de la lutte des retraites est bien présent dans la tête du patronat, mais au-delà du timing, tous sont d’accord pour imposer cette politique de régression sociale à l’ensemble du monde du travail.

Au final rien n’a été annoncé mardi en présence des « partenaires sociaux », si ce n’est l’intervention de Macron le 12 juillet et sa volonté de « prolonger le travail engagé » sur les retraites… Mais au niveau des directions des grandes confédérations syndicales, toutes s’associent à la mise en scène, donnent de la légitimité à Macron par ce jeu pervers du « dialogue social ».

Particulièrement conciliante, la CFDT veut elle aussi « attendre la présidentielle », une façon de soutenir par avance le contenu de la réforme, elle qui défendait déjà la retraite par points. En sortant du sommet, Berger a déclaré que si Macron persévérait sur le report de l’âge de départ, ce serait « un risque social et démocratique », alors que « le vrai sujet est de relancer, rassembler et d’accompagner les personnes les plus en difficulté »… Des dirigeants syndicaux inquiets des luttes sociales, englués dans l’union sacrée de la « relance » face à l’épidémie !

Quant aux autres syndicats, leur présence à ce sommet est déjà un aveu de leur passivité complice. Ils n’ont aucune volonté d’organiser une riposte sérieuse face à l’offensive de Macron et des classes dominantes.

Réunis en intersyndicale le 1er juillet, la CGT, FO, la FSU, Solidaires, l’UNEF et le MNL ont décidé… de se revoir fin août pour préparer une mobilisation interprofessionnelle pour « les droits et la justice sociale », sans donner de date précise alors que la CGT appelle le 5 octobre. Quant au communiqué commun, il est loin d’être au niveau de la brutalité de l’offensive patronale, en expliquant : « Conditionner des aides publiques selon des normes sociales et environnementales doivent permettre de préserver et créer de nouveaux emplois »… Quelle audace !

Quant à l’appel à construire une « grande coalition » contre le projet de Macron, lancé par plusieurs parlementaires LFI en s’adressant notamment à toute la gauche, pas sûr qu’il aille très loin vu les mauvais coups sur les retraites menés par le PS et ses alliés lorsqu’ils étaient au pouvoir.

Les attaques contre les retraites ou l’absurdité destructrice du capitalisme

La campagne bat son plein sur le thème « il faut travailler plus longtemps » au nom de l’argument éculé de l’augmentation de l’espérance de vie. Qu’importe si un travailleur sur deux n’est plus en activité lors de son départ à la retraite aujourd’hui. Qu’importe que le fameux « déficit » des caisses de retraite soit essentiellement dû aux mesures de chômage partiel et aux exonérations multiples ! Qu’importe si une telle mesure ne fera qu’augmenter le chômage des jeunes, qui bat des records dans la situation actuelle.

A l'inverse de cette campagne réactionnaire du "travailler plus", tout le monde mesure aujourd’hui à quel point l'évolution des techniques, les progrès de la révolution numérique vont au contraire dans le sens de la diminution du temps de travail, du partage du travail entre toutes et tous, au lieu de soumettre une part croissante de travailleurs au chômage, à la précarité.

Mais tout ce qui compte pour les capitalistes, c’est imposer des retraites misérables, pour alimenter toujours plus la machine à profits et permettre à la finance de développer les retraites privées pour ceux qui pourront les payer.

Le système est dans une logique folle et destructrice. Les milliards des plans de relance ne conduisent qu’à augmenter la spéculation financière, qui réclame en retour toujours plus de liquidités.

Le CAC40 en France, le S&P 500 aux Etats-Unis ont battu des records avec une progression de plus de 15 % depuis le début d’année. Cette semaine, accident de parcours, ils ont dévissé suite aux annonces sur le variant Delta et à la fièvre… spéculative. « Tant que les banques centrales ne sifflent pas la fin de la récréation en réduisant les liquidités déversées sur les marchés, il n’y a pas de raison de s’attendre à un krach » commente un économiste… C’est la fuite en avant. Pour tenter d’éviter le krach, malgré ce dopage de capitaux injectés massivement par les Etats, les capitalistes n’ont pas d’autre choix que d’intensifier l’exploitation pour tirer encore et toujours plus de profit.

Il n’y a pas de « sortie de crise » possible par le dialogue social ni de bonnes mesures que pourraient prendre un bon gouvernement qui éviteraient l’affrontement avec l’Etat, le patronat, la finance. Il est impossible de se battre pour nos droits sans remettre en cause le système lui-même, sans être radical, c’est-à-dire prendre le mal à la racine.

Des syndicats en recul ou le « dialogue social » contre le monde du travail

La politique de collaboration menée, à des degrés divers, par les directions des grandes confédés, a désarmé le monde du travail face à cette offensive, et, en retour, les a affaiblies elles-mêmes, une logique de recul avec laquelle il faut rompre.

Sur 2017-2020, la CGT a perdu 150 000 voix lors des élections professionnelles et la CFDT 38 000. Le recul est global, exprimant la défiance de bien des travailleurs sur la politique des syndicats, de plus en plus décalée avec leur réalité.

Le soi-disant « pragmatisme » de la CFDT, vantant le syndicalisme de négociation, ne mène à rien. Berger a soutenu Macron en début de quinquennat, comme sa réforme des retraites par points, en assurant qu’il allait « négocier »… pour au final ne servir qu’à accompagner les reculs sociaux voulus par le pouvoir.

Mais du côté des autres confédérations, la politique n’est pas si différente. La stratégie des journées d’actions à répétition, présentées comme un moyen de pression, restent dans le cadre de ce « dialogue social », destiné avant tout à étouffer la colère du monde du travail. Pas question pour elles de formuler un plan d’ensemble de riposte, de mener une politique d’affrontement, d’indépendance de classe.

Dans les entreprises, la politique d’institutionnalisation des syndicats s’est amplifiée dans la foulée de la Loi Travail et des ordonnances Macron. Si les instances de représentation des salariés ont été imposées par un rapport de force dans la période précédente, aujourd’hui la situation a changé. Le patronat s’est adapté, au point d’en faire des outils de management avec la multiplication des « accords d’entreprises ».

De même, les gouvernements successifs ne se sont pas gênés pour imposer leur politique d’austérité à la Sécu, à l’Unedic, dans les organismes sociaux… montrant toute l’inefficacité du « paritarisme » tant vanté par les directions syndicales. Et pourtant, elles continuent à y passer beaucoup de temps, pour là encore ne gérer que des reculs.

A cette situation s’ajoutent les transformations profondes de ces dernières années dans le monde du travail. Comme le dit le syndicat CGT Info’Com : « Un décalage abyssal se creuse entre ce qu’est devenu le salariat et ce syndicalisme divisé mais rassemblé dans l’échec ». Dans les entreprises, le syndicalisme s’adresse de fait aux salariés en CDI ou à statut, dans le cadre des CSE, des accords d’entreprise ou des commissions paritaires dans la Fonction publique. Mais dans le même temps, de plus en plus de salariés travaillent sur le même lieu pour un autre employeur, en intérim ou en sous-traitance. Face à cette mise en concurrence permanente organisée par le patronat, nous avons besoin de nous organiser au niveau de l’ensemble des travailleurs.

Lutter pour les retraites, c’est contester le capitalisme et la politique de ses serviteurs

La situation de déroute du capitalisme à laquelle nous assistons impose de nouvelles réponses, à commencer par en finir avec cette politique du « dialogue social » qui désarme les travailleurs.

Dans la CGT, les critiques sont nombreuses contre le « syndicalisme rassemblé » et l’attitude vis-à-vis de la CFDT, contre la CES (Confédération Européenne des Syndicats), réclamant parfois le retour à « la CGT d’avant ». Mais les travailleurs n’ont pas besoin de la nostalgie d’un passé marqué par le stalinisme, qui a conduit à cette adaptation au capitalisme financier.

Pour défendre les retraites comme nos droits fondamentaux, l’enjeu est au contraire de faire vivre un syndicalisme de lutte de classe, démocratique, s’adressant à l’ensemble des travailleurs quels que soient leur statut ou leur contrat. Un syndicalisme capable de contester sur le fond le système capitaliste à partir des luttes et de l’organisation des travailleurs.

On ne peut rester cantonné à son entreprise, sur des revendications locales de salaires ou de conditions de travail. Toutes sont conditionnées par un rapport de force social et global entre les classes, qui impose de se poser la question de l’intervention politique pour contester le pouvoir des classes dominantes.

La lutte contre les licenciements pose la question de qui décide ? Quel programme pour riposter face à ce système destructeur, qui ferme des usines, arrête des productions utiles pour tenter de maintenir ses profits ? Il n’y a pas de bon « plan industriel » à opposer aux capitalistes comme le défendent les directions syndicales, mais bien une politique à mettre en œuvre pour la réquisition, la socialisation, le contrôle démocratique des travailleurs sur la marche de toute la société.

Préparer la riposte sur les retraites, c’est nous organiser pour mettre en œuvre, pour et par nous-mêmes, une politique de classe consciente qu’il ne peut y avoir de dialogue entre le travail et le capital. Pour nous, faire de la politique c’est contester le capitalisme et sa logique d’inégalités insupportables, redonner toute leur actualité aux mots de Marx sur l’avenir des syndicats : « ils doivent maintenant agir comme foyers d'organisation de la classe ouvrière dans le grand but de son émancipation radicale. Ils doivent aider tout mouvement social et politique tendant dans cette direction. En se considérant et en agissant comme les champions et les représentants de toute la classe ouvrière, ils réussiront à regrouper dans leur sein tous ceux qui ne sont pas encore organisés »[1].

Laurent Delage

 

[1] Résolution de l’AIT sur les syndicats - 1866

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